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Full text of "Les expéditions de Chine et de Cochinchine;"

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THE  UNIVERSITY 
OF  CALIFORNIA 

LOS  ANGELES 


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University  of  Ottawa 


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LES 


EXPÉDITIONS 


CHINE  ET  DE  COCHINCÏÏINE 


PARIS.  —  IMPRIMERIE  DE  CH.  LAHURE  ET  C'' 
Rue   de    Kleurus,    9 


LES 


EXPÉDITIONS 


DE 


CHINE 

ET     DE 

COCHINCHINE 

D'après  les  Documents  officiels 

PAB   LE   BARON 

DE    BAZANCOLRT 


DEUXIEME  PARTIE 


PARIS 

AMYOT,    ÉDITEUR,    8,   RUE   DE   LA   PAIX 

M    DCCC    LXII 

Reproduction  inturdite    —    Droits  de  traduction  résarvss 


DS 


LETTRE 

DU  GÉNÉRAL  DE   MONTAUBAN 

AU 

BARON  DE  BAZANCOURT 


Monsieur  le  Baron, 

Je  vous  remercie  de  l'envoi  de  votre  livre,  sur 
l'Expédition  de  Chine,  que  j'ai  lu  avec  le  plus  vif 
intérêt. 

Le  récit  que  vous  faites  de  cette  campagne,  dont 
j'ai  eu  l'honneur  d'être  le  Commandant  en  chef,  est 
d'une  exactitude  complète. 

Appuyé  sur  des  pièces  officielles  qui  lui  don- 
nent un  cachet  d'authenticité  indiscutable,  il  ser- 
vira à  rectifier  bien  des  erreurs  qui  se  sont  glissées 


1 662725 


-^«iîSiS  VIII  (^^s^<3^ 
dans  d'autres  narrations  sur  le  même  sujet  et  qui 
ont  dénaturé  certains   faits   importants  de   cette 
campagne. 

Votre  livre  dit  la  vérité  claire  et  précise  en  de- 
hors de  toute  appréciation  personnelle,  et  je  suis 
heureux,  monsieur  le  Baron,  de  vous  donner  ce 
témoignage  de  son  entière  exactitude. 


Agréez,  etc. 


Le  général  de  division  ex-commandant  en  chef 
de  l'expédition., 


Signé  ;  C.  de  Montauban. 


Le  précieux  témoignage  que  renferme  cette  lettre  nous  a  paru  trop 
important  pour  ne  pas  le  publier  en  tête  de  cet  ouvrage. 

Cette  approbation  si  flatteuse  du  général  commandant  en  chef  l'ex- 
pédition de  Chine  donne  au  livre  que  nous  publions  cette  inatta(iuable 
authenticité  qui  a  déjà  assuré  le  succès  des  précédents  ouvrages  du 
baron  de  Bazancourt,  sur  nos  guerres  en  Crimée  et  en  Italie. 

{Note  de  l'éditeur.) 


Q_Q^~^C^ 


LIVRE  PREMIER 


LIVRE  PREMIER. 


CHAPITRE  PREMIER. 


I.  —  L'i  cunduite  déloyale  du  gouvernement  chinois  à 
l'emboucliure  du  Peïho  dans  la  journée  du  25  juin  était 
un  outrage  sanglant  pour  les  armes  alliées,  en  même 
temps  qu'elle  constituait  une  violation  flagrante  du  traité 
signé  à  Tien-tsin  l'année  précédente.  —  Une  des  clauses 
essentielles  de  ce  traité  portait,  en  effet,  que  les  ratifi- 
cations ordinaires  seraient  échangées  à  Pé-king. 

Dans  l'exposé  de  la  situation  de  l'empire  (année  1861), 
le  gouvernement  français  dit  : 

«  Cette  conduite  annonçait  en  outre,  de  la  part  du  gou- 
vernement chinois,  l'intention  de  s'affranchir  du  traité 
de  Tien-tsin  et  de  contester  aux  deux  puissances  alliées 
les  avantages  qu'elles  avaient  obtenus.  L'approbation 
donnée  par  l'empereur  de  Chine  aux  autorités  de  Ta-kou 
ne  pouvait  laisser  aucun  doute  :  il  était  manifeste  qu'il 
fallait,  ou  renoncer  aux  résultats  d'une  première  expé- 
dition, ou  se  préparer,  par  un  envoi  de  forces  plus  im- 
posantes, à  faire  sentir  au  gouvernement  chinois  tout 


4  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

le  danger  de  Jiianquer  au  respect  des  convenlioiis  di- 
plomatiques. » 

Si  le  fait  lui-mùme  de  l'échec  du  IVi  ho  n'avait  pas 
suffi  pour  déterminer  l'empereur  Napoléon  III  à  envoyer 
un  corps  expéditionnaire  en  Chine,  des  considérations 
importantes,  tirées  de  l'ensemble  de  notre  situation  dans 
cet  extrême  Orient,  eussent  amené  cette  grave  résolu- 
lion.  L'atlcinte  portée  au  prestige  de  nos  armes  pou- 
vait avoir  un  retentissement  fatal  au  Japon.  —  Laisser 
impunément  violer  le  traité  de  Tien-lsin  n'était-ce  pas 
allaiblir  l'autorité  de  celui  de  Yeddo  qui,  pour  la  pre- 
mière fois,  nous  ouvrait  un  accès  dans  l'empire  du  Ja- 
pon? .Notre  influence  ébranlée  en  Chine,  compromettait 
aussi  l'expédition  poursuivie  en  Cochinchine  avec  le  con- 
cours de  l'Espagne. —  L'autorité  incontoslécdelaforce.la 
puissance  d'une  armée  victorieuse  sont,  dans  ces  con- 
trées lointaines,  le  seul  argument  qui  puisse  faire  plier 
l'orgueil  et  dompter  le  profond  dédain  de  ces  peuples 
étrangers  à  notre  civilisation.  S'il  était  important  de  leur 
montrer  que  nous  n'étions  pas  des  barbares,  comme  il 
leur  plaisait  de  nous  appeler,  il  fallait  aussi  leur  prouver 
que  les  nations  occidentales  étaient  des  nations  puissantes 
et  souveraines. 

Une  nouvelle  expédition  fut  donc  décidée  par  le  gou- 
vernement de  S.  M.  Napoléon  III  d'accord  avec  le  gou- 
vernement de  Sa  Majesté  Britannique. 

II.  —  Mais  avant  d'en  commencer  le  récit,  il  est  im- 
portanf  de  faire  connaître  dans  tous  leurs  détails  les  évé- 


LIVKE   I,   CHAPIThi:   I.  5 

iicmenls  du  Peïho,  qui  amenèrent  de  nouveau  dans  les 
mers  de  la  Chine  les  armes  de  la  France  et  de  l'Angle- 
terre. 

Après  bien  des  notes  échangées  avec  le  gouvernement 
chinois,  dont  la  diplomatie  évasive  échappait  sans  cesse 
à  la  réalisation  des  promesses  les  plus  solennelles,  une 
dernière  note  du  commissaire  impérial  Kwei-liang  et  de 
son  collègue  adressée  à  M.  Bruce,  ministre  anglais,  de- 
vait faire  supposer  aux  deux  ministres  des  nations 
alliées,  chargés  de  la  ratification  des  traités  à  Pé-king, 
que  les  hautes  autorités  chinoises  ne  cherchaient  plus 
enfin  à  mettre  obstacle  à  cette  ratification. 

a  M.  Bruce  pourra  bien  certainement  arriver  à  sa 
destination  à  l'époque  désignée  (disait  la  note  des 
envoyés  chinois);  avec  les  relations  pacifiques  établies 
maintenant  entre  les  deux  nations,  bien  certainement 
rien  ne  sera  fait  qui  ne  soit  conforme  aux  clauses  du 
traité.  Les  envoyés  prient  donc  M.  Bruce  de  mettre 
toute  défiance  de  côté  à  ce  sujet  :  il  ne  doit  point  con- 
server la  moindre  inquiétude....  Sa  mission  étant  une 
mission  pacifique,  la  manière  dont  il  sera  traité  par  le 
gouvernement  delà  Chine  ne  manquera  pas  d'être  en  tous 
points  des  plus  courtoises;  et  c'est  le  désir  sincère  des 
envoyés  que  des  relations  d'amitié  puissent,  à  dater  de 
ce  moment,  être  consolidées,  et  que  de  chaque  côté  on 
voie  renaître  la  confiance  dans  une  justice  et  une  bonne 
foi  réciproques.  » 

m.  —  La  diplomatie  chinoise  n'avait  pourtant  pas  dit 


6  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

son  dernier  mot;  et  si,  dans  sa  pensée,  elle  ne  pouvait 
plus  se  soustraire  aux  engagements  qu'elle  avait  pris, 
elle  voulait  encore  suivre  la  voie  dangereuse  de  son  arro- 
gant orgueil,  et  enlever  à  l'arrivée  des  représentants  euro- 
péens à  Pé-king,  toute  solennité  et  surtout  toute  marque 
extérieure  d'une  déférence,  dont  la  manifestation  envers 
des  étrangers  les  humiliait  profondément. 

En  se  rappelant  les  précédentes  ambassades  qui  avaient, 
à  diverses  époques,  tenté  vainement  de  pénétrer  dans 
l'intérieur  du  Céleste-Empire,  on  voit  que  les  différends 
les  plus  sérieux  ont  toujours  eu  pour  point  de  départ  des 
questions  d'étiquette  et  le  refus  permanent  du  gouver- 
nement chinois  de  traiter  sur  un  pied  d'égalité  avec  les 
nations  européennes  (1). 

Il  avait  été  convenu  entre  M.  de  Bourboulon,  ministre 
de  France,  l'amiral  llope  et  le  ministre  anglais,  M.  Bruce, 
que  l'amiral  Hope  précéderait  de  quelques  jours,  à  l'em- 
bouchure du  Peïlio,  les  bâtiments  français  et  entrerait 
immédiatement  en  communication  avec  les  hautes  auto- 
rités chinoises,  pour  assurer  aux  plénipotentiaires  la 
possibilité  de  remonter  librement  la  rivière  jusqu'à  Tien- 
tsin  et  ensuite  les  moyens  de  se  rendre  sans  relard  à 
Pé-king. 

IV.  —  La  corvette  le  Duchayla  (2)  commandée  par  le 

(1)  Voir  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  p.  14  et  suivantes. 

(2)  Le  Duchayla,  p^rli  de  France  le  8  août  1858,  s'était  rendu  direc- 
tement à  Djeddah  pour  appuyer  Tenquète  faite  par  une  commission 
anglo-franco-turque    et   obtenir  réparation  -des  massacres  commis 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  7 

capitaine  de  frégate  Tricault,  devait  transporter  le  mi- 
nistre de  France  à  Tien-tsin.  Le  Norzagaray,  aviso  à  va- 
peur, avait  été  mis  également  à  la  disposition  du  com- 
mandant Tricault.  —  Cet  officier  après  avoir  débarqué 
à  Tourane  un  effectif  de  deux  cents  hommes  et  un  ma- 
tériel de  guerre  important,  était  venu,  d'après  les  nou- 
velles instructions  qu'il  avait  reçues,  se  mettre  à  la  dis- 
position de  M.  de  Bourboulon. 

Le  7  juin,  il  arrivait  de  Macao  à  Shang-liai  ayant  à  son 
bord  le  ministre  de  France  ainsi  que  le  personnel  de  la 
légation.  —  Le  16,  il  quittait  Shang-liai  et  arrivait  le  20 
au  soir  devant  le  Peïlio,  où  était  mouillée  la  flottille  an- 
glaise depuis  le  17  du  même  mois. 

Que  s'était-il  passé  et  quel  avait  été  le  résultat  du  mes- 
sage envoyé  par  le  ministre  anglais  aux  autorités  chi- 
noises? —  M.  Bruce  entre  dans  de  très-grands  détails  à 
ce  sujet  dans  sa  dépêche  au  comte  de  Malmesbury. 

Tout  ce  qui  se  rattache  à  cet  événement  est  d'une  très- 
grande  importance;  il  est  nécessaire  que  l'exactitude  des 
faits  dénaturés  dans  plusieurs  écrits,  et  surtout  dans 
les  pièces  diplomatiques  émanées  de  la  cour  de  Pé-king 
soit  nettement  établie,  non  sur  des  appréciations  indivi- 

contre  les  chrétiens  et  du  meurtre  de  son  agent  consulaire.  —  Après 
avoir  rempli  sa  mission  et  assisté,  le  12  janvier  1859,  à  l'exécution 
des  principaux  coupables,  décapités  devant  les  drapeaux  français  et 
anglais,  le  commandant  Tricault  avait  fait  route  pour  Suez.  Là,  il 
avait  embarqué  200  hommes,  ainsi  qu'un  matériel  considérable  de 
guerre  pour  la  Cochinchine,  et  après  avoir  pris  part  pendant  quelque 
temps  aux  opérations  militaires  de  Tourane,  il  avait  reçu  l'ordre  de 
se  rendre  auprès  de  M.  de  Bourboulon,  chargé  d'aller  ratifier  à  Pé- 
king  le  traité  de  Tien-tsin  fait  l'année  précédente. 


8  CAMPAGiNK   DE  CHlMi. 

duelles,  mais  sur  les  documents  officiels,  qui  seuls  ont 
une  valeur  réelle  et  ont  servi  de  base  aux  résolutions 
ultérieures  des  gouvernements  alliés.  —  Nous  suivrons 
ainsi  pas  à  pas,  pendant  tout  le  cours  de  ce  récit,  la 
marche  des  négociations  diplomatiques  et  celle  des 
opérations  militaires  qui  amenèrent  enfin  les  heureux 
résultats  du  traité  de  paix  et  de  commerce,  signé  à 
Pé-king  par  les  hauts  plénipotentiaires  de  France  et 
d'Angleterre. 

De  semblables  écrits,  s'ils  veulent  peser  de  quelque 
poids  dans  l'histoire  à  venir,  doivent  être  à  chaque  page 
étayés  sur  des  documents  sérieux,  et  les  éléments  qui  les 
composent  doivent  être  puisés  à  des  sources  incontes- 
tables. 

y.  —  Quatre  jours  après  avoir  reçu  la  lettre  du  haut 
mandarin  Kwei-liang,  en  date  du  12  juin  1859,  le  mi- 
nistre plénipotentiaire  anglais,  M.  Bruce,  quitta  Woo-sung 
pour  aller  dans  le  nord  ;  il  prit  avec  lui  le  Coromandcl 
en  remorque,  afin  d'avoir  un  navire  non  armé  pour  re- 
monter la  rivière. 

a  En  arrivant  aux  îles  de  Sha-luy-teen  (écrit-il  dans 
une  dépêche),  lieu  de  rendez-vous  convenu  avec  l'amiral, 
je  n'y  ai  plus  trouvé  l'escadre  et  je  me  suis  dirigé  vers 
l'embouchure  du  Peïho,  le  20  juin,  endroit  où  les  na- 
vires étaient  rassemblés,  l'amiral  ayant  expédié  les  ca- 
nonnières de  l'autre  côté  de  la  barre,  par  suite  de  la 
;srosse  mer  qui  l'égnait  au  dehors. 

«  L'amiral  Tlope  arriva  aux  îles  Sha-luy-teen  le  16,  et 


LIVRE   I,   CHAPITRE   I.  9 

quitta  le  moiiillngc  le  même  jour  à  bord  du  Fury,  sou- 
tenu par  deux  canonnières,  pour  annoncer  l'arrivée  des 
ministres  d'Angleterre  et  de  France  aux  autorités  du  pays, 
à  l'embouchure  de  la  rivière.  Le  Fury  et  les  canonnières 
mouillèrent  de  l'autre  côté  de  la  barre,  et  le  comman- 
dant Commerell,  assisté  de  M.  Mongan  interprète,  passa 
la  barre  dans  une  embarcation  du  Fury,  pour  remettre 
le  message.  Une  bande  armée  qui  se  trouvait  sur  le  ri- 
vage ne  leur  permit  pas  de  débarquer,  et  quand  le  ca- 
pitaine Commerell  demanda  à  avoir  une  entrevue  avec 
les  autorités,  on  lui  déclara  qu'il  n'en  existait  aucune  en 
cet  endroit  soit  civile  soit  militaire,  que  les  estacadcs 
faites  dans  la  rivière  avaient  été  construites  par  les  ha- 
bitants, à  leurs  propres  frais,  qu'elles  avaient  été  élevées, 
non  pas  contre  nous,  mais  bien  contre  les  rebelles,  et 
que  la  garnison  consistait  seulement  en  milice.  Celui  qui 
portait  ainsi  la  parole  et  se  disait  ingénieur  ou  préposé 
aux  travaux,  s'offrit  cependant  à  porter  un  messsage  à 
Ticn-tsin  et  à  en  rapporter  la  réponse. 

«  Eu  apprenant  ce  qui  venait  de  se  passer,  l'amiral 
Hope  envoya  de  nouveau  le  capitaine  Commerell,  pré- 
venir de  l'arrivée  des  ministres  et  enjoindre  d'ouvrir 
un  passage  dans  le  délai  de  trois  jours,  afin  de  permettre 
aux  représentants  alliés  de  remonter  la  rivière  jusqu'à 
Tien-tsin. 

«  A  cela  on  répondit  que  l'on  avait  envoyé  un  mes- 
sager à  Tien-tsin,  pour  annoncer  notre  venue  et  qu'un 
passage  serait  ouvert  dans  le  délai  exigé.  L'amiral  Hope 
retourna  alors  à  Sha-liiv-tcen. 


10  CAMPAG?ÎE   DE  CHINE. 

«  Le  18,  l'escadre  partit  pour  le  Pcïho  et  les  canon- 
nières mouillèrent  en  dedans  de  la  barre,  afin  d'être  à 
l'abri  de  la  grosse  mer  qui  régnait  en  dehors  ;  le  20,  jour 
de  mon  arrivée,  l'amiral  Hope  s'avança  vers  les  forts, 
afln  de  voir  ce  qu'on  avait  fait  pour  nous  ouvrir  un  pas- 
sage et  remettre  une  lettre  qu'il  adressait  à  l'intendant 
de  Tien-tsin.  Dans  cette  lettre,  l'amiral  annonçait  que 
l'escadre  resterait  au  mouillage  pendant  notre  visite  à 
Pé-king,  et  il  demandait  que  l'on  établît  un  marché  pour 
la  vente  de  provisions  fraîches  ;  il  demandait  aussi  que 
des  dispositions  fussent  prises  pour  recevoir  à  terre  un 
nombre  d'officiers  et  de  soldats,  tel  que  cela  ne  pût  in- 
quiéter les  habitants  de  Ta-kou. 

«  Les  mêmes  gens  descendirent  au  rivage  et  s'oppo- 
sèrent au  débarquement  des  envoyés;  des  menaces  de 
toute  nature  accueillirent  M.  Mongan  quand  il  sauta  à 
terre.  Ces  hommes  déclarèrent  de  nouveau  qu'aucune 
autorité  n'était  présente,  assurant  qu'ils  étaient  de  la 
milice,  agissant  sous  leur  propre  responsabilité.  Loin 
d'avoir  travaillé  à  ouvrir  une  vole  praticable,  ils  avaient 
au  contraire  fermé  tous  les  passages,  et  quand  on  leur 
reprocha  leur  manque  de  parole,  ils  nièrent  avoir  jamais 
consenti  à  enlever  les  barrages. 

a  Pour  donner  plus  de  poids  à  leur  assertion  de  l'ab- 
sence de  toute  autorité,  ils  n'arborèrent  aucun  pavillon 
sur  les  forts,  et  aucun  soldat  ne  fut  visible  pendant  tout 
le  temps  que  l'escadre  resta  en  vue.  » 

YI.  —  Telle  est,  d'après  M.  Bruce  lui-même,  la  rcla- 


LIVRE   I,    CHAPITRE   I.  Il 

tion  des  faits  survenus  devant  le  Peïho  avant  l'arrivée 
de  M.  de  Bourboulon  ministre  de  France. 

Les  Chinois,  loin  d'avoir  écarté  ou  détruit  les  obstacles 
qui  interceptaient  le  passage  du  Peïho,  obstacles  créés, 
avaient-ils  dit,  contre  les  rebelles  et  non  contre  les  al- 
liés, les  avaient  au  contraire  augmentés.  L'amiral  Hope 
le  constata,  et  ce  fait  seul  suffisait  pour  lui  démontrer 
clairement  le  parti  pris  d'empêcher  les  ministres  de 
France  et  d'Angleterre  de  franchir  la  passe  du  fleuve 
pour  remonter  à  Tien-tsin.  Aussi,  après  cette  dernière 
et  inutile  tentative,  il  se  retira  en  faisant  répéter  de  nou- 
veau à  ces  autorités  invisibles,  que  l'intention  bien  ar- 
rêtée des  ministres  plénipotentiaires  était  de  se  rendre, 
sans  délai,  à  Tien-tsin  par  le  Peïho. 

Le  soir  de  ce  môme  jour,  à  dix  heures,  le  Duchayla 
mouillait  à  l'embouchure  du  fleuve,  où  le  Norzagaray 
l'avait  précédé  de  quelques  heures. 

Si  la  position  était  critique,  du  moins  elle  était  nette- 
ment tranchée  et  ne  pouvait  laisser  aucun  doute  sur  le 
mauvais  vouloir  des  autorités  chinoises,  en  contradiction 
si  flagrante  avec  les  assurances  données  par  Kwei-liang 
et  ses  collègues  à  M.  Bruce,  la  veille  de  son  départ  de 
Shang-hai.  —  Deux  partis  opposés,  on  le  savait,  parta- 
geaient le  grand  conseil  à  la  cour  de  Pé-king;  l'un  désirait 
la  paix  avec  les  nations  européennes,  l'autre  poussait  à 
la  guerre  et  à  la  rupture  des  traités.  Les  journaux  de 
Pé-king  avaient  annoncé  ouvertement  que  pendant  les 
mois  qui  venaient  de  s'écouler,  les  ouvrages  qui  défen- 
daient l'entrée  du  Peïho  avaient  été  considérablement 


12  CAMPAGNE   DE  CH1>E. 

augmentés,  et  que  Saiiko-li-tsin  prince  mogol ,  qui 
était  à  la  tùte  du  parti  de  la  guerre,  avait  reçu  le  com- 
mandement de  ce  district. 

VII.—  a  Le  temps  pressait  (écrit  à  ce  sujet  M.  de  Bour- 
i)Oulon;,  pour  que  nous  pussions  être  rendus  à  Pé-king 
dans  les  délais  fixés,  et  si  nous  nous  laissions  arrêter, 
non  plus  par  des  ruses  diplomatiques,  mais  par  des  ob- 
stacles matériels  mis  en  traversde  notre  clioniin,  si  nous 
permettions  au  gouvernement  chinois  ,  au  moment 
d'inaugurer  et  de  mettre  en  vigueur  les  nouveaux  trai- 
tés, de  se  soustraire  par  la  menace  d'une  résistance  ou- 
verte, à  la  première  de  ses  obligations, ••dans  quelle 
position  nous  trouverions-nous  pour  procéder  à  la  mise 
à  exécution  dos  autres  stipulations  de  ces  mêmes  trai- 
tés, et  établir  les  nouvelles  relations  à  Pé-kijig  sur  un 
pied  digne  des  nations  que  nous  représentions?  » 

Si,  depuis  plus  d'une  année,  tous  les  actes  de  la  di- 
plomatie chinoise  n'avaient  pas  été  marqués  au  sceau  de 
la  duplicité  et  de  la  plus  insigne  mauvaise  foi,  on  aurait 
pu  hésiter  à  porter  une  aussi  grave  accusation  contre 
ce  gouvernement.  Mais  il  n'y  avait  pas  à  douter  que  son 
but,  en  échappant  par  do  nouvelles  réticences  aux  con- 
ventions stipulées,  était  de  porter  atteinte  à  la  dignité  des 
nations  alliées  et,  sinon  les  entraîner  dans  un  guet-apens 
(connue  ils  essayèrent  de  le  faire  le  18  septembre  de 
l'année  suivante),  du  moins,  do  les  placer  en  apparence, 
aux  yeux  du  peuple  chinois,  dans  une  position  d'infé- 
riorité qui  salislït  son  orgueil  traditionnel. 


LIVRE  1,   CHAPITRE  I.  13 

Une  lettre  tardive  adressée  à  M.  Bruce  cherchait  à 
éluder  la  question  par  de  nouveaux  atermoiements,  en 
faisant  savoir  aux  ministres  alliés  qu'ils  eussent  à  quitter 
le  Peiho  et  à  se  rendre  à  Pe-tang,  où  des  commissaires 
impériaux,  assnrail-on,  seraient  prêts  à  les  recevoir  et  à 
leur  procurer  les  moyens  de  se  diriger  par  cette  voie 
vers  la  capitale  du  Céleste-Empire. 

VIII.  —  Les  ministres  dans  leur  correspondance  diplo- 
matique, n'avaient  jamais  caché  leur  projet  bien  arrêté 
de  se  rendre  à  Ticn-tsin  par  le  Peïho  et  de  là,  avec  une 
escorte  d'honneur,  dans  la  capitale;  Kwei-liang  en  était 
instruit  depuis  longtemps.  Et  loin  de  faire  savoir  que  ce 
chemin  était  fermé,  les  commissaires  impériaux  chinois 
annonçaient  que  nous  trouverions  à  l'entrée  de  la  rivière 
de  Tien-tsin,  un  haut  fonctionnaire  pour  conduire  les  mi- 
nistres alliés  à  Pé-king. 

Fallait-il  aujourd'hui,  après  ce  nouveau  manque  de  foi 
et  devant  un  procédé  injurieux,  aussi  bien  dans  le  fond 
que  dans  la  forme,  faire  rétrograder  les  deux  pavillons 
des  nations  alliées,  ou  bien  maintenir  son  droit  et,  regar- 
dant ces  nouveaux  faits  comme  une  rupture  des  traités 
existants,  recourir  à  la  force  pour  se  frayer  de  nouveau 
un  passage  jusqu'à  Tien-tsin^? 


(!)  M.  de  Bourboulon,  dans  une  seconde  dépêche,  datée  du  30  juillet 
1859,  spécifie  avec  une  grande  netteté  la  position  diins  laquelle  se 
trouvaient  les  Chinois  vis-à-vis  les  puissances  alliées,  et  établit  la 
base  des  faits  contre  lesquels  quelques  dénégations  se  sont  élevées. 


14  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

C'est  sur  celle  dcM'uière  résolulion  qiiedevaienlse  pro- 
noncer les  deux  plénipolenliaires.  —  Ils  n'hésilèrenl  pas, 
et  firent  savoir  à  l'amiral  Hope  que  dans  la  nouvelle  si- 
iLialioii  où  ils  se  trouvaient  placés,  ils  croyaient  dcvoii' 
se  faire  ouvrir,  môme  par  la  force,  les  portes  du  Peïho 
et  continuer  leur  marche  vers  la  capitale. 

L'amiral,  de  son  côté,  était  persuadé  que  si  l'intimida- 
tion ne  suffisait  pas  pour  paralyser  les  forts,  une  courte 
canonnade  en  aurait  facilement  raison. —  Il  iniisait  cette 
conviction  dans  tous  les  faits  militaires  qui  s'étaient 
passés  l'année  précédente,  soit  devant  Canton,  soit  de- 
vant le  Peïho  même. 

IX.  —  On  a  accusé  l'amiral  d'imprudence  après  le 
résultat  défavorahlc  de  la  journée  du  25  juin,  mais  qu'au- 
rait-on pensé  de  lui,  si,  redoutant  la  résistance  d'ennemis 
si  facilement  vaincus  quelques  mois  auparavant,  il  avait 
accepté  cette  nouvelle  injure  et  baissé  la  tête  devant  l'of- 
fensante injonction  des  autorités  chinoises? —  Les  forces 
navales  qu'il  avait  à  sa  disposition,  bien  que  restreintes, 
devaient  lui  paraître  suflisanlcs;  car  par  le  fait  même  des 
obstacles  à  combattre  et  de  l'étroit  chenal  dans  lequel  il 
fallait  s'engager,  un  plus  grand  nombre  de  navires  était 
inutile. 

Si  l'on  admettait  un  seul  instant  riiypolhèse,  que  ces 
ouvrages  d'un  si  formidable  développement  fussent  ré- 
gulièrement défendus  par  une  artillerie  bien  servie  et 
bien  dirigée,  tous  les  navires,  quel  qu'eût  été  leur  nom- 
bre,  arrêtes  par  les  cstacadcs  sous  des  feux  croisés, 


LIVRE  I,   CHAPITRE  I.  15 

devaient  être  foudroyés,  un  à  un,  avant  d'avoir  pu  Itriser 
les  barrages  et  franchir  la  passe,  —  Il  fallait,  pour  se 
rendre  maître  des  forts,  les  attaquer  à  revers  en  dé- 
barquant sur  la  côte,  soit  au  nord  soit  au  sud.  Mais 
aux  yeux  de  l'amiral  anglais,  ces  batteries  si  redou- 
tables en  apparence,  n'étaient  que  des  épouvantails  dé- 
garnis de  défenseurs,  et  il  ne  douta  pas  un  instant  du 
succès. 

Nous  n'avons  pas  ici  à  défendre  le  commandant  des 
forces  navales  britanniques  contre  les  attaques  auxquelles 
il  a  été  en  butte,  mais  quelque  graves  que  soient  dans 
ces  contrées  lointaines  et  en  face  de  ce  peuple  orgueil- 
leux les  conséquences  d'un  échec  que  souvent  ne  ra- 
chètent pas  dix  victoires,  nous  croyons  qu'il  était  im- 
possible de  retourner  honorablement  en  arrière  et 
d'accepter  cette  atteinte  manifeste  à  la  dignité  des  deux 
nations. 

L'amiral  anglais  se  prépara  donc  à  exécuter  les  réso- 
lutions arrêtées  par  les  représentants  de  la  Fi'ance  et  de 
l'Angleterre,  et  que  ceux-ci  lui  avaient  communiquées 
ofdciellement. 

X.  —  Il  fut  décidé  que  l'entrée  du  fleuve  serait  forcée 
malgré  les  forts  et  les  estacades  qui  la  défendaient. 

Les  grands  navires  sont  mouillés  à  sept  milles  en- 
viron de  l'embouchure  du  Peïlio  (1).  Le  groupe  principal 

(1)  Rapport  du  commandant  Tricaulf. 

L'ensemble  des  navires  alliés  se  composait  de  : 

1 9  navires  anglais  dont  8  frégates,  corvettes  ou  transports. — 2  grandes 


16  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

des  canonnières  el  des  polits  l)àlimenls  est  en  dedans  de 
la  barre,  hors  de  la  portée  des  forts. 

Le  21  juin,  l'amiral  anglais,  qui  avait  offert  avec  une 
grande  courtoisie  au  commandantTricaii II  de  l'accompii- 
gnerdans  l'exploration  qu'il  projetait,  alla  lui-même  re- 
connaître les  abords  du  fleuve  et  le  développement  des 
défenses  élevées  pour  en  proléger  les  approches.  «  Ces  for- 
tifications (dit  le  commandant  Tricault  dans  son  rapport), 
entièrement  construites  en  argile  durcie,  sont  beau- 
coup plus  considérables  qu'elles  n'étaient  Tannée  der- 
nière. Leur  développement  est  établi  des  deux  côtés 
du  chenal  d'entrée  et  sur  un  tournant  en  amont,  il  pré- 
sente à  l'assaillant  des  feux  de  flanc  très-rapprochés  et 
des  feux  d'enfilade  pouvant  devenir  irrésistibles,  s'ils 
sont  persistants  el  bien  dirigés. 

«  Tous  les  forts,  sortes  de  lignes  bastionnées  garnies 
de  cavaliers  formant  de  dislance  en  distance  une  seconde 
rangée  de  feux,  sont  protégés  contre  un  assaut  par  une 
enceinte  de  fossés  double  ou  triple  cl  surtout  par  une 
vase  molle  s'étendanl  depuis  les  fossés  jiisi|u'à  la  mer. 
Le  nombre  des  embrasures  dirigées  vers  l'entrée  du  fleuve 
et  pouvant  convenir  à  de  gros  canons,  est  de  soixante 
environ  ;  mais  toutes  ces  embrasures  sont  masquées  par 
des  nattes;  les  forts  ainsi  que  leurs  alentours  semblent 
déserts. 


canonnières:   Nemrod  et    Cormorant.  —  9  petites:   Kcstrel,  Janus, 
Banterer,  Lee,  Plover,  Forester,  Haughty,  Starling,  Opossum. 

2  navires  français:   Duchayla,    corvette;    Sor^agaray,    aviso  de 
noltille. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  17 

a  Un  courant  alteignant  jusqu'à  quatre  nœuds  dans 
un  chenal  élroit,  compliquait  la  manœuvre  des  navires, 
et  le  passage  était  obstrué  par  trois  estacades  établies  à 
distance  l'une  de  l'autre  et  toutes  trois  d'une  force  con- 
sidérable »  (1). 

Cet  accroissement  de  défenses  à  l'entrée  du  Peïho 
montrait  évidemment  que  le  gouvernement  cbinois 
n'avait  pas  au  fond  de  sa  pensée  les  sentiments  paci- 
fiques et  conciliateurs  que  lui  prêtaient  les  envoyés  né- 
gociateurs du  Pe-tchi-li. 

Vis-à-vis  toute  autre  nation  que  la  nation  chinoise, 
ces  ouvrages  de  défense  eussent  donné  à  réfléchir  à  l'a- 
miral Hope  et  l'eussent  fait  hésiter  à  se  lancer  dans  une 
semblable  entreprise.  Mais  l'amiral  était  tellement  con- 
vaincu de  l'inefficacité  des  feux  de  ces  forts,  que  son  plan 
était  de  travailler  sous  les  canons  ennemis  à  briser  les 
barrages,  et  de  se  frayer  ainsi  un  passage  à  travers  les 

estacades. 

t 

(1)  Rapport  du  commandant  Tricault. 

a  La  première  estacade  en  venant  du  large,  se  composait  de  chevaux 
de  frise  en  fer  de  la  grosseur  du  bras,  espacés  de  6  à  7  mètres,  soli- 
dement établis,  et  présentait  à  l'assaillant  une  série  de  pointes 
acérées. 

«  La  deuxième  était  formée  d'une  succession  d'énormes  blocs  de 
bois  reliés  entre  eux  par  des  chaînes. 

a.  La  troisième  présentait  un  massif  de  piloiis  réunis  par  des  tra- 
verses, occupant,  dans  le  sens  du  courant,  une  largeur  de  40  mètres. 

a  Un  passage  large  de  8  raèties  environ,  avait  été  ménagé  dans  cette 
dernière  estacade,  mais  il  formait  un  coude,  était  garni  de  chevaux 
de  frise  en  fer  vis-à-vis  du  tournant,  et  paraissait  impraticable  au- 
trement que  par  de  légers  bateaux  manœuvres  à  la  main.  » 

Il  2 


18  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Tous  les  bàliincnls  auxquels  leur  tirant  d'eau  permet- 
tait d'approcher  se  préparèrent  donc  à  combattre;  ils 
étaient  au  nombre  de  onze,  sans  compter  l'aviso  à  vapeur 
le  Norzagaray^  le  seul  bâtiment  français  qui  fût  là  pour 
prendre  part  à  la  lutte  et  porter  sous  le  feu  des  batteries 
ennemies  le  pavillon  de  la  France.  L'armement  propre 
de  ce  bâtiment,  aviso  du  plus  léger  échantillon,  et  placé 
sous  le  commandement  du  lieutenant  de  vaisseau  Lespès, 
consistait  en  deux  canons,  l'un  de  12  à  pivot,  placé  sur  le 
gaillard  d'avant,  l'autre  d'un  plus  petit  calibre  placé  sur 
le  pont.  —  Le  commandant  Tricault  fit  ajouter  à  cet 
armement  trois  obusiers  de  montagne  installés  sur  affûts 
d'embarcation. 

XL  —  Le  23  juin,  les  deux  grandes  canonnières  an- 
glaises Nemrod  et  Cormomnt,  profilant  d'une  grande  ma- 
rée, franchirent  la  barre,  le  Norzagaray  la  franchit  en 
même  temps. 

La  journée  du  24  devait  être  consacrée  à  prendre  les 
dernières  dispositions  de  détail. 

Six  cents  soldats  de  marine  anglais,  et  un  nombre  égal 
de  matelots  sont  embarqués  sur  les  petites  canonnières, 
ou  dans  des  canots  qu'elles  remorquent.  —  Ces  canon- 
nières, au  nombre  de  neuf,  font  route  de  grand  matin 
vers  la  rivière;  elles  seules  peuvent  passer  la  barre  à 
toutes  marées.  —  Des  jonques  mouillées  à  distance  con- 
venable des  forts,  ont  été  préparées  pom-  [recevoir  le 
corps  de  débarquement,  afin  de  laisser  les  canonnières 
entièrement  dégagées  et  prêtes  pour  le  combat. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  19 

L'amiral  anglais  a  mis  à  la  disposition  du  comman- 
dant Tricault  le  Plover  pour  amener  la  compagnie  de 
débarquement  et  les  canots  du  Duchayla,  car  cet  officier 
énergique  qui  s'était  déjà  si  brillamment  distingué  pen- 
dant la  campagne  de  Crimée  voulait,  quelque  restreint 
que  fût  le  nombre  des  hommes  qu'il  pouvait  présenter 
au  combat,  tenir  sa  place  au  feu  et  prendre  part  à  la  lutte 
qui  allait  s'engager  (1).  Le  Plover  le  transporta  avec  ses 
hommes  à  bord  du.  Norzagaraij,  mouillé  depuis  la  veille 
en  dedans  de  la  barre. 

Pendant  la  nuit,  des  embarcations  profitant  de  l'obs- 
curité qui  les  enveloppe,  nagent  en  silence  vers  les  es- 
tacades,  pour  tenter  de  frayer  le  passage  aux  bâtiments 
qui  doivent,  le  lendemain,  entrer  en  action.  Elles  re- 
connaissent qu'il  suffira  d'enlever  un  des  chevaux  de 
frise  dans  un  seul  endroit  de  la  première  estacade  pour 
la  traverser. —  Peut-être  quelques  barils  explosifs  pour- 
ront-ils faire  sauter  la  seconde?  Et  cette  opération  est 
tentée.  Quelques  bouts  de  chame  sont  en  effet  brisés, 
mais  l'estacade  reste  fermée.  La  lune,  en  se  levant,  vint 
dévoiler  à  l'ennemi  la  présence  de  ces  embarcations, 
un  des  forts  lança  quelques  boulets,  et  elles  durent  s'é^ 


(1)  Ce  faible  corps  de  débarquement  comportait  un  personnel  de 
§6  hommes,  savoir  : 

64  hommes  marchant  sous  les  ordres  du  lieutenant  de  vaisseau  Cla- 
verie  et  sous  ceux  des  aspirants  Bary  et  Viguier; 

6  hommes  consacrés  au  service  des  blessés,  dirigés  par  M.  Léon 
chirurgien  de  2'  classe  ; 

16  hommes  dans  les  canots  commandés  par  les  aspirants  Brindejonc 
et  Parfait. 


20  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

loigncr,  no  pouvant  continuer  leurs  tentatives,  que  ne 
protégeaient  plus  les  ombres  de  la  nuit. 

XII. —  Le  25,  à  (juatre  heures  du  matin,  les  canon- 
nières se  mettent  en  mouvement  pour  prendre  devant 
les  forts  les  positions  qui  leur  ont  été  désignées.  Elles 
doivent  former  une  ligne  d'embossage,  dont  la  tète  sera 
Irès-voisine  de  la  première  estacade. 

Le  Plover  et  l'Opossum  ne  participent  pas  à  ce  mouve- 
ment. —  Ces  deux  bâtiments  resteront  libres  pour  se 
porter  où  le  besoin  les  appellera. 

Les  canonnières  durent  déployer  de  grands  efforts 
pour  exécuter  Irur  mouvement,  car  dans  celte  passe 
élroite,  quelque  habileté  que  déployassent  leurs  com- 
mandants, ils  ne  purent  éviter  des  échouages  et  dés 
abordages  qui  retardèrent  leur  marche.  —  A  une  heure 
après-midi  seulement,  elles  ont  pris  position,  sans  avoir 
été  un  seul  instant  inquiétées  par  le  feu  des  foils,  qui 
sont  restés  spectateurs  inoffensifs  et  silencieux. 

L'amiral  a  mis  son  pavillon  sur  le  Plover.  —  Le  capi- 
taine de  fi'égate  français,  M.  ïricault,  a  réclamé  l'iion- 
•-neur  de  rester  auprès  de  l'amiral  Ilope  pendant  le  com- 
bat, afin  d'être  à  porlée  de  connaîU'c  ses  ordres  et 
d'apprécier  par  lui-même  le  moment  où  il  devra  jeter  à 
terre  son  petit  corps  de  débarquement,  dont  il  prendra» 
le  commandement  direct. 

La  ligne  d'embossage  est  formée.  —  L'amiral  veut 
■/rayer,  lui-même,  le  passage,  et  avoir,  comme  chef, 
Tbonnour  des  premiers  coups.  Le  silence  complet  que 


LIVRE  I,   CHAPITRE  I.  21 

continuent  à  garder  les  forts,  dont  les  pièces  restent 
tontes  masquées  et  qui  semblent  entièrement  dégarnis 
de  défenseurs ,  donne  plus  que  jamais  à  l'amiral  la 
conviction  que  toutes  ces  batteries,  au  premier  abord 
si  menaçantes,  n'avaient  pour  but  que  d'intimider  les 
bâtiments  qui  voudraient  tenter  de  forcer  le  passage. — 
Ce  silence  si  étrange  avait  quelque  chose  de  solennel, 
qui  impressionnait  vivement  tous  les  cœurs  résolument 
préparés  aux  mâles  émotions  du  combat. 

XIII.  —  Le  Plover  et  ropossuni  viennent  se  placer  en 
tète  de  la  ligne;  leur  avant  louche  la  première  esla- 
cade. 

Sur  l'ordre  de  l'amiral,  l'Opossum  s'avance  et  saisit 
avec  une  chaîne  l'un  des  chevaux  de  frise  de  l'estacade. 

—  Pendant  près  de  vingt  minutes,  il  marche  sur  son 
gouvernail  en  avant,  en  arrière,  à  droite  et  à  gauche. 
Enfm,  à  force  de  secousses  réitérées  en  tout  sens,  et 
après  les  plus  énergiques  efforts,  ce  bâtiment  parvient 
à  arracher  un  des  pieux  en  fer,  qu'il  entraîne  avec  lui. 

—  L'Opossum  franchit  aussitôt  l'estacade  dans  laquelle  il 
vient  ainsi  de  pratiquer  un  étroit  passage.  Le  Plover  suit 
sa  trace,  beaupré  sur  poupe  ;  ces  deux  bâtiments  sont  si 
rapprochés  l'un  de  l'autre,  qu'on  les  dirait  enchaînés  en- 
semble; tous  deux  arrivent  à  la  seconde  estacadc,  si- 
tuée à  trois  cents  mètres  plus  haut.  —  Les  forts  sont 
toujours  silencieux,  les  batteries  masquées,  les  remparts 
déserts. 

L'amiral  ne  doute  plus  du  succès;   sur  son  visage 


£2  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

rayonne   le  triomphe   de  voir   ses  prévisions  se   réa- 
liser. 

Mais  à  peine  ces  deux  canonnières  ont-elles  laissé 
tomber  leur  ancre,  que  le  feu  croisé  de  tous  les  forts 
s'ouvre  à  la  fois  avec  une  spontanéité  d'exécution  et  un 
ensemble,  dont  les  Chinois  n'avaient  jamais  jusqu'a- 
lors donné  d'exemple.  —  Les  ouvrages  les  plus  «éloi- 
gnés, séparés  les  uns  des  autres  par  la  rivière,  ont 
aussi  réuni  leur  tir  qui  s'abat  sur  les  deux  canonnières 
avec  une  grande  précision  ;  le  pont  de  ces  deux  bâti- 
ments est  presque  aussitôt  couvert  de  morts  et  de  mou- 
rants. 

L'amiral  s'est  placé  sur  le  ronfle  étroit  de  la  cuisine 
du  Plovcr:  c'est  l'endroit  le  plus  élevé  ;  il  a  fait  clouer 
sa  carte  devant  lui;  près  de  lui  se  tient  le  commandant 
Tricault. 

Devant  cet  orage  subit  de  projectiles  qui  mutile  les 
deux  équipages,  l'amiral  anglais  reste  impassible;  pas 
un  muscle  de  son  visage  ne  s'est  altéré.  —  Il  suit  d'un 
regard  attentif  toutes  les  phases  de  cette  lutte  meurtrière, 
qui  change  en  un  désastre  cette  certitude  de  victoire  qui 
souriait,  tout  à  l'heure  encore,  sur  son  visage  radieux. 
Lui-même  est  blessé  à  la  hanche  par  un  éclat  de  fer  et 
bienlôtson  pantalon  blanc  est  couvert  de  sang.  Mais,  tou- 
jours impassible,  il  ne  quitte  pas  des  yeux  celte  scène  de 
mort  qui  couche  un  à  un  à  ses  pieds  ses  plus  intrépides 
marins.  Seulement  un  instant  il  tourne  légèrement  la 
tète  vers  le  commandant  Tricault  qui,  monté  sur  une 
barrique,  se  tient  auprès  de  lui.  —  «  Amiral,  répond 


LIVRE  I,   CHAPITRE  I.  23 

le  commandant  à  celte  interrogation  muette,  nous  ne 
forcerons  pas  la  passe,  la  latte  est  impossible.  Voyez  au- 
tour de  vous.  « 

XIV. — En  ce  moment  le  spectacle  qu'offrait  le  pont  du 
Plover  était  affreux.  Les  morts  elles  blessés  encombrent 
la  canonnière  au  milieu  des  débris  de  toute  nature,  et 
leurs  derniers  gémissements  se  perdent  dans  le  bruit 
assourdissant  de  la  canonnade.  —  Autour  de  la  pièce  de 
68  placée  à  l'avant,  est  entassé  un  monceau  de  cbair  hu- 
maine. Cette  pièce,  dont  les  servants  ont  déjà  été  renou- 
velés plusieurs  fois,  tant  le  tir  de  l'ennemi  est  précis  et 
régulier,  est  littéralement  baignée  dans  le  sang  de  ses  dé- 
fenseurs. —  Le  doute  n'est  plus  permis  sur  l'issue  d'un 
combat  aussi  inégal. 

L'amiral,  toujours  à  la  même  place,  conserve  le  même 
sang-froid.  —  Le  commandant  du  Plover,  le  lieutenant 
Rason,  s'approche  de  lui  ;  il  vient  lui  dire  que  tout  son 
monde  est  hors  de  combat  et  qu'il  est  impossible  de  tenir 
plus  longtemps  dans  une  semblable  position. 

Pendant  que  le  capitaine  parlait,  l'amiral  Hope  regar- 
dait attentivement  avec  sa  lorgnette  un  des  forts  les  plus 
rapprochés. 

<c  —  Capitaine ,  répondit-il  froidement  en  étendant  le 
bras  vers  ce  fort,  il  y  a  là-bas  une  pièce  qui  nous  fait 
beaucoup  de  mal,  il  faut  la  démonter.  » 

Ce  furent  les  seules  paroles  qu'il  prononça. 

Le  capitaine  Rason,  jeune  et  intrépide  marin  qui 
avait  déployé,  depuis  le  commencement  du  combat,  une 


24  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

énergie  sans  Ogale  s'éloigne  pour  lenler  encore  d'exé- 
cuter ce  dernier  ordre;  mais,  à  peine a-t-il  fait  quelques 
pas,  (pi'iin  ])ouiel  lui  eniporle  la  tète.  —  Lu  boulot  vient 
aussi  briser  la  chaîne  diiFlover,  qui  dérive  aussitôt  en 
arrière.  Cette  canonnière  est  complètement  désem- 
parée. 

En  passant  devant  V Opossum ^  qui,  moins  maltraité,  se 
mainlicnt  encore  dans  sa  i)Osilion,  h:  Pluver  pai'vient  à 
s'accrocher  à  lui,  et  l'amiral  Ilope  s'élance  sur  ce  bâti- 
ment avec  le  commandant  Tricault.  Mais  au  moment  où 
il  veut  monter  sur  le  poste  élevé  qu'il  avait  déjà  choisi 
sur  le  Plover,  il  est  renversé  sur  le  pont  et  a  une  côte  en- 
l'oncée.  Chacun  en  le  voyant  étendu  à  teri-e  le  croit 
frappé  mortellement;  mais  l'amiral  reprend  bientôt 
connaissance,  et  repoussant  les  soins  que  le  chirurgien 
veut  lui  donner,  il  reste  debout  sur  le  pont,  assistant  à 
celte  scène  de  désastre  avec  un  courage  que  rien  ne  peut 
ébranler;  on  dirait  qu'il  cherche  ohstinément  la  mort  qui 
ne  veut  pas  l'alteindre. 

Tous  les  coups  de  l'ennemi  se  sont  concentrés  sur  l'O- 
possum, qui  hientùt  dérive  à  son  tour  jusqu'à  la  queue 
de  la  ligne  d'embossage,  auprès  du  yorzanaray. 

XV.  —  L'amiral  souffre  cruellement  de  ses  deux  bles- 
sures, à  peine  s'il  peut  se  soutenir;  mais  sa  volonté  mo- 
rale est  plus  forte  que  ses  souffrances:  il  veut  parcourir 
la  hgne  des  bâtiments,  questionner  chacun  d'eux  et 
planter  son  pavillon,  là  où  le  feu  est  le  plus  vif  et  le 
danger  le  plus  grand.  S'il  a  perdu  l'espoir  de  vaincre, 


LIVRE   I,   CHAPITRE  I.  25 

il  n'a  pas  perdu  celui  de  combattre  jusqu'au  dernier 
moment  pour  l'honneur  des  armes  de  l'Anglelerre. 

En  vain  on  l'entoure ,  en  vain  on  cherche  à  le  faire  re- 
noncera son  projet  dans  l'état  de  faiblesse  où  il  se  trouve; 
il  demande  une  embarcation  ;  —  ropossum  n'en  a  plus. 
Le  connnandant  Tricault  lui  offre  sa  baleinière,  qu'il 
hèle  aussitôt;  on  y  transporte  l'amiral  qu'il  faut  sou- 
tenir ;  car,  épuisé  par  le  sang  qu'il  perd,  il  peut  à  peine 
marcher;  la  baleinière,  gagnant  avec  peine  contre  le 
jusant,  remonte  lentemsnt  la  ligne  d'embossage  :  —  le 
commandant  Tricault  tient  la  barie  ;  l'amiral  n'a  plus 
auprès  de  lui  que  son  secrétaire,  M.  Ahsby,  les  officiers 
attachés  à  son-  état-major  sont  hors  de  combat  ou  en 
mission. 

La  baleinière  longe  chaque  bâtiment;  sur  celui-ci  on 
demande  des  hommes,  sur  celui-là  des  munitions,  mais 
tous  ardents  à  la  lutte  et  peu  soucieux  de  l'inégalité  du 
combat  évidente  à  tous  les  yeux,  reçoivent  leur  chef 
avec  cette  réponse  si  caractéristique  :  —  œ  all's  ivell,  sir.  » 

L'amiral  est  ainsi  arrivé  jusqu'au  Cormorant,  qui  tient 
la  tête  de  la  ligne,  et  sur  lequel  se  sont  réunis  tous  les 
feux  de  l'ennemi.  —  C'est  sur  ce  bâtiment  qu'il  veut  en- 
core hisser  son  pavillon.  Là  seulement,  il  consent  à  faire 
panser  ses  blessures  sur  le  pont  même  du  navire. 

XYl. —  a  Dès  les  premiers  moments  du  combat  (écrit 
le  commandant  Tricault)  l'échec  était  certain.  On  ne 
luttait  plus  que  pour  l'honneur  des  armes,  et  c'était 
chose  magnifique  à  voir  que  celte  poignée  de  petites  ca- 


26  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

nonnièrcs  se  gênant  les  unes  les  autres,  mais  soutenant 
et  maîtrisant  môme  sur  certains  points,  des  feux  qui  se 
croisent  en  tous  sens  et  partent  de  remparts  invulné- 
rables. » 

«  Bien  que  j'aie  déjà  pris  part  (ajoute-il)  à  de  vigou- 
reuses canonnades  avec  des  chances  diverses,  je  n'ai 
rien  vu  de  plus  émouvant  que  cette  lutte  inégale,  ni  rien 
de  plus  noble  que  la  manière  dont  elle  a  été  supportée.» 

L'amiral  a  fait  appeler  près  de  lui  le  capitaine  de 
vaisseau  le  plus  ancien,  le  commandant  Sliadwell,  pour 
être  à  même ,  si  les  forces  viennent  à  lui  manquer,  de 
lui   transmettre  le  commandement. 

Le  capitaine  Vansiltard,  qui  commandait  une  division 
de  canonnières,  arrive  à  bord  du  Cormorant;  ses  jambes 
sont  couvertes  de  vase  jusqu'à  la  hauteur  du  genou.  Cet 
officier  vient  dire  à  l'amiral  qu'il  a  sondé  le  terrain 
sur  la  rive  droite;  la  vase,  bien  que  profonde,  n'est 
pas  impraticable  et  peut  permettre  un  débarquement 
avec  des  hommes  déterminés.  —  Le  combat  est  devenu 
impossible  avec  les  navires  sous  le  feu  incessant  des 
forts;  il  propose  de  prendre  l'un  d'eux  d'assaut.  —  Dans 
tous  les  cœurs  fatigués  d'une  lutte  immobile,  cette 
pensée  énergique  a  un  écho.  —  Elle  est  noble  et  belle 
par  son  audace  même  et  par  les  dangers  qu'il  faut  af- 
fronter. —  L'assaut  est  décidé. 

A  ce  moment  le  commodore  américain ,  M.  Tattnall , 
accoste  le  Cormorant  sous  un  feu  qui  semble  à  chaque 
instant  redoubler  d'intensité  ;  un  boulet  brise  le  tableau 
de  son  embarcation  et  tue  le  patron  ;  le  commodore,  qui 


LIVRE   I,    CHAPITRE  I.  27 

s'apprêlait  à  se  hisser  à  bord  de  la  canonnière  anglaise , 
est  renversé  par  le  choc,  mais  fort  heureusement  sans  être 
blessé.  —  Quelques  instants  après,  M.  Tattnall  est  sur  le 
pont  du  Cormorant;  il  vient  exprimer  à  l'amiral  toute 
son  indignation  de  la  conduite  déloyale  des  autorités 
chinoises,  et  offrir  les  soldats  de  marine  qui  sont  à  bord 
de  son  petit  vapeur,  le  Toeï-Wan.  Lié  par  ses  instruc- 
tions qui  lui  commandaient  la  neutralité,  le  commodore 
s'en  dégageait  enfin,  pensant  qu'il  était  de  son  honneur 
et  de  son  devoir  de  protester  contre  des  faits  coupables, 
dont  il  ne  voulait  pas  rester  plus  longtemps  spectateur 
impassif.  —  L'amiral  Hope  remercie  M.  Tattnall  de  sa 
démarche,  mais  n'accepte  pas  cette  otîre  tardive  de  coo- 
pération. 

Cependant  le  Toci-Wan  tint  à  honneur  d'aller  cher- 
cher les  canots  anglais  qui  portaient  les  compagnies  de 
débarquement,  et  il  les  remorqua  jusqu'à  la  plage,  sous 
le  feu  de  l'ennemi, 

XVII. —  Il  est  environ  six  heures  du  soir;  le  com- 
mandant Tricault  quitte,  pour  la  première  fois  de  la 
journée,  l'amiral  anglais  et  fait  disposer  les  hommes  et 
les  canots  du  Duchayla.  —  Tout  est  bientôt  prêt  pour  le 
débarquement;  mais  les  compagnies  anglaises  sont 
beaucoup  plus  loin,  sur  les  jonques.  Aussitôt  que  les 
embarcations  qui  les  transportent  arrivent  à  la  hauteur 
du  Norzagaray,  le  commandant  Vansiltart  qui  est  à  leur 
tète,  salue  le  commandant  français  par  un  hurrah  qui 
lui  est  chaleureusement  rendu. 


28  CAMPAGNE   OE   CHINE. 

Les  alliés  s'avancent  de  coiiceit  vers  le  banc  de  vase, 
il  l'endroit  choisi  par  le  commandant  anglais  pour  tenler 
le  débarquement. —  Gênés  par  des  pilotis  qui  encombrent 
lerivaycjes  canots  ne  peuvent  aller  s'échouer.  Le  temps 
presse,  car  le  jour  commence  à  tirer  à  sa  fin  ;  il  est  sept 
heures  et  demie,  et  les  forts  lancent  des  volées  de  mitraille 
qui  déjà  ont  atteint  quelques  hommes.  Une  prompte  et 
énergique  résolution  est  la  seule  voie  de  salut,  la  seule 
chance  possible  encore  de  succès.  Les  chefs  donnent 
l'exemple,  et  s'élancent  lesi)remiers  dans  l'eau.  Parfois, 
celte  eau  est  profonde,  et  quelques  hommes  n'atteignent 
la  rive  qu'àla  nage.  — Le  banc  vaseux  sur  lequel  il  faut 
marcher,  pendant  une  distance  de  quatre  ou  cinq  cents 
mètres,  est  entièrement  à  découvert  et  sous  le  feu  tou- 
jours croissant  des  Cliinois;  aussi,  la  route  que  sui- 
vent ces  audacieuses  compagnies  est  jalonnée  de  morts 
et  de  blessés  qu'il  faut  laisser,  hélas!  là  où  ils  tombent, 
pour  continuer  la  marche  on  avant. 

Le  brave  commandant  Tricault  n'a  que  soixante-quatre 
hommes  avec  lui  ;  mais  ce  petit  groupe  résolu  fiiit  d'hé- 
roïques efforts  pour  traverser  la  nappe  fangeuse  qui,  à 
chaque  instant,  se  dérobe  sous  ses  pas.  Le  fort  que  l'on 
cherche  à  atteindre  ,  est  celui  qui  horde  l'enlrée  du 
fleuve  sur  la  rive  méridionale,  offrant  avec  ses  trois  ca- 
valiers un  développement  considérable.  —  Le  point  de 
direction  est  le  cavaher  extérieur. 

XVin.  —  Il  faut  avoir  assisté  à  cette  scène  terrible 
pour  s'en  faire  une  idée  exacte.  — A  chaque  instant,  les 


LIVRE  I,   CHAPITRE  I.  29 

difficultés  de  la  marche  redoublent  ;  tantôt  les  hommes 
enfoncent  à  mi-jani])es  dans  la  vase  amollie  ;  tantôt  les 
pieds  rencontrent  tout  à  coup  un  terrain  plus  solide,  qui 
presque  aussitôt  les  abandonne.  —  Des  boulets,  des 
balles,  des  flèches,  de  la  mitraille,  partent  sans  cesse 
des  remparts.  Il  n'est  point  possible,  dans  ces  terrains 
mouvants,  de  conserver  aucun  ordre  de  marche,  et  bien- 
tôt les  hommes,  selon  le  degré  de  leur  force  s'espacent 
par  groupes  séparés  les  uns  des  autres.  Mutilés  par  les 
projectiles  ennemis,  ils  avancent  péniblement  et  cher- 
chent à  se  rallier  aux  cris  de  leurs  chefs,  dont  la  voix  les 
appelle  et  les  ranime. —  C'est  ainsi  que  ces  compagnies 
arrivent  enfin,  mais  par  lambeaux,  devant  le  premier 
fossé. 

Là  on  s'arrête,  on  se  regarde,  on  se  compte,  et  ceux 
dont  les  armes,  pendant  la  traversée  du  fleuve,  n'ont 
pas  été  mises  hors  de  service,  répondent  par  une  fusil- 
lade de  quelques  instants  au  feu  qui  les  assaille. — Ce 
premier  fossé  n'a  point  d'eau,  il  est  facilement  franchi; 
mais  à  très-petite  distance  de  celui-là,  se  trouve  un  se- 
cond très-large  et  très- profond  ;  l'eau  y  a  été  mainte- 
nue, sans  doute  au  moyen  d'une  écluse.  Quelques 
hommes  se  jettent  à  la  nage  et  le  traversent,  d'autres 
se  servent  d'une  échelle  de  bambous  déjà  brisée  pour 
atteindre  le  glacis  du  fossé  qui  touche  les  murailles  et 
offre  un  certain  abri  contre  les  projectiles.  La  nuit  est 
entièrement  venue,  et  bien  peu  sont  parvenus  jusqu'au 
pied  des  remparts,  dont  les  Chinois  garnissent  tumul- 
tueusement la  crête,  en  jetant  des  cris  de  menace  et  de 


30  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

déli  à  celle  poignée  d'hommes  isolés  que  leurs  armes 
mêmes  ne  peuvent  plus  défendre. 

Le  commandant  Tricault  a  autour  de  lui  quelques-uns 
de  ses  marins,  il  cherche  à  rallier  au  milieu  de  Tobscurilé 
ceux  de  ses  compagnons  qui  ont  pu  arriver  jusqu'aux 
murailles.  Bientôt  il  est  rejoint  par  un  groupe  de  ma- 
telots du  Duchayla,  avec  lequel  sont  le  lieutenant  de  vais- 
seau Claverie,  l'aspirant  volontaire  Viguier,  el  l'aspirant 
de  deuxième  classe  Bary,  qui  est  presque  aussilùt  frappe 
d'une  balle  dans  le  flanc  (1). — Une  cinquantaine  d'hom- 
mes environ  composent  la  force  totale  des  alliés  réunis 
au  pied  du  rempart. 

Le  commander  Ilealh  commande  le  groupe  anglais, 
car  le  colonel  Lémon  et  les  capitaines  Yansilfart  et 
Shaduell  ont  été  grièvement  blessés,  dès  le  début  du 
débarquement. 

XIX.  —  Les  artifices  que  lancent  les  Chinois  pour 
diriger  leurs  coups  éclairent  la  plaine  par  intervalles  et 
montrent  combien  est  petit  le  nombre  des  assaillants.  A 
chaque  instant  la  position  devient  plus  critique.  — Sans 
armes,  car  les  cartouches  sont  mouillées  et  ne  peuvent 
servir,  sans  échelles,  sans  aucun  moyen  d'attaque,  com- 
ment ces  quelques  combattants  perdus  au  milieu  de  la 
nuit,  et  que  nul  renfort  ne  viendra  soutenir,  iront-ils 
tenter  l'assaut  contre  ces  parapets  d'argile  desséchée 


(\)  L'aspirant  Bary  mourut  à  Shang-faai  des  suites  de  cette  blessure, 
1«  22  juiUJ^t. 


LIVRE  I,   CHAPITRE  I.  31 

sur  lesquels  les  boulets  des  canonnières  n'ont  produit 
aucun  éboulement. 

Cependant,  le  commandant  Tricault  et  le  comman- 
der Heath  ne  peuvent  se  décider  à  abandonner  une  po- 
sition, prix  de  si  cruels  efforts  ;  ils  appellent  à  eux  les 
restes  des  compagnies  dont  ils  espèrent  toujours  la  venue, 
et  qu'ont  forcément  disséminées  les  difficultés  du  terrain. 
Mais  leur  voix  couverte  par  le  bruit  du  canon  et  par  la 
fusillade  reste  sans  écho.  —  Après  une  attente  inutile,  il 
ne  leur  reste  plus  qu'à  ordonner  la  retraite  et  à  la  sur- 
veiller pour  qu'elle  se  fasse  en  bon  ordre,  sans  laisser  de 
blessés  derrière  soi. 

Au  moment  où  le  commandant  Tricault  vient  de  fran- 
chir de  nouveau  le  dernier  fossé,  une  balle  lui  traverse 
le  bras  gauche. 

XX.  —  Pour  rejoindre  le  rivage,  de  plus  grandes  dif- 
ficultés attendaient  encore  les  braves  marins  qui  ve- 
naient d'accompUr  cet  acte  stérile  d'audacieux  courage. 
— Pendant  les  quelques  heures  qui  se  sont  écoulées, 
la  mer  a  monté,  et  l'eau  couvre  presque  entièrement 
et  à  une  certaine  hauteur  celte  plaine  fangeuse  qu'ils 
ont  traversée  en  quittant  les  canots  ;  l'obscurité  est  pro- 
fonde, les  groupes  se  resserrent  pour  ne  pas  s'égarer 
dans  cette  marche  périlleuse. 

Le  rembarquement  fut  long  et  pénible  par  suite  de  la 
rangée  de  pilotis  qui  gênait  les  manœuvres  des  embar- 
cations et  les  empêchait  d'approcher  du  rivage;  il  dura 
une  grande  partie  de  la  nuit,  et  présenta  de  sérieuses 


32  CAMPAGNK   DE   CHINE. 

diflicultés,  surtout  pour  le  transport  des  blessés. —  «  Ce 
inouveincnt  de  marée  monlanle  a  eu  d'afl'reuses  consé- 
quences(éci'it  le  coniniandaiil  Tricaull,  en  terminant  son 
rapport)  ;  non-seuleinent  les  cadavres  qui  n'avaient  pas 
été  retirés  au  premier  moment  sont  restés  sur  le  ter- 
rain, mais  encore  tous  les  blessés  liors  d'état  d'appeler 
à  leur  secours  ou  de  se  soulever  eux-mêmes,  ont  été 
infailliblement  noyés.  » 

Les  pertes  en  hommes  et  en  bâtiments  étaient  grandes. 
Le  Cormoran!,  qui  avait  tenu  pendant  toute  la  journée  la 
tête  de  la  ligne  d'embossage,  et  qui  s'était  défendu  dans 
cette  lutle  inégale  avec  une  inébranlable  énergie,  avait  été 
affreusement  mutilé  par  l'artilleiic  des  forts;  il  coulait  bas 
pendant  la  soirée,  ainsi  que  quatre  anti'es  canonnières 
anglaises.  Sur  ces  cinq  bâtiments,  trois  devaient  entière- 
ment périr,  Plovcr,  Lee  et  Cormorant;  les  deux  autres  pu- 
rent être  relevés. —  L'aiiiiial  anglais  (itacbevcrla destruc- 
tion de  ceux  pour  lesquels  tons  les  efforts  de  sauvetage 
étaient  restés  inutiles.  Les  Anglais  comptaient  plus  de 
quatre  cents  bommcs  tués  ou  blessés,  parmi  lesquels  un 
grand  noml)re  d'ofticiers.  —  Quant  à  nous,  nous  avions 
plus  (lu  cinquième  de  noire  petit  eflV-ctif  hors  de  combat. 

XXL  —  La  journée  du  25  juin  était  un  désastre  ;  mais 
il  faut  l'ajouter,  un  désastre  dans  lequel  l'honneur  des 
armes  était  sauf.  L'amiral  llope  avait  montré  une  fois 
de  plus  cette  énergie  indomptable  et  ce  sang-froid  dans 
le  commandement  qui  en  font  un  des  premiers  marins 
de  l'Anqleterre. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  I.  33 

Si  cet  amiral  n'avait  eu  avec  lui  qu'un  seul  bâtiment, 
comme  le  commandant  Tricault  (1),  sa  ligne  de  con- 
duite était  inévitablemenl  tracée  par  les  événements  eux- 
mêmes,  il  lui  eût  fallu  retourner  en  arrière  ;  mais  par 
suite  de  la  résolution  prise  par  les  deux  minisires  plé- 
nipotentiaires de  se  porter  en  avant,  l'hésitation,  avec 
le  nombre  de  canonnières  qu'il  avait  sous  la  main,  lui 
eût  été  reprochée  comme  un  acte  de  faiblesse  inqua- 
lifiable en  face  de  semblables  ennemis.  Les  nécessités 
de  la  situation  diplomatique,  les  antécédents  de  la  guerre 
de  Chine,  la  puissance  même  des  moyens  dont  il  dis- 
posait, tout  lui  faisait  un  devoir  de  ne  pas  s'arrêter  de- 
vant les  obstacles  matériels  que  l'on  jetait  inopinément 
devant  lui. 

Mais  ce  nouvel  acte  d'hostilités  de  la  part  du  gouver- 
nement chinois  remettait  tout  en  question  ;  la  situation 
n'était  plus  la  même,  et  le  sang  répandu  devant  le  Peïlio 
exigeait  une  éclatante  réparation.  —  Aussi,  les  deux  mi- 
nistres alliés  pensèrent  qu'il  était  de  leur  devoir  de  se 
retirer  et  d'attendre  de  nouvelles  instructions  relatives 
aux  tristes  faits  qui  venaient  de  se  passer. 

XXII.  —  a  En  présence  d'une  situation  aussi  tranchée 
(écrivait  au  ministre  des  affaires  étrangères  M.  de  Boar- 
boulon),  nous  avons  pensé ,  mon  collègue  d'Angleterre 


(1)  La  corvette  Diichayla  ne  pouvait,  par  suite  de  son  fort  tirant 
d'eau,  entrer  dans  le  fleuve  et  remonter  à  Tien-tsin.—  C'était  le  petit 
aviso  à  vapeur  Nor;:agaray  qui  devait  mener  à  Tien-tsin  le  représen- 
tant de  la  France,  M.  de  Bourboulon. 


34  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

et  moi,  qu'il  ne  pourrait  être  que  compromctt.int  pour 
la  diynilé  des  gouvernements  que  nous  représentons,  de 
demander  des  explications  quelconques  à  un  gouver- 
nement qui  se  jouait  ainsi  des  engagements  les  plus  so- 
lennels, et  ne  craignait  pas,  pour  se  soustraire  à  l'ohliga- 
lion  de  les  remplir,  de  recourir  à  de  Iraîtreuses  hostilités; 
qu'il  ne  nous  restait  par  conséquent,  qu'A  nous  retirer, 
à  attendre,  dans  une  attitude  deréserve  de  manière  à  l'in- 
quiéter sur  les  suites  de  sa  victoire,  les  communications 
qu'il  pourra  nous  adresser,  et  à  laisser  à  nos  gouverne- 
ments respectifs  le  soin  de  prendre  les  mesures  que  les 
circonstances  leur  paraîtront  réclamer  (1).  » 

De  son  côlé,  M.  Bruce,  ministre  plénipotentiaire  d'An- 
gleterre, écrivait  à  la  même  date,  au  comte  de  Malmes- 
bury. 

a  L'amiral  Hope  m'ayant  informé  que  les  forces,  sous 
ton  commandement,  n'élaicnt  point  suffisantrs  pour 
ouvrir  un  passage  et  remonter  la  rivière,  M.  de  Bour- 
boulon  et  moi  convinrent  qu'il  fallait  considérer  notre 
mission  à  Pé-king  comme  terminée  quant  à  présent,  et 
que  nous  devions  nous  retirer  à  Shang-hai.  » 

Tel  est  le  récit  exact  des  faits  qui  se  passèrent  à  l'en- 
trée du  Poïlio,  le  25  juin  1859,  et  qui  eurent  en  France 
et  en  Angleterre  un  si  triste  retentissement. 

Les  deux  cabinets  de  Paris  et  de  Londres  comprirent 
toute  la  gravité  d'une  semblable  situation  en  face  de  ce 

(1)  Dépèche  du  30  juin  1859. 


LIVRE   I,   CHAPITRE  I.  35 

gouvernement,  dont  tant  de  revers  successifs  n'avaient 
pu  arrêter  les  indignes  subterfuges  et  la  diplomatie  dé- 
loyale. —  Il  fallait  frapper  un  grand  coup,  si  nous  ne 
voulions  pas  voir  s'éteindre  et  disparaître  à  jamais  toute 
notre  influence  dans  ces  contrées  lointaines. 


CHAPITRE  II. 

XXIIL  — Le  traité  de  Tien-tsin,  déchiré  par  les  canons 
chinois  à  l'embouchure  du  Peïho  demandait  une  écla- 
tante réparation.  — Aussi  le  ministre  des  affaires  étran- 
gères en  France  écrivait,  à  la  date  du  24  septembre  1859, 
à  M.  de  Bourboulon,  ministre  plénipotentiaire  en  Chine  : 
«  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  a  décidé  d'inïliger 
aux  Chinois  le  châtiment  exigé  par  une  violation  aussi 
éclatante  des  règles  les  plus  essentielles  du  droit  inter- 
national. » 

L'échec  du  Peïho  avait  pris  en  Chine  des  proportions 
considérables. — La  gazette  de  Pé-king  regorgeaitde  pro- 
clamations incendiaires  contre  ces  peuples  imprudents  et 
aveugles  qui  avaient  osé  entrer  en  lutte  avec  le  puissant 
empereur  du  Céleste-Empire. 

Une  seconde  campagne  en  Chine  fut  résolue,  de  con- 
cert avec  les  Anglais,  — L'empereur  Napoléon  III  appela 


36  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

le  général  Cousin  de  Monlauban  au  commandement  en 
chef  de  celte  nouvelle  expédition. 

Dix  mille  hommes  étaient  mis  sous  ses  ordres  (1). 

Le  général  de  Montauhan,  chef  énergique,  soldat 
intrépide,  saura  justifier  la  liante  confiance  dont  l'ho- 
nore l'Empereur.  Les  pouvoirs  les  plus  étendus  lui  sont 
concédés;  il  jjrendra  le  titre  de  :  Counnandant  en  chef 
des  forces  de  terre  et  de  mer  (2),  et  pourra  nommer 
aux  vacances  qui  se  produiront  dans  le  corps  expédi- 
tionnaire, jusqu'au  grade  de  colonel  inclusivement.  Les 
nominations  de  lieutenant-colonel  et  de  colonel  devront 
être  ratifiées  par  l'Empereur.  —  Le  général  de  Montau- 
han pourra  également  décerner  des  médailles  militaires 

(1)  COMPOSITION     DU     CADRE     d'ÉTAT-MAJùR 

DU  CORPS  EXPÉDITIONNAIRE. 

Commandant  en  chef  des  forces  de  terre  et  de  mer,  le  général  Cou- 
sin de  Montauban; 

Chef  de  la  P-' brigade  d'infanterie,  le  général  Jamin  ,  commandant 
en  second  rexpédilion. 

Chef  de  la  2'  brigade  d'infanterie,  le  général  Collineau  ; 

Chef  d'état-major  général ,  le  lieulenant-colonel  Schmitz; 

Officiers  attachés  à  l'état-major  général  : 

Lieutenant-colonel  Dupin,  chef  du  service  topographique  ; 

Le  chef  d'escadron  d'é:at-major  Campenon;  —  le  capitaine  d'état- 
major  de  Cools;  —  le  capitaine  d'état  major  Ciianoine;  le  sous-inten- 
dant militaire  Dubut. 

Chef  du  génie,  colonel  Déroulède. 

Chef  de  l'arlillerie,  colonel  de  Benlzmann,  commandant  cinq  bat- 
teries et  le  parc  du  siège. 

101"  de  ligne,  colonel  Pouget;  —  102'  de  ligne,  colonel  O'.Malley  ; 
—  2' bataillon  de  chasseurs  à  pied,  commandant  Guillol  de  la  Poterie. 

Infanterie  de  marine,  colonel  de  Vassoigne. 

Escadron  de  cavalerie,  capitaine  Mocquart. 

(2)  Décret  du  13  novembre  18ô9. 


LIVRE  I,   CHAl'ITIŒ   II.  37 

et  des  croix  de  chevalier  et  d'officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur. 

Déjà  le  maréchal  Randon,  ministre  de  la  guerre,  règle 
tous  les  détails  relatifs  à  l'organisation  de  ce  nouveau 
corps,  et  dirige  sur  Toulon,  Brest,  Lorient  et  Cherhourg 
les  troupes  qui  doivent  être  embarquées. 

XXIV.  —  De  son  côté,  le  général  Cousin  de  Montaubaii 
s'eutoure  des  renseignements  qui  peuvent  asseoir  sur 
une  base  sérieuse  ses  appréciations,  et  l'aider  à  combiner 
les  premières  opérations  militaires  qu'il  doit  diriger  en 
chef  dans  ces  parages  lointains.  Il  interroge,  il  étudie, 
il  calcule,  il  médite;  car  il  faut,  dès  le  début,  frapper  un 
grand  coup  pour  abaisser  l'orgueil  de  ce  peuple  si 
aveugle  dans  sa  confiance  et  dans  ses  dédains,  il  faut 
effacer  par  d'éclatantes  victoires  le  souvenir  de  la  jour- 
née du  25  juin,  dont  le  retentissement  a  couru  comme  un 
écho  triomphal  à  traver  ces  vaste  empire. 

Le  général  de  Montauban,  investi,  nous  l'avons  dit, 
du  commandement  des  forces  de  terre  et  de  mer,  écrit 
de  Paris  au  contre-amiral  Page  pour  lui  communiquer 
les  projets  que  lui  ont  suscités  les  renseignements  qu'il 
a  déjà  pu  recueillir. 

Le  contre-amiral  Page  a  remplacé  le  vice-amiral  Ri- 
gault  de  Genouilly  dans  le  commandement  des  mers  de 
Chine. — Le  général  le  charge  d'étudier,  avec  l'expérience 
acquise  d'un  séjour  déjà  long  dans  ces  contrées,  quel 
serait  le  point  le  plus  favorable  pour  l'installation  des 
troupes  près  du  théâtre  des  opérations  futures. 


38  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

«  Les  véritables  chemins  en  Chine  (lui  écrivait-il),  sont 
les  canaux,  cl  les  fleuves  (juc  ces  canaux  relient  entre 
eux.  La  marine  est  donc,  selon  toute  probabililé,  appe- 
lée à  jouer  un  grand  lùle  dans  les  opérations  militaires. 
Il  faut  perdre  le  moins  de  temps  possible  et  se  mettre 
en  route  très-promptcment  pour  arriver  à  l'embouchure 
du  Peïho;  car  plus  on  agira  rapidement,  moins  on  aura 
de  chances  contraires  à  redouter.  » 

XXV.  —  Au  moment  où  le  nouveau  commandant  en 
chef  s'apprêtait  à  partir,  les  opinions  étaient  très-par- 
tagées  sur  la  résistance  probable  que  devait  rencontrer 
je  corps  expéditionnaire  dans  le  cours  de  cette  nouvelle 
expédition.  —  Les  uns,  s'exagéranl  la  portée  réelle  du 
succès  que  les  Chinois  avaient  obtenu  au  Peilio  sur  les 
forces  anglaises,  croyaient  que  les  forts  seraient  oc- 
cupés et  défendus,  comme  ils  pourraient  l'être  par  des 
troupes  européennes;  d'autres,  trop  confiants  au  con- 
traire, prétendaient  qu'aux  premiers  coups  de  canon, 
ces  timides  défenseurs  prendraient  aussitôt  la  fuite. 

Ces  opinions  extrêmes  et  contradictoires  se  présentent 
souvent,  lorsqu'il  s'agit  d'une  entreprise  quelle  qu'elle 
soit;  rarement  l'esprit  reste  dans  un  juste  milieu  d'ap- 
préciation. —  Nous  avons  vu  en  Crimée,  pendant  le 
siège  si  pénible  de  Sébastopol,  les  découragements  ex- 
cessifs succéder  d;ms  certains  esprits  à  la  confiance 
souvent  la  phis  exagérée.  —  11  fallait  évidemment  pour 
celle  nouvelle  expédition  se  méfier  des  exagérations, 
et  guidé  par  une  sage  prudence,  prendre  les  mesures 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  39 

habituelles  à  la  guerre.  Dans  ces  pays  lointains,  si  par- 
fois les  succès  sont  faciles,  le  moindre  revers  acquiert 
aussi  une  influence  fatale,  et  les  avantages  d'une  année 
de  victoires  peuvent  être  détruits  en  un  jour. 

Tien-tsin  est  le  premier  point  vers  lequel  se  dirigera 
l'armée  alliée.  —  Les  instructions  données  au  général  en 
chef  portent  :  qu'il  sera  peut-être  nécessaire,  pour  en 
imposer  au  gouvernement  chinois,  de  pousser  une  pointe 
jusqu'à  Pé-king,  capitale  de  l'empire.  C'était  un  acte  mi- 
htaire  d'une  très-grande  portée,  par  son  audace  même, 
pour  peu  que  l'on  considère  le  petit  nombre  des  forces 
alliées,  en  face  de  la  population  seule  de  cette  ville,  portée 
à  deux  millions  d'habitants. 

XXVI.—  Le  19  novembre  1859,  le  nouveau  comman- 
dant en  chef  adresse  de  Paris  à  sa  petite  armée  son  pre- 
mier ordre  du  jour  : 

a  Votre  tâche  est  grande,  dit-il,  et  belle  à  remplir; 
mais  le  succès  est  assuré  par  votre  dévouement  à  l'Em- 
pereur et  à  la  France.  Un  jour,  en  rentrant  dans  la 
mère  patrie,  vous  direz  avec  orgueil  à  vos  conci- 
toyens que  vous  avez  porté  le  drapeau  national  dans 
des  contrées  où  la  Rome  immortelle,  au  temps  de 
sa  grandeur,  n'a  jamais  songé  à  faire  pénétrer  ses 
légions. 

«  Sa  Majesté,  en  m'accordant  l'honneur  de  vous  com- 
mander en  chef,  me  fait  une  haute  faveur  dont  je  ne 
pourrai  mieux  lui  témoigner  ma  reconnaissance  qu'en 


40  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

m'occupant  de  pourvoir  à  tous  vos  besoins  avec  une  sol- 
licitude constante. 

Œ  Vienne  le  jour  du  combat,  et  vous  pourrez  compter 
sur  moi  comme  je  compte  sur  vous  :  nous  assure- 
rons la  victoire  aux  cris  de  :  Vive  l'Empereur!  vive  la 
France  !  » 

Que  Dieu  veille  sur  cette  petite  armée  qui  traverse 
l'es  mers  et  va  à  cinq  mille  lieues  du  sol  natal  venger 
les  droits  sacrés  du  christianisme  et  de  la  civili- 
sation. 

XXVII.  —  Le  12  janvier  1860,  à  sept  heures  du  ma- 
tin, le  général  de  Montauban  s'embarque  sur  la  Pan- 
thère, bàlimenl  de  la  Compagnie  orientale. 

Il  est  accompagné  de  son  état-major  particulier  :  le 
chef  d'escadron  Deschiens,  premier  aide  de  camp;  le  ca- 
pitaine de  Bouille,  deuxième  aide  de  camp;  le  capitaine 
de  Montauban,  officier  d'ordonnance.  —  Le  chef  d'état- 
major  généi'al,  lieutenant-colonel  Scbmitz;  le  capitaine 
de  Cools,  attaché  à  l'état-major  général  ;  le  colonel 
de  Hentzmann,  commandant  l'artillerie,  et  M.  Dubut, 
sous-intendant  militaire  de  première  classe,  chef  du 
service  administratif,  ont  pris  passage  sur  le  même 
bâtiment. 

Le  15  janvier,  à  six  heures  du  malin,  la  Panthère 
touchait  à  .Malle. 

En  traversant  le  détroit  de  Bonifacio ,  le  général  a 
pu  saluer  le  monument  funèbic  élevé  à  la  mémoire  des 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  41 

naufragés  de  la  Scmillanle,  cruel  sinistre  qui   avait  en- 
glouti sous  les  flots  tant  de  vaillants  soldats  (1). 

Le  général  de  Montauban,  après  différentes  relâches 
à  Ceylan,  à  Paulo-penang  et  à  Singapour,  où  il  est  reçu 
par  les  autorités  anglaises  avec  tous  les  honneurs  dus 
à  un  commandant  en  chef,  entre  en  rade  de  Hong-kong 
le  26  février,  à  huit  heures  du  matin. 

XXYIII.  —  A  peine  son  arrivée  a-t-elle  été  signalée, 
que  le  contre-amiral  Page  se  rend  à  bord  du  Gange,  qui 
a  pris  le  général  de  Montauban  à  Ceylan,  pour  le  trans- 
porter à  Hong-kong. 

Le  contre-amiral  Page  arrive  de  Cochinchine.  Il  a  eu 
plusieurs  engagements  sérieux  avec  les  Annamites.  — 
Dans  l'un  de  ces  engagements,  le  chef  du  génie,  le  co- 
lonel  Dupré  Deroulède,  a  été  coupé  en  deux  par  un 
boulet  sur  le  pont  de  laNémcsis,\wès  de  l'amiral  Page.— 
En  tout  temps  la  mort  de  ce  vaillant  officier  eût  été  une 
perte  vivement  sentie  par  l'armée,  mais  dans  les  cir- 
constances présentes,  ce  triste  événement  est  plus  dou- 
loureux encore,  car  le  colonel  Dupré  Deroulède,  nommé 
chef  du  génie  du  nouveau  corps  expéditionnaire,  laisse 
vacant,  par  sa  mort,  un  poste  important  dans  lequel  il 
était  appelé  à  rendre  les  plus  utiles  services.  —  C'est  le 
lieutenant-colonel  Livet  qui  le  remplacera. 

L'amiral  Page  apprend  au  général  de  Montauban  qu'il 
avait  été  décidé,  à  la  suite  d'une  conférence  tenue  avec 

(1)  Voir,  Campagne  de  Crimée,  etc. 


42  CAUPAGNE  DE  CHINE. 

l'amiral  anglais  Hope,  que  l'île  de  Chusan  serait  occupée. 
Le  nouveau  commandant  en  chef  croit  devoir  ajourner  la 
solution  définitive  de  celle  question  jusqu'à  sa  prochaine 
entrevue  avec  l'amiral  anglais;  les  renseignements  qu'il 
a  recueillis  ne  sont  pas  de  nature  à  faire  tomber  son 
choix  sur  l'île  de  Chusan  pour  y  concentrer  ses  troupes. 
—  Chusan,  en  elïet,  est  très-rapproché  de  Shang-hai, 
et  Tché-fou  semble  offrir  des  avantages  bien  supérieurs, 
comme  point  intermédiaire  entre  cette  ville  et  le 
Peiho. 

Les  bâtiments  qui  doivent  apporter  à  Hong-kong  les 
troupes  expédilionnaires auront  évidemment  à  leur  bord 
un  certain  nombre  de  malades,  après  une  si  longue  et 
si  pénible  tiaversée;  aut^si  le  général  se  préoccupe-t-il 
sérieusement  de  l'installation  des  hôpitaux.  Hong-kong 
et  Shang-hai  sont  insalubres;  il  est  de  toute  nécessité  de 
continuer  à  Macao  l'établissement  de  l'hôpital  général 
où  devront  être  évacués  les  malades  et  les  blessés  venant 
du  nord  de  la  Chine. 

XXIX.  — Après  avoir  passé  la  matinée  du  29  à  Macao, 
le  général  en  chef  se  dirige  vers  la  rivière  de  Canton,  oîi 
le  capitaine  de  vaisseau  d'Aboville  exerce  le  commande- 
ment supérieur  des  forces  fiançaises. 

Grâce  au  service  de  surveillance  et  de  police  très-sé- 
vèrement constitué,  la  ville  de  Canton  est  tranquille  et 
calme.  La  circulation  des  officiers  français  et  anglais 
dans  les  rues  ne  semble  même  plus  un  objet  de  curio- 
sité pour  les  Chinois;  mais  il  ne  faut  pas  se  le  dissimu- 


LIVRE  1,   CHAPITRE   II.  43 

1er,  dans  l'élat  actuel  des  choses,  ce  calme  et  cette  tran- 
quillité, résultat  des  mesures  rigoureuses  qui  régissent 
la  police  intérieure  de  la  ville,  sont  plus  apparents  que 
réels.  —  Les  derniers  événements  ont  ravivé  les  espé- 
rances.—  Évidemment  la  crainte  seule  maintient  encore 
la  population  prête  à  se  soulever  en  masse,  si  le  sort  des 
armes  nous  était  contraire.  Des  assassinats  partiels  sur 
quelques  hommes  isolés  révèlent,  de  temps  à  autre, 
celte  dangereuse  situation,  dont  il  faut  sans  cesse  se 
préoccuper.  Le  gouvernement  chinois  a  mis  à  prix  la 
tète  des  barhares  étrangers  :  celle  du  commandant  en 
chef  est  évaluée  à  cinquante  mille  taels;  chaque  grade 
est  coté,  chaque  tête  a  sa  valeur. 

Le  3  mars,  le  général  est  de  retour  à  Hong-kong,  et, 
dès  le  lendemain,  il  a  une  longue  conférence  avec 
l'amiral  Hope  et  l'amiral  Page.  Mais  en  l'absence  du 
général  Grant,  qui  commande  les  forces  de  terre  bri- 
tanniques, il  était  impossible  de  prendre  aucune  résolu- 
tion définitive.  On  se  contenta  donc  de  jeter  les  bases  de 
plusieurs  projetsimportanls,  «  et  ce  ne  fut  pas  sans  dis- 
cussion (écrit  le  général), car  notre  entrevue  a  duré  cinq 
heures.  » 

L'occupation  de  Chusan  aura  lieu,  aussitôt  que  des 
forces  suffisantes  seront  arrivées  ou  disponibles. 

XXX.  —  Le  lendemain,  le  général  de  Montauban  quitta 
Hong-kong  pour  se  rendre  à  Shanghai,  qu'il  n'atteignit 
que  le  12  au  soir,  après  une  traversée  très-difficile.  Le 
général  déploie  la  plus  grande  activité  et  surveille  lui- 


44  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

mÔRicrinstallaliou  des  divers  services  qui  doivent  fonc- 
tionner dans  celle  ville,  afin  qu'aucun  retard  n'enli'ave 
la  mise  en  campagne  des  troupes  qui  vont  successive- 
ment lui  parvenir. 

La  marine  est  chargée  défaire  une  reconnaissance  dans 
le  golfe  du  Pé-tchi-li  et  de  déterminer  le  lieu  propre  au 
rassemblement  général  des  forces  pour  l'attaque  des 
forts  du  Peïho,  dont  lesTartares  ont  beaucoup  augmenté, 
dit-on  ,  les  défenses  et  le  nombre  des  défenseurs.  Le 
contre-amiral  Page,  auquel  le  commandant  en  chef  a 
communiqué  ses  projets  et  ses  plans  pour  le  début  des 
opérations  militaires,  doit,  pendant  son  absence  mo- 
mentanée de  Hong-kong,  le  représenter  dans  les  con- 
férences avec  nos  alliés  et  mettre  ces  projets  d'accord 
avec  ceux  de  l'amiral  llope  et  du  général  Grant. 

Dès  son  arrivée  à  Shang-hai,  le  général  de  Montauban 
s'est  empressé  de  s'informer  des  achats  des  chevaux 
et  des  mulets  destinés  au  transport  et  au  service  de 
rartillerie.  —  Un  marché  avait  été  passé  pour  cet  objet 
entre  le  gouvernement  français  et  une  maison  de  com- 
merce de  Shang-hai  ;  mais  cette  affaire  importante 
n'avait  encore  obtenu  aucun  résultat  sérieux,  et  il  deve- 
nait à  peu  près  impossible  de  se  procurer  en  Chine  les 
ressources  nécessaires  pour  l'expédition,  tant  à  cause 
de  la  rareté  des  chevaux  dans  la  province,  que  par  suite 
des  ordres  donnés  par  les  autorités  du  pays. 

Afin  de  s'entourer  des  renseignements  les  plus  précis 
sur  cette  question  délicate  et  diflicile,  le  général  institue 
une  commission  provisoire  de  remonte,  que  préside  le 


LIVRE   I.   lHaPITRE   II.  45 

colonel  d'artillerie  Benizmann  ;  elle  est  coQiposée  des 
capitaines  d'artillerie  Desmarquais,  de  Cools  de  l'élat- 
niajor,  et  du  capitaine  de  cavalerie  Cli.  de  Monlauban. 

Sur  la  demande  de  cette  commission,  un  nouveau  mar- 
ché est  passé  pour  la  fourniture  de  cinq  cents  chevaiLX  ou 
mulets  pris  au  Japon;  le  prix  est  fixé  à  cent  piastres  par 
cheval.  Les  capitaines  de  Cools  et  de  Monlauhan  sont 
envoyés  pour  surveiller  et  activer  cette  opération,  dont 
l'accomplissement  rencontrera  peut-être  aussi  au  Japon 
de  notables  difficultés. 

Il  était  important  de  commencer  les  hostiUtés  vers  le 
mois  de  mai  ou  de  juin,  pour  n'être  pas  ex  posé  à  rencon- 
trer les  mauvais  temps,  pendant  la  durée  probable  de 
l'expédition. 

XXXI.  —  Une  dernière  démarche  de  concihation  a 
été  tentée  d'un  commun  accord  par  les  ministres  de  France 
et  d'Angleterre  auprès  de  la  cour  de  Pé-king,  et  MM.  de 
Bourboulon  et  Bruce  ont  envoyé  collectivement  l'u/zi- 
matum  des  puissances  alliées  (1).  —  Cette  pièce  diplo- 
matique qui  précise  nettement  les  demandes  dont  la 


(1)  Ultimatum  adressé  par  M.  de  Bourhoulon,  ministre  de  France, 
au  cahinel  dePé-Tiing.  sous  le  couvert  du  commissaire  impérial,  vice- 
roi  des  deux  Kiang. 

Shang-hai,  le  9  mars  1860. 

Le  soussigné,  envoyé  extraordioaire  et  ministre  plénipotentiaire 
de  S.  M.  l'Empereur  des  Français,  ayant  rendu  compte  à  son  gouver- 
nement de  la  réception  qui  lui  a  été  faite  au  mois  de  juillet  dernier  à 
l'embouchure  de  la  rivière  de  Tien-lsin ,  lorsqu" après  avoir  dûment 
notifié  à  S.  Exe.  le  principal  secrétaire  d'État  de  la  Chine,  son  inten- 


46  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

coniplèle  ^alisfaction  pourra  seule  empèclier  le  renou- 
velleinent  des  hostilités,  a  été  expédiée  le  8  mars.  —  Le 
gouvernement  chinois  devra  faire  parvenir  sa  réponse 
avant  le  8  avril,  pour  dernier  délai.  —  Il  est  peu  pro- 
bable que  cette  réponse  soit  favorable,  ou  du  moins 
franche  et  catégorique.  —  La  cour  de  Pé-king  ne  man- 
quera pas  de  revenir  sur  le  passé  et  de  se  livrer  à  cet 
égard  à  une  discussion  évasive  et  sans  résultat;  mais 
maintenant  que  la  détermination  d'une  action  militaire 
imposante  a  été  prise,  maintenant  que  la  France  et  l'An- 
gleterre ont  envoyé  à  travers  les  mers  des  soldats  prêts 
à  combattre,  il  faut  que  la  question  pendante  entre  le 

tion  de  se  rendre  à  la  capitale  pour  y  effectuer  l'échange  des  ratiti- 
cations  du  traité  conclu  à  Tiea-tsin  l'année  précédente .  conformément 
à  la  c  ause  finale  du  il  traité,  il  s'y  est  présenté  pour  accomplir  sa 
mission,  a  reçu  l'ordre  du  gouvernement  de  S  M.  l'Empereur  des 
Français,  d'aircsser  au  ministre  secrétaire  d'É  at,  les  demandes  et 
les  déclarations  suivantes,  comme  les  conditions  expresses  qu'il  met 
au  maintien  de  la  bonne  harmonie  entre  les  deux  empires. 

1°  Le  cabinet  de  Pe-king,  pari  orgace  du  principal  secrétaire  d'État 
de  la  Chine,  adressera  au  soussigné,  comme  représentant  de  S.  M. 
l'Empereur  des  Français,  dans  une  lettre  ofùcielle,  des  excuses  for- 
melles, pour  l'attaque  dont  le  pavillon  de  la  marine  impériale  fran- 
çaise, réuni  à  celui  de  S.  M.  la  Reine  de  la  Graude-Bretagne,  a  été 
l'objet  au  mois  de  juin  dernier  devant  Ta-kou. 

2°  Le  principal  secrétaire  d'Éiat  de  la  Chine  donnera,  au  nom  de 
son  souverain,  au  soussigné,  l'assurance  que  lorsqu'il  se  rendra  à  la 
capitale  pour  l'échange  des  ratifications  du  traité,  il  pouna  arriver 
sans  obstncle  j  squ'à  Tien-tsin  ,  à  bord  d'un  navire  de  guerre  fran- 
çais, et  que  les  autorités  chinoises  prendront  ensuite  les  mesures  né- 
cessaires pour  que  le  soussigné  et  sa  suite  soient  conduits  avec  les 
honneurs  convenable?  de  Tiea-tsin  à  Pé-king. 

3'  Le  gouvernement  de  l'empereur  de  la  Chine  déclarera,  dans  sa 
réponse  à  li  présente  notification,  qu'il  est  prêt  à  échaiger  à  Pe-king 
les  raiincations  du  traité  conclu  à  Tien-tsin,  le  27  juin  18.58.  entre 
S.  Exe.  le  baron  Gros,  commissaire  extraordinaire  de  S.  M  l'Empereur 


LIVRE   I,   CHAPITRE   II.  47 

Céleste-Empire  et  les  puissances  occidentales  soit  radi- 
calement tranchée,  et  que  le  gouveciiement  ne  puisse, 
sous  un  prétexte  futile ,  ramener  un  état  de  choses 
désormais  impossible. 

L'Europe  civilisatrice  frappe  aux  portes  de  la  Chine, 
au  moment  où  les  désordres  mortels  de  l'administra- 
tion intérieure  livre  reni[)ire  à  la  décadence  et  aux  san- 
glants épisodes  des  guerres  intestines. 

Ces  désordres  qui  ont  éclaté  depuis  l'avènement  au 
trône  du  nouveau  souverain,  prennent  chaque  jour  un 
plus  grand  développement ,  et  les  rebelles  devenus 
audacieux   et  sanguinaires,    épouvantent  les   districts 

des  Français,  et  LL.  Exe.  les  plénipotentiaires  chinois  Kweï-Liang 
et  Houa-Cha-Na.  De  son  côté,  le  gouvernement  de  S.  M.  1  Empereur 
des  Français  déclare,  par  l'organe  du  sousî-igné  ,  son  représentant, 
qu'il  n'a  plus  désormais  à  invoquer,  dans  la  question  de  <a.  résidence 
de  son  ministre  à  Pé-king  , autre  chose  que  les  clausesdes  traités,  c'est- 
à-dire  qu'il  reprend  le  droit  de  se  prononcer,  s'il  le  juge  convenable, 
pour  un  séjour  permanent  de  sa  légation  dans  cette  capitale,  du  mo- 
ment que  Sa  Majesté  Britannique  n'étant  plus  liée  par  l'arrangement 
consenti  par  S.  Exe.  lord  Ejgin  avec  les  commissaires  chinois,  a  re- 
pris lui-même  le  droit  de  reclamer,  sur  ce  point,  l'exécution  pleine 
et  entière  de  son  traiié. 

4°  Le  gouvernement  chinois  s'engagera  à  payer  à  celui  de  S.  M. 
l'Empereur  des  Français,  une  indemnité  proportionnée  aux  charges 
que  la  nécessité  où  l'a  mis  la  conduite  de  ce  gouvernement  d'envoyer 
une  seconde  fois  des  Idrces  navales  et  railitHires  à  une  aussi  grande 
distance,  a  fait  de  nouveau  peser  sur  le  trésor  français.. 

5°  Le  soussigné,  enfin,  a  reçu  l'ordre  de  notifier  au  gouvernement 
de  S.  M.  l'Empereur  de  la  Chine,  qu'il  lui  e^t  accorde  un  déldi  de 
trente  jours,  à  compter  de  la  remise  de  la  présente  notification,  pour 
accepter  sans  réserves  les  conditions  ci  dessus  énoncées,  à  l'expira- 
tion duquel  délai,  si  le  cabinet  de  Pé-king  n'a  pas  fait  parvenir  son 
acceptation  formelle  au  sous.>>igné,  son  silence  sera  considéré  comme 
un  refus. 

A.  DE  BOURBOULOX. 


48  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

dont  ils  s'eiiiparont  par  les  scônos  ilii  plus  alTieiix  car- 
nage. 

Ainsi  la  nouvelle  aniveà  Shanj:  liai  iju'ils  se  sont  eni- 
part^s  de  Hang-tcheou,  ville  très-iinporlante  du  Tehing- 
kiang,  qui  domine  toute  la  vallée  du  fleuve.  —  De  Hang- 
telieouCou,  ils  menacent  d'un  côté  Sou-tcheou  et  de 
l'autre  Ning-poo. —  Ces  événements  ont  jeté  le  plus  grand 
trouble  à  Sliang-hai,  les  haltilants  épouvantés  craignent 
une  invasion  de  ces  cruels  ennemis  et  s'enfuient  déjà  en 
partie,  les  uns  pour  venir  demander  protection  au  sein 
des  concessions  eui'opéennes,  les  autres  pour  se  rendre 
dans  le  nord.  —  Le  Tao-taï  de  la  ville  est  lui-même 
dans  la  plus  grande  anxiété,  car  déjà  bon  nombre  de 
ces  misérables  sans  aveu,  qui  ne  vivent  que  de  pillage, 
se  sont  introduits  dans  la  ville  et  disent  appartenir  au 
parti  des  rebelles.  Fort  heureusement,  les  autorités  chi- 
noises apprennent  que  des  forces  considérables  sont 
réunies  dans  la  province  pour  ftiire  face  à  la  rébellion  et 
que  la  ville  de  Hang-tcheou  a  été  reprise. 

Il  est  facile  de  comprendre  quelle  agilalion  permanente 
une  semblable  situation  entretenait  dans  les  espiits.  — 
La  révolte  au  sein  de  l'empire  et  la  guerre  à  ses  portes. 

XXXIL  —  Le  contre-amiral  Protêt  a  reconnu  l'île  de 
Chusan  dont  l'occupation  doit  être  le  premier  acte  mili- 
taire accompli  par  les  troupes  alliées,  aussitôt  qu'elles  se- 
ront réunies  en  nombre  suffisant,  car  si  l'ultimatum, 
ainsi  qu'on  doit  le  supposer,  est  rejeté,  le  gouvernement 
chinois  peut  susciter  des  soulèvements  subits  dans  la  po- 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  49 

pulalion  de  Canton,  déjà  sourdement  agitée,  et  il  ne  se- 
rait pas  prudent  d'enlever  une  partie  de  la  garnison  de 
cette  ville  pour  la  porter  iniinédiatenienl  sur  Cluisan. 

D'après  le  rapport  du  contre-amiral  Protêt,  les  iiahi- 
tants  de  cette  île,  population  Jiialli(;inx'usc  à  laquelle  les 
pirates  enlèvent  souvent  le  peu  de  ressources  qu'elle 
possède,  y  verraient  avec  plaisir  le  séjour  des  troupes 
alliées  dans  l'espoir  d'en  retirer  quelques  profils.  Mais  les 
renseignements  recueillis  portent  à  2000  hommes  la 
garnison  (400  Tarlares,  1600  milices),  la  résistance  peut 
être  sérieuse  et  la  prudence  est  impérieusement  com- 
mandée au  début  des  opérations. 

Le  contre-amiral  n'a  pu  accomplir  encore  la  recon- 
naissance qu'il  devait  diriger  aussi  dans  le  golfe  de  Pé- 
tclii-li.  Le  général  en  chef  lui  adresse  à  ce  sujet  une 
lettre  détaillée  qui  précise  les  principaux  points  (pi'il  im- 
porte surtout  d'étudier  très-exactement  dans  ce  pays 
destiné  à  être  avant  peu,  le  théâtre  d'opérations  militaires 
importantes  (1). 

(1)  Quartier-général  de  Shanghai,  le  30  mars  18G0. 

Monsieur  le  contre-amiral , 

a  11  résulte  d'un  rapport  que  vous  avez  adressé  à  M.  le  contre-amiral 
Page,  le  21  mars  courant,  sur  une  mission  dont  il  vous  avait  chargé, 
qu'une  partie  seulement  de  celte  mission  a  pu  êlre  accomplit.'  :  la  re- 
connaissance de  l'île  de  Chusan  ,  mais  que  1 1  reconnaissance  que 
vous  deviez  faire  au  golfe  de  Pé-tchi-li,  n'a  pas  eu  lieu  par  suite  de 
circonstances  provenant  de  la  politique  du  gouvernement. 

'I.  C'est  cette  partie  de  vos  premières  inslruclions ,  monsieur  le  contre- 
amiral,  que  cette  lettre  a  pour  but  de  vous  faire  terminer. 

a  M.  l'amiral  commandant  les  forces  de  mer  anglaises  en  Chine  a  Lien 
fait  faire  l'exploration  d'une  partie  de  la  côte  de  Corée  et  du  golfe  Je 
Pé-tchi-li,  ainsi  que  de  lacôtedeChang-toung,  mais  les  rapports  quo 

II  4 


50  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Le  Forbln  doit  èlre  mis  à  sa  disposition  pour  celle  cx- 
ploralioii  qui  doit  comprendre  le  golfe  du  Pé-lchi-li  et  la 
côte  du  Chang-toung.  —  Le  capitaine  d'élat-major  de 
Bouille,  aide  de  camp  du  commandant  en  chef,  accom- 
pagneia  le  contre-amiral. 

Le  contre-amiral  Page,  qui  doit  être  chargé  de  l'oc- 


j'ai  vus  et  que  je  vous  ai  communiqués,  me  paraissent  incomplets: 
j'ai  lieu  d'êlre  convaincu  que  voire  expérience  de  ces»  sorles  de  mis- 
sions me  renseignera  de  la  manière  la  plus  exacte  sur  un  pays  qui 
doit  être  sous  peu  le  ihéàlre  de  nos  opérations  militaires. 

«  C'est  surtout  le  point  de  débarquement  au  sud  du  Pei-ho,  qu'il 
importera  essentiellement  de  déterminer. 

a.  L'embouchure  de  la  rivière  de  Chi-kau  ho  est  indiquée  comme 
pouvant  être  choisie-,  cette  embouchure  est  à  environ  vingt-cinq  milles 
des  forts,  et  serait  utilisée  pour  metMe  à  terre  la  troupe  et  les  ani- 
maux (le  Irnn-porl:  mais  il  faudrait  chercher  un  point  p  us  rajiproché 
pour  communiquer  avec  le  camp  que  je  compte  établir  devant  les 
forts. afin  que  les  approvisionnements  de  ce  camp  puissent  y  parvenir 
avec  sécurité.  On  dit  qu"il  existe  au  sud  du  Peï-ho  une  crique  à  huit 
milles  seult-ment;  il  serait  nécessaire  de  la  reconnaître  et  de  détermi- 
ner si  on  pourrait  facilement  en  apiirocber  pour  y  mettre  les  approvi- 
sionnements qui  devront  èlre  transportés  au  camp. 

«Quelle  est  la  nature  du  fond  de  cette  crique?  —  Existe-l-il  un  banc 
de  vase  en  avant,  et  quelle  serait  sa  largeur  entre  le  point  le  plus 
près  de  la  côte? —  Par  quels  moyens  pourrait-on  franchir  ce  banc 
de  vase ,  soit  à  la  marée  basse  ,  soit  à  la  marée  haute ,  suivant  la  soli- 
dité qu'il  présenterait? 

M  Plus  au  sud,  y  aurait-il  un  point  intermédiaire  entre  celui-ci  et 
Chi  kau?  Et  enfin,  dans  le  jjjolfe.  y  aurait  il  uu  point  plus  sûr  que 
Chi-kau-ho,  propie  à  un  débarquemenl?  Dans  le  cas  de  l'affirmative, 
quelle  serait  la  dislance  de  celte  rivière? 

ail  importe  aussi  desavoir,  si  les  bâtiments  peuvent  approcher  avec 
sécurité  de  la  côte,  si  les  vents  ou  les  courants  le  permettraient;  ne 
pourrait-on  pas  tenter  de  communiquer  avec  la  population  de  cette 
côte,  et  pressentir  <iuelle  sorte  de  relations  on  pourrait  nouer  avec 
elle  ?  Quelles  ressources  on  pourrait  trouver  pour  l'armée  sur  toute  cette 
côle,  et  si  elle  e>t  défendue  sur  quelques  points?  Enfin,  ne  négliger 
aucun  renseignement  qui  ait  rapport  à   l'opération  toujours  assez 


LIVRE  I,  CHAPITRE  11.  51 

cupation  de  Chusan,  est  arrivé  de  son  côlé  à  Shanghai  où 
il  vient  organiser  les  différents  services  de  la  marine  pour 
la  première  expédition  dans  le  nord.  Le  général  de 
Monlauban  lui  a  conféré  le  commandement  des  forées 


difficile  d'un  débarquement  d'une  armée,  et  plus  difficile  encore  sur 
une  côte  aussi  peu  connue. 

a  II  serait  indispensable,  dans  le  cours  de  cette  reconnaissance  dans 
le  golfe  de  Pé-tchi-li,  de  pouvoir  se  renseigner  exacteniem  sur  le 
nomhre  des  troupes,  cavaliers  et  fantassins  que  le  gouvernement  chi- 
nois peut  opiioser  à  notre  armée  lorsqu'elle  débarquera,  à  quelle  natio- 
nalité appartiendront  ces  troupes,  et  quels  sont  leur  armement  et  leur 
valeur  miliiaire  ;  quels  sont  également  la  force  et  le  nombre  des  dé- 
fenseurs des  forts  du  Peï-ho;  comment  ces  forts  sont  armés:  quelles 
défenses  nouvelles  ont  été  faites  du  côté  de  la  terre  depuis  la  dernière 
attaque-  le  village  de  Ta-kou  est-il  occupé  par  une  force  tartare  ou 
chinoise?  Quelle  est  la  dislance  exacte  jusqu'aux  forts  les  plus  voi- 
sins? Le  village  est-il  défendu,  et  quels  sont  les  obstacles  créés  ? 

tt Comment  peut-on  cheminer  du  point  de  déliarquement  jusqu'à 
Ta-kou?  Li  route  est-elle  bonne,  ou  coupée  par  l'ennemi?  Pourrait-on 
trouver  du  bois  dans  le  pays  pour  combler  les  fossés,  faire  des  fas- 
cines ou  gabionner?  Tous  ces  renseignements  seront  a>sez  difficiles  à 
se  procurer,  mais  peut-être,  à  prix  d'argent,  pourrait-on  parvenir  à 
engager  quelques  habitants  à  faire  le  métier  d"espions:  dans  ce 
cas,  il  faudrait  en  employer  plusieurs,  afin  de  pouvoir  reconnaître 
l'exactitude  de  leurs  rapports  en  les  contrôlant  les  uns  par  les 
autres. 

«Je  ne  puis  encore,  monsieur  le  contre-amiral,  vous  fixer  d'une  ma- 
nière précise  lépoque  à  laquelle  vous  devrez  commencer  votre  mis- 
sion: elle  dépend  de  l'achèvement  d  s  travaux  entrepris  sur  l'aviso  de 
guerre  le  Forbin,  qui  sera  mis  à  votre  dispo>ition.  J'ai  cru  cependant 
devoir  vous  prévenir  d'avance  du  service  que  j'attends  de  votre  haute 
intelligence,  afin  que  vous  puissiez,  dès  à  présent,  réunir  les  éléments 
qui  vous  seront  nécessaires  pour  le  succès  d'une  entreprise  à  laquelle 
j'attache  la  plus  grande  importance,  et  dont  je  vous  trace  sommaire- 
ment les  bases.  » 

Le  général  commandant  en  chef  les  fores 
de  terre  et  de  mer  en  Chine. 

Cousin  de  Montauban. 


52  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

frai)çaiscs  destinées  à  agir  conjointement  avec  les  for- 
ces anglaises. 

a  Vous  occuperez  (disent  ses  instructions),  dans  les  mô- 
mes conditions  que  nos  alliés  et  au  même  titre  l'île  de  Cliu- 
san.  »  —  L'amiral  anglais  se  propose  d'établirdans cette 
île  sa  hase  d'opération.  De  notre  part,  cette  occupation 
n'a  point  le  même  but,  c'est  un  acte  de  présence  et  non 
un  point  de  départ  pour  nos  opérations  militaires. 

XXXIII.  —  Les  nouvelles  continuent  à  confirmer  les 
prévisions  d'une  forte  résistance  de  la  part  des  Chinois 
dans  les  forts  de  Ta-kou  ;  leur  confiance  sans  bornes  re- 
pose sur  la  grande  (juanlité  de  troupes  qu'ils  ont  réunies 
au  Peï-ho  et  portées  à  un  nombre  considérable. —  Dans 
la  presqu'île  de  Hi-hai-men,  pays  important  au  nord  de 
l'einhoucliure  du  Yang-tse-kiang,les  paysans  ont  détruit 
plusieurs  étahlissements.chréliens.  —  Il  faut  évidemment 
se  préparer  à  la  guerre  et  faire  tous  ses  efforts  pour  la 
porter  promptcment  sur  les  lieux  où  les  armes  alliées  onl 
éprouvé  un  échec  le  25  juin  1859. 

Du  reste,  le  mauvais  vouloir  des  hautes  autorités  chi- 
noises ne  tarde  i)as  à  se  déclarer  ouverlenienl.  —  La 
réponse  du  cabinet  de  Pé-king  à  fullimatum  des  puis-  . 
sauces  alliées  est  môme  formulée  d'une  manière  plus 
nette  et  plus  catégorique  qu'on  ne  pouvait  l'attendre  des 
habiludes  évasives  ùc  la  di|)lomalie chinoise.  —  Toutefois, 
par  une  exception  aux  usages  invariablement  établis  dans 
les  communications  adressées  de  Pé-king  aux  autorités 
provinciales,  cette  note  que  le  vice-roi  avait  élé  chargé 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  53 

de  communiquer  in  extenso,  n'était  point  basée  sur  un 
décret  impérial  (1). 

M.  de  Bourboulon,  ministre  de  France  en  Chine,  après 
avoir  conféré  avec  son  colIÔAue  d'Andeterre  sur  celle 


(1)  Ilcponse  du  caMnel  de  Pé-king  à  l'ultimatum  du  gouvernement 
français,  adressée  sous  forme  de  dépêche  par  le  grand  conseil  à  IIo, 
gouverneur  général  des  deux  Kiang. 

Pé-king,  fin  mars  1860. 

Le  grand  Conseil  a  reçu  hier  la  dépêche  de  Votre  Excellence,  trans- 
mettant une  lettre  officielle  de  Bourboulon  ,  envoyé  français,  qui  ayant 
été,  à  ce  qu'il  dit,  empêché  par  les  autorités  chinoises  (ie  se  rendre 
à  la  capitale,  lorsque,  dans  l'intention  d'échanger  les  ratifications  du 
traité,  il  fut  arrivé  à  l'emhouchure  du  Peï-ho  dans  le  courant  de  la 
cinquième  lune  de  l'année  dernière,  demande  le  remboursement  des 
frais  de  la  guerre  et  une  indemnité  pour  l'attaque  dont  un  de  ses  na- 
vires aurait  été  l'objet.  Le  grand  Conseil  trouve  que  ce  n'est  pas  la 
Chine  qui  s'est  montrée  déloyale  en  cette  occasion,  car  ce  sont  les 
Anglais  qui ,  au  mépris  des  ordres  que  nous  avions  le  droit  de  leur 
donner,  vinrent  avec  une  armée  à  l'entrée  du  fleuve  de  Tien-tsin, 
pour  y  détruire  les  obstacles  préparés  pour  sa  défense.  Les  Français 
et  les  Américains  ne  se  sont  pas  joints  à  eux:  aussi  les  autorités  du 
port  se  sont-elles  empressées  d'envoyer  auprès  d'eux  demander  des  in- 
formations ,  et  enjoindre  à  leurs  navires  de  prendre  la  route  de  Peh- 
tang  pour  se  rendre  à  la  capitale.  Mais  comme  le  navire  français 
était  déjà  parti,  ce  furent  les  Américains  seuls  qui  vinrent  de  Peh- 
tang  échanger  leur  traité,  la  raison  en  était  que  les  Français  avaient 
négligé  de  nous  notifier  officiellement  qu'ils  étaient  arrivés  à  la  suite 
des  Américains.  D'ailleurs,  après  le  départ  des  Français,  Votre  Ex- 
cellence leur  a  fait  savoir  par  une  dépèche  adressée  à  Shanghai,  que 
puisqu'ils  ne  s'étaient  pas  joints  à  l'attaque,  ils  pouvaient  échanger 
leur  traité,  pourvu  qu'ils  en  exprimassent  le  désir  et  se  rendissent,  à 
l'instar  des  Américains  ,  à  Peh-tang.  Les  archives  en  font  foi. 

Quant  au  paragraphe  concernant  le  payement  des  dommages-inté- 
rêts pour  l'attaque  et  la  destruction  d'un  navire,  ainsi  que  d'une  in- 
demnité pour  les  frais  de  la  guerre,  puisque  les  Français  n'ont  pas 
aidé  les  Anglais  dans  leurs  hostilités  contre  les  Chinois ,  comment 
aurions-nous  pu  attaquer  ou  détruire  leurs  navires?  Et  si  l'on  parle 
de  dommages  et  intérêts  ou  indemnités  de  guerre,  la  Chine  a  dépensé 


54  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

réponse  empreinte  comme  toujours  d'un  ton  d'arrogance 
et  de  dédaigneuse  supériorité,  pensa  qu'elle  devait  être 
considérée  comme  un  refus  formel  du  gouvernement 
chinois  d'adhérer  aux  conditions  contenues  dans  l'ulti- 
matum. —  Les  deux  ministres  rédigèrent  donc  collecti- 
vement le  mémorandum  suivant  : 

MÉMORANDUM. 

«Les soussignés, Envoyés  extraordinaires,  s'étanl com- 
muniqué mutuellement  les  documents  émanés  du  Con- 
seil général  de  l'empire  chinois  qui  leur  ont  été  transmis 
ofticiellement  par  le  Commissaire  impérial  Yice-Roi  des 

assurément  .pendant  ces  dernières  années  millions  sur  millions  en  vue 
de  la  guerre,  et  s'il  s'a;;issait  de  remboursements  réciproqies,  ce  qu'on 
pourrait  réclamer  de  la  Chine  n'atteindrait  certes  pas  la  moitié  de 
ce  qui  lui  serait  dû  à  elle. 

D'ailleurs  la  France  ayant  sollicité  l'année  dernière  avec  instance 
rassimilation,  pour  le  payement  des  droit>  à  'Jai-ouan  et  autre  port, 
de  soucomm  rce  à  celui  des  Américains  le  grand  Empereur,  toujours 
plein  de  compassion  pour  les  étrangers,  ne  les  traitant  qu'avec  une 
libérale  humanité,  et  n'ayant  que  de  la  so.lic  tude  pour  le  commerce, 
jia  pas  voulu  tenir  compte  de  ce  que  'e  traité  français  n'avait  pis  été 
échangé,  et  a  daigné  étendre  aux  Français  les  avant  ges  concédés  aux 
Américains.  N'était-ce  pas  les  traiter  avec  générosité?  Et  voici  que  les 
Français,  au  lieu  d'en  être  reconnaissants,  parlent  au  contraire,  d'ex- 
cuses, attaques,  dommage.^  el  intérêts  et  indemnité  de  guerre,  s'avi- 
sant  encore  dans  leurs  dépêches  d'indiquer  le  dernier  terme  des  délais 
à  cet  effet ,  toutes  choses  assurément  ausà  extravagantes  qu'inouïes  et 
déraisonnables. 

Pour  ce  qui  regarde  le  paragraphe  relatif  à  la  résidence  permanente 
àPé-king.  le  Conseil  trouve  que  le  traité  français  n'en  dit  pas  un  mot; 
car  r.irticle  2  stipule  seulement  :  que  dans  le  cas  où  une  autre  puis- 
sance inscrirait  dans  son  trai  é  qu'elle  enverrait  des  ambassadeurs  ou 
envoyés  pour  ré>ider  dans  notre  capitale,  la  France  pourrait  égale- 
ment en  faire  autant.  Or,  l'Angleterre  ayant  fait  l'année  dernière  les 


LIVRE   I,   CHAPITRE   U.  55 

Ueux-Kiang,  en  réponse  aux  ultimatum  de  leurs  gouver- 
nements respectifs  qui  ont  été  notifiés  au  cabinet  de  Pé- 
king  le  9  du  mois  dernier,  sont  demeurés  d'accord  que 
ces  réponses,  par  cela  même  qu'elles  ne  contenaient  rien 
rien  qui  pût  être  considéré  comme  une  acceptation,  con- 
stituaient un  refus  formel  des  demandes  du  gouverne- 
ment de  Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français  et  de  celui 
de  Sa  Majesté  Britannique  posées  dans  lesdits  ultimatum, 
outre  que  le  ton  très-peu  satisfaisant  dans  lequel  elles 
sont  conçues  écartait,  pour  le  moment,  toute  possibilité 
d'un  arrangement  pacifique  par  la  voie  des  négociations, 
c  Les  soussignés  sont  convenus,  en  conséquence,  qu'il 
ne  leur  restait,  conformément  à  leurs  instructions,  qu'à 


instances  les  plus  pressantes  à  ce  sujet,  il  lui  fut  répondu  catégorique- 
inent  par  les  commissaires  impé  iaux  Koueî  et  autres  que  cela  était 
impossible,  les  Français  n'ont  donc  en  aucune  façon  à  s'occuper  de 
cette  pffaire. 

Reste  leur  demande  d'être  autorisés  à  venir  au  Nord  pour  échanger 
les  ratifications  de  leur  traité. 

Et  il  e>t  à  dire  à  cet  égard  que  si  les  Français  veulent  se  soumettre 
à  ce  que  Votre  Excellence  entre  en  négociaiion  avec  eux  à  Shanghai, 
au  sujet  de  ce  qui,  dans  le  traité,  doit  avoir  son  plein  et  entier  effet, 
ils  pourront  évidemment  y  être  autorisés  après  que  tout  aura  été  con- 
venu et  quil  n'y  aura  plus  d'objection  de  part  ni  d'autre,  n'amenant 
bien  entendu,  avec  eux,  aux  termes  du  traité,  que  peu  de  monde  et 
pas  de  bâtiments  de  guerre.  Dans  ce  cas,  la  Chine  ne  manquera  pas 
de  les  traiter  convenablement,  pourvu  encore  qu'ils  prennent  la  route 
de  Peh-tang. 

Mais  s'ils  viennent  avec  des  navires  de  guerre,  et  s'ils  se  présentent 
devant  Ta-kou ,  c'est  qu'ils  n'auront  pas  l'iniention  sincère  d'échanger 
les  ratifications  de  leur  traité,  mais  seront  mus  au  contraire  par  de 
mauvais  sentimt^nts  Aussi .  pour  éviter  que  cela  ne  donne  lieu  à  des 
sou|içons,  à  de  l'iniraiiié  et  à  d'autres  inconvénients  semblables,  est- 
il  nécessaire  que  Votre  Excellence  fasse  pleinement  connaître  ce  qui 
précède  à  l'envoyé  de  France. 


56  CAMPAGNE   DK  CHINE. 

remctirc  aux  commandants  en  clicf  des  forces  de  terre 
et  de  mer,  françaises  et  anglaises,  en  Chine,  le  soin  de 
concerter  les  mesures  coercitives,  qui,  suivant  la  marche 
tracée  par  les  instructions  des  deux  gouvernements,  leur 
paraîtraient  les  plus  à  propos  pour  contraindre  le  gou- 
vernement chinois  à  observer  ses  engagements  et  à  don- 
ner aux  Puissances  alliées  les  réparations  que  sa  conduite 
déloyale  dans  les  événements  du  mois  de  juin  de  l'année 
dernière  a  si  amplement  motivées. 

Shangliai,  4  avril  18G0. 

a  A.  DE  BOURBOULON. 

«  F.  W.  A.  Bruce.  » 

XXXIV.  —  Il  faut  ajouter  que  la  pièce  diplomatique 
émanée  du  gouvernement  chinois  avait  été  adressée  sous 
forme  de  dépèche  au  gouverneur  général  Ho,  au  lieu  de 
l'être  directement  aux  ministres  alliés,  en  réponse  à  leur 
ultimatum;  ce  fait  constituait  une  preuve  nouvelle  de 
l'arrogance  hautaine  avec  laquelle  la  cour  de  Pé-king 
prétendait  traiter  les  puissances  européennes  et  leurs 
représentants.  — M.  de  Bourboulon  écrivit  donc,  en  ou- 
tre, au  Gouverneur géiiéial  des  Deux-Kiang  pour  consta- 
ter à  ses  yeux  en  termes  nets  et  sévères  ce  nouveau 
manque  d'égards,  et  le  prier  de  porter  à  la  connaissance 
du  grand  Conseil  son  juste  mécontentement. 

Voici  sa  lettre  : 

Shanghai,  11  avril  1860. 

«  Le  soussigné  a  l'honneur  d'accuser  réception  au  gou- 
verneur général  des  Deux-Kiang  de  la  dépêche  que  Son 


LIVRE  I,   CHAPITIIE  II.  57 

Excellence  lui  a  transmise  tout  récemment,  porlant  la 
date  du  5  courant,  et  lui  communiquant  la  réponse  faite 
par  le  cabinet  de  Pé-king  à  l'ultimatum  du  gouvernement 
impérial  de  France.  Celte  réponse  n'étant  pas  une  accep- 
tation pure  et  simple  dudit  ultimatum,  le  soussigné  re- 
grette d'avoir  à  annoncer  au  gouverneur  des  Deux-Kiang 
qu'il  la  considère  comme  un  refus  catégorique,  de  la  part 
du  gouvernement  chinois,  de  toute  satisfaction  pour  une 
longue  série  de  griefs  dont  la  France  a  à  lui  demander 
le  redressement,  justifiant  à  l'avance  toutes  les  mesures 
que  le  soussigné,  dans  la  poursuite  de  celte  juste  répara- 
tion, jugera  le  mieux  appropriées  à  cet  effet.  Il  y  a  d'ail- 
leurs un  fait  qui,  à  part  ce  refus,  suffirait  à  lui  seul  pour 
rendre  uupossible  tout  arrangement  pacifique  du  diffé- 
rend qui  nous  divise.  Ce  fait,  c'est  l'oubli  constant  de  la 
part  du  cabinet  de  Pé-king  des  égards  et  de  la  courtoisie 
dus  au  liaut  représentant  de  l'un  des  plus  puissants  em- 
pires du  monde.  Le  soussigné  ne  saurait  admettre,  en 
effet,  qu'en  s'adressant  au  premier  ministre  de  la  Chine, 
comme  il  l'a  fait  pour  lui  transmettre  l'ultimatum  de  son 
gouvernement,  il  n'en  reçoive  pas  une  réponse  directe; 
c'est  un  procédé,  répété  du  reste  déjà  plusieurs  fois,  qui 
ne  témoigne  que  de  l'arrogance,  et  ce  ton  est  inexplica- 
ble dans  la  position  respective  oij  se  trouvent  la  France 
et  la  Chine.  Le  soussigné  s'empresse  d'en  informer  le 
gouverneur  général  des  Deux-Kiang  elle  prie  de  vouloir 
bien  porter  ce  qui  précède  à  la  connaissance  du  cabinet 
de  Pé-king.  » 

«  A.   DE  COURBOULON.    » 


58  CAMPAGNE   DK  CHINK. 

XXXV.  —  Suivant  les  instructions  de  S.  E.  le  ministre 
des  Affaires  étrangères  de  France{l),  notre  représentant 
fit  ensuite  savoir  par  une  lettre,  en  date  du  16  avril,  au 
général  de  Montauban,  commandant  en  chef  les  forces 
déterre  et  de  mer  en  Chine,  que,  par  suite  de  la  réponse 
négative  du  cabinet  de  Pé-king  aux  demandes  adressées 
parla  France,  il  ne  restait  plus  qu'à  faire  appel  à  l'action 
militaire,  et  qu'il  remettait  tous  ses  pouvoirs  entre  les 
mains  du  commandant  en  chef. 

M.  Bruce,  ministre  d'Angleterre,  adressa  la  même  com- 
munication à  l'amiral  Hopc  et  au  général  Grant. 

«  Mon  premier  soin  (écrit  le  général  de  Montauban  au 
Ministre  de  la  guerre,  à  la  même  date  du  16  avril),  a  été 
de  réunir  les  deux  ministres,  M.  le  général  en  chef  Grant 
elles  contre-amiraux  Page  et  Jones  (ce  dernier  rempla- 
çant l'amiral  Hope,  resté  à  Hong-kong),  [)Our  établir, 
préalablement  aux  opérations  militaires,  certains  points 
qu'il  me  semblait  nécessaire  de  fixer. 

«  Il  était  important  de  s'entendre  sur  le  sens  des  in- 
structions données  aux  commandants  supérieurs  des 
forces  britanniques  et  au  ministre,  M.  Bruce.  » 

Le  premier  point  de  ces  instructions  était  l'application 
d'un  blocus  et  la  suppression  du  cabotage,  à  partir  du 
Yang-tse-kiang  jusqu'au  golfe  du  Pe-tcbili  et  du  Le-ao- 
tong. 

tt  Ces  mesures  (écrit  le  général  en  chef),  sans  utilité 
pour  nos  opérations  militaires,  pouvaient  jeter  dans  l'in- 

(1)  Dépêche  du  30  décemLre  1859.  à  M.  de  Boiirbouloii. 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  59 

téricur  du  pays  plus  de  cent  mille  marins  chinois  sans 
travail  et,  par  suite,  disposés  à  troubler  partout  l'ordre 
que  nous  cherchions  à  maintenir. 

Œ  II  existait  une  telle  urgence  à  s'écarter  des  instruc- 
tions du  cabinet  anglais  que,  malgré  leur  précision,  nous 
avons  entraîné  l'avis  unanime  des  chefs  et  du  ministre 
anglais  qui,  du  reste,  avait  fait  un  mémorandum  pour 
son  gouvernement,  afin  de  lui  exposer  tous  les  dangers 
que  pourraient  occasionner,  pour  le  commerce  européen 
et  la  sécurité  des  personnes,  l'application  du  blocus  et  la 
suppression  du  cabotage  du  Yang-tse-kiang  jusqu'aux 
golfes  du  Pe-tchili  et  du  Le-ao-tong. 

«  Il  a  donc  été  arrêté  qu'aucune  démonstration  hos- 
tile n'aurait  lieu  vis-à-vis  des  populations  paisibles,  et 
que  les  communications  ou  manifestes  de  guerre  se- 
raient adressées  directement  au  gouvernement  chi- 
nois. Cette  manière  d'agir  laissera  les  populations  chir 
noises  dans  un  état  de  neutralité  complète  dans  les 
opérations  que  nous  dirigerons  contre  le  gouvernement, 
tant  est  grande  leur  apathie  pour  tout  ce  qui  ne  touche 
pas  directement  leur  intérêt  personnel  ou  l'état  de  leur 
famille.  » 

XXXVI.  —  Du  reste,  les  intentions  du  gouvernement 
français,  dans  le  cas  où  la  guerre  par  le  rejet  de  l'ulli- 
malum  deviendrait  de  nouveau  inévitable  avec  la  Chine, 
étiiient  nettement  définies  dans  une  dépêche  du  ministre 
des  Affaires  étrangères. 

a  II  est  (écrivait  le  ministre),  une  dernière  démarche 


60  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

qu'il  vous  appartiendra  de  faire  lorsque  l'ouverture  des 
hostilités  aura  été  décidée.  Cette  démarche  consistera 
dans  la  publication  d'un  manifeste  que  vous  adresserez 
au  peuple  chinois,  dans  le  but  de  l'édifier  sur  les  motifs 
qui  auront  déterminé  l'état  de  guerre. 

«  Vous  rappellerez  dans  cette  pièce  que  M.  le  baron 
Gros  avait  signé  à  Tien-tsin  une  convention  à  Inquelle 
l'empereur  de  la  Chine  avait  donné  son  assentiment  et 
dont  les  ratifications  devaient  s'échanger  à  Pé-king;  que 
cependant,  lorsque  vous  vous  ôtes  présenté  amicalement 
au  i*eï-ho,  pour  vous  diriger  dans  ce  but  vers  la  capi- 
tale du  Céleste-Empire,  vous  avez  été,  contre  toute 
attente,  mis  dans  l'impossibilité  de  le  fiiire,  en  même 
temps  qu'on  outrageait  le  pavillon  français;  qu'ayant  à 
la  suite  d'actes  aussi  indignes,  réclamé  les  excuses  con- 
venables et  l'exécution  par  l'empereur  de  la  Chine  d'en- 
gagements solennels,  vos  justes  demandes  n'ont  éprouvé 
que  des  refus,  comme  celles  de  même  nature  présentées 
au  nom  de  Sa  Majesté  Britannique. 

«  Vous  ajouterez  qu'en  conséquence  vous  êtes  chargé 
d'obtenir  du  gouvernement  chinois,  par  la  force,  et  tout 
en  évitant  d'ailleurs,  autant  que  possible,  d'interrompre 
les  relations  que  le  commerce  étranger  entretient  avec 
les  populations  paisibles  de  la  Chine,  les  réparations  que 
la  conduite  du  cabinet  de  iȎ-king  nous  oblige  d'exiger  de 
lui,  l'accomplissement  des  engagements  contractés  par 
l'Empereur  elle  payement  d'une  indemnité  qui  dédom- 
mage le  gouvernement  fr-inçais  des  sacrifices  de  toute 
nature  fjuelui  aura  coûté  l'expédition.  M.  ISnice  |)ubliera 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  61 

un  manifeste  semblable  au  nom  du  gouvernement  de 
Sa  Majesté  Britannique. 

«  La  déclaration  que  contiendra  votre  manifeste  rela- 
tivement à  notre  désir  de  ne  faire  porter,  autant  que  pos- 
sible, que  sur  le  gouvernement  chinois  le  châtiment 
qu'appelle  sa  conduite,  et  de  continuer  à  vivre  en  bonne 
intelligence  avec  les  populations  elles-mêmes  sur  les 
points  de  l'empire  où  elles  ne  nous  donnent  pas  de 
griefs,  est  en  harmonie  avec  le  plan  de  campagne  arrêté 
entre  les  gouvernements  aUiés.  Les  opérations  de  guerre 
projetées  ne  doivent  affecter,  en  eflét,  que  les  parages 
placés  au  nord  du  Yang-tse-kiang,  et  ce  ne  serait  que 
si  des  incidents  nouveaux  ou  des  motifs  sérieux  et  légi- 
times en  amenaient  la  nécessité,  que  les  commandants 
des  forces  alliées  élargiraient  le  cercle  de  leurs  opéra- 
tions. » 

XXXYII.  —  Le  général  de  Monta uban  vient  de  rece- 
voir la  nouvelle  que  S.  M.  l'empereur  Napoléon  III  a 
ordonné  l'envoi  d'un  vice-amiral  désigné  au  commande- 
ment en  cbef  des  forces  navales  françaises  dans  les  mers 
de  la  Chine.  —  Par  suite  de  celte  nouvelle  décision,  le 
général  de  Montauban  prendra  le  titre  de  Commandant 
en  chef  de  V  Expédition  de  Chine. 

Cette  résolution,  inspirée  par  la  posilion  de  l'amiral 
Hope  vis-à-vis  du  général  Cirant,  munis  tous  deux  de 
connnandemcMils  nettement  délinis,  était  une  néces>ité 
créée  par  le  fait  même  d'une  guerre  entreprise  en  coinnnm 
avec  des  alliés,  mais  elle  ne  partageait  pas  le  comman- 


62  CAMPAGNE  UE  CHINE. 

dément  en  chef  relativement  aux  opérations  à  enlie- 
prendrepour  l'expédition  projetée.  Les  instructions  don- 
nées à  l'amiral  étaient  claires  et  précises:  il  devait 
apporter  son  concours  au  général  de  iMonlaiiban  toutes 
les  fois  que  celui-ci  jugerait  à  propos  de  le  lui  demander, 
et,  si  pour  des  raisons  purement  navales  l'amiral  se 
croyait  dans  la  nécessité  de  le  refuser,  il  devait  exposer 
parécrit  au  commandant  en  chef  les  raisons  de  son  refus. 

Aussi  celte  nouvelle  position  faite  à  la  marine  lui  don- 
nait un  chef  direct,  immédiat,  qui,  par  l'élévalion  de  son 
grade  pouvait  traiter  d'égal  à  égal  avec  sir  Hope  GranI, 
mais  n'ôtail  rien  au  commandement  en  chef  de  son  unité 
et  n'exposait  pas  les  opérations  futures  à  des  lenteurs 
et  à  des  entraves,  conséquences  inévitables  des  comman- 
dements partagés. 

Le  19  avril  au  matin,  le  vice-amiral  Cbarner  arrive  à 
Shangbai  et  prend  possession  de  son  commandement. 

Les  bâtiments  qui  portent  les  troupes  et  le  matériel 
étaient  arrivés  au  cap  de  Bonne-Espérance,  à  la  date  du 
23  au  25  février,  à  l'exception  de  deux  transports,  le  Jura 
etCIsère.  —  Après  une  relâche  d'une  moyenne  de  quinze 
jours,  ces  bâtiments  se  sont  dirigés  les  uns  directement 
sur  Hong-kong,  les  autres  ont  passé  par  Singapour. 

Dans  le  courant  du  mois  de  mai,  les  arrivages  de 
troupes  seront,  selon  toute  apparence,  terminés,  et  le 
général  en  chef  pourra,  dès  lors,  commencer  ses  pre- 
miers mouvements  de  concentration. 

Les  forces  anglaises  se  montent  à  12  263  hommes,  — 
sur  ce  nombre  on  compte  1298  cavaliers. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  H.  63 

Le  corps  expéditionnaire  français  ne  compte  que 
6  790  hommes,  comme  effectif  de  troupes. 

XXXVIII.  —  Pour  ne  pas  retarder  l'occupation  de 
Chusan,  le  général  de  Montauban  s'est  décidé  à  appeler 
200  hommes  de  la  garnison  de  Canton  ;  le  contre-amiral 
Page,  auquel  est  confié  le  commandement  de  cette  pe- 
tite expédition,  est  parti  de  Woo-sung,  port  de  Shang- 
hai, le  19  avril  à  9  h.  du  matin  sur  le  Duchayla.  —  Le  20, 
à  7  heures  du  matin,  il  mouillait  en  rade  de  Kîng-tang 
où  il  trouvait  les  canonnières  l'Alarme  et  r Avalanche  qui 
l'avaient  précédé. 

Le  20,  au  soir  le  Saigon  amenait  à  ce  mouillage  les  deux 
compagnies  venues  de  Canton. —  Kins-lang  est  le  lieu  de 
rendez- vous.  Le  même  soir,  arrivent  les  troupes  anglaises 
au  nombre  de  1000  hommes  environ. 

Le  contre-amiral  Page,  le  contre-amiral  Jones  et  le  géné- 
ral anglais  décident  que  l'expédition  fera  route  le  lende- 
main pour  Chusan.  La  flottille  alliée  mouillera  d'abord 
dans  le  sud  des  îles  Rawan  et  sommera  la  ville  de  se  rendre . 
—  Si  elle  refuse,  l'attaque  commencera  immédiatement. 

Le  21,  à  5  heures  du  matin,  les  deux  amiraux  alliés  se 
mettent  en  marche  :  la  petite  escadre  française  tient  la 
tête.  Tous  les  bâtiments  défilent  devant  les  forts  qui  défen- 
dent la  radedeTching-hai,  capitale  des  îles.  Pas  un  coup 
de  canon  ne  part  de  ces  forts;  ils  sont  désarmés.  Les  bâ- 
timents jettent  l'ancre  et  deux  embarcations  portant  les 
officiers  parlementaires  des  deux  nations  abordent  à 
terre  et  somment  les  autorités  du  pays  de  livrer  l'ile  aux 


64  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

alliés.  Celles-ci  n'opposent  aucune  résistance,  disant  : 
qu'elles  ne  pouvaient  défendre  l'île  contre  des  forces  aussi 
considérables  de  terre  et  de  mer. 

La  convention  donlétaicnt  portcursles  officiers  parle- 
mentaires l'ut  aussi  toi  signée  et  les  troupes  débarquées  sans 
relard.  — Les  Français  occupèrent  les  forts  de  Tanbill,  et 
les  Anglais  l'ancienne  caserne  anglaise  située  sur  la  plage. 

Le  lieutenant  colonel  Martin  des  Pallières,  de  l'infan- 
terie de  marine,  est  chargé  du  commandement  supérieur 
des  troupes  françaises,  M.  de  Méritens,  attaché  à  la  léga- 
tion de  France,  est  nommé  commissaire. 

XXXIX.  —  Dès  le  lendemain,  tout  le  pays  était  tran- 
quille et  les  pouvoirs  alliés  fonctionnaient  sans  entrave. 
Une  proclamation,  placardée  dans  tous  les  carrefours  et 
sur  les  places  publiques  de  Ting-hai,  avait  fait  savoir 
aux  habitants  qu'ils  pouvaient  se  livrer  en  toute  sécurité 
à  leur  commerce  sous  la  protection  des  alliés. 

Du  reste,  le  fait  suivant  qui  se  passa  à  l'occasion  de  notre 
installation  dans  riic  de  Chusan  vint  de  nouveau  donner 
la  mesure  des  sentiments  de  patriotisme  dont  les  popu- 
lations chinoises  sont  animées.  —  A  peine  Chusan  fut-il 
occupé,  qu'une  députalion  envoyée  deXing-Po,  ville  con- 
sidérable du  continent,  exprima  aux  alliés  combien  il 
était  re.urctiabli;  iju'ils  n'eussent  point  choisi  de  préfé- 
rence leur  ville,  dont  les  ressources  de  toute  nature 
étaient  bien  supciieures  à  celles  de  Chusan  (1). 

(1)  Dépèche  du  général  commandant  en  chef  à  S.  E  le  Ministre  de 
la  guerre,  26  avril  1860. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  II.  65 

L'administration  de  l'empire  cliinois  est  si  tristement 
organisée,  le  pouvoir  est  si  faible,  si  corrompu,  si  dis- 
crédité,  que  les  populations  paisibles  et  laborieuses  des 
provinces  craignent  à  tout  instant  de  se  voir  livrées  à 
la  merci  des  bandes  de  pillards  qui  répandent  partout 
impunément  le  désordre.  —  Là  où  sont  les  Européens, 
régnent  l'ordre  et  la  tranquillité. 

La  rade  de  Chusan  est  un  très-grand  lac  fermé  de  tous 
côtés  par  des  montagnes  et  des  îles;  elle  est  ainsi  abritée 
de  tous  les  vents.  Placée  dans  l'embouchure  du  Yang- 
Ise-kiang  dans  la  mer  Jaune,  elle  offre  des  passes 
bonnes  et  faciles  à  défendre.  —  L'île  entière  se  compose 
de  dix-huit  districts  —  le  chiffre  de  sa  population  dé- 
passe 200  000  habitants. 

Sous  le  double  point  de  vue  commercial  et  politique, 
son  importance  est  supériem^e  à  celle  de  Hong-kong,  et 
nul  doute  que  les  Anglais  ne  convoitent  ardemment  la 
possession  de  celte  île  où  déjà  ils  s'étaient  établis  au- 
trefois. 

XL.  —  Le  partage  des  établissements  destinés  à  l'oc- 
cupation fut  fait  sur  le  pied  d'égalité  complète  ;  —  car  il 
avait  été  bien  stipulé  entre  les  commandants  en  chef  que 
notre  infériorité  numérique  momentanée  ne  devait,  en 
aucun  cas,  entrer  en  ligne  de  compte  dans  la  répartition. 

Par  les  soins  de  l'amiral  Page,  les  troupes  campées 
en  dehors  de  la  ville  dans  les  meilleures  conditions  dé- 
sirables, occupent  militairement  les  forts  du  nord-est, 
elles  sont  logées  dans  une  immense  pagode  à  mi-côte 
II  5 


66  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

d'une  colline  parfaitement  bois6c  cl  à  proximité  cTuiie 
source  d'eau  excellente. 

Deux  commissaires  français  et  deux  commissaires  an- 
glais sont  nommés  pour  la  police  de  la  ville. 

«  Ces  quatre  commissaires  (écrit-on  de  Gliusan) ,  de- 
meurent ensemble.  C'est  un  prétoire  commun,  et  toutes 
leurs  relations  avec  l'autorité  cjiinoise  sont  également 
établies  d'accord. 

«Ils  en  réfèrent,  pour  toutes  les  décisions  impor- 
tantes, aux  commandants  supérieurs.  Ces  commissai- 
res ont  sous  leur  direction  la  police,  pour  la  sécurité 
de  la  ville  ;  cette  police  se  compose  de  20  hommes  de 
chaque  force  alliée  commandée  par  un  officier,  cha- 
que police  a  son  quartier  sur  lequel  elle  doit  veiller. 
L'autorité  chinoise  a  fourni  un  même  nombre  d'agents 
qui  fonctionnent  conjointement  avec  les  deux  polices 
des  alliés.  —  Tout  marche  très-bien  en  vertu  d'instruc- 
tions particulières  données  à  chaque  commissaire,  en 
attendant  un  règlement  définif  arrêté  par  les  comman- 
dants en  chef.  •> 

XLI.  —  L'amiral  Protêt  est  de  retour  de  sa  reconnais- 
sance dans  le  nord  de  la  Chine.  —  Contrarié  par  un  vent 
très-violent  et  par  une  mer  mauvaise,  il  a  cependant 
exploré  les  différents  mouillage  du  golfe  de  Pe-tchili  et 
recherché  les  endroits  les  plus  favorables  à  un  débar- 
quement. 

L'amiral  a  visité  Wti-ha-weï,  qui  pourrait  servir  au 
besoin  de  point  de  débarquement.  Son  mouillage  est 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  67 

bon  et  abriterait  40  bâtiments  au  moins.  — De  là  il  s'est 
rendu  à  Tché-fou. 

«  Le  pays  (écrit  cet  amiral),  est  parfaitement  disposé 
pour  un  campement,  fût-il  de  2S  000  hommes.  Il  y  a 
de  l'eau  et  du  bois  suffisamment.  On  y  trouve  plusieurs 
mouillages  dont  la  tenue  est  excellente.  Yis-à-vis  la 
presqu'île  de  Tché-fou,  dans  le  sud-quart-sud-ouest,  k 
quatre  ou  cinq  milles  de  distance,  tout  près  de  la  partie 
sud  de  l'isthme,  est  la  ville  de  Yen-taï,  de  50  000  habi- 
tants, plus  quatre  villages  assez  considérables,  deux  à 
l'est  et  deux  à  l'ouest.  Cette  ville  est  abritée  des  vents  de 
l'ouest  par  des  montagnes  assez  élevées  dont  les  versants 
sont  cultivés  ;  elle  est  construite  dans  une  plaine  sur  le 
bord  de  la  mer.  Le  pays  est  très-riche.  » 

L'amiral  a  aussi  exploré  le  mouillage  des  îles  Mia-tao. 
Il  est  bon  ;  mais  ce  point,  sans  ressources  et  sans  in- 
fluence, n'offre  que  l'avantage  d'être  plus  rapproché  du 
Peï-ho  que  Tché-fou. 

Sur  la  côte,  entre  les  rivières  de  Tchi-ho  et  du  Peï-ho, 
on  pourrait  débarquer;  mais  les  troupes  auraient  à 
parcourir,  en  dehors  des  embarcations  à  marée  basse, 
3500  mètres  dont  1000  environ  sur  la  vase  molle,  pour 
arriver  jusqu'à  la  plaine  où  l'on  pourrait  camper. 

L'amiral,  pris  par  le  mauvais  temps,  n'a  pu  reconnaître 
Tchi-ho. — Il  a  aperçu  seulement  à  travers  la  brume  les 
forts  du  Peï-ho  qui  lui  ont  paru  en  très-bon  état. 

Cette  exploration  sommaire,  qui  devait  être  complétée 
plus  tard  dans  son  ensemble,  comprenait  les  abords  de 
la  côte,  depuis  le  cap  Chang-toung  qui  forme  l'extrême 


68  CAMPAG.NE   DE   CHINE, 

pointe  dans  la  mer  .laiine.—  Le  contre-amiral  avait  seu- 
lement visité  la  baie  Liu-shun  et  celle  ïa-lien-liouan  où 
pourraient  venir  mouiller  100  bâtiments  de  guerre  à  l'a- 
bri de  tous  les  vents. 

XLII.  —  L'arrivée  des  troupes  commence  à  s'effec- 
tuer. 

Deux  bâtiments  de  ti'ansporf,  V Enlrèprenan.tc  et  la  Ga- 
ronne, ont  mouillé  le  1"  mai  dans  la  rade  de  Woo-soung. 
Le  général  Jamin,  commandant  en  second  de  l'expédi- 
tion, est  sur  le  premier  de  ces  navires  qui  amène  1012 
lionunes  du  101*=  régiment.  —  La  Garonne  en  trans- 
porte 713(1). 

Le  général  de  Montauban  donna  aussitôt  des  ordres 
pour  que  les  deux  bâtiments  ti'ans[)ortas£ent  ces  troupes 
à  Tché-fou  qu'il  avait  choisi  comme  point  de  rassem- 
blement général  du  corps  expéditionnaire.  Les  ren- 
seignements nouveaux  apportés  par  le  contre-ami- 
ral Protêt  sur  les  conditions  favorables  de  salubrité  et  de 
campement  qu'offrirait  ce  point  de  débarquement,  fai- 
saient vivement  désirer  au  commandant  en  chef  d'y  en- 
voyer sans  relard  ces  troupes  fatiguées  par  les  rudes 
épreuves  d'une  longue  traversée,  pour  qu'elles  pussent, 
avant  le  commencement  des  opérations  projetées,  y 
trouver  un  repos  nécessaire. 

Mais  le  10  mai,  au  moment  où  les  bâtiments  allaient 


(1)  Pendant  la  traversée,  V Entreprenante  avait  perdu  trois  capo- 
raux et  six  soldats  ;—  la  Garonne  avait  débarqué  son  effectif  au  complet. 


LIVRE   I,   CHAPITRE   II.  69 

prendre  la  mer,  le  ministre  d'Angleterre,  M.  Bruce,  \int 
prier  le  général  en  chef  français  de  suspendre  ce  départ, 
afin  qu'il  s'effectuât  collectivement  avec  celui  des  An- 
glais. 

«  Les  deux  drapeaux  alliés  ont  flotté  ensemble  sur 
les  forts  de  Ting-hai  (dit  M.Bruce  au  général  de  Mon- 
tauban)  ;  il  est  juste  que  les  troupes  anglaises  marchent 
parallèlement  aux  troupes  françaises  dans  le  Nord.  » 

Le  général  de  Montauban,  jaloux  de  montrer  en  toute 
occasion  quel  prix  il  attachait  à  un  accord  parfait  avec 
ses  alliés  dans  les  opérations  militaires,  n'hésista  pas  à 
obtempérer  à  cette  demande.  Mais,  préoccupé  de  la  si- 
tuation insalubre  de  ses  troupes  dans  la  rade  de  Woo- 
song,  il  écrivit  au  général  Grant  pour  lui  faire  part  de 
ses  projets  d'installation  à  Tché-fou  et  le  prier,  dans 
l'intérêt  de  la  santé  des  troupes  nouvellement  arrivées, 
de  lui  faire  savoir,  par  le  retour  du  môme  courrier,  si 
son  intention  était  d'occuper  ce  point  conjointement  avec 
lui,  au  lieu  de  s'étabhr  à  Ta-lien-houan,  ainsi  qu'il  l'a- 
vait précédemment  décidé.  —  Le  général  français  en- 
voyait au  général  anglais  une  copie  des  plans  et  du 
rapport  de  la  dernière  reconnaissance  de  Tché-fou. 

XLin.  —  Quelques  jours  après  (16  mai),  le  lieutenant- 
colonel  SchmitZjChef  d'état-major  général,  porteur  d'une 
nouvelle  lettre  du  général  en  chef  français  au  général 
Grant,  partait  de  Woo-sung  pour  Hong-kong  avec  le  com- 
mandant Laffon-Ladebat ,  chef  d'état-major  de  la  ma- 
rine ;  tous  deux  avaient  mission  de  voir  l'amiral  Hope 


70  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

et  le  général  Grant  pour  arrêter,  d'accord  avec  les  deux 
commandants  en  chef,  une  date  très-prochaine  à  l'instal- 
lation des  troupes  dans  la  presqu'île  de  Tché-fou. 

Les  deux  chefs  d'état-major  se  rendirent  d'abord  au- 
près de  l'amiral  Hope. 

Aussitôt  qu'ils  lui  curent  exposé  l'objet  do  leur  mis- 
sion, l'amiral  anglais  déclara  :  qu'il  croyait  le  général 
de  Monlaubau  déjà  dans  le  nord  de  la  Chine  avec  une 
partie  de  ses  troupes  ;  aussi  avait-il  appris  avec  un  grand 
étonnemcnt,  par  la  lettre  adressée  an  général  Grant,  que 
ce  départ  avait  été  retardé.  La  démarche  de  M.  Bruce 
était  toute  personnelle  et  n'avait  nullement  été  concertée 
avec  les  commandants  en  chef  anglais.  Quant  à  lui,  il  ne 
voyait  aucun  inconvénient  au  mouvement  projeté  par 
les  Français  sm'  Tché-fou ,  et  remerciait  très-cordiale- 
ment le  commandant  en  chef  français  du  sentiment  de 
bon  accord  qui  lui  avait  fait  suspendre  son  départ. 

«  —  J'écris  à  l'amiral  Charner,  ajoula-l-il,  pour  lui 
faire  savoir  que  vers  le  10  juin  la  plus  grande  partie 
des  troupes  anglaises  sera  installée  à  Ta-lien-houan.  » 

En  effet,  le  mouvement  des  troupes  était  déjà  com- 
mencé, et  le  transport  qui  se  faisait  par  bâtiments  à 
voiles  devait  mettre'  (la  mousson  du  S.  0.  n'étant  pas 
encore  arrivée),  une  vingtaine  de  jours  pour  se  rendre 
à  destination. 

Le  général  en  chef,  sir  Hope  Grant,  fut  plus  exphcite 
encore  que  son  collègue  de  la  marine  ;  il  parut  très-con- 
trarié de  cet  incident  auquel  il  n'avait  pris  aucune  part, 
et  du  retard  apporté  ainsi  à  l'envoi  des  premières  trou- 


LIVRE  1,  CHAPITRE  II.  71 

pes  françaises  à  Tché-fou,  retard  qui  pouvait  exercer  une 
influence  fâcheuse  sur  la  santé  des  liommes.  Il  répéta  à 
plusieurs  reprises  :  «  —  J'avais,  dans  une  conversation 
particulière,  laissé  toute  latitude  au  général,  à  cet  égard.» 
a  Ainsi  (écrivait  le  colonel  Schmitz  en  terminant  son 
rapport  au  général  en  chef),  vous  pouvez  envoyer  vos 
troupes  à  Tché-fou  quand  vous  voudrez  et  dans  les  con- 
ditions que  vous  jugerez  convenables.  Pendant  que  vous 
opérerez  votre  mouvement  sur  ce  point,  les  Anglais  opé- 
reront le   leur  sur  Ta-lien-houan  et   vous   occuperez 
Tclié-fou  seul,  de  même  que  les  troupes  anglaises  occu- 
peront seules  le  point  choisi. 

«  Le  général  Grant  part  le  30  mai  de  Hong-kong  pour 
se  rendre  à  Shanghai  et  s'entretenir  avec  vous  au  sujet 
des  opérations  ultérieures.  L'amiral  Hope  donne  le  même 
rendez-vous  à  l'amiral  Charner.  » 

XLIV.  —  Au  moment  où  le  colonel  Schmilz  allait 
partir  pour  rejoindre  le  général  de  Montauban,  il  apprit 
que  le  transport  riscre,  qui  apportait  une  cargaison  con- 
sidérable en  harnachements  de  chevaux ,  souliers  et  vê- 
tements de  toute  nature,  avait  échoué,  le  17  mai,  dans  le 
port  d'Amoy.  L'arrivée  de  ce  bâtiment  était  impatiem- 
ment attendue,  aussi  le  chef  d'état-major  général  n'hésita 
pas  à  se  diriger  immédiatement  vers  Amoy,  pour  trans- 
porter sur  son  bâtiment  tout  ce  qui  pourrait  être  sauvé 
de  la  cargaison  de  riscre. 

«  Rien  n'est  plus  navrant  (  écrit  le  colonel),  que  le 
spectacle  de  ce  beau  bâtiment  dont  l'arrière  est  complé- 


72  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

Icincnl  submergé  jusqu'à  la  cheminée  de  l;i  machine. 
Comme  la  mer  est  haute,  toutes  les  cales  sont  envahies 
par  l'eau,  et  les  objets  de  l'intérieur  surnagent  au  milieu 
de  débris  de  toute  espèce;  le  pont  est  arraclié  de  toutes 
parts,  et  il  faut  attendre  la  basse  mer  pour  pouvoir  tra- 
vailler jusqu'au  fond  des  cales. 

«  A  quelques  encablures  de  Clsrrc,  il  existe  une  île  ro- 
cheuse sur  laquelle  on  transporte  toutes  les  caisses  que 
l'on  arrache  une  par  une  à  la  mer  qui,  par  sa  pression 
énorme,  en  brise  une  partie.» 

Les  harnachements  de  l'artillerie  sortis  de  l'eau  et  tous 
les  souliers  et  guêtres  de  cuir  furent  mis  à  bord  du  bâ- 
timent qui  avait  amené  le  chef  d'élat-inajor  général,  et 
le  colonel  repartit  aussitôt  pour  Shanghai. 

XLV.  —  Mais  l'Angleterre  ne  pouvait  perdre  de  vue 
ses  intérêts  commerciaux  si  considérables  dans  ces  con- 
trées lointaines.  Malgré  tous  ses  préparatifs  de  guerre, 
■elle  conserve  l'espoir  de  renouer  des  relations  pacifi- 
•  ques  qui,  tout  en  donnant  à  son  honneur  une  juste  satis- 
faction ,  assureraient  l'avenir  de  son  commerce  sérieu- 
sement compromis  par  une  guerre  véritable.  L'Angleterre 
espère  toujours  que  le  Céleste-Empire  sera  intimidé, 
dès  le  début,  et  qu'après  un  premier  succès,  la  diplo- 
matie pourra  reprendre  son  rôle  et  aplanir  les  dernières 
'Jtf/icultés.  —  Aussi  s'est-clle  décidée  à  envoyer  de  nou- 
veau en  Chine  lord  Elgin,  chargé  de  pleins  pouvoirs. 

La  France  dut  faire,  de  son  côté,  un  nouvel  appel  à 
la  haute  expérience  du  baron  Gros  et  le  charger  d'une 


LIVRE  I,   CHAPITRE  II.  73 

mission  semblable  avec  les  mêmes  pouvoirs  que  ceux 
accordés  au  plénipotentiaire  anglais. 

«  Les  circonslances  dans  lesquelles  le  cabinet  de  Lon- 
dres remettait  à  un  de  ses  membres  le  règlement  de  la 
question  de  Chine  (écrivait  à  ce  sujet  le  ministre  des 
Affaires  étrangères  de  France)  nous  obligeaient  évidem- 
ment de  désigner  un  plénipotentiaire  extraordinaire  qui 
fût  en  état  de  traiter  avec  le  gouvernement  cbinois  sur 
un  pied  d'égalité  avec  lord  Elgin,  et  le  choix  du  baron 
Gros  était  dès  lors  tout  naturellement  indiqué.  » 

Le  général  de  Montauban  fut  instruit  de  cette  décision 
des  gouvernements  alliés,  au  moment  où  tout  se  prépa- 
rait jjour  l'installation  de  ses  troupes  à  Tché-fou. 

Dans  l'ignorance  des  instructions  dont  Leurs  Excel- 
lences seraient  porteurs,  l'action  militaire  des  comman- 
dants en  chef  se  trouvait  momentanément  paralysée, 
mais  ceux-ci  n'en  continuèrent  pas  moins  activement  à 
organiser  leur  prochaine  entrée  en  campagne.  —  Il  n'é- 
tait pas  douteux,  en  effet,  que  les  hauts  plénipoten- 
tiaires, déjà  instruits  des  manœuvres  de  la  diplomalie 
chinoise  par  les  négociations  stériles  et  les  événements 
de  l'année  précédente,  n'appréciassent  la  gravité  de  la 
situation,  après  le  rejet  insolent  de  l'ultimatun)  par  la 
cour  de  Pé-king  et  ne  laissassent  un  libre  cours  aux  opé- 
rations militaires  qui  pouvaient  seules  obtenir  à  la  fois 
réparation  et  satisfaction  du  gouvernement  chinois. 

XLVI.  —  Il  ne  fallait  pas  se  le  dissimuler;  la  diplo- 
malie ne  pouvait  plus  honorablement  tenter  de  renouer 


74  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

les  négociations  interrompues,  en  face  de  ce  dédaigneux 
aveuglement  qui  prenait  chaque  jour  des  proportions 
plus  offensantes.  Un  succès  éclatant  et  incontestable  était 
nécessaire  pour  effacer  l'échec  du  Peï-ho;  sans  cela,  le 
nouveau  traité  de  paix  serait  signé  sur  le  sol  mouvant 
de  l'orgueil  chinois  et  violé,  môme  avant  sa  ratification 
à  Pé-king.  —  Le  passé  avait  apporté  avec  lui  un  trop 
grave  enseignement  pour  n'être  pas  pris  en  sérieuse 
considération. 

En  effet,  c'était  avant  que  les  deux  cabinets  de  France 
et  d'Angleterre  eussent  eu  connaissance  du  rejet  de 
l'ultimatum  que  le  baron  Gros  avait  été  chargé  de  se 
rendre  une  seconde  fois  en  Chine,  en  qualité  d'ambassa- 
deur extraordinaire  et  de  liant  commissaire. 

Le  21  avril  1860,  le  ministre  des  Affaires  étrangères, 
M.  Thouvenel,  adressait  au  baron  Gros  une  dépêche 
dans  laquelle  il  lui  détaillait  les  événements  importants 
qui  avaient  décidé  le  gouvernement  de  l'Empereur  à  faire 
de  nouveau  appel  à  sa  haute  expérience  et  à  son  dé- 
vouement. —  II  devait  s'entendre  et  agir  de  concert 
avec  lord  Elgin,  désigné  par  le  gouvernement  britanni- 
que pour  remplir  une  mission  analogue. 

«  Aucune  démarche  (écrivait  le  ministre),  n'a  été  faite 
par  le  gouvernement  chinois  auprès  des  ministres  de 
France  et  d'Angleterre  pour  témoigner  du  regret  des 
fâcheuses  circonstances  qui  avaient  mis  obstacle  à  l'é- 
change des  ratifications  des  traités  de  Tien-tsin,  l'empe- 
reur Thin  -  Toung  a  môme  officiellement  approuvé 
l'attaque  dirigée  contre  les  forces  alliées  à  Ta-kou.  Quoi- 


LIVRE  l,   CHAPITRE  II.  75 

qu'il  semble  résulter  de  certaines  informations  que  le 
gouvernement  chinois,  ne  voyant  pas  sans  inquiétude 
l'approche  d'hostiUtés  nouvelles,  serait  disposé  à  exécu- 
ter loyalement  les  traités,  il  ne  l'a  cependant  manifesté 
par  aucune  communication  officielle  qui  pût  être  prise 
en  considération,  et  il  s'occupe  de  préparatifs  de  dé- 
fense qui  n'indiquent  guère  un  vif  désir  de  rechercher 
un  accommodement  pacifique. 

««  M.  de  Bourboulon  a  dû,  conformément  aux  instruc- 
tions qui  lui  sont  parvenues,  se  concerter  avec  sir  Bruce 
pour  adresser  en  commun  un  ultimatum  au  gouverne- 
ment chinois. 

«  Je  ne  saurais  préjuger  quel  aura  été  sur  le  cabinet 
de  Pé-king  l'effet  de  cette  démarche  décisive ,  mais  en 
quelque  état  que  vous  trouviez  les  affaires,  l'Empereur 
ne  doute  pas  que  vous  puissiez  employer  efficacement 
vos  efforts  pour  amener  un  dénoûment  satisfaisant  des 
complications  pendantes. 

«  Yos  rapports  antérieurs  avec  les  fonctionnaires  les 
plus  élevés  du  Céleste-Empire,  votre  connaissance  toute 
spéciale  du  traité  dont  il  s'agit  aujourd'hui  d'assurer  la 
prompte  exécution,  vous  seront  d'une  aide  puissante 
dans  les  négociations  nouvelles  que  vous  aurez  à  pour- 
suivre ,  et  vous  permettront  sans  doute  de  faire  accepter 
plus  facilement  au  gouvernement  chinois  des  conseils 
de  prudence  et  de  modération  (1).  » 


(1)  Dépêche  de  S.  E.  le  ministre  des  Affaires  étrangères  à  S.  E.  le 
baron  Gros,  21  avril  1860. 


76  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

XLYIl.  —  A  son  arrivée  en  Chine,  le  baron  Gros  devait 
trouver  la  réponse  dn  gouvernement  chinois  aux  espé- 
rances oljslinées  de  conciliation  et  de  bon  accord  des 
ministres  de  France  et  d'Angleterre.  Instruit  lui-même, 
par  rexpcricnce  du  passé,  sur  l'orgueil  intraitable  et  sur 
la  duplicité  de  la  diplomatie  chinoise,  il  allait  acquérir 
la  triste  conviction  qu'il  n'était  plus  possible  (pour  nous 
servir  des  expressions  énergiques  du  général  de  Mon- 
tauban)  de  traiter  avec  ce  semblant  de  gouvernement, 
autrement  que  par  le  canon. 

Ainsi,  nous  l'avons  dit,  tout  se  prépare  avec  activité  et 
énergie,  afm  qu'aucun  retard  ne  puisse  entraver  l'action 
militaire  des  forces  alliées,  et  que  la  prise  des  forts  de 
Ta-kou,  qui  sans  aucun  doute  tomberont  rapidement  en 
notre  pouvoir,  poi'te  à  Pé-king  même  l'annonce  de  notre 
marche  sur  la  capitale  de  l'empire. 


CHAPITRE  III. 


XLVIII.  —  Déjà  le  général  Jamin  a  installé  à  Tché-fou 
les  premières  troupes  arrivées,  et  en  attendant  les  nou- 
veaux transports  annoncés  qui  doivent  amener  à  Hong- 
kong l'effectif  aa  complet  du  corps  expéditionnaire,  il 
prépare  et  organise  les  établissements  des  différents 


LIVRE  I,   CHAPITRE  III.  77 

corps. — Tché-fouest  un  campement  favorable  sons  tous 
les  rapports;  l'air  y  est  salubre,  l'eau  bonne  et  abon- 
dante. 

D'un  autre  côté,  les  efforts  de  la  commission  envoyée 
au  Japon  ont  enfin,  après  bien  des  obstacles  et  des  diffi- 
cultés, été  couronnés  de  succès.  Elle  annonce  la  pro- 
chaine arrivée  de  1200  chevaux  qui  seront  affectés  au 
service  de  l'artillerie ,  à  celui  du  train  et  aux  officiers 
qui  ont  droit  à  être  montés.  —  Le  prix  moyen  des  che- 
vaux achetés  au  Japon  est  de  35  piastres,  la  traversée 
en  sus. 

Les  inquiétudes  causées  par  les  mouvements  des  re- 
belles aux  environs  de  Shanghai  sont  venues  aussi 
ajouter  une  complication  aux  difficultés  matérielles  de  la 
situation,  difficultés,  retards,  obstacles  contre  lesquels 
il  faut  lutter  avec  les  plus  persévérants  efforts.  La  pro- 
clamafion  des  alliés  adressée  à  la  population  de  Shang- 
hai a  déjà  porté  ses  fruits  et  calmé  la  terreur  qui  s'était 
emparée  d'elle. 

Il  est  curieux  d'étudier  les  phases  et  la  physionomie 
de  cette  étrange  position  qui  érige  en  auxiliaires  du  gou- 
vernement chinois  ceux-là  même  qui  lui  ont  déclaré  la 
guerre  et  luttent  depuis  plus  d'une  année  contre  son  ar- 
rogance et  son  orgueilleux  aveuglement.  —  Abandon- 
nées par  un  gouvernement  sans  force  et  sans  influence 
morale,  minées  par  les  sanglants  désordres  de  la  guerre 
civile,  c'est  vers  nous  que  se  tournent  avec  des  prières  les 
hautes  autorités  chinoises  pour  sauver  du  pillage  et  du 
massacre  une  de  leurs  provinces  les  plus  riches  et  les 


78  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

plus  commerciales.  Combien  loin  il  y  a  de  la  lettre  du 
Tao-laï  de  Shanghai  au  style  habituel  des  mandarins  !  — 
La  ville  et  ses  environs  n'ont  rien  à  redouter,  ils  seront 
protégés  par  les  armes  alliées  contre  toute  attaque  des 
rebelles,  aussi  bien  que  les  possessions  européennes. 

Cette  position  qui  fait  tourner  en  partie  au  profit  du 
gouvernement  chinois  les  troupes  de  la  France  et  de 
l'Angleterre,  au  moment  où  les  deux  nations  s'arment 
contre  lui  pour  venger  une  insulte  et  la  violation  d'un 
traité,  est  un  fait  assez  anomal  dans  l'histoire  des  guer- 
res, pour  mériter  d'être  signalé. 

XLIX.  —  Ainsi  le  26  mai,  le  Tao-taï  fait  demander  une 
entrevue  au  général  en  chef  français,  afin  de  s'entendre 
avec  lui  sur  les  moyens  de  défense  de  la  ville.  —  Comme 
nos  alliés  doivent  également  concourir  à  cette  défense,  le 
général  de  Monlauban  fait  prévenir  le  général  Grant  de 
l'entrevue  qui  lui  a  été  demandée  et  qu'il  n'a  pas  cru 
devoir  refuser. 

A  midi,  heure  indiquée,  le  Tao-taï  se  présente  accom- 
pagné d'un  autre  mandarin;  il  apporte  avec  lui  un  plan 
de  Shanghai  et  de  ses  environs,  afin  d'indiquer  quels 
seront  les  points  importants  à  défendre. 

«  Ces  points  (écrit  le  général)  combinés  par  les  Chinois 
comme  nœuds  de  communicafion  entre  les  rivières  et  la 
route  de  Shanghai  à  Sou-tcheou  indiquent  de  certaines 
idées  militaires.  Le  Tao-taï  Ou  a  la  réputation  d'un 
homme  habile  et  énergique,  ou  plutôt  comprend  et 
apprécie  mieux  les  Européens  et  leur  supériorité  par  suite 


LIVRE   I,    CHAPITRE   111.  79 

de  ses  relations  suivies  avec  eux.  Il  a  la  physionomie 
intelligente,  empreinte  même  d'un  certain  cachet  de 
douceur  qui  contraste  étrangement  avec  les  faits  qui 
viennent  de  se  passer,  quelques  heures  auparavant.  » 

Ce  mandarin  venait  en  effet  de  faire  trancher  douze 
têtes,  sans  procès,  sans  condamnation  ,  par  le  fait  de  sa 
seule  volonté.  —  Il  avait  appris  qu'à  deux  lieues  de  la 
ville,  quelques  rehelles  s'étaient  établis  dans  une  pagode  ; 
aussitôt  il  les  fait  cerner,  les  prend  tous  et  donne  ordre 
de  les  décapiter  sur  l'heure.  —  En  Chine  de  pareils  or- 
dres s'exécutent  avec  la  plus  ponctuelle  et  la  plus  scru- 
puleuse exactitude.  —  La  justice,  on  le  voit,  y  est  expé- 
dilive.  Ces  prisonniers  étaient,  il  est  vrai,  des  rebelles  en 
guerre  ouverte  avec  le  gouvernement  de  l'Empereur. 

Il  fut  convenu  dans  cette  entrevue  que  des  dispositions 
seraient  prises  immédiatement  dans  l'intérêt  de  la  ville 
et  des  possessions  européennes. —  Le  lieutenant-colonel 
Favre,  de  l'infanterie  de  marine,  fut  chargé  de  l'exé- 
cution de  ces  mesures. 

Le  général  de  Montauban  voulait  d'abord  l'installer  à 
Tsing-poo,  mais  il  y  renonça  par  suite  des  dispositions 
pleines  de  méfiance  des  habitants  et  d'une  nouvelle  ré- 
solution prise  par  les  Anglais  de  n'occuper  qu'un  poste 
beaucoup  en  arrière  de  celui  qui  avait  été  précédemment 
déterminé;  le  général  en  chef  français  donna  donc  or- 
dre à  ses  troupes  de  ne  pas  dépasser  leSi-ka-we;  de  ce 
point  elles  pouvaient  couvrir  solidement  Shanghai  et 
protéger  l'établissement  des  frères  jésuites  dans  celte 
localité.  Une  occupation  plus  avancée  ne  sera  ordonnée, 


80  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

que  si  les  entreprises  ultérieures  des  rebelles  la  rendent 
nécessaire. 


L.  —  Cependant  les  nouvelles  de  l'intérieur  prenaient 
chaque  jour  un  plus  grand  caractère  de  gravité;  elles 
délenninèrent  le  Tao-laï  de  Shanghai  à  une  seconde 
déînarchc  près  des  commandants  en  chef  et  livrèrent  la 
population  de  la  ville  à  une  terreur  indescriptible. 

La  ville  de  Sou-tcheou  était,  disait-on,  tombée  au 
pouvoir  des  révoltés;  on  ajoutait  même  qu'ils  s'étaient 
emparés  deTia-king,  à  huit  lieues  environ  de  Shanghai, 
et  qu'ils  y  mettaient  tout  à  feu  et  à  sang. 

«  J'envoyai  des  espions  (écrit  le  général  de  Montau- 
ban,  le  8  juin),  et  voici  la  véritable  position  des  choses. 

a  Les  rebelles  forment  (juatre  bandes  distinctes,  sous 
les  ordres  de  deux  chefs  qui  s'intitulent  les  lieutenants 
de  Taï-sing-bouang,  le  prétendu  Empereur  de  la  dyna"^- 
tie  des  Mings. 

«  Ces  quatre  bannières  sont  noire,  rouge,  j;mne  et 
blanche,  et  chacune  d'elles  a  son  rôle  à  remplir. 

«  La  bannière  noire  est  chargée  de  tuer. 

a  La  bannière  rouge  d'incendier. 

«  La  bannière  blanche  de  prendre  des  vivres  pour  les 
quatre  bannières. 

«  La  bannière  jaune  de  s'emparer  de  l'argent  pour 
pourvoir  à  la  solde  des  autres  bannières. 

<'  Cette  espèce  d'ordre  dans  le  pillage  et  dans  le  meur- 
tre suppose  bien  évidemment  des  chefs,  mais  on  ne  croit 


LIVKE   I,   CHAPITRK   III.  81 

nullement  à  l'existence  d'un  empereur  des  rebelles  qui 
ne  forment  plus  aujourd'hui  qu'une  jacquerie.  —  La 
frayeur  est  telle  parmi  les  Chinois,  à  la  nouvelle  de  leur 
approche,  que,  malgré  toutes  les  mesures  de  précaution 
que  nous  avons  prises  et  la  connaissance  qu'ils  ont  de 
notre  supériorité,  tous  les  habilants  de  Shang-haï  ont 
émigré  pour  se  retirer  de  l'autre  côté  du  fleuve  ou  dans 
des  jonques,  sur  lesquelles  ils  ont  entassé  leurs  effets 
les  plus  précieux. —  Je  n'ai  jamais  vu  pareil  spectacle. — 
Le  Wam-poo  était  couvert  de  sampans  ou  barques  du 
pays.  Des  meubles,  des  lits  et  des  tables  remplissaient 
ces  barques  où  s'étaient  réfugiées  des  familles  entières. 

«En  vain  des  proclamations  ont  été  affichéesdanslaville, 
rien  n'a  pu  diminuer  cette  panique,  en  sorte  que  Shang- 
haï est  aujourd'hui  une  ville  déserte  et  abandonnée. 

«  Cependant,  sur  la  demande  du  Tao-taï,  et  de  con- 
cert avec  les  ministres  de  France  et  d'Angleterre,  j'ai  or- 
ganisé un  plan  de  défense  accepté  par  le  commandant 
militaire  anglais. 

«  Nous  avon«  occupé  trois  points  dans  la  campagne  de 
Shang-haï,  distant  d'une  demi-lieue,  qui  nous  servent  de 
points  avancés,  et  cette  mesure  a  rassuré  les  paysans 
des  différents  villages  voisins  qui  alimentent  la  ville  et 
les  concessions  européennes.  Ces  trois  points  sont  les 
nœuds  des  routes  qui  aboutissent  à  la  ville  dont  j'ai  fait 
occuper  des  positions  par  les  Anglais  et  par  nous.  —  J'ai 
exigé  du  Tao-laï  qu'il  fît  approprier  aux  frais  de  la  ville 
toutes  les  pagodes  que  nous  occupons,  au  nombre  de 
trois  pour  nous  et  trois  pour  les  Anglais. 

II  6 


82  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

«  D'après  les  dernières  nouvelles  que  j'ai  reçues  hier, 
j'espère  que  les  habitants  de  Shang-haï  reviendront  dans 
leurs  demeures,  j'ai  été  informé  que  les  rebelles,  après 
avoir  prisWoo-si,  ville  considérable,  se  sont  dirigés  sur 
Sou-lcheou;  dans  celle  dernière  ville,  que  l'on  prélend 
contenir  deux  millions  d'habitants,  deux  partis  se  sont 
formés,  l'un  pour  recevoir  les  rebelles,  l'autie  pour  se 
défendre  dans  la  ville. 

«  Après  une  lutte  dans  laquelle  aurait  succombé  le 
parti  favorable  aux  rebelles,  un  général  du  nom  de  Leuk- 
Koe-Liang,  parent  de  Koe-Liang  qui  a  défendu  Nankm 
et  qui  est  mort,  se  serait  mis  à  la  tète  des  troupes  im- 
périales qu'il  aurait  ralliées  en  les  payant  de  leur  arriéré, 
au  moyen  d'une  contribution  volontaire  acceptée  par  les 
habitants. 

.  «  Ce  Leuk-Koe-Liang  a  écrit  à  l'Empereur  qu'il  répon- 
dait de  la  ville  sur  sa  tète,  s'il  voulait  lui  laisser  le  com- 
mandement dont  il  s'est  emparé.  —  Tel  est  l'état  actuel 
de  cette  ville,  dont  les  faubourgs  ont  été  brûlés. 

<r  Du  reste  les  nouvelles  sont  à  ce  point  contradictoires 
que  celles  du  lendemain  ne  ressemblent  souvent  pas  à 
celles  de  la  veille.  » 

Telle  était,  d'après  les  renseignements  les  plus  dignes 
de  foi,  la  véritable  situation  au  milieu  de  cette  démorali- 
sation générale. 

«  Je  joue  un  singulier  rôle  (ajoutait  en  terminant  le 
général  en  chef),  appelé  que  je  suis  à  combattre  le  gou- 
vernement chinois  :  à  chaque  instant  les  autorités  chi- 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  83 

noises  de  la  province  de  Shang-haï  viennent  réclamer 
mon  appui  contre  les  révoltés.  » 

LI.  —  Un  missionnaire  jésuite  de  l'importante  ville  de 
Sou-tcheou  arriva  quelques  jours  après  à  Shang-haï. Il  était 
avéré  que  la  malheureuse  ville  avait  été  pillée  à  la  fois 
par  les  rebelles  et  par  les  impériaux  réunis  aux  rebelles. 
—  Toute  la  province  depuis  l'embouchure  du  Yang-lse- 
kiang  est  en  leur  pouvoir,  à  l'exception  d'une  ou  deux 
villes.  Il  règne  le  plus  affreux  désordre  dans  ce  pays 
livré  à  l'anarchie  la  plus  complète. 

Ces  bandes  deviennent  chaque  jour  plus  audacieuses, 
600  hommes  des  troupes  alliées  et  4  pièces  d'artillerie 
occupent  le  gros  village  de  Shan-hoo,  à  deux  lieues 
de  Shang-haï,  à  la  jonction  des  routes  de  Shang-haï  et  de 
Woo-sung. 

Le  vice-roi  Ho  et  le  chef  de  la  justice  de  la  province 
sont  arrivés  Shang-haï,  où  ils  viennent  chercher  un  re- 
fuge. —  Ces  deux  hauts  personnages  font  demander  au 
général  en  chef  français  une  entrevue,  mais  celui-ci  la 
refuse  nettement. 

«  —  Si  c'est  une  visite  de  courtoisie,  leur  fait-il  répon- 
dre, notre  position  réciproque  ne  nous  permet  pas  d'en- 
tamer de  semblables  relations;  s'il  s'agit  des  affaires  po- 
litiques ou  de  négociations  à  entamer,  S.  M.  l'Empereur 
des  Français  envoie  ici  un  ambassadeur  porteur  de  ses 
volontés.  C'est  avec  ce  plénipotentiaire  que  les  hauts 
mandarins  chinois  auront  à  traiter.  » 

«  On  ne  peut  (écrivait  le  général  en  chef  à  cette  épc- 


84  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

que),  se  faire  une  idée  exacte  de  la  disjonction  de  toutes 
les  pièces  qui  constituent  le  gouvernement  chinois.  Il 
faut  être  sur  les  lieux  mômes  pour  croire  à  une  sem])lable 
décomposition.  » 

Le  moment  est  en  tout  point  favorable  pour  frapper 
un  coup  décisif  et  amener  enfin  à  merci  la  cour  de  Pé-king, 
si  ignorante  à  coup  sûr  de  la  réalité  des  désordres  san- 
glants qui  déchirent  en  lambeaux  l'Empire  fatalement 
ébranlé  dans  sa  base. 

LU,  —  Les  préparatifs  de  l'expédition  dans  le  Nord  se 
continuent  avec  activité,  les  bâtiments  arrivent.  —  Les 
liommes  et  le  matériel  débarquent.  Bientôt  le  général 
en  chef  aura  entièrement  sous  sa  main  tous  ses  moyens 
d'action,  et  sera  prêt  à  entrer  en  campagne. 

Malheureusement  un  triste  événement  vint  encore 
susciter  de  nouveaux  embarras.  —  La  Reine  des  clippers 
transport  français,  échoua  aux  abords  de  Macao,  près  du 
point  oîi  s'était  perdu,  peu  auparavant,  un  bàliment  de 
S.  M.  Britannique, /('/?o/f/^/(. — Les  retards  et  les  pertes  que 
causait  cet  échouage  étaient  très-pénibles,  car  ce  trans- 
port amenait  des  troupes  d'artillerie  et  du  génie  avec  un 
matériel  considérable,  plus  une  grande  quantité  d'objets 
de  campement,  d'hôpital,  et  d'habillement,  très-néces- 
saires à  l'expédition  projetée. 

Ce  beau  navire  était  mouillé  le  29  mai,  près  des  îles 
Ladrones,  retenu  par  les  vents  contraires,  quand,  tout  à 
coup,  le  3  juin,  vers  deux  heures  de  l'après-midi,  le  feu 
.se  déclara  dans  la  cambuse  de  distribution,  par  suite  de 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  85 

l'explosion  du  charnier  à  cau-dc-vic.  Le  cambusicr  était 
imprudemment  entré  avec  une  bougie  allumée ,  au  lieu 
de  se  servir  de  sa  lanterne,  ce  qui  occasionna  l'explosion. 
Après  plusieurs  heures  d'inutiles  travaux  pour  se  rendre 
maître  du  feu,  le  capitaine  de  la  Reine  des  Clippers  quitta 
le  mouillage  desLadrones,  et  parvint  à  échouer  le  navire 
à  la  pointe  de  l'île,  près  Macao. —  Il  était  alors  six  heures 
du  soir. 

Le  sauvetage  des  hommes  commença  vers  neuf  heures  ; 
à  dix  heures  et  demie  tout  le  monde  était  à  terre ,  moins 
25  hommes  que  le  capitaine  d'artillerie  Dispot  avait  gardés 
avec  lui  pour  arroser  continuellement  les  voiles  qui  ser- 
vaient au  calfeutrage  de  toutes  les  issues.  —  Le  feu  n'était 
point  éteint.  —  Le  capitaine  Dispot  descendit  à  terre ,  à 
minuit,  sur  les  instances  du  capitaine  du  bâtiment,  qui 
fit  embarquer  sous  ses  yeux  tous  ses  marins,  voulant 
être  le  dernier  à  quitter  son  navire.  Cette  perte  était 
dans  les  circonstances  présentes  doublement  regrettable  ; 
elle  retardait  forcément  un  arrivage  impatiemment 
attendu,  et  privait  le  corps  expéditionnaire  d'un  de  ses 
transports  les  plus  considérables. 

LIIL  —  Le  14  juin,  le  général  deMontauban  expédie  à 
Tche-fou  un  premier  convoi  de  114  chevaux  venus  du 
Japon. —  Dès  que  les  grands  transports  qui  ont,  de  leur 
côté,  amené  des  troupes,  seront  redevenus  disponibles, 
ils  reprendront  la  même  route  avec  chacun  250  chevaux 
au  moins. 

C'est  un  total  de  700  chevaux  environ  qui  seront  dé- 


86  CAMPAGNE   DE  CHINE, 

barques  à  Tche-fou,  vers  le  27  juillet.  Le  général  en  chef 
compte,  le  2  juillet,  quitter  de  sa  personne  Shang-haï 
avec  son  état-jnajor;  le  commandement  supérieur  de 
cette  ville  sera  confié  au  colonel  Favre,  officier  aussi 
énergique  qu'intelligent. 

Le  général  doit  se  concerter  une  dernière  fois  avec  ses 
alliés  sur  le  plan  définitif  d'attaque  des  forts  du  Peï  lio; 
les  Anglais  voudraient  que  ce  fût  par  Peh-tang;  mais 
ils  semblent  se  ranger  à  l'avis  du  général  de  Montauban 
et  se  décider  à  attaquer  par  Ta-kou.  Il  paraît  que  le  chef 
tarlare  San-Ko-li-Tsin  a  augmenté  les  défenses  de  plu- 
sieurs côtés,  et  créé,  dit-on,  des  obstacles  nouveaux  par 
l'inondation. 

Le  16  juin,  une  première  conférence  a  lieu  entre  le 
commandant  en  chef  du  corps  expéditionnaire  français, 
l'amiral  Cliai-ner,  l'amiral  Hope  et  le  général  Gi'ant. 

Le  18,  dans  la  soirée,  les  quatre  commandants  en  chef 
se  réunissent  chez  le  général  de  Montauban  en  conseil 
cle  guerre.  Les  dispositions  définitives  doivent  y  être 
arrêtées.  —  Les  avis  étaient  partagés  sur  le  plan  d'atta- 
que concernant  les  forts  du  Pei  ho. 

Le  général  de  Montauban ,  s'appuyant  sur  les  documents 
énmnés  des  explorations  faites  à  diverses  reprises  et  prin- 
cipalement sur  celle  du  commandant  anglais  Bylhsea, 
proposait  que  l'on  débarquât  à  la  fois  dans  le  nord  et 
dans  le  sud  du  Peï-ho,  pour  occuper  les  forts  de  la  rive 
gauche  par  Peh-tang,  pendant  qu'on  attaquerait  d'un 
autre  côté  les  forts  de  la  rive  droite  par  Sin-ko.  D'après 
les  informations  recueillies  et  le  rapport  du  contre- 


LIVRE   I,    CHAPITRE  III.  87 

amiral  Protêt,  on  pourrait  débarquer  à  Sin-ko,  à  sept 
ou  huit  lieues  environ  du  dernier  fort  de  la  rive  droite. 
—  On  savait  même  par  des  documents  envoyés  par 
Mgr  Mouly,  évêque  du  Pe-lclii-li,  que  le  principal  fort 
n'était  pas  défendu  à  la  gorge,  et  que  l'accumulation 
des  défenses  était  tournée  du  côté  de  la  mer,  les  Chinois 
étant  convaincus  qu'on  opérerait  le  débarquement  après 
avoir  forcé  l'entrée  du  Peï  ho. 

Le  général  Grant  et  l'amiral  Hope  demandaient  que 
l'on  débarquât  seulement  dans  le  nord,  objectant  qu'il 
n'y  avait  point  au  sud  du  Peï  ho  de  lieu  de  débarque- 
ment offrant  des  conditions  aussi  favorables  sous  tous 
les  rapports  que  dans  la  rivière  de  Peh-tang;  il  crai- 
gnait surtout  la  difficulté  des  communications. 

LIV.  —  Cependant,  l'amiral  Hope  reconnaissait  lui- 
même  la  justesse  des  appréciations  émises  par  le  général 
en  chef  français,  car  plusieurs  mois  avant  celte  réunion 
(20  sept.  1859),  il  écrivait  dans  un  rapport  au  secrétaire 
de  l'amirauté  :  «  La  seule  objection  au  débarquement 
sur  le  côté  nord  de  la  rivière  du  Peï  ho,  c'est  que  le 
principal  fort  est  sur  le  côté  sud  ;  par  conséquent,  dans 
le  cas  de  débarquement  au  sud,  la  réduction  du  fort  le 
plus  considérable  entraînerait  probablement  celle  du 
fort  plus  faible  de  l'autre  côté,  avec  peu  ou  point  de 
résistance,  tandis  que  le  résultat  est  tout  contraire  dans 
l'hypothèse  inverse.  » 

La  discussion  dura  près  de  quatre  heures,  et  le  gé- 
néral français  fut  assez  heureux  pour  faire  prévaloir 


88  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

le  plan  qu'il  avait  proposé  depuis  longlcmps  cl  dont  il 
exposa  les  motifs  avec  précision.  —  Les  chefs  auxquels 
étaient  confiées  les  destinées  de  cette  grave  cxiiédilion 
et  riiuiuieur  des  armes  alliées,  donnèrent,  dès  le  début, 
à  celle  discussion  ce  caractère  élevé  qui  la  grandit  en 
mellant  de  côté  toutes  les  petites  questions  de  vain 
amour-propre  et  de  fausse  personnalité. 

Le  conseil  de  guerre  arrêta  trois  points  relalifs  à  la 
direction  des  premières  opérations  : 

1°  Le  commandant  en  chef  français  débarquera  avec 
les  forces  françaises  dans  les  environs  de  Sin-ko,  et  sir 
Ilope  Grant,  avec  les  forces  anglaises,  opérera  de  son 
côté  un  débarquement  sur  la  rive  gauche  de  Pch-tang. 
—  Ces  deux  points  indiqués  pouvaient  toutefois  èlie 
modifiés,  si  des  reconnaissances  postérieures  faites  par 
la  marine  en  démontraient  la  nécessité  ; 

2°  Le  débarquement  aura  lieu  le  15  juillet,  ou  à  une 
date  postérieure  aussi  rapi)rochée  que  possible,  m;us  ([ui 
ne  devra  pas  dépasser  le  21  juillet  ; 

3°  Dix  jours  avant  l'époque  définitivement  fixée,  les 
commandants  en  chef  se  concerteront  pour  assigner 
un  rendez-vous  aux  flottes  alliées,  aliii  «luo  les  deux  dra- 
peaux paraissent  sinuiltanémcnl  de\ant  les  forts  du 
Pei-ho. 

LY.  —  a  Lue  quatrième  question  a  été  disculée  (dit  !e 
procès-verbal  de  la  séance  du  18  juin),  relative  à  la 
présence  dans  les  eaux  de  Shang-hai  d'un  assez  g-rand 
nombre  de  jonques  étrangères  à  la  localité  et  armées 


LIVRE  I,   CHAPITRE  Jll.  89 

en  guerre.  Ces  jonques  inquiélanl  beaucoup  la  popula- 
tion, 11  a  é[è  convenu,  sur  la  demande  du  Tao-taï 
lui-même,  que  l'on  prendrait  des  mesures  pour  empê- 
cher ces  jonques  de  porter  le  trouble  dans  les  conces- 
sions européennes  et  parmi  la  population  de  la  ville  et 
des  faubourgs  (1).  » 

Celte  décision  était  très-importante,  car  la  présence 
de  ces  jonques  montées  par  des  gens  à  très-juste  titre 
suspects,  inspirait  une  grande  terreur  à  la  population 
et  devait  laisser  supposer  des  projets  cachés  contre 
Shang-haï.  Le  général  de  Montauban  insista  très-vive- 
ment pour  que  l'expulsion  de  ces  jonques  eût  lieu  sans 
retard,  et,  en  effet,  la  décision  du  conseil  reçut,  dès 
le  lendemain  malin,  son  exécution.  —  Cette  mesure 
salutaire  était  un  acte  capital  d'autorité  et  purgeait  la 
rivière  de  ce  ramassis  de  bâtiments  qui  précédaient 
toujours  l'arrivée  des  rebelles  dans  chaque  ville  désignée 
par  ces  misérables  pour  être  pillée  et  mise  à  feu  et  à 
sang. 

Le  2  juillet,  à  sept  heures  du  matin,  le  général  de 

(1)  Extrait  du  procès-verbal  du  18  juin  1860. 

«  A  cet  effet, il  a  été  arrêté  qu'une  commission  composée  du  consul 
de  chaque  nation  ou  d'un  agent  consulaire  ,  d'un  officier  de  la  marine 
anglaise,  d'un  officier  de  la  mai'ine  française,  désignés  par  MM.  les 
amiraux  et  de  deux  mandarins  choisis  par  le  Tao-taï,  serait  chargée 
de  l'exploration  des  jonques  placées  dans  les  eaux  de  Shang-haï,  dé- 
signerait celles  qui  doivent  être  désarmées  immédiatement  et  expul- 
sées, ainsi  que  celles  qui  sur  la  demande  des  autorités  chinoises  ne 
seraient  pas  désarmées ,  mais  également  chassées  avec  défense ,  sous 
peine  de  confiscation,  de  reparaître  dans  ces  mêmes  eaux. 

a  Fait  à  Shang-haï,  18  juin  18C0.  » 


90  CAMPAGNE   Dl-    CHINE. 

Montauban  (juiltait  Shang-haï  à  bord  du  l-'nrbin,  pour  se 
rendre  à  Tclie-fou.  Le  commandant  en  cbcf  emmenait 
avec  lui  un  de  ses  aides  de  camp,  le  conniiandant  Des- 
diienls  el  le  capitaine  de  Monlauban,  ainsi  que  le  sous- 
lieutenant  de  Clauzade,  ses  officiers  d'ordonnance. 

Le  cbef  d'état-major  général  ne  devait  partir  que  trois 
jours  plus  tard,  pour  surveiller  l'exécution  des  diverses 
dispositions  ordonnées  par  le  général  en  cbef,  avant 
son  départ. 

LVL  —  Ce  que  nous  appelons  Tcbe-fou  n'est  que 
l'istbme  sur  lequel  s'est  établi  notre  camp,  au  fond  de 
la  baie  que  ferme  un  groupe  d'îlots.  A  Irès-pelite  dis- 
tance se  trouve  un  village,  ou  plutôt  une  petite  ville,  qui 
s'appelle  Yen-tai  ;  elle  est  peu  importante,  car  elle  ne 
compte  que  dix  à  douze  mille  babitants.  —  Tout  près, 
on  aperçoit  une  autre  petite  ville  du  nom  de  Ki-Leu- 
Loo,  entourée  d'une  muraille  en  terre  avec  des  portes 
en  pierres  de  taille.  A  l'arrivée  des  Français,  la  popula- 
tion de  ces  localités  s'était  enfuie  avec  terreur;  mais 
bientôt  elle  revint  peu  à  peu  babiter  ses  foyers  déserts, 
enbardic  par  nos  proclamations  pacifiques,  et  surtout 
par  quelques  exemples  sévères  sur  des  pillards  chinois 
qui  avaient  profité  du  désordre  de  cette  fuite  précipitée 
pour  saccager  les  maisons  abondonnées. 

Du  reste,  toutes  nos  relations  sont  surtout  avec  la 
ville  de  Yen-tai,  et,  par  l'intermédiaire  de  ses  habitants, 
avec  les  autres  villages  de  l'intérieur,  jusqu'à  la  ville  de 
Teng-tcheou,  chef-lieu  de  la  pro\ince  du  Chang-toug. 


LIVRE  I,   CHAPITRE   JII.  91 

—  La  confiance  la  pins  absolue  a  succédé  à  la  terreur 
et  à  la  méfiance  qui  nous  avaient  accueillis. 

A  son  arrivée,  le  général  trouva  à  Yen-taï  un  marché 
régulièrement  établi.  Chaque  jour,  de  cinq  heures  du 
matin  à  quatre  heures  du  soir,  des  marchands  de  toute 
sorte  affluent  sur  la  place  affectée  à  ce  marché,  qui 
est  très-abondamment  pourvu.  Les  Chinois  s'entendent 
fort  bien  avec  nos  soldats,  quoiqu'ils  parlent  une  langue 
différente  de  la  leur.  Tous  les  marchés  se  font  par  signes, 
et  c'est  une  chose  curieuse  de  voir  les  marchands  chi- 
nois débattre  le  prix  de  leurs  marchandises  avec  cette 
rapacité  qui  appartient  en  propre  à  ces  sortes  de  mar- 
chés sur  place.  —  Il  serait  vraiment  inutile  qu'ils  se 
comprissent,  peut-être  s'entendraient -ils  beaucoup 
moins. 

Les  ressources  que  fournit  le  pays  sont  très-abon- 
dantes, et  le  Chinois,  fort  industrieux  de  sa  nature,  s'in- 
génie chaque  jour  pour  varier  sa  machandise  et  surexci- 
ter le  goût  des  acheteurs. 

LYIL  —  En  outre  de  cette  facilité  pour  les  ressources 
alimentaires  qui  entretenait  le  soldat  dans  un  excellent 
état  de  santé,  le  pays  pouvait  fournir  bon  nombre  de  mu- 
lets d'une  belle  espèce,  très-aptes  à  être  employés  au  ser- 
vice des  batteries  de  montagne.  —  Le  prix  moyen  de  ces 
mulets  peut  être  évalué  à  40  piastres,  230  francs  environ. 

Les  chevaux  dont  la  commission  avait  fait  acquisition 
dans  le  Japon  parurent  dans  le  commencement  devoir 
offrir  de  grandes  difficultés  pour  le  dressage  ;  ils  étaient 


92  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

sauvages,  et  celle  sauvagerie  était  quelquefois  poussée 
jusqu'à  la  férocité;  mais  bientôt  ils  s'habituèrent  aux 
hommes  qui  les  soignaient;  semblables  en  cela  aux 
chevaux  d'Afrique,  ils  s'assouplirent  très- facilement,  et 
attelés  aux  pièces  d'artillerie,  ils  se  prêtèrent  sans  résis- 
tance aucune  à  toutes  les  manœuvres.  — Cet  heureux  ré- 
sultat, si  vite  obtenu,  fait  le  plus  grand  honneur  au  co- 
lonel de  Benlzmann,  commandant  en  chef  de  l'artillerie, 
qui  ne  cessa,  au  milieu  des  dinicultés  sans  nombre  qu'il 
rencontrait,  de  déployer  les  plus  énergiques  et  les  plus 
persévérants  elTorts. 

LVIII.  —  Le  général  Grant  eût  désiré  opérer  un  débar- 
quement immédiat  à  Peh-tang,  avant  la  réunion  des  deux 
flottes  aux  mouillages  désignés  dans  le  conseil  de  guerre 
tenu  le  18  juin  entre  les  commandants  en  chef.  —  Mais 
le  Peh-tang  est  situé  à  deux  lieues  et  demie  du  Peï  ho,  et 
l'occupation  prématurée  de  ce  point  par  les  forces  anglai- 
ses, constituait  un  véritable  commencement  d'hostilités. 

Ce  Riit  isolé,  accompli  avant  l'époque  fixée,  n'avait 
aucune  influence  heureuse  sur  l'avenir  des  actions  de 
guerre  projetées  ;  elle  en  .détruisait  au  contraire  l'en- 
semble, puisque  les  Anglais  devaient  débarquer  à  Peh- 
tang,  pendant  que  les  Français  opéreraient  leur  débai- 
quement  dans  le  sud  des  forts  du  Peï  ho.  —  Il  n'y  avait 
donc  aucune  raison  pour  que  le  général  de  .Montauban, 
dont  le  corps  expéditionnaire  était  déjà  d'un  effectif  res- 
treint, l'affaiblît  en  acceptant  l'offre  de  général  Grant 
d'adjoindre  aux  troupes  biùtanniques  une  petite  force 


LIVRE   I,   CHAPITRE   IH.  93 

française,  unif|uement  pour  satisfaire  aux  instructions 
très-précises  données  aux  commandants  en  chef. 

Ces  instructions,  en  effet,  disaient  :  <t  qu'il  ne  pouvait 
être  question  en  aucun  cas  d'une  arrivée  séparée  dans 
les  eaux  du  Peï-ho  de  l'un  ou  de  l'autre  pavillon  des 
deux  puissances  alliées.  »  Quelque  regret  qu'éprouvât  le 
général  de  Montauban  de  ne  point  accéder  au  désir  de 
son  collègue,  il  ne  put  que  s'en  référer  à  ces  instruc- 
tions réciproques  et  au  plan  général  arrêté  et  approuvé 
en  conseil  de  guerre  ;  mais  jaloux  d'entretenir  toujours 
d'excellentes  relations  avec  ses  alliés,  11  chargea  le  colo- 
nel Folley ,  placé  auprès  de  lui ,  comme  commissaire 
du  gouvernement  anglais,  de  porter  sa  réponse  au  gé- 
néral Granî,  et  d'y  ajouter  des  explications  verbales. 

LIX.  —  Le  général  Grant  vint  avec  son  étal- major  au 
quartier  général  français  le  10  juillet.  Lord  Elgin  l'ac- 
compagnait. Sans  doute,  le  général  en  chef  et  l'ambas- 
sadeur anglais,  en  même  temps  qu'ils  rendaient  une  vi- 
site de  courtoisie  au  général  de  Montauban,  désiraient 
voir  par  eux-mêmes  où  en  étaient  les  préparatifs  du 
corps  expéditionnaire  français. 

Le  général  ne  larda  pas  à  tomber  d'accord  avec  son 
collègue  sur  l'inutililé  de  l'occupation  d'un  point  plus 
rapproché  du  Pcï-ho,  avant  l'époque  déterminée  pour  le 
commencement  des  hostilités. 

Invité  par  le  général  de  Montauban  à  passer  en  revue  le 
corps  expéditionnaire  français,  il  put  se  convaincre  par 
lui-même  que  nous  étions  en  mesure  d'agir,  et  que  le  re- 


94  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

fus  d'adhérer  à  sa  demande  n'était  nullement  motivé  par 
le  retard  apporté  à  nos  préparatifs  de  guerre. —  Notre 
artillerie  attelée  de  chevaux  japonais  attira  surtout  son  at- 
tention par  la  précision  et  la  netteté  de  ses  manœuvres. 

Les  musiques  des  régiments  saluaient  le  passage  du 
commandant  en  chef  anglais,  et  du  haut  plénipotentiaire, 
en  jouant  l'air  national,  God  suve  the  Queen. 

Avant  de  quitter  le  camp,  le  général  Grant  fit  promet- 
tre au  général  de  Montauhan  de  venir  le  visiter,  voulant 
aussi,  disait-il,  lui  montrer  les  troupes  de  S.  M.  britan- 
nique sous  les  armes  et  prêtes  à  entrer  en  campagne. 

LX.  —  Dans  cette  même  journée,  il  fut  arrêté  d'un 
commun  accord  que,  le  20  juillet,  le  général  de  Mon- 
taubaii  écrirait  à  son  collègue  d'Angleterre  pour  déter- 
miner le  jour  précis  auquel  la  flotte  française  et  tous  les 
transports  pourraient  être  réunis  au  golfe  du  Pe-tclii-li, 
dans  les  positions  respectives  précédemment  arrêtées. 

11  ne  restait  plus  à  décider  que  le  pomt  de  débarque- 
ment au  sud  des  forts  de  Ta-kou.  —  L'amiral  Charner 
pensait  que  le  meilleur  endroit  serait  sur  un  banc  de 
vase  dure  à  huit  milles  au-dessous  des  forts. 

Une  dernière  reconnaissance  fut  chargée  d'indiquer 
avec  netteté  le  lieu  le  plus  favorable  et  quels  obstacles 
seraient  à  surmonter  au  moment  du  débarquement.  — 
Le  rapport  de  l'amiral  Protêt,  qui  avait  servi  de  base 
aux  résolutions  arrêtées  dans  le  conseil  du  18  juin,  ser- 
vait également  de  point  de  départ  à  cette  nouvelle  ex- 
ploration. 


LIVRE  I,   CHAPITRE  III.  95 

LXI.  —  Deux  bâtiments,  le  Saigon  et  l'Alon-Prah,  re- 
çurent l'ordre  de  se  tenir  prêts  à  appareiller  dans  la 
nuit  du  11  au  12. —  M.  Bourgois,  capitaine  de  vaisseau  du 
Dupcrré,  et  le  lieutenant-colonel  Schmitz,  étaient  chargés 
de  diriger  cette  dernière  et  importante  opération.  Le 
lieutenant-colonel  Dupin,  le  capitaine  de  frégate  Du  Quilio, 
le  capitaine  Forster  et  l'enseigne  de  vaisseau  Vermot, 
furent  désignés  pour  les  accompagner.  Mais  une  brume 
très-intense  retarda  jusqu'au  12,  à  cinq  heures  du  ma- 
lin, le  départ  des  deux  navires. 

Le  résultat  de  cette  reconnaissance  changea  complète- 
ment le  plan  précédemment  arrêté,  par  lequel  le  corps 
expéditionnaire  français  débarquait  au  sud  des  forts  du 
Peï  ho.  Car  la  conclusion  du  rapport  signé  par  les  oflî- 
ciers  explorateurs  en  déclarait  l'impossibilité  de  la  façon 
la  plus  absolue. 

«  Un  débarquement  vers  la  partie  sud  du  Peï-ho 
(disait  ce  rapport),  avec  obligation  pour  la  marine  d'ap- 
provisionner le  corps  expéditionnaire,  nous  paraît  radi- 
calement impraticable  :  la  discussion  ne  peut  même  pas 
en  être  établie.  » 

Cet  incident  imprévu  retardait  forcément  le  départ, 
et  rendait  indispensable  une  nouvelle  réunion  entre  les 
commandants  en  chef. —  Nous  croyons  intéressant  d'en- 
trer dans  les  détails  de  cette  reconnaissance,  qui  boule- 
versa, au  moment  de  leur  mise  à  exécution,  les  projets 
des  généraux  en  chef. 

LXIL  —  Ce  fut  le  14  juillet  au  matin  seulement,  que 


96  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

les  navires  explorateurs,  après  avoir  tenté  une  petite 
pointe  dans  le  voisinage  de  Si-kou,  vinrent  mouiller 
par  36"  40" de  latitude,  118"  15"  de  longitude,  sur  un 
point  également  éloigné  de  tous  les  points  de  la  côte 
ouest  du  golfe  de  Pe-tchili  (20  milles  environ).  —  On 
se  prépara  à  exécuter  la  nuit  suivante  l'opération  pro- 
jetée; elle  devait  employer  trois  embarcations  du  Saigon' 
et  la  baleinière  de  VAlon-Prah  ,  montées  par  trente 
hommes,  dont  seize  devaient  descendre  à  terre,  tandis 
que  les  autres  resteraient  en  réserve  à  la  garde  des  em- 
barcations. 

«  La  baleinière  de  VAIon-Prah  (dit  le  rapport)  était 
montée  par  le  commandant  Bourgois  et  le  lieutenant- 
colonel  Sdimilz,  chef  d'état-major  général,  un  canot  du 
5fl/i;o??  par  le  capitaine  de  frégate  Du  QuiIio,aide  de  camp 
du  vicc-amii'al  Cliarner  et  par  le  lieutonant-coloncl 
Dupin,  une  embarcation  de  ce  mcnie  navire  par  le  ca- 
pitaine d'élat-major  Forster  et  l'enseigne  de  vaisseau 
A^ermot;  entin  un  canot  du  Saigon,  monté  par  un  offi- 
cier de  ce  bâtiment,  devait  rester  mouMlé  au  large  pour 
veiller  à  la  sûreté  de  la  retraite,  sans  courir  jamais  le 
risque  d'échouer. 

<rA  sept  heures  du  soir,  les  deuxnaviresappareillèrent 
et  vinrent  mouiller,  à  dix  heures  et  demie,  à  7  milles  du 
point  où  l'expédition  devait  débarquer.  Les  canots  vin- 
rent s'amarrer  à  l'jinière  de  VAIon-Prah,  qui  bientôt  se 
mit  en  marche  avec  lenteur  et  se  dirigea  à  l'O.  N.  0., 
pour  mouiller  aussi  près  de  terre  que  possible,  en  se  ré- 
glant sur  les  résultats  de  la  sonde.  —  Vers  une  heure  du 


LIVRE   I,  CHAPITRE  III.  97 

matin,  on  trouvait  quatorze  pieds  d'eau,  —  on  était  à 
mi-jusant. —  Les  embarcations  poussèrent.  La  nuit  était 
claire,  la  mer  très-calme. 

a  En  quittant  VAlon-Prah,  les  embarcations  mar- 
chaient de  front  :  celle  du  commandant  et  du  chef  d'état- 
major  général  au  milieu,  les  deux  autres  à  distance  de 
voix,  la  4'"  dite  de  réserve  en  arrière  du  centre,  à 
100  mètres. 

«  Après  une  demi-heure  de  marche  dans  cet  ordre, 
les  profondeurs,  qui  diminuaient  déjà  précédemment 
d'une  manière  continue,  devinrent  sensibles  à  la  gaffe, 
quelques  minutes  après  à  l'aviron. 

«  Ce  fut  alors  que  l'on  put  avoir  la  certitude  que  sur 
tout  ce  nouveau  parcours,  par  des  fonds  de  3  pieds,  le 
sol  était  dur  comme  de  la  pierre;  quelques  coups  d'aviron 
encore,  et  nous  espérions  trouver  la  terre.  —  Mais  la 
mer  descendait,  nous  fûmes  obligés  de  nous  arrêter  à 
la  profondeur  de  2  pieds ,  et  quittant  nos  embarca- 
tions, nous  sautâmes  dans  l'eau,  marchant  en  bataille; 
les  ofticiers  en  tète,  une  petite  réserve  était  réunie  à 
l'arrière. 

a  Le  sol  couvert  par  l'eau  était  ferme,  résistant,  il  eût 
pu  su[)porter  le  roulement  des  plus  gros  fardeaux  ;  la 
terre  elle-même  cependant  ne  se  présentait  pas.  Après 
20  minutes  de  marche  dans  ces  conditions,  le  sol  cou- 
vert de  grandes  nappes  d'eau  à  fleur  de  terre,  devint 
mou,  glissant,  collant,  glaiseux,  et  nous  avons  continué 
au  milieu  de  ces  immenses  lacs,  sans  pouvoir  rencontrer 
la  fin  de  ces  flaques  dormantes.  —  Pensant  que  nous 
II  7 


98  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

avions  fait  fausse  route  depuis  notre  sortie  des  canots, 
nous  revînmes  aux  embarcations  pour  nous  diriger 
dans  le  Sud-Ouest. 

LXIII.  —  «  Il  était  trois  heures  du  matin,  la  lumière  pâle 
delà  lune  glissait  sur  l'eau,  et  nous  n'apercevions  au- 
cune trace  de  terre  réelle.  —Tout  à  coup  nous  crûmes 
la  toucher,  nous  entendîmes  des  cris  de  Chinois  et  les 
matelots  s'élancèrent  à  leur  poursuite;  le  commandant 
Bourgois  se  mit  à  la  tète  de  ces  hommes,  en  entrant 
dans  l'eau  avec  eux. 

aLaterreétait  encore  un  leurre.L'ombrequise  projetait 
était  celle  d'un  vaste  réseau  de  filets  perpendiculaires, 
au  niveau  de  l'eau  et  formant  un  immense  barrage.  Le 
chef  d'état-major  général  resta  à  cette  hmite  et  rallia 
la  réserve. 

Œ  Le  commandant  Bourgois  continua  la  marche,  tou- 
jours dans  l'eau,  au  milieu  des  terres  vaseuses. — Le 
jour  commençait  à  poindre,  nous  pûmes  alors  recon- 
naître que  cette  côte  est  garnie  de  pêcheries  d'un  péri- 
mètre extrêmement  grand. 

e  Dans  la  direction  de  la  marche  du  commandant, 
à  4000  mètres  de  l'endroit,  où  les  canots  étaient  échoués, 
s'élevait  une  sorte  de  plateau,  comme  une  grande 
pièce  de  fortification  noyée  au  milieu  de  ces  lacs  sans 
fin. 

«  Le  commandant  Bourgois  reconnut  avec  le  colonel 
Dii[)in  que  c'était  un  village,  élevé  sur  des  amas  de  vases 
et  préservé  de  l'inondation  par  une  différence  de  niveau, 


LIVRE  I,   CHAPITRE  III.  99 

d'environ  20  mètres.  Le  terrain,  pour  y  arriver,  était  en- 
core plus  mauvais  que  celui  reconnu  précédemment. 
Des  vases  molles  de  2  à  3  pieds  de  profondeur,  recou- 
vrant probablement  un  fond  de  sable,  comme  celui  des 
abords  de  la  plage,  défendent  les  abords  de  ce  village. 

«Plus  loin  on  joignait  la  limite  des  marées  ordinaires 
et  l'on  trouvait  des  vases  durcies,  dont  la  croûte  exté- 
rieure, très-glissante,  rendait  la  marche  des  piétons  ex- 
trêmement difficile;  on  arrivait  ainsi  à  portée  de  fusil 
d'une  éminence  en  forme  de  port,  percée  même  d'embra- 
sures, et  dominée  par  un  mât  de  pavillon,  qui,  au  dire 
des  Chinois  interrogés,  renferme  la  population  de  pê- 
cheurs qui  travaillent  sur  ce  rivage;  ils  ont  formé  en 
écartant  la  vase  une  petite  allée,  à  contre-bas,  sorte  de 
rigole,  où  un  homme  peut  à  peine  passer  de  front;  elle 
est  remplie  d'eau,  même  à  basse  mer. 

«  Le  jour  s'étant  levé,  la  prudence  commandait  de  ne 
pas  pousser  plus  loin  une  reconnaissance  qui  avait 
mené  déjà  à  près  de  4000  mètres  des  embarcations. 
Des  coups  de  canons  se  faisaient  entendre  dans  la  direc- 
tion du  Peï  ho. 

«  La  reconnaissance  revint  dans  la  direction  de  la 
plage. 

LXIV.  —  «  A  sept  heures  un  quart  du  matin,  on  re- 
montait dans  les  embarcations  ;  une  demi-heure  après 
on  était  à  bord  de  VAlon-Prah,  mouillé  à  environ 
2000  mètres,  par  un  fond  égal  à  son  tirant  d'eau  (la  mer 
étant  arrivée  au  plus  bas). 


100  campagm:  de  chine. 

«  On  monta  dans  la  mâture  pour  examiner  l'horizon: 
nous  avions  devant  nous  le  dévcloppemenl  de  la  côte, 
depuis  les  forts  de  Peï  ho,  jusqu'à  une  distance  d'environ 
15  milles,  dans  le  S.  0.  de  ces  forts. 

«  On  apercevait  sur  la  ligne  de  terres  peu  élevées  qui 
bordaient  l'horizon  et  la  côte,  cinq  villages  exactement 
conformes  à  celui  rcconim.  —  Entre  ces  villages  et  la 
mer  s'étendait  une  bande  de  terres  à  demi  noyées,  où 
des  pécheurs  avaient  tendu  leurs  filets  et  qui  paraissaient 
semblables  en  tout  à  celles  parcourues  le  malin  avec  tant 
de  peine. 

«  En  général,  on  peut  dire  que  le  fond  de  ce  terrain 
est  bien  du  sable,  connue  l'indique  la  carte  anglaise  du 
major  Fisher,  mais  qu'il  est  recouvert  par  une  couche 
de  vase  très-légère,  à  la  b;iisse  de  basse  mer,  et  dont  la 
|iro(bndeur,  au  contraire,  est  voisine  d'un  mètre  près  de 
la  baisse  de  haute  mer. 

«  L'étendue  en  largeur  de  cette  zone  vaseuse,  qui  dé- 
fend les  abords  de  la  côte,  ne  doit  pas  être  évaluée  à  moins 
de  3000  mètres  sur  tous  les  points  qu'on  embrassait  du 
regard,  du  haut  de  la  mâture  de  VAIon-Prah. 

«  Nous  rejoignîmes  le  Saigon  mouillé  par  23  pieds 
d'eau  à  près  d'une  heure  et  demie  de  marche  de  canot  de 
VAlon-Prah;  deux  heures  après,  VAlon-Prah  repartit  avec 
l'étal-major  de  l'expédition,  dans  le  but  d'examiner  de 
près,  à  la  haute  mer,  la  zone  de  côtes  qu'on  avait  pour 
mission  d'étudier. 

«  Le  Saigon  devait  suivre,  en  se  tenant  au  large,  prêt 
à  porter  au  besoin  assistance  à  VAlon-Prah. 


LIVRE  I,   CHAPITRE   III.  101 

Le  rapport  des  explorateurs  se  terminait  ainsi  : 

«  Si  le  débarquement  doit  s'opérer  dans  le  sud  du 
Peï  ho,  le  lieu  le  plus  favorable  est  le  premier  village  à 
6  milles  dans  le  sud  de  la  rive  droite  ;  mais  le  grand 
éloignement  des  navires  obligés  de  se  tenir  à  6  milles  en 
mer,  les  distances  à  parcourir  dans  les  terrains  submer- 
gés, rendent  cette  opération  impraticable  d'une  manière 
continue. 

a  Dans  ces  conditions,  un  débarquement  vers  la  par- 
lie  sud  du  Peï  iio,  avec  obligation  pour  la  marine  d'ap- 
provisionner le  corps  expéditionnaire,  nous  paraît  radi- 
calement impra!icable  ;  la  discussion  ne  peut  même  pas 
en  être  établie. 

«  Nous  considérons  cependant  que  si  on  attaque  les 
forts  du  Peï  ho  par  la  rive  gauche  et  par  la  mer,  on  pour- 
rait envoyer  au  moment  décisif  1500  hommes  d'élite, 
débarquer  au  village  le  plus  au  nord  avec  une  batterie 
de  montagne  à  dos  de  mulet,  et  que  ces  hommes  pour- 
raient peut-être,  par  un  coup  de  main,  prendre  les  forts 
à  revers,  en  s'emparant  du  village  de  Ta-kou  ;  mais  ce 
ne  peut  être  là  qu'une  expédition  de  deux  ou  trois  jours, 
tentée  avec  des  hommes  sans  sacs  et  sans  établissement 
qui  nécessite  de  gros  ravitaillements.  » 

LXy.  —  On  voit  à  quel  point  les  officiers  chargés  de 
cette  importante  exploration  se  prononcèrent  nettement 
dans  le  sens  d'une  impossibilité  absolue. 

Le  19  juillet,  il  y  eut  donc  une  nouvelle  conférence 
entre  les  amii-aux  et  les  généraux  en  chef,  nialheureu- 


102  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

sèment  les  Anglais  qui,  d'après  la  convention  arrêtée  au 
conseil,  devaient  faire  reconnaître  la  partie  nord  du 
golfe,  pendant  que  les  Français  feraient  reconnaître 
la  partie  sud,  n'avaient  dirigé  aucune  nouvelle  explora- 
tion de  ce  côté  (1). 

Cependant  le  temps  était  précieux,  et  de  plus  longs  re- 
tards pouvaient  devenir  très-préjudiciables;  on  résolut 
de  s'en  tenir  aux  anciens  rapports  du  commandant  du 
génie  anglais  Fischer  et  du  capitaine  Bythsea,  ces  rap- 
ports déclaraient  un  débarquement  facilement  praticable 
par  une  bande  de  sable,  à  l'entrée  de  la  rive  gauche  du 
Pehtang  ho  ;  il  fut  donc  convenu  que  la  réunion  des  deux 
flottes  aurait  lieu,  pour  dernier  délai,  le  28  à  un  excel- 
lent mouillage  en  dedans  des  bancs  de  Sha-luy-teen,  et 
que  le  29  les  Français  enverraient  reconnaître  s'il  existait 
des  obstacles  dans  la  rivière  du  Peh-tang;  dans  ce  der- 
nier cas,  on  débarquerait  sur  les  bancs  de  sable. —  Dans 
le  cas  contraire,  on  enlèverait  de  vive  force  les  forts  de 
Peh-tang. 

Le  général  de  Montauban  ne  partageait  pas  entière- 
ment ce  dernier  avis;  selon  lui,  il  serait  préférable  de 
mettre  l'expédition  à  terre  hors  de  la  portée  des  forts,  de 
les  tourner  et  de  les  attaquer  par  la  gorge  où  ils  sont 
peu  défendus  (2). 

LXVI.  —  Le  baron  Gros  et  lord  Elgin  sont  arrivés,  les 

(1)  Dépêche  du  général  en  chef  au  ministre  de  la  guerre,  23  juillet 

1860. 

(2)  Dépèche  du  général  en  chef  au  ministre  de  la  guerre,  23  juillet 

1860,  Tche-Fou. 


LIVRE  I,   CHAPITRE  III.  103 

deux  ambassadeurs  ont  assisté  au  conseil,  tenu  le  19,  et  ont 
déclaré  qu'ils  n'accepteraient  aucune  négociation  avant 
que  les  forts  du  Peï  ho  fussent  tombés  sous  les  coups  des 
canons  alliés.  —  C'est  seulement  à  Ticn-tsin  qu'ils  con- 
sentiront à  traiter  avec  le  gouvernement  chinois. 

Cependant  la  rébellion  continue  ses  ravages  dans  l'in- 
térieur de  l'Empire  et  menace  chaque  jour  davantage 
d'une  anarchie  complète  ce  malheureux  pays.  Les  me- 
sures que  nous  avons  prises  arrêtent  bien  les  progrès 
des  révoltés  aux  environs  de  Shang-haï,  mais  l'intérieur 
de  la  province  est  dans  le  plus  triste  état  qui  se  puisse 
imaginer. 

Avant  de  quitter  les  deux  Kiang,  où  le  pouvoir  insur- 
rectionnel remplace  presque  partout  le  pouvoir  impé- 
rial, le  Vice-roi  a  adressé,  dit-on,  un  placet  à  l'Empereur, 
pour  lui  exposer  la  gravité  toujours  croissante  de  la  situa- 
tion. —  Une  traduction  de  ce  curieux  document  est 
apporté  au  général  de  Montauban.  Est-il  véritablement 
émané  du  Vice-roi  ?  et  si  ce  mandarin  a  eu  le  courage 
d'exposer  ainsi  aux  yeux  du  Souverain  la  cruelle  vérité, 
cet  écrit  est-il  parvenu  jusqu'au  trône  de  l'Empereur,  que 
des  ministres  coupables  entourent  d'un  voile  épais?  — 
Peut-être,  est-ce  un  nouveau  stratagème  pour  nous  faire 
croire  à  des  dispositions  conciliantes  et  retarder  encore 
le  commencement  des  hostilités. 

Les  hautes  autorités  chinoises  de  Shang-haï  affirment 
que   ce  rapport  est  bien  l'œuvre  du  Vice-roi  et  qu'il 
a  été  envoyé  à  Pé-king. 
Nous  en  extrayons  quelques  passages  qui  peignent  avec 


104  CAMPAGNE    DE   CHINE. 

(les  couleurs  bien  sombres  mais  vraies  la  désorganisa- 
tion qui  s'étend  de  loules  paris. 

LXVII.  —  IIo  Kwci-tsing,  vice-roi  des  deux  Kiang  et 
A\'ang-yu-ling,  gouverneur  général  de  Tclié-Riang  à 
genoux  exposent  : 

«  Que  les  affaires  militaires  étant  entièrement  ruinées, 
le  iMidi  et  le  Xord  se  trouvent  en  danger;  il  est  urgent 
qu'on  fasse  tous  ses  efforts  pour  conclure  le  traité  de 
paix  avec  les  Européens.  On  pourra,  seulement  ainsi, 
détourner  un  double  danger  de  la  part  des  Européens 
et  des  rebelles. 

a  Ce  placet  est  dressé  de  commun  accord  par  les  deux 
susdits  mandarins;  ils  supplient  Sa  Majesté  de  leur  ac- 
corder celte  grâce  pour  détourner  le  péril  qui  menace. 
Ils  implorent  l'altenlion  de  Sa  Majesté. 

«  La  ville  de  Sou-tcheou  est  perdue.  La  grande  admi- 
nistration est  désorganisée.  Quand  moi,  Ho  Kvvei-lsing, 
je  vins  à  Sbang-liaï  selon  vos  ordres  pour  traiter  les  af- 
faires, j'informai  Sa  Majesté  de  l'état  des  choses.  Main- 
tenant nous  croyons  que  la  décomposition  de  la  grande 
armée  de  Nan-king  est  venue  de  ce  que  le  généralissime 
Ho-chun,  ayant  mis  sa  confiance  en  des  hommes  indi- 
gnes, était  détesté  par  l'armée. —  Le  général  Tsan-koh- 
liang  était  désolé  de  ne  pouvoir  pas  agir  selon  ses  bons 
^lésirs.  Ce  général  a  perdu  la  vie  dans  un  combat  près 
^e  Tan-yang.  A  sa  mort,  l'armée  a  été  débandée  et  mise 
en  déroute  à  la  seule  vue  des  rebelles.  Le  général  Ho- 
çhun,  voyant  la  démoralisation  des  soldats  et  ne  pouvant 


LIVRE  I,   CHAPITRE   III.  105 

plus  les  rallier,  se  donna  lui-même  la  mort  avant  le  dé- 
sastre. L'armée,  restée  sans  chefs,  s'est  dispersée  et  tout 
le  matériel  est  resté  entre  les  mains  des  rebelles.  En 
moins  d'un  mois,  la  position  est  devenue  des  plus  déplo- 
rables. Jamais  on  n'a  vu  de  semblables  catastrophes.... 
«  En  supposant  qu'il  vienne  des  troupes  à  notre  se- 
cours, comment  les  nourrir? 

<c  C'est  pour  cela  que  Su  Yu-jin,  gouverneur  du  Riang- 
sou ,  quand  Sou-tcheou  était  en  danger  et  n'ayant  pas 
d'autres  moyens,  écrivit  en  toute  hâte  au  trésorier  géné- 
ral de  la  province  et  à  Wu-Hù,  intendant  du  circuit  de 
Susung,  pour  réclamer  le  secours  des  troupes  françaises 
et  anglaises.  En  outre,  à  la  demande  des  principaux  ci- 
toyens, il  chargea  Wu-Yiin,  gouverneur  par  intérim  de 
Sou-tcheou,  de  porter  cette  dépêche  et  de  presser  l'affaire. 
Mais  Wu-Yûn  était  à  peine  arrivé  à  Shang-haï  que  Sou- 
tcheou  était  pris.  Moi,  Ho  Kwei-tsing,  j'étais  sur  une  bar- 
que. Le  Tao-taï  m'envoya  un  bateau  pour  me  presser 
d'aller  à  Shang-haï.  J'y  arrivai  le  17  au  soir.  Le  20,  je 
visitai  le  ministre  plénipotentiaire  anglais,  M.  Bruce, 
pour  le  prier  d'empêcher  l'expédition  du  Nord.  —  Il  me 
répondit  que  l'on  ne  pouvait  rien  traiter  et  arièlcr  à 
Shang-haï,  etc.  Le  secrétaire  du  ministre  français  me  fit 
à  peu  près  la  môme  réponse. 

a  Des  navires  de  guerre  de  ces  deux  royaumes  arri- 
vent continuellement  et  se  dirigent  vers  le  littoral  du 
Shan-toung;  ainsi  leurs  opérations  commenceront  inces- 
samment, sans  qu'on  puisse  obtenir  un  délai. 

«  Nous  considérons  que  la  Chine  a  été  en  relations 


106  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

commerciales  avec  la  France  et  l'Angleterre,  restant  tou- 
jours en  paix,  pendant  près  de  vingt  ans.  Le  commerce 
entre  les  Chinois  et  les  étrangers  est  utile  aux  uns  et 
aux  autres,  et  cet  état  d'hostilité  est  nuisible  à  tous.  La 
guerre  une  fois  commencée,  on  s'en  ressentira  partout, 
et  les  calamités  qu'elle  engendre  ne  finiront  peut-être 
jamais.... 

«  Si  nous  ne  sommes  pas  encore  en  pleine  dissolu- 
tion, c'est  seulement  parce  qu'on  espère  que  le  traité  de 
paix  sera  bientôt  conclu  et  qu'on  pourra  emprunter  des 
troupes  pour  exterminer  les  rebelles.  Si  cet  espoir  nous 
manque  aussi ,  il  n'est  pas  nécessaire  que  les  rebelles 
arrivent,  pour  que  la  situation  soit  désespérée.  —  En 
cachant  cet  état  de  choses,  nous  serions  encore  plus 
coupables  pour  avoir  trompé  le  gouvernement ,  et  ce 
crime  ne  pourrait  même  pas  être  expié  par  dix  mille 
morts.  Ainsi  nous  pensons  qu'à  présent  il  n'y  a  pas 
d'autres  moyens  de  salut  qu'une  prompte  paix.  La 
France  et  l'Angleterre  oubliant  leurs  anciens  griefs 
pourraient  nous  aider,  et  dans  le  Midi  comme  dans  le 
Nord  les  affaires  pourraient  se  relever.  Jour  et  nuit  nous 
pensons  que  si  la  paix  est  conclue,  on  peut  rétablir  la 
tranquillité. 

a  Maintenant  nous  implorons  votre  indulgence,  afin 
que.  Votre  Majesté  sortant  des  règles  ordinaires,  approuve 
entièrement  les  articles  du  traité  conclu  àTien-tsinavec 
la  France  et  l'Angleterre  et  les  quatre  articles  proposés 
ensuite.  Pour  ce  qui  regarde  l'entrée  des  ambassadeurs 
àPé-king  pour  l'échange  des  traités,  s'il  plaît  à  A'otre 


LIVRE  I,  CHAPITRE  111.  107 

Majesté  de  l'ordonner,  Si-Hué  partirait  par  la  voie  de  mer 
pour  le  Nord,  pour  arranger  cette  importante  affaire. 

«  Nous  attendons  avec  une  crainte  respectueuse  les 
ordres  de  Votre  Majesté.  Nous  avons  écrit  ce  placet  de 
commun  accord  et  nous  l'envoyons  par  le  courrier  le 
plus  rapide. 

a  Nous  vous  supplions  de  l'examiner. 

«  Nous  vous  informons  avec  respect. 

«ExpédiélalO'année,  Ie24dela4''lune(13juinl860).» 

LXVIII.  —  Nous  avons  transcrit  ce  document,  parce 
qu'il  a  été  officiellement  envoyé  au  général  de  Montauban 
par  les  autorités  de  Shang-haï  ;  mais  malgré  leurs  assu- 
rances réitérées,  il  est  bien  difficile  de  croire  que  le 
vice-roi  des  deux  Kiang  et  le  gouverneur  général  de 
Tche-kiang  aient  osé  adresser  à  l'Empereur  une  sem- 
blable communication. 

Enfin  rien  ne  doit  plus  retarder  l'expédition  des  ar- 
mées alliées.  L'ordre  de  départ  a  été  annoncé  par  le 
général  en  chef,  pour  le  26  juillet. —  Depuis  le  20, 
l'embarquement  des  chevaux  et  du  matériel  de  guerre 
est  commencé. 

a  Je  laisse  à  Tche-fou  environ  250  hommes  (écrit  au 
ministre  de  la  guerre  le  général  en  chef)  (1),  soit  ouvriers 
d'administration,  soit  convalescents  et  coolies,  pour  re- 
cevoir et  nous  expédier  les  approvisionnements  que  j'ai 
fait  réunir  sur  ce  point  pour  être  transportés  à  Tien- 
Ci)  Dépêche  du  23  juillet  1860. 


108  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

tsin,  des  que  la  voie  sera  ouverte.  Un  chef'  de  bataillon 
(le  commandant  Dela|)lane  du  101')  conserve  le  com- 
mandement supérieur.  J'ai  fait  faii'e  une  coupure  sur  la 
partie  la  plus  étroite  de  la  presqu'île.  —  Le  génie  y  a 
pratiqué  un  fossé  avec  un  parapet,  travail,  du  reste  su- 
perflu en  raison  des  mœurs  paisibles  des  habitants.  Ja- 
mais on  ne  rencontre  un  seul  Chinois  armé  même  d'un 
bâton.  De  très-bonnes  relations  sont  établies  avec  eux, 
elles  sont  basées  sur  kur  intérêt,  et  notre  départ  sera 
vivement  regretté.  » 

LXIX.  — Il  est  facile  de  comprendre  avec  quelle  joie 
fut  accueillie  la  nouvelle  tant  désirée  du  départ.  De  tous 
côtés  on  entendait  les  chants  des  soldats;  et  à  leurs  re- 
freins militaires,  répétés  en  chœurs,  se  joignaient  des 
plaisanteries  à  l'égard  des  Chinois.  Par  tout  le  camp, 
c'était  une  animation  incessante,  un  mouvement  joyeux, 
un  tumulte  qui  donnait  un  aspect  magi(iue  à  cette  col- 
line sur  laquelle  resplendissait  un  soleil  éblouissant. 
—  Jamais  ce  pauvre  village  de  Yen-taï  n'avait  vu  un 
semblable  spectacle  ;  toute  la  population  accourue  vou- 
lait aider  nos  soldats  dans  ses  préparatifs  de  départ. 

Quand  l'ordre  du  général  en  chef  fut  connu  dans  les 
hôpitaux  ,  les  malades,  oubliant  leurs  souffrances,  vou- 
laient, malgré  les  instances  des  médecins,  reprendre 
leurs  armes  et  rentrer  à  leur  rang.  —  Comment  s'op- 
poser à  cette  mâle  et  noble  émulation?  — Il  ne  resta 
dans  les  hôpitaux  que  ceux  dont  la  maladie  avait  entière- 
ment épuisé  les  forces  et  qui  ne  purent  se  soulever  de 


LIVRE    I,   CHAPITRE   III.  i09 

]eur  lit  de  douleur.  Une  chaleur  accablante  faisait  ruis- 
seler de  sueur  tous  les  fronts  et  brisait  souvent  les  forces 
des  plus  robustes;  mais  l'armée  allait  entrer  en  cam- 
pagne; elle  quittait  l'immobilité  d'un  campement  sur 
une  colline  inoffensive  pour  les  grandes  émotions  des 
combats  et  des  champs  de  bataille.  —  Combien  elle 
était  impatiente  de  se  mesurer  avec  cette  armée  tar- 
îarc  qui  devait,  disait-on,  défendre  à  outrance  les 
abords  de  la  capitale  du  Céleste-Empire,  et  se  ruer  en 
nuées  innombrables  sur  les  imprudents  Européens  qui 
osaient  se  croire  les  égaux  des  puissants  empereurs  de 
la  Chine  ! 

LXX.—  La  France  est  une  nation  guerrière.  Le  bruit 
d'une  bataille  l'enivre  et  la  transporte. —  Et  puis,  ce  petit 
corps  d'armée  avait  la  foi  en  soi-même,  il  avait  confiance 
en  ses  chefs  qui  avaient  surmonté  tous  les  obstacles  avec 
une  si  énergique  persévérance. 

A  moins  d'avoir  sérieusement  étudié  le  mécanisme 
compliqué  d'une  administration  mihtaire  qui  doit  tout 
prévoir  et  parer  à  tout  au  moment  d'une  entrée  en  cam- 
pagne, il  est  bien  difficile  de  se  faire  une  idée  exacte  des 
détails  innombrables  qui  s'y  rattachent  et  des  empêche- 
ments dont  un  chef  habile  et  prévoyant  doit  triompher. 
Ces  difficultés  réelles,  inévitables  pour  toute  armée  en 
mouvement,  s'accumulent  à  chaque  pas,  lorsqu'il  s'agit 
d'une  entreprise  qui  jette  ainsi  sur  une  côte  lointaine 
quelques  milliers  de  combattants.  —  Ainsi  il  avait  fallu 
compter  avec  les  retards,  avec  la  mer  qui  brisait  sur  des 


110  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

écueils  les  navires  impatiemment  attendus  et  privait  su- 
bitement le  corps  expéditionnaire  de  ressources  sur  les- 
quelles il  devait  compter.  Mais  la  France  allait  défendre 
la  grande  cause  de  la  civilisation  et  Dieu  veillait  sur  cette 
petite  année  si  loin  du  sol  natal. 

«  J'ai  bien  peu  de  monde  comparativement  aux  An- 
glais (écrivait  le  général  en  chef);  et  dans  l'attaque  des 
forts  du  Peï  ho,  je  ne  pourrai  guère  présenter  plus  de 
6000  combattants,  y  compris  l'artillerie;  ce  sera  environ 
5000  baïonnettes,  mais  la  confiance  de  tous  et  le  désir 
de  prouver  à  l'Empereur  et  à  la  France  que  nous  sommes 
dignes  de  la  mission  que  nous  avons  reçue  seront  notre 
meilleure  force.  —  Dieu  fera  le  reste.  » 

LXXI.  —  L'embarquement  des  troupes  est  complète- 
ment terminé.  Son  effectif  se  compose  de  8314  hommes, 
avec  un  matériel  de  1200  chevaux,  12  pièces  de  12 
rayées,  12  pièces  de  4  rayées,  4  pièces  de  montagne. 

Le  25  juillet,  à  trois  heures  de  l'après-midi,  le  général 
de  Montauban ,  commandant  en  chef,  arrive  à  bord  du 
Forbin,  qui  a  été  mis,  par  l'amiral  Charncr,  à  sa  disposi- 
tion.— La  flotte  française  présente  un  aspect  magnifique; 
vingt-deux  bâtiments  rangés  avec  ordre,  balancent  leurs 
hautes  mâtures  comme  une  forêt  agitée  par  le  vent. 
Lorsque  le  signal  du  départ  apparaît  au  gi-and  mât  du 
vaisseau  amiral,  une  immense  acclamation  sort  à  la  fois 
de  toutes  les  poitrines,  et  ce  cri  de  :  vive  l'Empereur! 
qui  précède  toujours  nos  soldats  auxcombats,  court  do 
navire  en  navire. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  111 

Tous  ont  répondu  au  signal  et  la  flotte  se  met  en  marche 
sur  trois  colonnes. 

A  la  tête  de  celle  du  centre  est  l'amiral  Charner;  le 
contre-amiral  Page  dirige  celle  de  droite  ;  le  contre-amiral 
Protêt  celle  de  gauche;  un  grand  nombre  de  jonques 
chinoises  est  remorqué  par  les  vapeurs.  Sur  les  ponts 
encombrés  des  bâtiments  reluisent  les  baïonnettes,  et 
les  musiques  des  régiments  se  répondent  comme  des 
échos  harmonieux. 

Bientôt  la  flotte  ne  forme  plus  qu'une  masse  confuse, 
et  ceux  qui  restent  à  la  garde  de  Tche-fou,  saluent  leurs 
frères  d'armes  qui  s'éloignent ,  et  envoient  avec  tristesse 
un  dernier  adieu  à  l'escadre,  qui  disparaît  déjà  dans  les 
brumes  de  l'horizon. 

LXXII.  —  Ce  règne  dotera  les  annales  de  la  France 
guerrière  de  grands  et  mémorables  souvenirs. 

En  six  années  que  de  victoires  sur  tous  les  points  du 
globe!  — En  1855,  notre  drapeau  victorieux  flotte  sur  les 
murs  renversés  de  Sébastopol,  en  combattant  la  Russie. 
—  En  1859,  c'est  du  sommet  des  hauteurs  de  Solférino 
que  la  France  dicte  ses  lois  à  l'Autriche  vaincue.  — Dans 
quelques  mois  ce  sera  sous  les  murs  mêmes  de  Pé-king 
que  notre  glorieuse  épée  abaissera  l'orgueil  héréditaire 
des  empereurs  de  la  Chine. 

Belles  épopées  militaires  qui  viennent  ajouter  de 
jeunes  gloires  aux  vieilles  gloires  des  siècles  passés! 

Le  28,  après  une  heureuse  traversée,  l'escadre  fran- 


112  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

(;aisc  au  grand  complet  cntrail  dans  le  golfe  de  IVh-lang, 
et  mouillait  à  douze  milles  environ  de  la  passe  (1). 

Le  général  de  Monlauhan  ordonna  aussitôt  une  re- 
connaissance dans  la  rivière  de  Peh-tang;  celle  rivière 
est  fort  peu  connue,  et  le  commandant  en  chef  ne  veut 
point  courir  le  risque  d'être  arrêté  par  des  obstacles 
imprévus. 

Le  lieutenant-colonel  Dupin,  le  lieutenant  de  vaisseau 
de  Lamarck  et  le  capitaine  d'état-iViajor  Forsier  sont 
chargés  de  cette  dernière  reconnaissance,  qui  doit  éclai- 
rer la  roule  dans  laquelle  s'engagera,  le  lendemain  peut- 
être,  le  corps  expéditionnaire  allié. 

Dès  que  la  nuit  fut  venue,  ces  officiers,  emmenant 
avec  eux  seize  matelots,  partirent  en  ayant  soin  de  gar- 
der le  plus  grand  silence  pour  ne  point  attirer  l'attention 
de  l'ennemi.  —  Les  deux  embarcations  remontèrent 
trois  milles  dans  le  Peh-tang  et  ne  trouvèrent  que  des 
pêcheries.  A  celte  dislance,  les  officiers  entrèrent  dans 
l'eau  et  cherchèrent  à  aborder  la  rive  droite  du  fleuve. 
Mais  ils  rencontrèrent  de  grandes  difficultés,  à  peu 
près  semblables  à  celles  qui  s'étaient  présentées  aux 
explorateurs  de  la  rive  sud  du  Pei  ho.  Après  avoir 
marché  deux  cents  mètres  environ  sur  un  fond  de  glaise, 
avec  de  l'eau  à  mi-jambe,  ils  trouvèrent  une  croûte 
vaseuse,  entièrement  découverte  à  marée  basse,  et 
sur  laquelle  on  peut  marcher  en  enfonçant  seulement 
jusqu'à  la  cheville.  —  Il   faut  traverser   300    mètres 

(1)  Dépèche  du  "2  août  18G0. 


LIVRE   1,   CHAPITRE  III.  113 

sur  ce  terrain  fangeux,  pour  atteindre  la  terre  ferme. 
Même  à  marée  haute  la  passe  du  Peh-tang  n'a  que 
dix  pieds  de  profondeur;  les  canonnières  peuvent  donc 
seules  la  franchir.  —  Telles  sont  les  indications  précises 
qui  résultent  de  cette  reconnaissance. 

LXXIII.  —  Les  canonnières  anglaises  rejoignh^ent  le 
gros  de  l'escadre  le  29  seulement  dans  la  soirée. 

Le  lendemain,  la  mer  devint  si  mauvaise,  qu'il  fut 
impossible  aux  troupes  de  quitter  les  bâtiments.  Le  31, 
le  gros  temps  continua,  mais  la  mer  commença  à  se 
calmer.  —  Le  général  de  Montauban  n'avait  à  bord  pour 
ses  chevaux  que  des  ressources  très-restreintes,  aussi 
insista-t-il  vivement  auprès  de  la  marine  pour  le  débar- 
quement. 

Enfin  le  1"'  août  le  temps  étant  redevenu  proportionnel- 
lement bon,  le  débarquement  commença  au  lever  du 
jour.  Les  bâtiments  à  vapeur  légers,  tirant  moinsde  neuf 
pieds,  purent  prendre  à  la  remorque  les  canots  et  les  jon- 
ques qui  portaient  2000  hommes,  une  batterie  de  4,  la 
batterie  de  montagne,  une  section  du  génie,  une  section 
d'ambulance  et  200  coolies.  — Par  suite  d'une  convention 
entre  les  deux  généraux  en  chef,  les  Anglais  avaient 
embarqué  le  même  nombre  d'hommes,  moins  l'artillerie. 

Les  canonnières  atteignirent  la  barre  en  bon  ordre  et 
la  franchirent  à  midi  et  demi ,  heure  de  la  plus  haute 
marée.  Lorsque  ces  bâtiments  légers  furent  arrivés  au 
point  déterminé  par  le  colonel  Dupin  et  parle  capitaine 
Forster  dans  leur  dernière  exploration  (en  face  d'une 
Il  8 


114  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

hutte  de  pêcheurs),  ils  jetèrent  l'ancre,  et  le  général  de 
Montauban  se  rendit  aussitôt  avec  l'amiral  Cliarner  à 
bord  de  la  canonnière  où  se  trouvait  l'amiral  Hope  et  le 
général  Grant.  —  Au  delà  des  500  mètres,  qu'il  fallait 
traverser  dans  les  terrains  vaseux,  entièrement  recou- 
verts d'eau  par  la  marée  haute,  on  apercevait  distincte- 
ment le  pays  plat  sur  lequel  les  deux  corps  expédition- 
naires devaient  prendre  pied.  —  Les  forts  qui  défendaient 
les  deux  rives  duPeh-tang  ho  se  voyaient  distinctement, 
ainsi  que  plusieurs  villages  considérables,  dont  les  con- 
structions en  terre  semblaient  dénoter  la  pauvreté.  — 
Au  milieu  de  ces  villages,  peu  éloignés  les  uns  des  au- 
tres, on  distinguait  celui  de  Peh-tang-tchen,  qui  com- 
munique avec  le  Peï  ho  au  moyen  d'une  chaussée  de  6 
à  7  mètres  de  largeur.  —  Celte  chaussée  domine  la 
plaine  d'environ  un  mètre  et  demi.  —  Deux  forts  s'é- 
lèvent sur  les  rives  du  Peh-lang  ho.  Le  fort  de  droite  ren- 
ferme deux  cavaliers,  dont  chacun  a  trois  embrasures 
armées  de  canons,  qui  peuvent  battre  l'entrée  du  fleuve; 
une  longue  courtine ,  armée  également  de  pièces  d'ar- 
tillerie, relie  les  cavaliers.  Le  fort  de  la  rive  gauche, 
situé  un  peu  en  arrière,  a  moins  d'importance;  ses 
canons  peuvent  battre  aussi  le  passage,  mais  avec  moins 
d'efficacité. 

LXXiy .  —  Lorsque  le  général  de  Montauban  et  l'amiral 
Charner  montèrent  à  bord  du  bâtiment  qui  avait  trans- 
porté les  deux  commandants  en  chef  anglais,  il  était  trois 
heures,  et  si  on  voulait  profiter  de  la  journée  pour  opé- 


LIVRE   J,   CHAPITRE   III.  115 

rer  le  débarquement  et  établir  convenablement  les  trou- 
pes, les  minutes  étaient  précieuses.  —  Aussi  l'entrclien 
entre  les  amiraux  et  les  généraux  fut  court. — Le  général 
Grant  proposa  d'abord  d'attendre  l'heure  de  la  marée 
basse  (six  heures  du  soit),  mais  il  existait  entre  la  chaus- 
sée et  le  village  Peh-tang-tchen  un  pont  de  communica- 
tion sur  un  canal  attenant,  et  l'on  avait  vu  très-distincte- 
ment, à  l'aide  de  la  longue-vue,  des  cavaliers  tarlares 
aller  et  venir  sur  la  chaussée.  Si  ces  cavaliers  avaient  la 
pensée  de  détruire  ce  pont,  ils  nous  mettaient  dans  un 
grand  embarras,  car  l'établissement  de  ponts  volants  eût 
été  très-difficile  dans  ces  terrains  vaseux  où,  selon  toute 
apparence,  les  chevaux  ne  pourraient  avancer  qu'avec 
la  plus  grande  difficulté.  Il  fallait  donc  quelque  difficik 
et  pénible  que  dût  être  la  marche  des  troupes,  par  suite 
de  la  marée  haute,  ne  pas  retarder  leur  mise  à  terre.  — 
Ce  dernier  avis,  appuyé  parla  majorité,  fut  adopté, 
et  il  fut  convenu  que  400  hommes  de  troupes  des  deux 
nations  se  jetteraient  à  l'eau  à  quatre  heures  et  demie, 
pour  gagner  le  terrain  solide  aussi  rapidement  qu'il  se- 
rait possible. 

A  minuit  les  amiraux  devaient ,  avec  les  canonnières 
seulement,  remonter  le  Peh-tang  ho,  passer  sous  le  feu 
des  forts  et  venir  mouiller  à  un  point  qui  leur  permît  de 
prendre  ces  forts  à  revers,  peudant  que  les  deux  colon- 
nes française  et  anglaise,  avec  les  deux  batteries  d'artil- 
lerie française,  suivraient  la  chaussée  et  les  prendraient 
d'écharpe.— Tel  était  le  plan  d'attaque  rapidement  conçu 
et  qui  devait  être  rapidement  exécuté ,  si  l'on  ne  voulait 


1J6  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

pns  voir  surgir  tout  à  coup  quelque  obstacle  imprévu 
qui  en  euipèchùl  l'exécution. 

LXXV.  —  Le  général  de  Monlauban  était  tellement 
préoccupé  de  cette  pensée,  qu'il  se  jeta  aussitôt  dans  une 
embarcation  avec  le  lieutenant-colonel  Dupin,  qui  avait 
fait  la  reconnaissance,  le  capitaine  de  Montauban,  son 
oflicier  d'ordonnance,  et  le  brigadier  Irisson  des  sp.ibis. 
Cette  embarcation  filant  de  toute  la  rapidité  de  ses  avi- 
rons, courut  vers  le  rivage  où  bientôt  elle  échoua,  et  le 
général  s'élança  le  premier  dans  la  mer,  ayant  de  l'eau 
jusqu'au  genou.  Les  canots  qui  portaient  le  bataillon  de 
chasseurs  à  pied  avaient  reçu  l'ordre  de  sui\ro  celui  du 
général  en  chef. 

De  son  côté,  le  général  Grant  arrivait  avec  les  Anglais, 
et  bientôt  la  plage,  inondée  encore  par  les  eaux  de  la 
marée  haute,  fut  couverte  de  soldats  qui  s'excitaient  à 
l'envi  dans  celte  marche  pénible  et  aventureuse,  où  par- 
fois chaque  homme  avait  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture.  — 
Ce  fut  un  étrange  et  superbe  spectacle  qui  dut  grande- 
ment étonner  les  Tartares,  que  celui  de  cette  mullitude 
armée  qui,  semblable  aux  flots  de  la  tempête,  avan- 
çait vers  eux. 

Pendant  une  heure  et  demie,  chefs  et  soldats  luttèrent 
avec  énergie  sur  ce  sol  mouvant  qui  parfois  se  dérobait 
tout  à  coup  sous  leurs  pieds;  car  malheureusement, 
dans  beaucoup  d'endroits,  les  terrains  n'offraient  pas 
la  solidité  qu'avait  annoncé  le  colonel  Dupin.  —  En- 
fin  on   atteignit    la  terre  ferme  que    nos   soldats  ne 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  117 

devaient  plus  quitter  avant  d'avoir  vengé  ,  par  la 
chute  des  forts  du  Pei  ho,  l'insulte  feite  aux  pavillons 
alliés. 

Aussitôt  que  le  général  eut  reconnu  par  kii-nièmc 
que  le  débarquement  pouvait  s'effectuer  sans  danger 
pour  les  troupes,  il  envoya  un  de  ses  aides  de  camp 
porter  l'ordre  aux  généraux  Jamin  et  Collineau  de  dé- 
barquer avec  leur  brigade  et  de  venir  le  rejoindre  sur 
des  points  qu'il  leur  assignait. 

Ces  deux  chefs,  actifs  et  entreprenants,  attendaient 
impatiemment  cet  ordre.  Bientôt  toutes  les  troupes  arri- 
vèrent en  bon  ordre;  mais  la  batterie  de  montagne  put 
seule  atteindre  la  terre.  En  vain  artilleurs  et  chevaux 
firent  des  efforts  surhumains,  il  fut  impossible  de  faire 
avancer  dans  la  vase  les  batteries  de  4  qui  avaient  été 
débarquées.  Les  roues  enfonçaient  à  moitié,  et  les  che- 
vaux s'abattaient  sans  pouvoir  avancer  d'un  pas. 

LXXVI.  —  «  En  touchant  cette  terre  si  difficile  à  abor- 
der (écrit  le  général  de  Montauban),  nos  hommes  furent 
électrisés,  et  le  cri  de  :  vive  l'Empereur!  sortit  avec  en- 
thousiasme de  chaque  poitrine.  Tout  était  oublié,  et  les 
Anglais  répondaient  par  des  hourras  à  nos  cris  de  con- 
quête (1). 

Le  général  de  Montauban  envoya  aussitôt  le  chef  de 
bataillon  Guillot  de  la  Poterie  occuper  avec  ses  chas- 
seurs la  chaussée  et  le  pont  qui  servaient  de  communi- 

(1)  Correspondance  du  1  août. 


118  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

cation.  Ce  détachement  rencontra  encore  des  espaces 
vaseux  couverts  d'eau.  Les  cavaliers  tartares,  qui  avaient 
observé  tous  nos  mouvements  sans  essayer  de  les  gêner, 
se  retiraient  lentement  à  mesure  que  nos  colonnes 
avançaient;  ils  étaient  armés  de  carquois  et  de  flèches. 
Lorsqu'ils  virent  la  chaussée  occupée,  ils  s'éloignèrent 
définitivement  dans  la  direction  du  Peï  ho. 

La  deuxième  brigade,  sous  les  ordres  du  général  Col- 
lineau,  vint  camper  à  quelque  distance  de  la  première. 

Les  Anglais  tenaient  la  droite.  —  200  hommes  de  cha- 
que armée  reçurent  l'ordre  de  se  porter  sur  le  pont  de 
communication  de  la  chaussée  au  village ,  pour  empê- 
cher toute  tentative  que  l'ennemi  aurait  pu  faire,  pen- 
dant la  nuit,  pour  détruire  ce  passage  important.  —  Il 
était  dix  heures  du  soir  lorsque  les  troupes  eurent,  cha- 
cune de  son  côté,  établi  leur  camp.  —  Le  réveil  devait 
être  sonné  à  trois  heures  du  matin. 

Le  lieutenant-colonel  Dupin,  profitant  de  la  position 
avancée  qu'il  occupait  et  des  ténèbres  de  la  nuit,  prit 
quelques  hommes  avec  lui ,  traversa  le  village  de  Peh- 
tang  que  les  patrouilles  avaient  primitivement  reconnu, 
et  se  dirigea  vers  le  fort  séparé  du  village  par  un  large 
fossé  et  par  un  mur  crénelé,  la  communication  était  éta- 
bhe  au  moyen  d'un  pont  jeté  sur  le  fossé.  —  On  ne  voyait 
aucune  sentinelle;  tout  était  silencieux  et  faisait  présu- 
mer que  le  fort  avait  été  abandonné  par  ses  défenseurs. 
C'est  en  effet  ce  qui  était.  — Le  colonel  Dupin  continua 
d'avancer  vers  les  tentes  encore  dressées  sur  le  terre- 
plein  et  les  traces  toutes  récentes  d'un  campement  indi- 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  119 

quaient  que  l'ennemi  venait  à  peine  de  s'éloigner. —  Les 
seuls  canons  que  l'on  trouva  étaient  en  bois  cerclés 
de  fer. 

Le  colonel  s'empressa  de  retourner  au  camp  pour  in- 
struire le  général  de  Montauban  de  cet  incident.  —  Il 
était  alors  deux  heures  du  matin. 


LXXVIL  —  Un  semblable  abandon,  sans  la  moindre 
tentative  de  défense,  était  étrange  et  s'accordait  peu  avec 
les  rapports  journaliers  des  espions  sur  la  volonté  bien 
arrêtée  des  Chinois  d'opposer  la  plus  vive  résistance  à 
notre  marche  ;  la  présence  surtout  de  ces  canons  inof- 
fensifs placés  aux  embrasures,  pour  simuler  des  canons 
véritables,  faisait  supposer  un  plan  combiné  à  l'avance. 
Le  général  de  Montauban,  que  les  guerres  d'Afrique 
avaient  habitué  aux  ruses  et  aux  embûches  perpétuelles 
des  Arabes,  craignit  avec  raison  que  ce  départ  précipité  ne 
cachât  quelque  piège,  et  fit  aussitôt  porter  l'ordre  au  com- 
mandant du  génie  Dupouet  de  se  rendre  avec  une  com- 
pagnie de  sapeurs  au  point  indiqué  par  le  colonel  Du- 
pin  et  d'examiner  avec  le  plus  grand  soin  si  le  fort  ne 
serait  pas  miné.  — Les  recherches  ne  tardèrent  pas,  en 
effet,  à  être  couronnées  de  succès,  et  les  sapeurs  décou- 
vrirent six  emplacements  de  mines.  Sous  chacun  d'eux, 
les  Chinois  avaient  placé  six  bombes  du  plus  fort  caUbre  ; 
ces  bombes,  armées  à  leur  partie  supérieure  de  deux 
batteries  à  pierre,  comme  celles  de  nos  anciens  fusils, 
étaient  au  ras  du  sol  sous  un  plancher  recouvert  de 
terre  qui,  basculant  au  moindre  contact,  faisait  jouer 


120  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

le  ressort  des  ])alteries  et  dclcriiiiiiait  l'explosion.  — 
Celte  découverte  montrait  que  les  Chinois  auraient  sans 
nul  doute,  dans  beaucoup  d'autres  circonstances,  recours 
à  la  ruse,  et  engageait  le  général  en  chef  à  ne  marcher 
qu'avec  une  extrême  prudence. 

A  quatre  heures  et  demie,  les  troupes  quittaient  le 
hivac.  —  A  cinq  heures ,  elles  entraient  dans  le  l'oit, 
de  concert  avec  les  Anglais ,  et  en  prenaient  pos- 
session. 

LXXYIII.  —  La  flotte  était  à  l'ancre  au  point  indiqué, 
sans  avoir  rencontré,  de  son  côté,  sur  sa  route  aucun 
obstacle. 

Peh-tang,  gros  bourg  de  30  000  âmes  environ,  avait 
été  abandonné  par  toutes  les  autorités;  une  partie  des 
habitants  s'étaient  enfuis,  tant  la  terreur  que  leur  cau- 
sait notre  approche  était  grande  ;  ceux  qui  étaient  restés 
dans  le  village  vinrent  à  nous  avec  les  signes  de  la  plus 
grande  épouvante. — Sans  doute  les  mandarins,  pour  faire 
le  vide  autour  de  nous,  nous  avaient  représentés  comme 
des  barbares  avides  de  sang  et  de  pillage.  A  mesure  que 
l'on  se  rapproche  du  Nord ,  les  populations  sont  plus 
sauvages  ou  plus  craintives;  le  contact  avec  le  commerce 
étranger  n'a  pas  adouci  leur  nature  première.  Aussi  les 
ressources  de  cette  localité  étaient  nulles;  il  fallait 
même  remonter  la  rivière  à  une  distance  de  quatre 
lieues  pour  se  procurer  de  l'eau  potable. —  Les  bateaux 
qui  étaient  chargés  d'alimenter  d'eau  ce  gros  bourg 
avaient  tous  disparu. 


LIVRE   I,    CHAPITRE   111.  121 

Le  général  de  Monlauban  était  cependant  forcé  de 
séjourner  à  Peh-tang  le  temps  nécessaire  au  débarque- 
ment de  ses  dernières  troupes.  —  C'était  là  le  point  de 
rassemblement  général  ;  et  une  fois  son  petit  corps  d'ar- 
mée réuni  à  terre,  il  lui  fallait  prendre  toutes  ses  me- 
sures pour  marcber  vigoureusement  sur  les  forts  du 
Peï  bo,  éloignés  de  trois  ou  quatre  lieues  tout  au  plus, 
et  en  combiner  l'allaque  avec  les  Anglais. 

Les  cavaliers  tartares  que  l'on  avait  aperçus  au  mo- 
ment du  débarquement  indiquaient  que  l'ennemi  ne 
devait  pas  être  loin.  —  La  chaussée,  notre  seule  voie  de 
communication,  était,  disait-on,  encombrée  d'obstacles 
de  toute  nature,  en  dehors  même  des  difficultés  naturelles 
qu'offraient  déjà  les  terrains  vaseux  baignés  par  des 
inondations  per^jétuelles. 

LXXIX.  —  En  attendant  la  réunion  complète  des 
troupes,  les  deux  corps  expéditionnaires  s'éclairent 
avec  soin  et  envoient  de  tous  côtés  des  reconnais- 
sances. 

Dans  la  journée  du  2  août,  un  groupe  de  cavaliers 
tartares  s'avança  audacieusement  sur  la  levée  qui  con- 
duit de  Peli-tang  au  Peï  ho,  et  resia  assez  longtemps 
en  observation.  Ces  cavaliers  faisaient  évidemment  partie 
du  camp  qui  avait  été  signalé.  Aussi  les  généraux  en 
chef,  voulant  s'assurer  de  l'importance  de  ce  camp,  de 
sa  composition  et  des  travaux  qui  en  défendaient  les 
approches,  résolurent  d'envoyer,  dès  le  lendemain,  une 
reconnaissance  dans  cette  direction. 


122  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Le  général  Collincau,  qui  en  avait  reçu  le  comman- 
dement ,  emmenait  avec  lui  mille  hommes  d'infante- 
rie française.  Mille  hommes  d'infanterie  anglaise  de- 
vaient marcher  sous  les  ordres  du  brigadier  Sutton 
avec  deux  obusiers  de  montagne  et  une  compagnie 
de  génie. 

A  quatre  heures  du  matin,  les  troupes  partent  de  Peh- 
tang,  le  général  CoUineau  en  tète,  et  s'avancent  sur  la 
chaussée. 

Plusieurs  heures  se  passèrent  sans  que  la  colonne 
d'exploration  fût  inquiétée.  Tout  à  coup  elle  se  trouva 
en  vue  d'un  gros  de  cavaliers  tartares  au  nombre 
de  deux  à  trois  cents  environ  et  de  troupes  d'infan- 
terie, qui  paraissaient  occuper  un  camp  retranché 
d'une  certaine  étendue.  —  Ce  camp  se  trouvait  par 
sa  position  à  8  kilomètres  environ  de  Peh-tang  et  à 
1200  mètres  au  plus  du  point  de  jonction  delà  route 
de  ce  bourg  avec  celles  qui  conduisent  à  Tien-tsin  et 
au  Peï  ho. 

Le  général  continua  sa  marche,  et  les  vedettes  tar- 
tares se  replièrent  sur  le  gros  de  cavalerie  ennemie. 
Bientôt  une  fusillade  s'engagea,  et  une  batterie  de  gin- 
galls  placée  sur  la  face  du  camp  qui  regarde  la  chaus- 
sée par  laquelle  nous  avancions,  se  mit  à  tirer  avec  opi- 
niâtreté dans  notre  direction  et  nous  blessa  quelques 
hommes  ;  le  général  fil  aussitôt  mettre  en  position  la 
section  de  batterie  de  montagne  qu'il  avait  emmenée 
avec  lui ,  et  envoya  des  boulets  dans  le  camp  en- 
nemi. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  123 

LXXX.  —  Le  bruit  de  la  canonnade  se  faisait  en- 
tendre au  camp  allié,  et  le  général  de  Montauban,  in- 
quiet de  la  proportion  qu'elle  semblait  prendre,  se  trans- 
porta au  sommet  du  fort  qui  domine  la  plaine.  —  A 
l'aide  d'une  longue-vue,  il  se  rendit  parfaitement  compte 
qu'une  action  sérieuse  n'était  pas  engagée  ;  mais  comme 
les  forts  de  la  rive  gauche  du  Peï  ho  se  trouvaient  assez 
rapprochés  du  lieu  où  l'ennemi  avait  été  rencontré,  il 
monta  aussitôt  à  cheval,  et  prenant  avec  lui  une  autre 
section  d'artillerie  de  montagne  et  une  compagnie 
d'infanterie,  il  se  rendit  en  toute  hâte  sur  le  terrain  de 
l'action. 

Le  général  Collineau ,  avec  l'énergie  et  l'intelli- 
gence qui  le  distinguaient  à  un  si  haut  point,  après 
avoir  pris  toutes  ses  dispositions  contre  l'éventualité 
d'une  attaque  sérieuse,  avait  continué  d'avancer  abonne 
portée. 

Le  but  que  l'on  voulait  atteindre  était  rempli,  car  le 
général  CoUineau  devait  simplement  reconnaître  le 
camp  retranché  qui  avait  été  signalé  et  déterminer  son 
importance.  —  Après  avoir  chassé  l'armée  tartare  de 
ses  avant-postes,  et  l'avoir  forcée  à  se  replier  dans  l'in- 
térieur du  camp ,  ce  général  resta  en  présence  de  l'en- 
nemi tout  le  temps  nécessaire,  pour  bien  constater  aux 
yeux  des  Tartares  qu'il  était  prêt  à  accepter  un  combat 
sérieux,  puis  il  reprit  la  route  de  Peh-tang  et  ramena  ses 
troupes  à  leur  campement. 

LXXXL  —  La  direction  qu'avaient  suivie  les  cavaliers 


124  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

larlares  en  se  retirant  devait  faire  supposer  rexislencc 
d'autres  camps  sur  la  route  de  Tieu-tsin  et  sur  celle  du 
Peï  lio.  —  Derrière  les  positions  qui  venaient  d'èlre  re- 
connues, on  apercevait  un  village  assez  tort. 

La  cavalerie  tarlare  paraît  bien  montée;  les  hommes, 
semblables  en  cela  aux  goums  arabes,  manient  leurs  che- 
vaux avec  dextérité  ;  on  avait  vu  des  chefs  diriger  leurs 
mo«veme!its.  —  Leur  armement,  du  icste,  est  primitif 
et  se  compose  en  grande  partie  d'arcs  et  de  flèches, 
dont  ils  se  servent,  dit-on,  avec  une  grande  habileté  ; 
quelques-uns  pourtant  étaient  armés  de  fusils,  ce  qu'in- 
diquaient les  petits  flocolis  de  fumée  que  l'on  voyait  de 
temps  à  autre  s'élever  au  milieu  d'eux.  —  Cette  cava- 
lerie devait-elle  dans  un  combat  opposer  une  résistance 
sérieuse?  C'est  ce  qu'il  était  assez  diflicile  de  pré- 
juger à  première  vue.  Pour  le  moment  elle  était  très- 
utilement  employée  au  service  d'avant-postes,  et  per- 
sonne ne  pouvait  sortir  de  Peh-tang ,  sans  que  les 
vedettes  de  ces  avant-postes  n'en  avertissent  aussitôt  par 
des  signaux  qui  pouvaient  être  vus  de  très-loin. 

Il  n'eût  pas  été  sans  utilité  de  faire  sans  plus  tarder 
ime  nouvelle  reconnaissance  sur  la  route  qui  se  dirige 
vers  Tien-lsin,  afin  de  savoir  ce  que  l'on  pouvait  avoir  à 
craindre  de  ce  côté;  il  était  important  surtout  de  quitter 
au  plus  vite  ces  terrains  marécageux  où  l'on  se  trouvait, 
à  marée  haute,  entouré  par  les  eaux  de  mer,  et  que  des 
pluies  torrentielles  très- fréquentes  rendent  plus  impra- 
ticables encore.  —  Mais  l'on  ne  pouvait  songer  à  pro- 
noncer un  mouvement  sérieux  en  avant,  tant  que  la 


LIVRE   I,   CHAPITRE  111.  125 

cavalerie  anglaise  n'aurait  pas  été  débarquée.  Celte  ca- 
valerie est  très-belle,  et  le  général  Grant  ne  veut  rien 
entreprendre  avant  son  arrivée. 

Les  troupes  anglaises,  nous  l'avons  souvent  dit,  sont 
remarquables  et  très-bien  commandées  ;  mais  il  faut 
bien  des  choses  pour  les  mettre  en  mouvement.  —  On 
l'avait  vu  eu  Crimée;  les  mêmes  embarras  se  repré- 
sentaient en  Chine.  La  quantité  énorme  de  bagages  et 
d'hommes  non  combattants  que  cette  armée  traîne  tou- 
jours après  soi  l'immobilise  forcément  à  cerlains  mo- 
ments, et  lui  enlève  parfois  cette  décision  de  mouve- 
ments et  cette  promptitude  si  nécessaire  à  la  guerre, 
la  condamnant  ainsi  à  une  force  d'inertie  indépendante 
de  la  volonté  des  chefs. 

LXXXIL  — L'état  sanilairedes  corps  expéditionnaires, 
jusque-là  satisfaisant,  pouvait  souffrir  d'un  séjour  pro- 
longé dans  ces  marais  infects,  devenus  plus  insalubres 
encore  par  la  concentration  d'un  aussi  grand  nombre 
de  troupes,  et  par  les  grandes  difficultés  qui  existaient 
pour  se  procure)-  de  l'eau  potable.  En  avançant  dans  la 
direction  du  Pei  ho,  le  terrain  se  relève  sensiblement; 
une  riche  végétation  et  de  grands  et  beaux  arbres  dont 
les  branches  chargées  de  feuillage  étendent  au  loin  leur 
ombre  sur  des  plaines  cultivées ,  remplacent  l'aspect 
triste  et  morne  de  celle  plage  vaseuse.  Eti  outre  l'éta- 
blissement des  camps  tartares,  dans  un  rayon  assez 
rapproché,  ne  laissait  aucun  doute  sur  les  ressources 
de  première  nécessité  que  l'on  devait  y  rencontrer.  — 


126  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Les  pluies  vinrent  encore  apporter  de  nouveaux  relards 
en  rendant  les  routes  impraticables,  il  fallut  donc  for- 
cément attendre  que  les  terrains  inondés  se  raffermissent 
un  peu. 

L'ordre  de  départ  est  donné  pour  le  12  août. 

Les  petites  reconnaissances  envoyées  pour  éclairer  la 
route  que  nous  devions  suivre  ont  signalé  une  assez 
grande  agitation  dans  le  camg  retranché  que  le  général 
Collineau  avait  canonné  pendant  quelques  heures  dans 
la  journée  du  7. 

Au  lever  du  jour,  l'armée  alliée  se  met  en  marche. 
Une  batterie  d'artillerie ,  la  cavalerie  et  mille  fan- 
tassins ,  sous  le  commandement  du  général  Napier, 
se  dirigent,  parla  route  de  Tien-tsin,  à  droite  de  la 
chaussée. 

Une  autre  colonne  anglaise,  précédée  d'une  avant- 
garde  commandée  par  le  général  Stavcley,  suit  afissi 
avec  la  colonne  française  cette  chaussée,  large  de  6  à 
7  mètres  au  plus,  jusqu'à  un  point  de  bifurcation,  où  les 
deux  corps  alliés  doivent  se  diviser  :  les  Anglais  se  di- 
rigeant à  droite,  —  les  Français  continuant  à  tenir  la 
gauche  de  la  position.  —  A  une  distance  de  1000  mè- 
tres environ  du  camp  retranché  contre  lequel  on  mar- 
chait, les  terrains  autour  de  la  chaussée  cessaient  d'être 
inondés  et,  devenus  plus  fermes,  permettaient  de  s'y 
déployer. 

LXXXin.  —  Vers  neuf  heures,  la  cavalerie  anglaise 
rencontra  les  cavahers  tartares  campés  en  avant  du  village 


LIVRE  I,   CHAPITRE  III.  127 

de  Sin-ko.  Ces  cavaliers  se  présentèrent  de  front  assez 
audacieusement  en  dehors  des  retranchements,  et  cher- 
chant à  séparer  la  colonne  de  l'extrême  droite  de  celle 
du  centre,  chargèrent  avec  impétuosité  la  cavalerie  an- 
glaise. Malgré  une  vive  fusillade  elle  feu  très-nourri de 
plusieurs  pièces  de  canon,  ils  avancèrent  à  une  distance 
de  100  mèlres;  mais  plusieurs  chevaux  et  cavaliers  tués 
ou  blessés  jetèrent  le  désordre  dans  leurs  rangs,  et  ils 
s'éloignèrent  bientôt  avec  autant  de  précipitation  qu'ils 
étaient  venus. 

Du  côté  que  devait  attaquer  le  corps  français,  la  résis- 
tance ne  fut  pas  plus  sérieuse,  et  après  quelques  coups 
de  canon,  le  camp  de  Sin-ko  fut  enlevé.  Quand  on  y 
entra,  il  était  désert;  les  combattants  avaient  disparu  : 
on  ne  trouva  que  des  cadavres  d'hommes  et  de  chevaux 
tués  par  les  projectiles  de  l'artillerie.  —  Ce  retranche- 
ment était  un  ouvrage  de  campagne  en  terre  précédé 
d'un  fossé  plein  d'eau  qui  en  défendait  les  approches. 
—  Le  village  de  Sin-ko,  qui  se  trouve  en  arrière,  est 
un  bourg  de  peu  d'importance,  fort  sale  intérieurement, 
comme  presque  tous  les  villages  du  nord  de  la  Chine.  Il 
se  compose  de  maisons  bâties  en  terre  ;  mais  chacune 
d'elle  à  peu  près  possède  un  jardin  très-bien  cultivé 
où  croissent  des  fruits  et  des  légumes  de  toute  es- 
pèce. —  C'est  la  seule  richesse  de  ces  pauvres  habitants, 
richesse  qu'ils  trouvent  au  sein  de  la  terre  et  qu'ils 
payent  de  leur  travail  de  chaque  jour. 

Il  y  avait  fort  heureusement  en  abondance  du  four- 
rage de  très-bonne  qualité  ;  quelques  prises  de  chevaux 


128  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

et  de  mulets  remplacèrent  les  perles  faites  pendant  la 
traversée. 

Mais  ce  qui  étonna  le  plus,  ce  fut  la  découverte  d'un 
mont  de  piété  a  rempli,  écrit-on,  d'une  immense  quan- 
tité d'effels  parfaitement  en  ordre  avec  des  éliquetles 
sur  chaque  objet.  »  Au  milieu  des  effets  déposés,  il 
y  avait  dos  hahillements  assez  riches,  et  ce  qui  s'ex- 
plique diflicilement,  trois  ou  quatre  cents  vêtements 
fourrés  en  peau  de  moutons,  la  plupart  neufs.  L'inten- 
dance s'en  empara  pour  les  affecter  aux  hommes  de 
service  ,  pendant  l'hiver,  si  rude  dans  le  nord  de  la 
Chine. 

Les  troupes  anglaises  s'élabliient  dans  le  camp  re- 
tranché. —  Le  corps  français  hivaqua  dans  la  grande 
plaine  qui  s'étend  à  droite  et  à  gauche  de  la  chaussée, 
plaine  humide,  entremêlée  de  marais  remplis  d'eau  sau- 
màlre,  terrains  d'une  vase  plus  durcie  que  celle  qui 
couvre  les  abords  do  Poh-tang,  mais  perpétuellement 
boueux  malgré  les  rayons  ardents  du  soleil. 

LXXXIV.  —  L'armée  alliée  se  trouvait  donc  ainsi  in- 
stallée autour  du  village  situé  en  amont  de  toutes  les 
défenses  de  la  rive  gaucho  du  Poi  ho.  — Sans  nul  doute 
les  fuyards  s'étaient  retirés  dans  le  village  de  Tang-ko, 
village  fortifié,  dont  les  défenses,  très-sérieuses  et  très- 
bien  entendues,  aflectaient  la  forme  d'un  parallélogramme 
irrégulier,  offrant  sur  ses  grandes  faces  un  développe- 
ment de  1500  à  1600  mètres  environ.  Le  tracé  le  fer- 
mait complètement  et  permettait  le   flanquement  des 


LIVRE  I,  CHAPITRE  111.  129 

faces.  Deux  voies  conduisaient  à  ce  grand  camp  retran- 
jhé  défendu  ,  assurait-on ,  par  des  forces  d'infanterie 
considérables  et  par  une  nombreuse  artillerie.  — L'une 
de  ces  voies  longeait  le  Peï-lio  et  tournait  par  la  gauche 
l'ouvrage  que  nous  voulions  enlever;  —  l'autre,  qui 
était  la  continuation  de  la  chaussée  par  laquelle  l'ar- 
mée alliée  s'était  avancée  le  12,  l'abordait  de  front.  Mais 
les  deux  côtés  de  cette  chaussée,  noyés  par  les  alluvions 
du  fleuve,  ne  permettaient  aucun  déploiement,  soit  d'in- 
fanterie, soit  d'artillerie. 

Le  général  de  Montauban  ,  voulant  s'assurer  par  lui- 
même  de  la  position  exacte  et  des  dispositions  de  la  dé- 
fense, dirigea  en  personne  une  reconnaissance  par  la 
chaussée,  et  avança  jusqu'à  1200  mètres  environ  du 
front  de  l'ouvrage.  —  La  cavalerie  tartare  échappée  la 
veille  du  camp  de  Sin-ko,  bivaquait  en  avant  et  sous 
le  canon  des  travaux  défensifs.  —  Le  général  fit  mettre 
une  batterie  en  position  sur  la  chaussée  pour  déloger  ces 
cavaliers;  mais  en  apercevant  le  mouvement  de  l'artille- 
rie, ceux-ci  pénétrèrent  rapidement  dans  l'intérieur  des 
retranchements,  qui  restaient  silencieux,  quoique  nous 
fussions  à  bonne  portée  de  leurs  pièces.  —  Quelques  vo- 
lées furent  lancées  contre  ces  forts,  pour  savoir  de  quel 
côté  ils  ripo?teraient  et  apprécier  à  la  fois  la  portée  de 
leur  feu  et  la  justesse  de  leur  tir.  —  En  effet,  la  gauche 
des  forts  tira  fort  peu,  et  ses  coups  étaient  insignifiants; 
les  Chinois  cherchaient  à  prendre  la  chaussée  d'enfi- 
lade, tandis  que  la  face  droite,  dans  tout  son  développe- 
ment, la  prenait  en  écharpe. 

II  9 


130  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

Le  général  Grant  et  ramiral  Hope  vinrent  rejoindre 
le  général  Montauban  en  tète  de  la  colonne ,  où  il  se 
tenait  pour  observer  le  tir  de  l'artillerie  chinoise ,  et  il 
fut  décidé  que  l'on  attaquerait  cet  ouvrage,  dès  le  lende- 
main, 14  août. 

Le  terrain  était  bien  reconnu  ;  la  voie  qui  longeait 
la  rive  gauche  même  du  Peï-ho  était  préférable  en 
tous  points,  bien  qu'elle  fût  coupée  par  de  nom- 
breux canaux  et  qu'elle  dût  présenter  des  difficultés 
réelles  à  la  marche  des  troupes  et  surtout  à  celle  de 
l'artillerie. 

LXXXV.  —  Les  commandants  en  chef,  après  cette 
exploration,  rentrèrent  au  camp  pour  arrêter  un  plan 
définitif,  et  prendre  les  dispositions  relatives  à  l'attaque 
du  lendemain.  L'armée  alliée  marchera  en  colonne  par 
bataillons  en  masse,  le  terrain  marécageux  entre  le  fleuve 
et  la  chaussée  ne  permettant  pas  un  grand  développe- 
ment. —  Afin  d'éviter  tout  ce  qui  pourrait,  pendant  la 
durée  de  l'expédition ,  troubler  le  bon  accord  si  utile 
qui  existait  entre  les  commandants  en  chef  des  deux 
nations,  il  a  été  arrêté,  dès  le  début  de  la  campagne, 
que  chacun,  à  tour  de  rôle,  choisirait  dans  l'ordre  de 
marche  des  attaques  combinées  le  terrain  qu'il  voudrait 
occuper. 

Le  général  Grant  choisit  la  droite.  —  Ainsi  l'armée 
anglaise,  appuyant  sa  droite  au  Peï-ho,  descendait 
parallèlement  au  fleuve ,  tandis  que  les  deux  brigades 
d'infanterie  française  des  généraux  Jamin  et  Gollineau 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  131 

avançaient  en  colonnes  serrées  à  sa  gauche  et  à  la  même 
hauteur. 

Les  deux  artilleries  marchaient  à  500  mètres  envi- 
ron en  avant,  précédées  par  une  avant-garde  qui  éclai- 
rait la  route.  —  L'artillerie  française  était  soutenue 
par  une  colonne  d'attaque  composée  de  200  marins  de 
débarquement,  d'une  compagnie  de  sapeurs  du  génie 
munie  d'échelles  que  portaient  des  coolies,  d'une  com- 
pagnie d'infanterie  de  marine  et  d'une  compagnie  du 
deuxième  bataillon  de  chasseurs  à  pied  (1).  Des  canaux 
nombreux  coupent  la  plaine  que  traverse  le  corps  fran- 
çais, mais  les  pontonniers  jettent  aussitôt  des  ponts  et 
exécutent  si  rapidement  ce  travail  plusieurs  fois  répété, 
que  les  troupes  n'éprouvent  aucun  retard. 

LXXXVI.  — A  1500  mètres  des  retranchements  en- 
nemis, notre  artillerie  ouvre  son  feu  ;  elle  se  compose 
de  dix  pièces  de  4  (les  deux  dernières  pièces  de  la 
deuxième  batterie  étaient  sur  la  chaussée),  de  six  pièces 
d'obusiers  de  montagne  et  de  la  batterie  des  fuséens. 
Comme  nous  tenions  la  gauche  de  l'attaque ,  nous 
avions  à  enlever  la  face  de  l'ouvrage  qui  regarde  le 
couchant. 

Il  est  .huit  heures  du  matin,  les  forts  répondent  éner- 
^giquement,  mais  leur  tir  est  si  mal  dirigé  et  si  inoffensif 
que  le  colonel  de  Benlzmann  rapproche  presque  aussi- 
tôt sa  ligne.  Les  forts  continuent  à  tirer  sans  plus  de 

(1)  Dépêche  du  15  août  au  ministre  de  la  guerre. 


132  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

succès  ;  leurs  projectiles  arrivent  à  peine  jusqu'à  nous. 
Les  deux  pièces  placées  en  batterie  sur  la  chaussée 
avaient  suivi  le  mouvement;  elles  avaient  reçu  mission 
de  détruire  les  défenses  situées  à  l'extrémité  de  cette 
chaussée  ;  car  c'est  sur  ce  point  que  doit  plus  tard  se 
diriger  la  colonne  d'attaque.  —  Bientôt  notre  artillerie 
s'est  rapprochée  jusqu'à  400  mètres.  Quelques  hommes 
sont  mis  hors  de  combat,  mais  nos  boulets  ont  très- 
grandement  endommagé  la  face  de  l'ouvrage  qu'ils  con- 
trebattent. 

Le  moment  est  venu  de  donner  l'assaut.  Le  général 
de  Montauban  ,  après  s'être  entendu  avec  son  collègue 
de  l'armée  anglaise,  fait  rapprocher  toute  son  infante- 
rie ,  et  donne  ordre  au  chef  d'état-major  général ,  le 
lieutenant-colonel  Schmilz,  de  former  en  colonnes  d'at- 
taque les  colonnes  d'avant- garde,  et  d'enlever  à  leur  tête 
les  retranchements  ennemis.  —  Le  colonel,  malade  à  Peh- 
-lang  depuis  plusieurs  jours,  n'avait  pas  voulu  laisser  à 
un  autre  l'honneur  qui  lui  revenait  de  marcher  à  la  tête 
des  colonnes  d'assaut,  et  était  accouru  au  moment  du 
■départ  pour  prendre  part  au  combat. 

Aussitôt  qu'il  a  reçu  l'ordre  du  général  en  chef,  il 
s'élance  avec  ses  troupes  et  atteint  rapidement  le  bord 
du  fossé  qui  protège  l'ouvrage  ennemi.  —  Du  haut  du 
mur  crénelé,  les  Chinois  commencent  une  assez  vive 
fiit'illade.  Le  génie  accourt  et  établit  à  la  hâte  un  pont  de 
madriers;  mais  le  colonel  s'est  déjà  jeté  dans  le  fossé 
sous  le  feu  de  l'ennemi.  Ce  fossé  est  tellement  profond, 
que  ce  brave  officier  est  sur  le  point  d'y  périr;  deux  ca- 


LIVRE  I,  CHAPITRE  III.  133 

pitaines  d'état-major,  MM.  Chanoine  et  Guerrier,  s'é- 
lancent à  leur  tour  pour  porter  aide  au  colonel,  et  tous 
trois  atteignent  bientôt  l'autre  bord. 

LXXXVII.  —  Ce  noble  exemple  est  aussitôt  suivi,  et 
pendant  qu'une  partie  des  troupes  traverse  le  fossé  à  la 
nage,  l'autre  encombre  les  ponts  qui  ploient  sous  le 
nombre  des  combattants.  —  Les  échelles  sont  dressées, 
et  pendant  que  les  portes  du  fort  sont  brisées  à  coups 
de  hache,  les  remparts  sont  couronnés  de  tous  côtés  par 
nos  troupes.  —  Le  premier  et  en  présence  de  toute  l'ar- 
mée, le  colonel  Schmitz  a  planté  sur  leur  sommet  le 
drapeau  de  la  France;  l'ouvrage  est  envahi,  et  ses  dé- 
fenseurs fuient  en  désordre  dans  la  direction  du  Pei- 
ho;  leur  terreur  est  telle  qu'ils  ne  pensent  même  pas  à 
détruire  derrière  eux  le  pont  qui  sert  de  communication 
avec  un  dernier  fort,  le  fort  de  Yu-kia-pou. 

Pendant  que  ces  faits  se  passaient  sur  la  gauche  de 
l'armée  alliée,  les  Anglais  tournaient  l'ouvrage  ennemi 
par  le  côté  qui  touche  au  fleuve,  et,  favorisés  par  la 
marée  basse ,  ils  ne  tardèrent  pas  à  l'occuper.  —  Cette 
face ,  protégée  par  le  Pei-lio ,  n'était  point  entourée  de 
fossés. 

a  Bon  nombre  de  cadavres  abandonnés  sur  le  point 
où  ils  avaient  été  atteints  (écrit  le  général  de  Montau- 
ban  au  ministre,  18  août  1860),  environ  cent  autres 
trouvés  dans  les  maisons  abandonnées  du  village,  les 
corps  de  quelques  mandarins  d'un  rang  assez  élevé 
qui  s'étaient  ouvert  la  gorge  au  moment  de  la  fuite  de 


134  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

leurs  troupes,  attestaient  les  pertes  sérieuses  de  l'ennemi 
et  témoignaient  des  ravages  produits  par  notre  artillerie 
rayée. » 

Les  Chinois  s'étaient  défendus  avec  opiniâtreté  jus- 
qu'au moment  où  ils  avaient  vu  nos  colonnes  d'assaut 
gravir  leurs  remparts.  Port  heureusement  le  feu  inces- 
sant de  leur  mousquelerie,  avait  été  très-mal  dirigé; 
aussi  nos  pertes  n'étaient  pas  en  proportion  de  la  résis- 
tance que  nous  avions  rencontrée. 


CHAPITRE  IV. 


LXXXVIIT.  —  Ces  deux  succès  consécutifs  inauguraient 
bien  la  campagne,  et  devaient  donner  grandement  à  ré- 
fléchir aux  chefs  de  l'armée  chinoise  sur  la  suite  des 
opérations  militaires. 

Évidemment  toutes  les  forces  qui  occupaient  ces 
deux  camps  retranchés  avaient  reflué  vers  les  forts 
du  Peï-ho,  centre  principal  de  la  défense.  Mais  à 
1 500  mètres  environ  des  points  que  nous  venions  d'en- 
lever à  l'ennemi ,  il  y  avait  une  troisième  position  for- 
tifiée, vers  laquelle  couraient  en  désordre,  en  proie  à  la 
plus  évidente  démoralisation,  les  cavaliers  lartares  et 
les  troupes  chinoises.  —  Il  était  facile  de  voir  que  dans 


LIVRE  I,   CHAPITRE  IV.  135 

leur  fuite  précipitée,  ils  n'obéissaient  plus  à  aucun 
ordre ,  et  que  la  terreur  les  jetait  çà  et  là  dans  toutes  les 
directions.  Il  eût  été  à  désirer  que  l'on  marchât  immé- 
diatement sur  ce  troisième  camp  retranché  (Yu-kia-pou), 
le  dernier  de  la  rive  gauche  avant  les  deux  forts;  sa 
prise  eût  achevé  la  déroute  complète  de  cette  partie  de 
l'armée  chinoise.  Le  général  de  Montauban  envoya  un 
de  ses  aides  de  camp  proposer  au  général  Grant  de  se 
porter  en  avant  pour  s'emparer  de  celte  position  ;  il  était 
alors  onze  heures  du  matin.  Le  général  anglais,  crai- 
gnant que  cette  marche  forcée  ne  fatiguât  outre  mesure 
ses  troupes,  n'accepta  point  cette  proposition.  —  Les 
troupes  alliées  s'arrêtèrent  donc  là,  et  s'établirent  dans 
la  nouvelle  position  conquise. 

LXXXIX.  —  L'enlèvement  du  dernier  camp  retranché 
de  la  rive  gauche  n'avait  d'importance  réelle  que  par 
son  exécution  immédiate ,  et  par  la  terreur  salutaire 
que  ces  trois  victoires  successives ,  eussent  imprimée 
à  l'ennemi  qui  avait  cru  pouvoir,  par  l'établissement 
de  ces  camps  rétranchés,  arrêter  la  marche  des  corps 
alHés. 

Du  moment  que  l'attaque  en  était  remise,  elle  de- 
venait inutile  dans  la  pensée  du  général  de  Montauban, 
car  ce  dernier  camp,  ainsi  que  les  forts  de  la  rive 
gauche,  devaient  nécessairement  abandonner  toute  résis- 
tance lorsque  ceux  de  la  rive  droite ,  dans  lesquels  les 
Chinois  avaient  concentré  leur  véritable  défense,  se- 
raient tombés  en  notre  pouvoir;  ces  forts,  par  leur  posi- 


136  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

lion,  dominaient  les  autres,  et  étaient  bien  les  derniers 
remparts  de  la  puissance  chinoise  sur  le  Pei-ho.  —  Le 
général  de  Montauban  proposa  donc  au  général  Grant, 
qui  l'accepta,  de  négliger  les  défenses  de  la  rive  gauche 
pour  attaquer  celles  de  la  rive  droite,  devant  lesquelles, 
le  25  juin  de  l'année  précédente,  l'amiral  Ilope  avait  él6 
arrêté,  à  rentrée  du  fleuve. 

Présageant  dans  sa  pensée  le  succès  des  armées  al- 
liées, le  commandant  en  chef  français  écrivait  alors  au 
minisire  de  la  guerre  (15  août  1860)  :  «Nous  faisons 
construire  un  pont  qui  nous  permettra  de  passer  sous 
huit  jours  de  l'autre  côté  du  Pcï-ho.  —  Nous  n'aurons 
plus  qu'une  lieue  à  faii'c  pour  arriver  auprès  des  forts 
de  la  rive  droite ,  et  le  seul  obstacle  que  nous  trouve- 
rons sera  un  camp  de  6  ou  8000  Tartares  que  nous  en- 
lèverons. Il  ne  nous  restera  ensuite  qu'à  abattre  les  forts 
de  droite  ,  et  à  nous  rendre  à  Tien-tsin.  » 

Pendant  les  quelques  jours  que  nécessitait  la  con- 
struction du  pont,  on  s'occupa  activement  d'approvi- 
sionner le  camp  de  Sin-ko,  afin  d'être  en  mesure  de 
transporter  promplement  les  vivres  sur  l'autre  côté  du 
fleuve. 

XC.  —  Dans  cette  guerre,  où  l'ennemi  ne  pouvait 
pas  opposer  aux  armées  aUiécs  de  forces  réellement 
dangereuses,  la  grande  difficulté  consistait  à  pourvoir  à 
tous  les  besoins ,  sans  avoir  à  sa  disposition  des  moyens 
suffisants.  Il  était  indispensable,  malgré  le  nombre  res- 
treint des  combattants,  de  laisser  quelques  troupes  dans 


LIVRE  J,   CHAPITRE  IV.  137 

les  différents  camps,  pour  proléger  l'arrivée  des  convois, 
jusqu'au  jour  où  l'enlèvement  des  forts  assurerait  le 
libre  passage  du  Ptï-ho  et  permellruit  à  nos  bâtiments 
légers  de  nous  servir  de  magasins.  —  Il  fallait  agir  ré- 
solument, et  cependant  ne  pas  s'exposer  à  un  échec  qui 
pouvait,  quelque  minime  qu'il  fût,  avoir  une  influence 
funeste  pour  le  prestige  de  nos  armes. 

XCI.  —  Déjà  le  gouverneur  de  la  province,  après 
l'enlèvement  rapide  des  deux  camps  retranchés ,  avait 
envoyé,  dans  la  journée  du  14,  un  parlementaire,  por- 
teur de  lettres  pour  le  baron  Gros  et  pour  lord  Elgin  ; 
les  habitants  des  villages  environnants  avaient  fait  sup- 
plier les  commandants  en  chef  de  mettre  fin  à  ce  cruel 
état  de  guerre  ;  mais  les  ambassadeurs  avaient  ferme- 
ment résolu  qu'ils  n'accepteraient  aucune  proposition 
de  paix,  avant  la  prise  des  forts  du  Pei-ho. 

Des  lettres  trouvées  dans  les  papiers  du  mandarin  chi- 
nois de  Sin-ko  ont  été  apportées  à  lord  Elgin  ;  ces  lettres 
envoyées  de  Pé-king  contiennent  des  instructions  très- 
détaillées  pour  châtier  les  audacieux  barbares  qui  osent 
affronter  la  juste  colère  du  grand  Empereur.  Entre  autres 
détails  curieux,  on  y  trouva  la  mise  à  prix  des  différents 
chefs  européens  :  la  tète  des  ministres  plénipoten- 
tiaires valait  1500  taels,  c'est-à-dire  12  000  fr.  —  Celle 
des  généraux  en  chef  n'était  portée  qu'à  1000  taels, 
8000  fr. 

a  J'ordonne,  disait  l'empereur  de  la  Chine,  à  tous 
mes    sujets,  miliciens  et  cultivateurs,    habitants    des 


138  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

villes  et  des  campagnes  ,  Chinois  ou  Tartares ,  de  les  dé- 
truire connue  des  anini;iux  malfaisants.  » 


XGII.  —  Le  général  de  Montauban,  préoccupé  d'éta- 
blir sans  retard  un  point  de  communication  avec  la 
rive  droite,  envoya  le  colonel  du  génie  Livet,  avec  ordre 
de  déblayer  le  terrain  et  d'assurerla  position  des  tra- 
vailleurs qu'il  voulait  jeter  de  ce  côté.  Le  colonel 
poussera  en  avant  une  vigoureuse  reconnaissance  pour 
explorer  les  pays  environnants. —  Des  jonques  et  des  bar- 
ques prises  aux  Chinois  servent  à  effectuer  le  passage 
des  troupes  qui  se  composent  du  1"  bataillon  du  101*  de 
ligne.  L'ennemi  avait  l'avantage  d'un  terrain  très-favo- 
rable ;  car  les  terres  coupées  par  de  petits  coteaux  sont 
en  outre  semées  de  vignes  et  d'arbres  de  toute  espèce 
et  de  tumuli  nombreux,  abris  naturels,  derrière  lesquels 
les  Chinois  se  cachent  et  entretiennent  une  vive  fusillade, 
fort  heureusement  très-mal  dirigée;  ils  ont  même  mis 
en  ligne  plusieurs  pièces  de  canon.  Au  milieu  de  tous 
ces  jardins  et  de  ces  plantations,  l'attaque  est  difficile; 
il  faut  déloger  successivement  l'ennemi  de  chaque 
massif. 

Le  général  en  chef,  instruit  du  caractère  sérieux  que 
prenait  cet  engagement,  fit  passer  le  fleuve  au  2*=  batail- 
lon de  chasseurs  commandé  par  M.  de  la  Poterie.  Ce 
renfort  permit  au  colonel  Livet  de  prendre  une  vigou- 
reuse offensive.  —  Los  chasseurs,  lancés  à  la  poursuite 
des  Tartares  qui  se  dispersent  par  groupes  dans  les  hal- 
liers,  les  poursuivent  la  baïonnette  dans  les  reins  et  les 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  139 

mettent  en  fuite.  Bientôt  on  les  voit  courir  en  désordre 
au  travers  d'une  grande  plaine  qui  précède  le  village  de 
Sin-ko,  laissant  en  notre  possession  non-seulement  la 
plus  grande  partie  des  pièces  qu'ils  ont  amenées,  mais 
aussi  une  batterie  de  canons  et  de  gingalls  qui  avait  été 
établie  près  des  jardins,  sur  la  plage  même,  pour  battre 
de  ses  feux  la  rive  gauche.  Les  chasseurs  continuent 
leur  marche  au  pas  de  course  et  s'emparent  du  village 
de  Sia-o-leantz,  excellente  tête  de  pont  pour  protéger 
nos  opérations  futures. 

XCIII.  —  La  nuit  était  venue  et  tout  était  silencieux, 
lorsque  les  lueurs  sinistres  d'un  vaste  incendie  suivies  de 
nombreuses  détonations  vinrent  troubler  ce  silence  et 
cette  obscurité.  Les  troupes  chinoises,  placées  en  avant- 
garde  pour  s'opposer  à  notre  passage,  brûlaient  leurs 
approvisionnements  et  faisaient  sauter  les  poudrières, 
avant  d'évacuer  leurs  positions  et  de  se  replier  sur  les 
ouvrages  importants  qui  défendent  l'entrée  du  fleuve. 
—  Ce  ne  devait  pas  être  sans  un  grand  regret  que  l'ar- 
mée ennemie  nous  laissait  ainsi  prendre  pied  sur  la  rive 
droite  du  Peï-ho,  lorsque  déjà  nous  nous  étions  établis 
sur  la  rive  gauche. 

Le  19,  le  général  Jamin  traversait  à  son  tour  le 
Peï-ho  avec  sa  brigade  et  consolidait  notre  établisse- 
ment dans  le  village  de  Sia-o-leantz,  en  y  campant  avec 
toutes  les  troupes  placées  sous  ses  ordres. 

Le  général  Granl,  sollicité  par  l'amiral  Hope  qui  avait 
à  cœur  de  venger  l'échec  de  l'année  précédente,  revenait 


140  CAMPAGNE  DE   CHINE. 

sur  l'assenlinient  qu'il  avait  donué  primitivement  au 
plan  du  général  en  chef  français,  et  demandait  avec 
instance  que  l'on  continuât  l'attaque  des  forts  de  la  rive 
gauche.  En  efîet,  ces  forts  une  fois  au  pouvoir  des  alliés, 
les  canonnières  pouvaient  venir  s'appuyer  au-dessous 
d'eux  cl  prendre  leur  part  dans  l'action  générale,  en 
canonnanl  les  ouvrages  de  la  rive  droite. 

XCIV.  —  Deux  plans  se  trouvaient  donc  en  présence. 

Le  général  de  Montauban  disait  : 

a  La  continuation  des  attaques  de  la  rive  gauche  est 
sans  nécessité  et  peut  nous  faire  perdre  inutilement  du 
monde.  La  prise  de  ces  forts,  stratégiquement  parlant, 
ne  doit  point  amener  la  reddition  des  forts  de  la  rive 
droite;  leur  abandon,  s'il  a  lieu  sans  coup  férir  par  les 
Cliinois,  doit  être  regardé  comme  un  de  ces  cas  fortuits, 
résultat  d'une  impression  subite  de  terreur,  et  nullement 
comme  une  conséquence  logique,  en  face  de  l'accrois- 
sement considérable  apporté  à  ces  ouvrages  par  l'ennemi. 

«  En  outre,  les  Chinois  ne  nous  voyant  pas  concentrer 
nos  forces  sur  les  points  où  nous  travaillons  h  établir 
une  communication  entre  les  deux  rives  peuvent  y  en- 
voyer un  grand  nombre  de  troupes  et  inquiéter,  compro- 
mettre même  sérieusement  ces  travaux.  —  Au  contraire, 
en  nous  emparant  des  forts  de  la  rive  droite,  qui  do- 
minent par  leur  position  ceux  de  la  rive  gauche,  non- 
seulement  l'ennemi  ne  peut  plus  essayer  de  les  défen- 
dre, mais  le  gros  de  l'armée  chinoise  voit  sa  ligne  de 
retraite  sur  Tien-tsin,  interceptée.  » 


LIVRE  I,   CHAPITRE  IV.  141 

Le  général  Grant  voulait,  au  contraire,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  continuer  l'attaque  successive  des  défenses  de 
la  rive  gauche,  parce  qu'il  les  supposait,  disait-il,  moins 
bien  défendues.  —  Leur  possession  assurait,  selon  lui, 
l'attaque  des  forts  de  la  rive  droite,  car  on  pouvait  alors 
établir  de  l'artillerie  sur  la  plage  nord,  et  battre  ces  forts 
vigoureusement,  en  même  temps  que  les  troupes  les 
attaqueraient  par  derrière.  L'amiral  Hope  et  lord  Elgin 
appuyèrent  vivement  ce  second  plan  d'attaque  proposé 
par  le  général  en  chef  anglais.  Du  reste  si  cette  opéra- 
tion sur  la  rive  gauche  n'avait  pas  d'utilité  stratégique, 
elle  offrait  l'avantage  de  mettre  à  profit  le  temps  qui  était 
encore  nécessaire  à  l'achèvement  des  travaux  de  commu- 
nication avec  la  rive  droite  et  ne  laissait  point  l'ennemi 
en  repos.  —  Elle  fut  donc  décidée  en  conseil. 

XCy.  —  Toutefois,  l'établissement  solide  qu'avait 
formé  le  général  Jamin  dans  le  village  de  Sia-o-leantz 
sur  la  rive  droite,  conservait  son  importance  ;  il  mena- 
çait l'armée  tartare ,  et  son  artillerie  en  contre-battant 
par  terre  les  forts  du  sud,  les  empêchait  de  prendre 
de  tlanc  nos  colonnes  d'attaque  sur  la  rive  nord,  — 
Par  ordre  du  commandant  en  chef,  le  général  Ja- 
min fit,  le  20  août,  une  reconnaissance,  dans  le  but  d'é- 
clairer les  débouchés  en  avant  de  son  front;  il  ne 
larda  pas  à  rencontrer  des  ouvrages  fortement  occupés 
et  dut  s'arrêter  devant  un  feu  d'artillerie  de  gros  ca- 
libre. 

a  II  me  fut  alors  démontré  (écrit  au  ministre  de  la 


142  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

guerre  le  général  de  Monlauban)  (1),  que  sur  celle  rive, 
comme  sur  la  rive  gauche,  il  étail  impossible  d'aborder 
les  ibrls,  sans  avoir  enlevé  un  grand  camp  retranché 
seml)lablc  à  celui  de  Tang-ko  pris  par  nous  le  14. 

«  Dès  ce  momenl,  la  disposition  de  l'ensemble  des 
ouvrages  chinois  m'élail  clairement  connue.  Sur  chaque 
rive,  à  l'embouchure  dePtï-ho,  un  fort  énorme  ballant, 
la  mer  et  les  approches  des  estacades;  en  amont,  un  autre 
fort  couvrant  de  feu  les  premiers  cl  enfilant  le  fleuve; 
enfin  pour  protéger  tout  le  système  du  côté  de  la  terre, 
un  vaste  camp  retranché  situé  à  la  limite  de  la  terre 
ferme  et  des  lagunes. 

«  La  position  de  la  brigade  Jamin  sur  la  rive  droite 
couvrait  mon  point  de  passage  et  avait  pour  effet  de  me- 
nacer la  seule  ligne  qui  restât  à  l'ennemi.  » 

Il  fut  décidé  que  l'attaque  du  fort  le  plus  rapproché 
de  Tang-ko  sur  la  rive  gauche,  aurait  lieu  le  21. —  La 
brigade  du  général  Collineau  et  celle  du  général  Napier 
furent  désignées  pour  celle  opération. 

Les  canonnières  des  deux  flottes  avaient  mission,  pen- 
dant l'attaque  des  troupes  alliées,  de  couvrir  de  boulets, 
avec  leurs  pièces  à  longue  portée,  le  fort  de  la  rive  gauche, 
situé  en  aval  de  celui  que  l'on  devait  enlever  dans  la 
journée  du  21. 

XCYL  —  L'amiral  Charner,  qui  était  en  grande  rade 
à  l'entrée  du  Pé-tchi-li,  reçut  du  général  de  Monlauban 

(1)  Dépêche  du  24  août  1860,  camp  de  Sin-ko. 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  143 

avis  de  l'attaque  résolue  et  de  la  part  que  la  marine 
pourrait  prendre  dans  l'action  projetée. 

«  J'avais  (écrit  l'amiral  au  ministre  de  la  marine)  (I) 
recherché  depuis  plusieurs  jours  sur  les  lieux  la  meil- 
leure position  à  donner  à  nos  canonnières  pour  battre 
les  forts,  sans  inquiéter  dans  leurs  mouvements  les  co- 
lonnes assaillantes.  Le  point  qui  me  parut  le  mieux  sa- 
tisfaire à  ces  conditions  se  trouvait  situé  sur  la  rive 
gauche  du  Peï-ho,  mais  il  n'était  accessible  qu'aux  bâti- 
ments d'un  faible  tirant  d'eau  tel  que  nos  petites  canon- 
nières en  fer. 

«  J'avais  alors  quatre  de  ces  bâtiments  à  ma  disposi- 
tion, et  le  20  août,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  je  leur 
donnai  l'ordre  d'aller  mouiller  sur  les  bancs  de  vase 
molle  que  j'avais  fait  baliser.  Le  contre-amiral  Page  prit 
le  commandement  de  ce  groupe  ;  — je  fis  route  à  la  même 
heure  vers  l'embouchure  du  Peï-ho  avec  les  grandes 
canonnières,  qui  mouillèrent  à  six  heures  du  soir,  en 
dedans  de  la  barre  du  fleuve,  à  environ  un  mille  des 
forts  du  sud.  » 

De  son  côté,  le  même  soir,  le  général  Collineau  allait 
bivaquer  avec  ses  troupes  au  camp  de  Tang-ko.  — 
11  emmenait  avec  lui  une  compagnie  du  génie  sous  les 
ordres  du  lieutenant-colonel  Dupouët,  le  1"  bataillon 
du  102"  de  ligne  avec  son  colonel  O'Malley  et  deux 
bataillons  d'infanterie  de  marine,  auxquels  devaient  se 
joindre  le  lendemain,  dès  le  point  du  jour,  une  batterie 

(1)  Dépêche  du  23  août  1860'. 


144  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

de  12  rayée,  un  délnchemcnl  de  pontonniers  sons  le 
comniaiidoment  du  colonel  FouUon  Grandchamps,  une 
section  d'ambulance  et  des  coolies  commandés  par  le 
lieutenant  de  vaisseau  Rouvière. 

XCVII.  —  Le  général,  aussitôt  son  arrivée  au  bivac, 
se  mit  en  rapport  avec  son  collègue  anglais  pour  arrê- 
ter, de  concert  avec  lui,  les  derniires  dispositions  de 
détail.  —  C'était  aux  Français  à  choisir  cette  fois  la  po- 
sition qu'ils  voulaient  occuper,  et  il  fut  convenu  qu'ils 
prendraient  la  droite  ;  les  troupes  anglaises  tenaient 
donc  la  gauche  de  l'attaque. 

Le  général  Collineau  devait  s'avancer  par  les  deux 
chaussées  établies  sur  les  terrains  noyés  par  les  inon- 
dations, obstacles  naturels  qui  protégeaient  les  appro- 
ches des  forts.  Le  génie,  profilant  de  la  nuit,  combla 
une  large  coupure  qui  interceptait  le  passage  sur  la 
chaussée  de  droite  et  établit  plusieurs  travaux  pour 
faciliter  la  marche  des  colonnes.  —  Le  fort  de  Yu- 
kia-pou  et  un  des  forts  delà  rive  droite  ne  cessèrent  pas, 
pendant  toute  la  unit,  de  battre  la  plaine  de  leurs  bou- 
lets; en  outre,  des  gerbes  de  feux  d'artifices  venaient 
par  intervalles  jeter  sur  les  travaux  des  lueurs  subites. 
Fort  heureusement,  les  terrains  qu'occupaient  les  tiavail- 
leurs  se  trouvaient  en  dehors  de  la  ligne  habituelle  du 
tir  des  pièces  ennemies,  et  leur  feu  ne  nous  fit  essuyer 
aucune  perte. 

XCA'III. — Au  point  du  jour,  la  brigade  du  général  Col- 


LIVRE  I,   CHAPITRE   IV.  145 

lineau  déboucha  par  les  deux  chaussées  et  marcha  en 
s'appuyant  au  fleuve  ;  —  nous  attaquions  la  droite  du 
fort. 

A  six  heures  du  matin,  l'artillerie  alliée  placée  à 
1500  mètres  de  distance  environ,  commence  à  canon- 
ner  le  premier  fort  qui  avait  un  parapet  crénelé,  dont 
chaque  embrasure  était  armée  d'une  pièce  de  canon.  Ce 
fort  répond  vigoureusement,  secondé  par  les  batteries 
de  la  rive  droite  qui  nous  prennent  d'écharpe,  et  par 
d'autres  batteries  élevées  à  l'entrée  du  village  de  Sin-ko. 
Aussi,  le  général  Collineau,  après  avoir  mis  deux  de  ses 
pièces  en  position  devant  le  fleuve,  a  placé  les  quatre 
autres  sur  la  rive  même  du  Peï  ho,  pour  contre-battre 
de  ce  côté  les  feux  ennemis. 

Le  tir  des  alliés  sûrement  dirigé,  ne  tarda  pas  à  pro- 
duire des  dégâts  considérables.  Vers  sept  heures,  deux 
explosions  successives  se  font  entendre  ;  ce  sont  deux 
poudrières  qui  sautent,  lançant  au  loin  des  débris  en- 
flammés, l'une  dans  le  fort  de  face,  l'autre  dans  le  fort 
de  gauche  très-éloigné  de  nos  attaques,  mais  sous  le 
feu  de  nos  canonnières.  Deux  nuages  épais  de  fumée 
enveloppent  ces  deux  ouvrages  et  les  dérobent  pendant 
un  instant  à  nos  regards. 

Trois  compagnies  du  102*  se  sont  avancées  résolu- 
ment; abritées  par  un  petit  épaulement,  efles  attendent 
l'ordre  de  se  lancer  à  l'assaut.  —  L'artillerie  s'est  rap- 
prochée à  une  distance  de  600  mètres  environ. 

Le  capitaine  Lesergeant  d'Hendecourt,  aide  de  camp 
du  général  Collineau,  est  chargé  d'aller  reconnaître  les 
II  10 


146  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

obstacles  qui  défendent  les  approclies  de  l'ouvrage  en- 
nemi. Trois  fossés  pleins  d'eau  traversent  un  terrain 
fangeux;  on  ne  peut  les  aborder  que  par  deux  voies 
très-étroites.  Dans  les  intervalles  qui  séparent  les  fossés 
entre  eux,  les  Chinois  ont  placé  plusieurs  rangées  de 
pieux  croisés  et  profondément  enfoncés  en  terre  (l). 

XCIX.  —  Une  fois  le  terrain  bien  reconnu ,  le  gé- 
néral Collineau  fait  prévenir  son  collègue  le  général  Na- 
pier,  qu'il  croit  le  moment  venu  de  lancer  les  colonnes 
d'allaque. 

Une  compagnie  de  voltigeurs  du  102"  se  déploie  en 
tirailleurs  en  avant  de  notre  front,  suivie  de  près  par  la 
4*  compagnie  du  1"  bataillon,  à  la  tête  de  laquelle  s'est 
mis  le  colonel  O'Malley.  Les  coolies  qui  portent  les 
échelles  marchent  avec  une  section  du  génie,  sous  les 
ordres  du  capitaine  Bovet.  —  L'ennemi  commence 
aussitôt  contre  les  assaillants  un  feu  violent  de  mous- 
quelerie  et  de  gingalls  qui  couvre  de  balles  le  ter- 
rain que  l'on  doit  traverser  pour  arriver  au  premier 
fossé. 

A  la  violence  de  ce  feu,  il  est  facile  de  comprendre  que 
les  Chinois  ont  préparé  d'énergiques  moyens  de  défense, 
et  qu'ils  ne  céderont  pas  facilement  la  place.  Le  passage 
est  difficile,  et  l'ennemi  redouble  d'énergie  pour  nous 
arrêter.  Ce  fossé  est  si  rapproché  des  remparts  que  les 
troupes  essuient  des  pertes  sensibles  ;  mais  les  projecti- 

(1)  Dépêche  du  général  en  chef  au  ministre  de  la  guerre,  24  août 
1860.  Camp  de  Sin-ko. 


LIVRE  I,   CHAPITRE  IV.  147 

les  de  toute  nature  qui  se  succèdent  avec  une  rapidité 
toujours  croissante  n'arrêtent  pas  leur  élan.  —  Les  coo- 
lies ont  essayé  de  placer  des  échelles  en  travers  du 
fossé,  plusieurs  sont  mortellement  frappés,  les  autres 
hésitent,  et  quelques  échelles  sont  abandonnées;  une 
nouvelle  section  du  génie  accourt  sur  le  terrain  et  se 
met  à  l'œuvre  ;  car  tout  autour  de  la  chaussée  étroite  sur 
laquelle  se  pressent  nos  soldats  et  leurs  chefs  impa- 
tients d'atteindre  les  remparts,  s'étendent  des  terrains 
inabordables,  couverts  d'eau  et  de  fange. 

Enfin  le  fossé  est  franchi;  le  terre-plein  est  hérissé  de 
pieux  de  bambous  durcis  au  feu  qui  forment  une  épaisse 
palissade  ;  —  c'est  à  grand  peine  que  ces  pieux  bri- 
sés, pour  ainsi  dire,  un  à  un,  nous  livrent  un  passage, 
mais  cette  lutte  contre  les  obstacles  accumulés  devant 
les  remparts,  a  lieu  toujours  sous  le  feu  de  l'ennemi. 
Et  les  officiers  qui  ont  donné  les  premiers  l'exemple  du 
courage  et  de  l'énergie,  sont  presque  tous  hors  de  com- 
bat, le  lieutenant  Grandperrier  est  tombé  à  la  tête  des 
hommes  qu'il  commande. 

C.  —  Le  lieutenant- colonel  Diipin  et  le  capitaine 
d'état-major  Foerster  qui  ont  été  mis  sous  le  comman- 
dement du  général  Collineau,  reçoivent  l'ordre  d'aller 
s'assurer  de  la  position  réelle  des  troupes  engagées. 
Le  capitaine  Foerster  revient;  il  rend  compte  de  la  ré- 
sistance qu'éprouvent  les  colonnes  d'attaque,  et  des 
pertes  qu'elles  ont  subies  sous  le  feu  ennemi. 

Le  moment  est  décisif;  le  général  tenait  sous  sa  main 


148  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

trois  compagnies  d'infanterie  de  marine ,  il  se  met  à 
leur  lôle  et  les  lance  au  pas  de  course. 

Plusieurs  échelles  ont  ét6  dressées  le  long  des  rem- 
parts; mais  les  Tarlares  et  les  troupes  chinoises  qui 
avaient  l'année  précédente  si  facilement  a])andonné  le? 
murs  de  Canton,  luttent  cette  fois  en  désespérés;  il 
semhle  que  leurs  chefs  comprennent  qu'ils  défendent 
leurs  derniers  remparts  sur  le  Veï  ho.  —  Dans  ce  mo- 
ment de  suprême  défense,  sentant,  pour  ainsi  dire, 
monter  jusqu'à  eux  le  souffle  haletant  de  leurs  ennemis, 
ils  appellent  à  leur  aide  tout  ce  qu'ils  trouvent  sous  leurs 
mains;  ils  accablent  les  assaillants  d'une  nuée  de  flèches, 
et  cherchent  à  percer  avec  de  longues  piques  ceux  qui 
apparaissent  au  sommet  des  échelles,  ou  à  les  écra- 
ser en  faisant  rouler  sur  eux  des  houlets  jetés  à  la  main. 
Le  commandant  Testard  et  le  lieutenant  de  vaisseau 
Rouvière  se  sont  élancés  les  premiers,  l'ennemi  lente 
de  renverser  les  échelles;  il  parvient  môme  à  en  tirer 
une  à  lui  par  les  créneaux.  —  d'est  une  lutte  corps  à 
corps.  Le  lieutenant  Rouvière  est  culbuté  par  un  bou- 
let, jeté  du  haut  de  la  muraille,  mais  bientôt  il  reprend 
connaissance,  et  gravit  de  nouveau  le  rempart. 

La  drapeau  de  la  France  flotte  entin  au  sommet  des 
riiurailles.  Le  lieutenant-colonel  Uupin  a  pénétré  dans 
l'intérieur  du  fort,  à  la  tète  de  quelques  hommes,  dont 
le  nombre  se  grossit  bientôt.  Parmi  eux,  est  le  jeune 
maréchal  des  logis  Blanquet  Duchayla,  qui  tombe  tra- 
versé par  plusieurs  balles  à  la  fois.  —  Le  combat  n'est 
par   terminé;  les  Tartares,  les  meilleures  tioupes  de 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  149 

l'Empire,  veulent  encore  résister  et  défendre  le  terrain 
pied  à  pied.  Entassés  dans  un  espace  restreint,  ils  cher- 
chent à  nous  empêcher  de  pénétrer  plus  avant  ;  mais 
nos  soldats  s'élancent  sur  eux  à  la  haïonnette,  et  les  re- 
foulent énergiquement. 

CI.  —  De  leur  côté,  les  Anglais  envahissent  bientôt 
aussi  le  fort,  et  plantent  après  nous  sur  les  créneaux 
conquis,  leur  drapeau  national. 

Les  assiégés  enveloppés  ainsi  de  tous  côtés,  ne  cher- 
chent plus  leur  salut  que  dans  la  rapidité  de  la  fuite. 
On  les  voit  s'élancer  éperdus,  et  se  jeter  du  haut  des  pa- 
rapets, ou  disparaître  par  toutes  les  issues;  nos  halles 
les  poursuivent,  et  jonchent  le  sol  de  cadavres,  en  de- 
hors du  fort  :  quelques-uns  de  ces  malheureux  restent 
accrochés  sur  les  pointes  acérées  des  pieux  qui  dé- 
fendaient l'approche  des  remparts,  et  y  trouvent  une 
mort  affreuse. 

Certes,  jamais  l'armée  chinoise  depuis  que  nous  la 
combattions,  n'avait  si  vaillamment  et  si  rudement  ré- 
sisté. 

«  Dans  cette  attaque  (écrit  le  général  au  ministre)  (!}, 
les  Chinois  ont  perdu  plus  de  1000  hommes  tués,  soit 
dans  le  fort  même,  soit  en  fuyant  dans  la  campagne  le 
long  du  fleuve,  pour  atteindre  le  dernier  fort  de  la 
rive  gauche.  La  terre  était  couverte  de  leurs  cadavres. 
J'ignore  le  nombre  des  blessés  ;  il  a  dû  être  considéra- 

(1)  Dépêche  particulière  du  23  août  1860. 


150  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

ble,  si  l'on  peut  en  juger  par  tous  ceux  qu'ils  ont  em- 
portés en  fuyant. 

»  Mais  nos  pertes  étaient  sérieuses  et  cruelles.  Le 
lieutenant  Grandperrier  des  voltigeurs  au  102,  le  ma- 
réchal des  logis  Duchayla,  ont  été  frappés  mortellement, 
les  lieutenants  Balme  ci  Porto,  et  l'adjudant  sous-of(icier 
Luncl,  du  102%  sont  grièvement  blessés.  —  Sur  huit 
officiers  des  deux  compagnies  du  102%  deux  seulement 
ont  été  épargnés  par  le  feu  ;  la  seule  compagnie  de  vol- 
tigeurs compte  62  hommes  tués  ou  blessés.  » 

CIL  —  Pour  compléter  la  victoire,  et  profiter  du 
désordre  que  la  prise  de  ce  fort  important  devait  avoir 
jeté  dans  l'armée  ennemie,  les  généraux  en  chef  décidè- 
rent que  dans  la  seconde  journée  on  attaquerait  le  se- 
cond fort,  vers  lequel  on  avait  vu  se  diriger  les  Tartares 
en  fuite. 

Pendant  le  temps  nécessaire  aux  dispositions  à  prendre 
pour  cette  nouvelle  attaque,  le  lieutenant-colonel  Du- 
pin,  chef  du  service  topographique,  reçut  l'ordre  de 
prendre  avec  lui  une  cinquantaine  d'hommes,  et  d'aller 
reconnaître  les  abords  de  cet  ouvrage,  éloigné  de 
douze  à  quatorze  cents  mètres  environ  du  premier. 

La  chaussée  se  continuait  et  servait  de  communication. 
Trois  fossés  remplis  d'eau,  dont  le  dernier  était  creusé 
au  pied  môme  des  remparts,  profég-eaient  les  approches 
du  fort.  —  Les  intervalles  qui  séparaient  ces  fossés 
étaient  couverts  d'abatis  et  de  palissades.  Si  les  rem- 
parts étaient  bien  défendus,  l'attaque  rencontrerait  de 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  151 

grandes  difficultés,  et  nous  coûterait  peut-être  beau- 
coup de  monde.  Il  était  pourtant  probable  que  l'on 
pourrait  tourner  ces  obstacles,  et  trouver  un  passage 
plus  facile  du  côté  du  fleuve,  dans  la  direction  qu'avaient 
prise  les  fuyards. 

Pendant  que  cette  reconnaissance  s'exécutait,  l'ennemi 
fit  un  feu  assez  suivi  de  gingalls,  et  tira  quelques  coups 
de  canon. 

cm.  —  Les  colonnes  alliées  se  préparaient  donc  à  mar- 
cher, lorsque  l'on  vit  tout  à  coup  flotter  des  drapeaux 
blancs  sur  le  sommet  des  remparts,  le  lieutenant-co- 
lonel Dupin,  et  le  capitaine  Grant,  aide  de  camp  du 
général  en  chef  anglais,  se  dirigèrent  aussitôt  vers  le 
fort  avec  M.  Parkes,  qui  servait  d'interprète.  —  Ils  al- 
laient atteindre  le  premier  fossé,  lorsqu'ils  aperçurent 
une  barque  portant  les  parlementaires  ennemis,  et  se 
dirigeant  vers  le  point  où  ils  s'étaient  arrêtés.  Ces  par- 
lementaires, mandarins  d'ordre  inférieur,  demandèrent 
à  remettre  des  lettres  pour  les  ambassadeurs,  disant 
qu'elles  contenaient  l'autorisation  aux  alliés,  d'entrer 
dans  le  Peï  ho,  à  la  condition  que  les  hostilités  seraient 
suspendues. 

Les  olficiers  français  et  anglais,  répondirent  qu'une 
semblable  proposition  était  dérisoire,  que  du  reste,  les 
ambassadeurs  n'étaient  pas  au  camp,  et  que  l'on  ne 
pouvait  leur  remettre  cette  dépêche.  «  La  seule  pro- 
position acceptable,  ajoutèrent-ils,  était  la  reddition 
pure  et  simple  des  forts,  et  nous  venons  par  ordre  des 


152  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

conimandants  cmi  cliel,  vous  lairo  somnialion  de  les  li- 
vrer. 

«  Ils  soiil  bien  armés,  répondirent  les  mandarins,  et 
seront  défendus  avec  la  môme  ténacité  que  l'a  été  le  pie- 
mier.  » 

Les  parlementaires  alliés  retom-nèrent  alors  auprès  de 
leurs  chefs  respectifs,  et  leur  tirent  part  de  l'entretien 
qu'ils  venaient  d'avoir.  * 

Le  général  de  Montauban  voulait  se  mettre  immédia- 
tement en  marche,  et  attaquer  le  second  fort,  mais  le  gé- 
néral Grant  lui  fit  observer  qu'il  lui  fallait  deux  heures 
pour  faire  manger  ses  hommes,  et  il  fut  décidé  que  les 
ofticiers  parlementaires  retourneraient  auprès  des  man- 
darins, et  leur  diraient  que  si  dans  deux  heures,  pour 
tout  délai,  les  forts  n'étaient  pas  rendus  sans  condi- 
tion, le  feu  recommencerait. 

Les  ofticiers  parlementaires  alliés,  durent  pour  ac- 
i.'omplir  leur  nouvelle  mission  passer  sur  la  rive  droite 
du  fleuve,  où  cette  fois  ils  furent  reçus  par  un  chef  tar- 
lare  d'un  grade  élevé.  Ce  chef  proposa  une  suspension 
d'armes  pour  faire  parvenir  la  dépèche  de  leur  gou- 
vernement aux  ambassadeurs  des  deux  nations,  et  en 
recevoir  la  réponse.  Mais  à  ces  nouveaux  attermoie- 
ments  qui  n'avaient  aucun  caractère  sérieux,  il  fut  ré- 
pondu :  a  Dans  deux  heures  les  forts  rendus  ou  pris. 

—  Soit  donc,  dit  avec  hauteur  le  chef  tartare,  nous 
avons  des  canons  et  de  la  poudre,  nous  vous  attendons.» 

CIV.  —  Le  combat  menaçait  d'être  sérieux,  caries  co- 
lonnes d'attaque  devaient  marcher  sous  le  feu  des  forts 


LIVRE   I,   CHAPITRE  IV.  153 

de  la  rive  droite.  Aussi  le  général  de  Montauban,  profi- 
lant des  deux  heures  qui  lui  restaient  avant  l'attaque,  fit 
venir  toute  son  artillerie  pour  tenir  en  respect  ces  forts 
qui  pouvaient  à  un  moment  donné  gêner  sérieusement 
les  mouvements  de  ses  troupes. 

Par  son  ordre,  le  colonel  de  Bentzmann  amène  sur  le 
terrain  deux  batteries  de  4,  la  seconde  batterie  de  12, 
et  la  section  de  fuséens.  —  Les  pièces  de  4  canonneront 
le  second  fort  de  la  rive  gauche;  —  celles  de  12  pren- 
nent position  avec  les  fuséens  sur  les  rives  du  Peï  ho, 
pour  contre-battre  le  grand  fort  de  la  rive  droite. 

A  deux  heures  les  ouvrages  ennemis  ne  s'étant  point 
rendus,  les  alliés  se  remirent  en  marche,  —  les  Fran- 
çais, tenant  toujours  la  droite,  se  développaient  dans  les 
terrains  entre  la  chaussée  et  le  Peï  ho. 

Le  commandant  en  chef  est  en  tète  de  la  colonne  avec 
son  état-major  et  le  général  Collineau,  qui  a  eu  dans  le 
précédent  combat  son  épaulette  traversée  par  une  balle. 
Les  troupes  qui  ont  combattu  le  matin  forment  la  réserve. 

CV.  —  Pendant  que  l'infanterie  de  marine,  déployée 
en  tirailleurs,  cherche  un  passage  le  long  du  fleuve,  nos 
troupes  s'avancent  directement  sur  le  fort  ;  —  l'artillerie 
est  prête  à  ouvrir  son  feu ,  aussitôt  que  l'ennemi  aura 
commencé  le  sien.  —  Mais  les  forts  restent  silencieux, 
pas  un  coup  de  canon  n'est  tiré  des  embrasures,  pas  une 
balle  ne  part  du  sommet  des  remparts;  ce  silence  a 
quelque  chose  d'étrange.  —  Quel  peut  être  le  projet  des 
Chinois?  Yeulent-ils  nous  laisser  approcher  jusqu'au  pied 


154  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

des  murailles  pour  nous  accabler  tout  à  coup  d'une 
nuée  de  projectiles,  et  nous  envelop]»er  de  mitraille?  Le 
général  de  Montauban  redoute  quelque  embûche,  et 
envoie  en  avant  une  compagnie  de  génie  qui  doit  s'as- 
surer que  le  fort  et  ses  approches  ne  sont  pas  minées. 
Les  troupes  avancent  toujours  en  bon  ordre.  —  Déjà 
elles  ont  atteint  le  premier  fossé,  —  la  section  du  génie 
place  les  échelles;  le  général  GoUineau  s'y  hasarde  le 
premier  avec  ce  courage  intrépide,  dont  il  avait  déjà 
donné  tant  de  preuves  sur  les  champs  de  bataille  de 
Crimée.  —  Derrière  lui  toutes  les  troupes  ont  franchi 
rapidement  ce  premier  obstacle.  —  Les  abatis  sont  ren- 
versés, le  passage  est  libre  jusqu'au  second  fossé,  et  le 
fort  reste  toujours  silencieux,  comme  s'il  eût  été  su- 
bitement abandonné  par  tous  ses  défenseurs.  —  Ainsi 
que  le  premier,  le  second  fossé  est  bientôt  franchi;  ce 
second  ouvrage  est  armé  d'une  artillerie  formidable  et 
a  sur  ses  cavaliers  des  pièces  du  plus  gros  calibre.  Au 
moment  où  chefs  et  soldais  ont  atteint  le  pied  des  rem- 
parts et  rivalisent  d'ardeur  pour  monter  à  l'escalade, 
ils  aperçoivent  les  compagnies  d'infanterie  de  marine  et 
du  génie,  qui  déjà  ont  pénétré  dans  le  fort  par  les 
issues  qui  donnent  sur  le  fleuve  et  qu'elles  ont  trouvées 
ouvertes. 

CVI  —  Un  spectacle  étrange  s'offrit  alors;  sur  le 
revêtement  intérieur  des  faces  opposées  sont  groupés 
immobiles  près  de  3000  Tartares.  —  Devant  eux  leurs 
armes  sont  jetées  à  terre  ou  réunies  en  faisceaux. 


LIVRK  I,  CHAPITRE  IV.  155 

La  physionomie  de  ces  malheureux  exprime  la  terreur. 

Le  général  de  Montauban  demande  leur  chef.  «  Ils 
n'en  ont  pas,  »  répondent-ils. 

Le  général  Grant  qui  a  pénétré  dans  le  fort  par  la 
gauche  a  bientôt  rejoint  son  collègue  français.  —  Dans 
le  même  moment,  trois  Chinois  ne  portant  aucun  in- 
signe d'un  rang  élevé  se  présentent;  ils  viennent  dire 
que  le  général  en  chef  ayant  été  tué  dans  l'attaque  du 
premier  fort,  les  troupes  ne  peuvent  plus  combattre; 
car  nul,  sans  un  ordre  spécial  de  l'Empereur,  ne  doit  et 
n'ose  s'emparer  du  commandement  et  en  assumer  la 
lourde  responsabilité.  «  Du  reste,  ajoutent-ils,  le  pre- 
mier fort  n'ayant  pu  résister  à  l'assaut  qui  lui  avait  été 
livré ,  celui-là  aurait  en  vain  essayé  de  se  défendre.  — 
Les  troupes  se  rendent  donc  à  discrétion ,  et  demandent 
à  être  envoyées  saines  et  sauves  sur  la  rive  droite.  » 

Les  généraux  alliés  répondent  qu'elles  seront  toutes 
rendues  à  la  liberté;  mais  que  d'abord  deux  officiers  an- 
glais et  deux  officiers  français  iront  demander  au  Vice- 
roi,  qui  est  de  l'autre  côté  du  fleuve,  la  remise  des 
défenses  du  sud. 

Le  chef  d'escadron  Campenon,  et  le  capitaine  de 
Gools  furent  chargés  de  cette  mission.  M.  Parkes,  que  sa 
connaissance  approfondie  de  la  langue  chinoise  rendait 
très-utile  dans  toutes  ces  négociations,  accompagnait 
les  officiers  anglais  désignés. 

La  reddition  si  inattendue  de  ce  fort,  que  les  ouvrages 
de  la  rive  droite  auraient  pu  si  efficacement  protéger  et 
soutenir,  montrait  à  quel  point  la  démoralisation  s'é- 


156  CAMPAGNE   DK   CHINE. 

tait  emparée  de  l'armée  ennemie,  et  taisait  supposer 
que  le  vice-roi  du  Pc-tchi-li ,  comprenant  l'inutilité 
d'une  résistance  stérile,  ne  tenterait  pas  plus  longtemps 
de  nous  barrer  le  passage. 

CYII.  —  Une  jonque  transporta  rapidement  les  of- 
ficiers parlementaires  sur  la  rive  droite. 

"  Arrivés  sur  l'autre  rive  (écrit  le  général  de  Mon- 
tauhan  au  ministre  de  la  guerre,  dans  sa  correspondance 
du  23  août),  les  officiers  tentèrent  de  pénétrer  dans  le 
premier  fort,  mais  ils  eu  furent  écartés  par  im  man- 
daiin  militaire,  qui  lit  lever  devant  eux  les  ponts-levis. 

«  En  ce  moment,  un  autre  mandarin  porteur  de 
dépêches  pour  les  généraux  alliés  se  présentait  à  eux. 
Ces  dépêches  ouvertes,  sur-le-champ,  et  traduites  par 
M.  Parkes,  de  l'armée  anglaise,  offrait  l'abandon  aux 
alliés  des  forts  conquis  le  matin,  et  l'ouverture  du  Pci  ho 
aux  escadres,  mais  réservait  aux  Chinois  les  forts  et  les 
ouvrages  de  la  rive  droite.  » 

On  le  voit,  à  chaque  pas  en  avant  de  nos  troupes  vic- 
torieuses le  cercle  des  concessions  s'agrandissait,  mais 
c'était  par  lambeaux  que  les  Chinois  semblaient  se  les 
arracher  à  eux-mêmes,  voulant  sans  doute  conserver 
ainsi  les  allures  d'une  transaction,  pour  cacher  leur 
rapide  défaite  aux  yeux  du  souverain,  bercé  depuis  si 
longtemps  par  les  illusions  d'un  facile  triomphe. 

Mais  ces  nouvelles  propositions  furent  repoussées 
comme  l'avaient  été  celles  faites  quelques  heures  aupa- 
ravant. Le  mandarin  qui  [lortait  cette  dépêche  n'avait 


LIVRE   I.   CHAPITRE  IV.  157 

aucune  mission  pour  en  discuter  ou  en  modifier  le  con- 
tenu, aussi  les  officiers  parlementaires  résolurent  d'aller 
trouver  le  A'ice-roi  lui-même,  dans  son  yamoun  de 
Ta-kou. 

Selon  l'habitude  du  gouvernement  chinois,  le  Yice-roi, 
gouverneur  général  du  Pe-tchi-Ii ,  tenta  de  mettre  les 
envoyés  alliés  en  présence  de  mandarins  insignifiants, 
mais  ils  déclarèrent  que  c'était  au  Vice-roi  lui-même 
qu'ils  voulaient  parler,  et  que  s'ils  n'étaient  point  admis 
devant  lui  sans  retard,  ils  retourneraient  à  leur  camp, 
où  l'ordre  de  continuer  l'attaque  des  forts  serait  im- 
médiatement donné. 

CYIIÎ.  —  Le  Vice-roi  ne  put  se  dérober  plus  long- 
temps à  uiie  insistance  si  nettement  accentuée,  et  ks 
parlementaires  furent  enfin  introduits.  Ce  haut  digni- 
taiie,  vieillard  trèb-âgé,  avait  une  cinquantaine  de  man- 
darins de  différents  grades,  rangés  autour  de  lui.  Il 
accueillit  très-affablemeat  les  envoyés,  se  servant  vis- 
à-vis  d'eux  des  e.xpiesbions  les  plus  courtoises;  mais  il 
se  montra,  tout  d'abord,  inébranlable  dans  sa  réso- 
lution. 

«  Il  pouvait  bien  ,  disait-il,  rendre  libre  l'entrée  du 
Peï  ho,  mais  il  ne  consentirait  jamais  à  la  reddition  des 
foris  de  la  rive  droite.  » 

Une  discussion  très-longue  s'engagea  à  ce  sujet .  et 
plusieurs  fuis,  devant  celte  persistance  opiniâtre  contre 
laquelle  venaient  se  bi'iser  tuus  kurs  arguments,  les 
ofiiciers  parlementaires  remotitèrent  à  cheval,  rendant 


158  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

le  Vice-roi  responsable  des  malheurs  qu'entraîneraient  de 
nouveaux  combats  pour  les  populations  nombreuses  de 
la  rive  droite. — Mais  au  moment  où  ils  s'éloignaient,  le 
Vice-roi  les  faisait  rappeler,  et  essayait  par  de  nou- 
veaux raisonnements  à  tourner  la  question,  pour  dimi- 
nuer le  poids  des  cruels  sacrifices  auxquels  il  sentait 
bien  qu'il  ne  pouvait  plus  échapper.  Son  visage,  profon- 
dément attristé,  exprimait  plus  peut-être  que  ses  paroles 
la  douleur  qu'il  ressentait  d'en  être  réduit  à  une  aussi 
fatale  extrémité. 

Enfin  il  céda,  demandant  l'autorisation  de  faire  re- 
chercher le  corps  du  général  en  chef  tué  dans  le  com- 
bat du  matin;  cette  autorisation  lui  fut  aussitôt  accordée. 

GIX.  —  Il  était  neuf  heures  du  soir,  et  les  offi- 
ciers, partirent  emportant  avec  eux  les  conditions  de 
la  reddition  des  forts,  signées  de  la  main  même  du 
Vice-roi. 

Ces  conditions  étaient  : 

«  Que  tous  les  forts  de  la  rive  sud  (droite),  avec  les 
canons  et  munitions  de  guerre ,  ainsi  que  tous  les  camps 
retranchés,  seraient  remis  entre  les  mains  des  com- 
mandants en  chef. 

«  Que  des  ofliciers  tartares  seraient  délégués  pour 
indiquer  l'emplacement  de  toutes  les  mines  qui  existaient 
dans  les  forts  et  de  toutes  les  défenses  cachées  placées 
dans  la  rivière  du  Peï  ho.  » 

Les  parlementaires  atteignirent  leur  camp  respectif 
assez  avant  dans  la  nuit ,  et  le  général  Granl  envoya  le 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  159 

lendemain,  de  Irès-grand  matin,  au  général  de  Montauban 
une  traduction  exacte  de  la  convention  (1);  il  annonçait 
en  même  temps  au  commandant  en  chef  français,  que 
le  vice-roi  Hang-Fuh  devait  se  rendre  dans  la  matinée  au 
fort  extérieur  du  sud,  pour  mettre  à  exécution  la  red- 
dition qu'il  avait  consentie. —  Le  général  Napier  fut  dési- 
gné par  le  général  Grant  pour  se  rencontrer  avec  le  gou- 
verneur général  du  Pe-tchi-li.  Le  général  de  Montauban 
délégua  pour  la  même  mission  un  officier  supérieur. 

ex.   —  Ainsi,   après  quelques  heures   de   combat, 


(1)  Le  soussigné,  Hang-Fuh,  vice-roi  de  la  province  de  Pe-tchi-li, 
adresse  la  comnaunication  suivante  aux  commandants  en  chef  français 
et  anglais  (anglais  et  français)  des  forces  militaires  et  navales  (navales 
et  militaires). 

Le  cinquième  jour  du  présent  mois  (21  août),  les  honorables  com- 
mandants en  chef  ont  attaqué  les  forts  par  terre  et  par  mer,  et  ont 
pris  les  forts  situés  sur  la  rive  nord.  Ce  succès  prouve  la  puissance 
des  troupes  des  honorables  commandants  en  chef,  et  l'armée  chinoise 
étant  vaincue,  fait  sa  soumission.  Cette  armée  s'étant,  en  conséquence, 
retirée  de  tous  les  forts  de  la  rive  sud,  consent  maintenant  à  remettre 
entre  les  mains  des  honorables  commandants  en  chef  tous  ces  forts 
avec  leurs  engins  de  guerre  de  toute  nature,  ainsi  que  tous  les  camps 
fortifiés  ou  retranchements. 

Le  soussigné  s'engage  de  plus  à  déléguer  des  officiers  qui  indique- 
ront aux  envoyés  des  commandants  en  chef  la  position  de  toutes  les 
mines  q\ii  existent  dans  les  forts ,  et  de  toutes  les  défenses  secrètes 
placées  dans  la  rivière,  afin  qu'il  ne  puisse  arriver  aucun  malheur 
aux  honorables  alliés.  Il  est  entendu  que  la  reddition  des  forts ,  aussitôt 
qu'elle  sera  effectuée,  sera  suivie  delà  cessation  des  hostilités  dans 
celte  localité,  et  aussi  que  les  habitants  ne  souffriront  aucun  dom- 
mage et  seront  protégés  efficacement,  tant  dans  leurs  biens  que  dans 
leurs  personnes. 

Une  communication  nécessaire,  datée  du  cinquième  jour  du  septième 
mois  de  la  dixième  année  du  règne  de  Heen-Fung. 

(Traduit  du  chinois  en  anglais,  par  M.  Par'Kes.) 


160  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

nous  étions  restés  maîtres  do  ces  défenses  formida- 
bles accumulées  pendant  toute  une  année  jiar  les  Chi- 
*  nois  pour  nous  intercepter  le  passage  du  l\ï  lio.  Les 
barrages  et  les  estacades  élevés  à  l'entrée  du  fleuve 
tombaient  d'eux-mêmes  devant  nos  bâtiments:  —  la 
route  de  Tien-tsin  était  libre  de  nouveau. 

Enveloppées  de  tous  côtés  par  l'armée  de  terre  et  par 
l'armée  de  mer,  les  troupes  chinoises,  privées  de  leur 
général  en  chef,  furent  saisies  d'un  complet  découra- 
gement. Elles  compru'ent  que  ce  cercle  de  fer  et  de  feu 
qui  les  enserrait,  allait  se  refermer  derrière  elles  et 
leur  intercepter  la  retraite.  En  e{l"(  t,  la  brigade  Jamin, 
formée  en  bataille  sur  la  rive  droite,  attendait  le  mo- 
ment opportun  d'entrer  en  action.  La  marine,  de  son 
côté ,  n'était  pas  restée  inactive. 

CXI.  —  Disons  le  rôle  qu'elle  avait  joué. 

La  veille,  l'amiral  Charner  avait  donné  ordre  au  contre- 
amiral  Page  de  prendre  un  groupe  de  quatre  peiiles 
canonnières  en  fer,  les  seules  qu'il  eût  à  sa  di>posiiion, 
et  d'aller  mouiller  sur  la  rive  gauche  du  Vci  lio,  sur  les 
bancs  de  vase"  molle  bali-és  les  jours  précédents.  L'ami- 
ral, conunandant  en  chef,  emmenait  avec  lui  à  l'em- 
bouchure du  lleuve  les  grandes  canonnières,  qui  jetèrent 
l'ancre  à  six  heures  du  soir,  en  dedans  de  la  barre,  à 
un  nulle  environ  des  forts  du  sud.  —  Les  batteries 
chinoises  n'avaient  pas  inquiété  les  mou\e/iicnls  du  nos 
bâtiments,  mais,  vers  le  soir,  l'ennemi  lança  des  ma- 
chines incendiaires,   qui  tirent  explosion  à  une  petite 


LIVRE   I,  CHAPITRE  IV.  161 

distance  des  navires,  sans  toulefois  leur  causer  aucun 
dommage. 

Le  21 ,  aussitôt  que  les  armées  alliées  se  furent 
mises  en  marche,  les  petites  canonnières,  sous  les 
ordres  de  l'amiral  Page,  ouvrirent  leur  feu  contre  le 
fort  du  littoral  conjointement  avec  quatre  canonnières 
anglaises. 

La  marine  par  sa  présence  et  par  son  action,  avait  com- 
plété un  ensemble  d'attaque  et,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit  plus  haut ,  montré  aux  défenseurs  des  forts  qu'ils 
étaient  enveloppés  de  toutes  parts. 

CXII.  — La  journée  du  21  août  mettait  en  notre  pos- 
session un  matériel  formidable  d'artillerie. 

«  Nous  avons  trouvé  (écrivait  au  ministre  de  la  guerre 
le  général  de  Montauban)  518  pièces  de  canon,  savoir  ' 
gros  calibre  en  bronze,  65  pièces, — ancien  petit  calibre- 
53  ;  —  en  fonte,  gros  calibre,  133  pièces  ;  —  petit  calibre, 
277;  —  plus,  une  bombe  à  feu  de  1  mètre  de  diamètre 
à  la  culasse  et  de  6,27  d'âme.  Nous  avions  établi  la 
convention,  le  général  en  chef  anglais  et  moi,  que  les 
pièces  seraient  partagées,  mais  j'ai  cru  entrer  dans  les 
vues  du  gouvernement  de  l'Empereur  en  exceptant  de 
ce  partage  les  pièces,  en  petit  nombre  du  reste,  perdues 
par  l'armée  anglaise  à  la  première  attaque  des  forts,  en 
juin  1859. 

«  C'est,  ajoutait  le  général  en  chef,  au  général  GoUineau , 
soldat  intrépide,  qu'est  due  une  grande  partie  des  derniers 
succès  obtenus.  Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  ressortir  les 
II  11 


162  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

brillantes  qualités  militaires  de  cet  officier  général.  Le 
colonel  de  Bentzmann  a  été  en  quelque  sorte  la  cheville 
ouvrière  de  l'expédition;  rien  n'a  coûté  à  ce  brave  et 
intelligent  officier  pour  me  seconder  en  toute  circon- 
stance. » 

En  raison  du  petit  nombre  de  troupes  engagées,  nos 
pertes  étaient  sérieuses  :  sur  400  hommes  environ  qui 
avaient  pris  part  à  l'action,  140  avaient  été  mis  hors  de 
combat.  —  Les  Anglais  avaient  eu  17  officiers  tués  ou 
blessés. 

CXIIL —  La  reddition  des  défenses  du  Peï  ho  devait, 
selon  toute  probabilité,  surtout  d'après  les  assurances  du 
gouverneur  du  Pe-tclii-li ,  terminer  les  opérations  mili- 
taires et  amener  la  signature  du  traité  de  paix  conclu 
l'année  précédente  à  Tien-tsin;  aussi,  le  général  de 
Montauban  fit-il  immédiatement  partir  pour  la  France 
le  commandant  Deschiens,  son  premier  aide  de  camp; 
le  commandant  était  chargé  de  porter  à  l'Empereur  le 
traité  de  reddition  des  forts  de  Ta-kou. 

Mais  les  événements  devaient  se  compliquer  encore 
et  nécessiter  de  nouveaux  combats,  aussi  glorieux  pour 
nos  armes  que  désastreux  pour  le  Céleste-Empire. 

L'embouchure  du  Peï  ho,  débarrassée  des  obstacles 
que  les  Chinois  y  avaient  accumulés,  livrait,  le  lendemain 
22  août,  un  libre  passage  aux  flottes  alliées.         • 

«  Les  estacades  (écrit  l'amiral  Charner)  méritent  d'être 
décrites.  —  On  en  comptait  six.  —  C'ét.iit  d'abord  une 
rangée  de  forts  pieux  en  bois  alignés  à  l'intérieur  des 


LIVRE  I,  CHAPITRE  IV.  163 

forts;  puis  un  double  barrage  de  piquets  en  fer,  dont 
chaque  pièce,  d'un  poids  énorme,  profondément  enfon- 
cée dans  le  sol,  ne  laissait  paraître  que  sa  pointe  aiguë 
au  moment  de  la  basse  mer.  Quelques-unes  de  ces 
pièces,  de  la  grosseur  d'une  forte  tige  d'ancre,  sont 
estimées  d'un  poids  de  quinze  à  vingt  tonneaux.  — 
Une  troisième  estacade  était  formée  de  cylindres  flot- 
tants reliés  entre  eux  et  fixés  aux  rives  par  de  fortes 
chaînes  ;  —  la  quatrième  était  on  tous  points  sembla- 
ble, pour  la  forme ,  à  la  seconde,  mais  composée  de 
pièces  moins  fortes  ;  enfin  les  deux  dernières  étaient 
composées  d'un  assemblage  de  bateaux  ou  de  madriers 
rattachés  par  des  chaînes  et  des  câbles  aboutissant  aux 
deux  bords  du  fleuve,  où  les  extrémités  étaient  soUde- 
ment  établies  (1).  » 

CXIV.  —  L'amiral  Hope,  mécontent  sans  doute  du 
rôle  secondaire  qu'avait  joué  la  marine  dans  les  opéra- 
tions du  21  août,  et  dans  la  reddition  des  forts,  profita 
de  l'ouverture  du  Péï  ho  pour  remonter  cette  rivière  avec 
trois  canonnières ,  sans  s'être  entendu  préalablement 
avec  aucun  des  commandants  en  chef  alliés,  ni  même 
avec  son  collègue  de  la  marine,  sur  l'entreprise  qu'il  vou- 
lait tenter,  —  Cette  détermination,  entièrement  con- 
traire aux  instrucfions  données  à  l'amiral  anglais  par 
son  gouvernement,  pouvait,  en  outre,  en  engageant 
ainsi  le  pavillon  alhé  sans  forces  suffisantes,  avoir  un  rc- 

(1)  Dépêche  au  ministre  de  la  marine,  le  23  août  1860. 


164  CAMPAGNE   DE  CHINE, 

siillat  fatal  el  amener  un  événeineiil  désaslreux,  comme 
celui  du  Peï-ho,  l'année  précédente.  Si  les  Chinois  eussent 
projeté  de  défendre  l'entrée  de  Tien-tsiii,  l'amiral  Ilope 
eût  trouvé  devant  celle  ville  deux  forts  considérables  ar- 
més de  canons  de  gros  calibre,  et  croisant  leurs  feux  sur 
le  fleuve.  Fort  heureusement,  l'armée  tarlare,  frappée 
de  terreur,  s'était  retirée  entre  Tien-tsin  el  Pé-king. 
La  ville  élait  ouverte  et  n'éiait  nullement  préparée  à 
une  action  de  guerre.  Le  général  Graiit  el  lord  Elgin, 
en  apprcnaiit  le  départ  subit  de  l'amiral ,  parurent 
fort  surpris.  —  Sans  nul  doute,  cet  étonnement  élait 
sincère. 

L'amiral  Cliarner,  aussitôt  qu'il  eut  connaissance  du 
départ  de  son  collègue,  remonta  rapidement  le  Peï  ho 
pour  montrer  à  Tien-tsin  le  pavillon  français  en  même 
temps  que  le  pavillon  de  l'Angleterre. 

Ce  petit  incident  n'eut  heureusement  pas  d'autre  suite  ; 
il  élait  insignifiant  par  ses  résultats,  mais  il  aurait  pu 
compromettre  une  position  excellente  et  nous  enlever 
subitement  tous  les  avantages  des  faits  si  heureusement 
accomplis. 

CXV.  —  Le  25  août,  deux  mille  hommes,  dont  mille 
de  chacune  des  armées  alliées,  s'embarqua  sur  le  Peï  ho 
pour  gagner  la  ville  de  Tien-tsin;  les  deux  généraux 
en  chef  les  accompagnaient.  —  Ils  arrivèrent  à  Tien- 
tsin  le  26. 

En  apprenant  que  cette  ville  n'avait  opposé  aucune  ré- 
sistance, ils  décidèrent  d'un  commun  accord  que,  pour 


LIVHE   I,   CHAPlTnii   IV.  165 

donner  entière  sécurité  aux  habitants  inoffensifs,  et  évi- 
ter les  désordres  toujours  inévitables  d'une  occupation 
intérieure,  ils  feraient  camper  leurs  troupes  extérieu- 
rement. 

a  Nous  avons  choisi  chacun  (écrit  le  général  de  Mon- 
lauban)  l'un  des  grands  forts  de  la  rive  droite  et  de  la 
rive  gauche,  et  nous  y  avons  installé  nos  troupes;  les 
miennes  sont  dans  une  excellente  position  sur  la  rive 
gauche  du  fleuve,  et  elles  sont  abondamment  pourvues 
de  tout  ce  qui  leur  est  nécessaire  (1).  » 

Ici  se  termine,  pour  quelques  jours  du  moins, la  pre- 
mière période  des  opérations  militaires  des  armées  alliées 
en  Chine. 

Les  ambassadeurs  de  France  et  d'Angleterre  avaient 
déclaré  qu'ils  ne  consentiraient  h  entamer  de  négocia- 
tions pacifiques  que  dans  la  ville  de  Tien-tsin  môme  où, 
l'année  précédente,  avaient  été  arrêtées  et  consenties 
les  conditions  du  traité.  —  Nous  avons  franchi  le  Peï  ho, 
nous  occupons  Tien-tsin,  la  diplomatie  va  donc  re- 
prendre son  rôle,  et  tout  doit  faire  présager  que  les 
Cbinois,  instruits  enfin  de  leur  impuissance  par  leur  ra- 
pide défaite,  se  décideront  à  sortir  des  dédales  astucieux 
de  leur  politique  habituelle.  Nos  bâtiments  et  nos  armées 
sont  au  cœur  du  Céleste-Empire,  et  nos  troupes  déjà 
victorieuses  peuvent  se  porter  rapidement  sur  la  capi- 
tale même,  si  la  cour  de  Pékin  persistait  dans  ses  at- 
termoiements  interminables. 

(1)  Correspondance  du  2  septembre.  Quartier  général  de  Tien-tsin. 


166  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

L'avenir  devait  malliciircuscment  prouver  que  la 
trahison  et  la  mauvaise  foi  n'avaient  pas  encore  dit  leur 
dernier  mot,  armes  tout  aussi  stériles  dans  les  mains  du 
gouvernement  chinois  que  l'avaient  été  les  tentatives 
de  résistance  de  ses  troupes  impuissantes. 


c::^c^or:^ 


LIVRE  II 


LIVRE  IL 


CHAPITRE  PREMIER. 


I.  —  Les  alliés  sont  installés  à  Ticn-lsin.  Le  général  de 
Montaul3an,  après  s'être  entendu  sur  toutes  les  mesures 
d'installation  et  d'approvisionnement,  est  retourné  au 
camp  de  Sin-ko  pour  surveiller  et  organiser  lui-même 
le  départ  du  restant  de  son  petit  corps  d'armée.  Les  bâti- 
ments légers  de  la  division  navale  étaient  en  trop  petit 
nombre  pour  que  le  général  pût  songer  à  utiliser  la  voie 
maritime;  aussi,  se  décida-t-il  à  se  rendre  à  Tien-lsin 
par  terre,  en  suivant  la  route  le  long  du  fleuve,  malgré 
une  cbaleur  accablante. 

Afln  d'éviter  des  encombrements  qui  eussent  retardé 
la  marcbe  des  troupes  dans  ce  pays  à  tout  instant  coupé 
par  des  canaux,  l'artillerie,  conduite  par  le  colonel  de 
Bentzmann,  ne  se  mit  en  route  que  vingt-quatre  heures 
après  l'infanterie. 

Il  avait  été  ordonné  aux  officiers  de  maintenir  la  dis- 
cipline la  plus  sévère  parmi  leurs  hommes,  en  traversant 


170  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

les  terrains  cultivés  et  les  jardins  remplis  de  fruits  el  de 
légumes.  —  Grâce  à  la  surveillance  extrême  des  chefs, 
l'ordre  ne  cessa  pas  de  régner,  et  partout  le  camp  fut 
approvisionné  contre  remboursement. 

Parfois  la  route  que  suivait  la  colonne  traversait  des 
terrains  couverts  de  la  plus  riche  culture  ;  puis,  à  cette 
fertilité  abondante  succédaient  des  plaines  sablonneuses 
et  d'une  désolante  aridité.  —  Aux  aijords  des  viUages 
souvent  trcs-rapprochés  les  uns  des  autres,  le  pays  re- 
prenait tout  à  coup  son  aspect  de  fécondité  :  c'étaient 
des  champs  de  mais  et  de  millet,  et  des  plantations  de 
sorghos,  dont  les  tiges  élevées  atteignent  souvent  une 
hauteur  de  six  à  huit  pieds;  de  temps  à  autre  quelques 
groupes  d'arbres  étendaient  leur  ombre  bienfaisante  sur 
les  troupes  épuisées  par  la  chaleur  et  brûlées  par  les 
rayons  ardents  d'un  soleil  de  feu. 

II.  —  Le  corps  expéditionnaire  au  grand  complet  a 
pris  ses  campements  en  dehors  de  Tien-tsin. —  Les  An- 
glais occupent  le  fort  delà  rive  droite,  les  Français  celui 
de  la  rive  gauche. 

Les  deux  généraux  en  chef  ont  établi  leur  quartier 
général  dans  la  ville  même.  Le  général  Montauban  a 
pour  résidence  le  yamoun  occupé  l'année  précédente 
par  les  deux  ambassadeurs. 

Le  général  Grant  et  lord  Elgin  ont  choisi  une  magni- 
fique habitation  sur  la  rive  droite  du  fleuve. 

Les  nouvelles  arrivées  de  Shang-haï  engagèrent  le  gé- 
néral de  Montauban,  malgré  le  petit  nombre  de  troupes 


LIVRE   H,  CHAPITRE  I.  171 

qu'il  avait  à  sa  disposition,  à  envoyer  immédiatement  sur 
ce  point  200  hommes  d'infanterie  de  marine  et  une  de- 
mi-batterie de  montagne  ,  pour  renforcer  les  troupes 
laissées  dans  celte  ville,  sous  les  ordres  du  colonel  Favre, 
pour  protéger,  contre  les  entreprises  des  rebelles,  les 
possessions  françaises.  —  Les  rebelles,  en  effet,  devenus 
plus  menaçants  depuis  notre  départ,  avaient  attaqué 
Shang-haï;  bien  qu'ils  aient  été  repoussés  avec  des  pertes 
sérieuses,  il  était  cependant  important,  dans  la  pré- 
vision de  tentatives  nouvelles,  d'augmenter  le  nombre 
des  troupes  laissées  à  la  garde  de  cette  ville.  —  Le  gé- 
néral Grant  envoya  aussi,  de  son  côté,  un  régiment  pour 
renforcer  la  garnison. 

Ces  faits  partiels,  résultat  inévitable  et  logique  du  triste 
état  de  décomposition  et  de  démembrement  dans  lequel 
se  trouvait  l'Empire  chinois  divisé  en  deux  partis  re- 
doutables,* n'ont  qu'un  intérêt  secondaire  en  face  des 
grands  événements  qui  vont  se  passer  au  cœur  même 
du  Céleste-Empire  ;  il  suffit  donc  de  les  indiquer  en 
passant. 

IIL  —  Nous  n'entrerons  pas  dans  de  grands  détails  sur 
Tien-tsin,  dont  nous  avons  longuement  parlé  dans  la 
première  partie  de  ce  travail  (1),  lors  de  la  première  ap- 
parition, en  1858,  des  troupes  alliées  dans  cette  ville  im- 
portante. 

Tien-tsin,  nous  l'avons  dit,  est  le  centre  d'un  com- 

(1)  Les  expéditions  de  Chine  et  de  Cochinchine  ;  I"  partie,  1858. 


172  CAMPAGNE  DL   CHINE. 

merce  immense.  —  C'est  vers  ce  grand  centre  qu'af- 
fluent, de  toutes  les  parties  de  i'Empii-e,  les  approvi- 
sonnements  destinés  à  la  capitale  ;  c'est  là  que  le 
grand  canal  impérial  conduisant  à  Pé-king  vient  se 
réunir  au  Peï  ho.  En  occupant  Tien-tsin  les  forces 
alliées  menaçaient  donc  le  cœur  de  l'Empire;  aussi, 
c'était  pour  ce  peuple  dédaigneux  un  étrange  spec- 
tacle de  voir  des  nations  européennes  se  frayer  un  pas- 
sage avec  leurs  flottes  et  leurs  armées  dans  les  eaux 
de  ce  fleuve  dont  la  navigation  avait  été  jusqu'à  ce 
jour  réputée  impossible  pour  des  bâtiments  de  guerre. 
—  Une  partie  des  habitants  de  Tien-tsin  avait  aban- 
donné ses  maisons  craignant  que  la  ville  ne  fût  livrée 
au  pillage.  Les  proclamations  du  gouverneur  de  la  pro- 
vince nous  avaient  représentés  comme  des  barbares 
avides  de  sang  qui  portaient  partout  la  ruine  et  la  dé- 
vastation. —  Aussi  les  ordres  les  plus  sévères  furent 
donnés  pour  que  les  troupes,  toutes,  on  le  sait,  campées 
à  l'extérieur,  ne  pénétrassent  pas  dans  l'intérieur  de  la 
ville,  afin  de  rendre  la  confiance  à  cette  population  si 
injustement  épouvantée. 

Du  reste,  les  hostilités  paraissaient  toucher  à  leur  fin. 
Les  nations  loyales  ne  peuvent  pas  toujours  soupçonner 
la  déloyauté  et  la  perfidie,  et  les  faits  qui  se  produi- 
sirent durent  faire  croire  que  le  traité  de  Tien-tsin  re- 
cevrait enfin  son  accomplissement  et  sa  ratification  à 
Pé-king,  ainsi  que  les  nouvelles  clauses  nécessitées  par 
les  frais  de  guerre  qu'avaient  eu  à  supporter  de  nou- 
veau les  puissances  alliées. 


LIVRE  H,   CHAPITRE  1.  ]73 

IV.  —  En  effet,  deux  hauts  commissaires  impériaux, 
Kwei-lianget  Ilang-fou,  firent  savoir  aux  ambassadeurs 
qu'ils  étaient  prêts  à  arrêter  les  conventions  définitives  du 
traité  de  paix  et  à  terminer  enfin  les  différends  regret- 
tables qui  maintenaient  en  élat  de  guerre  contre  le  Cé- 
leste-Empire la  France  et  l'Angleterre. 

Celte  communication  élait  en  tous  points  d'accord,  dans 
la  forme  et  dans  le  fond,  avec  la  lettre  adressée  par  le 
gouverneur  delà  province  aux  ambassadeurs  alliés,  aus- 
sitôt après  la  prise  des  forts  de  Ta-kou. 

Ceux-ci  agirent  donc  sans  défiance  et  crurent,  celle 
fois  encore,  à  la  bonne  foi  des  hauts  mandataires  du 
gouvernement  chinois.  —  Cette  lettre,  en  effet,  point  de 
départ  important  des  négociations  qui  devaient  de  nou- 
veau s'entamer,  était  très-précise  et  ne  donnait  aucune 
place  à  l'équivoque;  elle  disait  : 

«  Comme,  le  4  de  ce  mois,  les  forces  de  terre  et  de  mer 
de  votre  noble  Empire  se  sont  emparées  de  nos  ports  de 
défense  intérieure  ;  vous  avez  prouvé  parla  votre  grande 
habileté  dans  l'art  de  la  guerre,  et  nos  troupes  ont  dû 
s'avouer  vaincues.  Aussi  celle  dépêche  est-elle  écrite 
pour  faire  savoir  à  Votre  Excellence  qu'il  est  inutile  de 
continuer  la  guerre,  et  que,  relativement  au  traité  conclu 
il  y  a  deux  ans  et  aux  clauses  de  l'ultimatum  de  cette 
année,  de  hauts  commissaires  munis  de  pleins  pouvoirs  pour 
résoudre  les  questions ,  sont  déjà  partis  et  arriveront  cer- 
tainement aujourd'hui  (1).  » 

(1)  Le  gouverneur  général  du  Pe-tchi-li  au  baron  Gros. 


174  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

V.  —  Kwei-liang  et  son  collègue  s'annoncèrent 
comme  étant  ces  hauts  commissaires.  Mais  cette  dé- 
marche n'était  qu'un  stratagème,  pour  arrêter  pendant 
quelques  jours  la  marche  des  alliés  et  permettre  à  l'ar- 
mée tartare  de  se  réunir  sous  le  commandement  du 
fameux  chef  mogol  Sang-ko-lin-sin  ,  afin  de  couvrir 
puissamment  les  approches  de  la  capitale.  —  Sang-ko- 
lin-sin  voulait  étahlir  devant  Pé-king  deux  grandes  étapes 
militaires,  et  l'une  ou  l'autre  devait  nous  servir  de  tom- 
beau. Ce  chef,  très-renommé  parmi  les  Chinois,  est 
revêtu,  comme  les  chefs  circassiens,  d'un  caractère 
moitié  guerrier,  moitié  religieux.  C'est  le  même  qui, 
l'année  précédente ,  pendant  les  conférences  de  Ticn- 
tsin,  gardait  la  capitale  avec  un  corps  considérable  de 
troupes  choisies.  —  Oncle  de  l'Empereur  régnant,  il 
est  le  seul  général  qui  ait  réellement  battu  les  rebelles, 
lorsque,  maîtres  de  Nan-king,  ceux-ci  tentèrent  d'en- 
vahir les  provinces  du  Nord. 

La  nouvelle  convention  fut  donc  (comme  l'écrit  le  ba- 
ron Gros) négociée  à  l'amiable  et  confidentiellement,  afin 
de  tout  fixer  rapidement.  —  Les  pourparlers  préalables 
eurent  lieu  scion  l'usage  entre  les  secrétaires,  les  haut? 
commissaires  chinois  ayant  l'habitude  de  n'intervenir 
personnellement  qu'après  tous  les  débats  terminés,  et 
lorsque  la  rédaction  des  différentes  clauses  est  arrêtée  et 
consentie  de  part  et  d'autre  (1). 

Tout  fut  donc  discuté  et  convenu,  ainsi  que  le  nombre 

(1)  Yoy.  la  première  partie. 


LIVRE  II,   CHAPITRE  I.  175 

d'hommes  qui  devaient  former  une  escorte  d'honneur 
et  accompagner  les  ambassadeurs  à  Pé-king-. 

VI.  —  Les  Anglais,  pour  éblouir  les  Chinois,  voulaient 
que  cette  escorte  fût  considérable.  —  Cette  exigence,  si 
elle  créait  certains  embarras,  avait  sa  valeur  dans  un 
pays  où  le  prestige  de  la  force  peut  seul  conserver  quel- 
que empire  sur  l'esprit  d'un  peuple  et  d'un  gouverne- 
ment orgueilleux. 

Les  généraux  en  chef  étaient  déjà  prévenus  de  l'heu- 
reuse issue  des  négociations,  lorsque  l'on  découvrit  que 
les  commissaires  chinois  n'avaient  aucun  droit  pour 
traiter,  et  qu'il  leur  fallait  en  référer  à  la  cour  de  Pé-king, 
avant  de  rien  conclure  définitivement.  Celte  nouvelle 
preuve  de  fourberie  était  trop  patente,  pour  qu'on  ne  de- 
vinât pas  le  but  caché  d'un  semblable  stratagème. 

«  Lorsque  nous  avons  demandé  aux  secrétaires  chinois 
(  écrit  le  baron  Gros  au  ministre  des  affaires  étrangères) 
que  la  veille,  et  pendant  les  visites  d'étiquette  ,  les  pléni- 
potentiaires se  communiquassent  respectivement  leurs 
pleins  pouvoirs,  un  embarras  visible  s'est  manifesté 
parmi  eux,  et,  pressés  de  questions,  ils  ont  déclaré  que 
Kwei-hang,  le  premier  dignitaire  de  l'Empire,  nous  avait 
trompés  lorsqu'il  nous  avait  dit  qu'il  avait  des  pleins 
pouvoirs,  qu'il  allait  faire  parvenir  notre  convention  à 
Pé-king,  et  demander  que  les  pouvoirs  nécessaires  lui 
fussent  envoyés  (1). 

(1)  Dépêche  du  8  septembre  1860. 


176  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Le  baron  Gros  voulut  constater  ce  fait  en  présence  de 
Kw'ci-liang  lui-môme,  et,  par  son  ordre,  le  lendemain 
7  septembre,  à  huit  beurcs  du  matin ,  le  comte  de  Basiard , 
premier  secrétaire  d'ambassade,  se  rendait  auprès  du 
vice-commissaire  impérial  Ileng-ki,  qui  avait  accom- 
pagné à  Tien-tsin  les  deux  hauts  commissaires  Kwei- 
liang  et  Hang-fou;  il  lui  demanda  nettement  s'il  était 
vrai,  ainsi  que  les  secrétaires  chinois  l'avaient  dit  la  veille, 
que  Kwei-liang  ne  fût  pas  muni  de  pleins  pouvoirs.  Car 
après  les  assurances  données  par  Kwei-liang  lui-même, 
dans  sa  dépèche  du  3  septembre,  un  semblable  fait  de- 
venait inqualifiable.  —  Poussé  dans  sesderniers  retran- 
chements, Heng-ki  avoua  que  c'était  la  vérité,  enve- 
loppant toujours  de  phrases  mielleuses  et  de  protestations 
sans  nombre  cet  aveu  tardif. 

YII.  —  Le  comte  de  Bastard  ne  voulut  pas  que  la  posi- 
tion pût  donner  lieu  plus  tard  à  la  moindre  équivoque, 
et  se  rendit  avec  Heng-ki  au  yamoun  habité  par  Kwei- 
liang;  il  eut  de  grandes  diflicuités  à  parvenu*  jusqu'à  ce 
personnage,  qui  cherchait  évidemment  à  se  dérober  à 
cette  entrevue:  c'est  un  vieillard  dont  les  forces  semblent 
brisées.  L'excessif  abattement  qu'il  montra  devant  l'en- 
voyé français  était  peut-être  encore  une  comédie  jouée 
en  cette  circonstance,  pour  empêcher  de  vives  et  sévères 
explications,  it  Le  mot  de  mise  en  scène  est  le  seul  que 
je  sache  (écrit  M.  de  Bastard)  pour  rendre  la  manière 
dont  il  s'est  présenté  à  moi.  » 

Kwei-liang,  pressé  aussi  par  les  interpellations  très- 


LIVRE  ]I,  CHAPITRE  I.  177 

nettes  qui  lui  étaient  adressées ,  fut  contraint  d'avouer 
qu'il  n'avait  pas  de  pleins  pouvoirs,  ajoutant  qu'il  allait 
en  demander  immédiatement  à  Pé-king.  —  Dès  lors,  la 
mission  de  M.  de  Bastard  était  terminée,  il  se  retira,  en 
déclarant,  au  nom  de  l'ambassadeur,  que  les  chefs  de 
l'armée  avaient  reçu  l'ordre  de  reprendre  leurs  opéra- 
lions  militaires  sans  le  moindre  délai,  et  de  les  mener 
avec  la  plus  grande  vigueur. 

Aussitôt  que  M.  de  Bastard  eut  rendu  compte  au  baron 
Gros  du  résultat  des  démarches  qu'il  venait  de  faire , 
l'ambassadeur  de  France  écrivit  officiellement  aux  com- 
missaires impériaux  :  «  que  ceux-ci  ayant  avancé  un  fait 
entièrement  contraire  à  la  vérité,  les  négociations 
qu'ils  avaient  entamées  ne  pouvaient  conserver  aucun 
caractère  sérieux. 

'<  Je  retire  dès  à  présent  (ajoutait-il),  les  propositions 
qui  avaient  été  acceptées ,  me  réservant  le  droit  de  les 
rendre  plus  sévères  pour  le  gouvernement  chinois,  si 
àTung-chao,  où  je  vais  me  rendre  avec  l'armée,  les  né- 
gociations peuvent  être  reprises  avec  des  commissaires 
impériaux,  munis  des  pleins  pouvoirs  nécessaires.  » 

Aucune  communication  des  autorités  chinoises  ne 
devait  être  acceptée  avant  l'arrivée  des  ambassadeurs  à 
Tung-chao. 

Lord  Elgin,  parfaitement  d'accord  avec  le  baron  Gros, 
avait  fait  de  son  côté  les  mêmes  communications. 

Les  commissaires  répondirent  pour  demander  que  l'on 
attendit  encore  trois  jours  à  Tien-tsin  ;  «  la  réponse  de 
l'Empereur  devant  arriver  dans  ce  délai,  »  disaient-ils. 
11  12 


178  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

YIII. —  Il  était  évident,  en  réfléchissant  aux  faits  qui 
venaient  de  se  passer,  et  à  ce  nouvel  acte  de  duplicité  et 
de  mauvaise  foi  si  flagrant,  que  le  but  des  Cliinois  était 
de  laisser  à  leur  armée ,  frappée  de  terreur  par  la  prise 
si  rapide  des  forts  deTa-kou,  le  temps  de  reprendre 
haleine,  en  môme  temps  qu'ils  constitueraient  une  dé- 
fense solide  devant  Pé-king.  En  outre,  parcesattermoie- 
menls  nouveaux  et  ces  promesses  illusoires,  ils  nous 
faisaient  perdre  le  temps  ftivorable  à  une  expédition,  et 
nous  exposaient  aux  calamités  de  l'hiver  très-rigoureux 
dans  ces  climats. —  Les  ambassadeurs  répondirent  qu'ils 
ne  modifieraient  en  rien  le  plan  de  conduite  qu'ils  avaient 
arrêté. 

De  leur  côté,  les  généraux  commandants  en  chef, 
mstruits  officiellement  que  l'action  militaire  devait  re- 
prendre son  cours ,  se  préparèrent  à  quitter  le  camp 
de  Tien-tsin ,  et  à  se  porter  en  avant. 

Le  général  de  Montauban  écrivait  le  7  septembre  au 
baron  Gros  : 

a  Selon  le  désir  que  vous  exprimez ,  je  me  suis  entendu 
avec  mon  collègue ,  le  général  en  chef  des  forces  britan- 
niques, sur  la  reprise  des  opérations  militaires,  et  voici 
ce  que  nous  avons  arrêté  : 

«  La  partie  de  l'année  anglaise  qui  doit  marcher  sur 
Tung-chao,  sera  forte  de  1000  hommes  et  d'une  batterie 
d'artillerie ,  elle  quittera  Tien-tsin  demain  soir  pour  aller 
camper  à  une  lieue  en  avant.  —  Dimanche ,  elle  se  mettra 
en  marche. 

«  J'ai  trouvé  convenable  d'amener  3,000  hommes  et 


LIVRE   II,   CHAPITRE  I.  179 

deux  batteries  d'artillerie,  qui  partiront  avec  moi  lundi 
matin ,  de  manière  que  les  forces  anglaises  marchent  à 
une  journée  en  avant  de  nous,  pour  ne  pas  nous  gêner 
réciproquement  jusqu'à  Tung-chao ,  où  nous  aurons  à 
nous  réunir.  —  Si  l'arrivée  des  forces  alliées  à  Tung- 
chao  ne  détermine  pas  la  demande  des  plénipotentiaires 
Chinois  pour  traiter  de  la  paix ,  il  sera  nécessaire  d'ap- 
peler dans  cette  ville  le  restant  de  nos  forces,  moins 
500  hommes  que  je  laisserai  à  Tien-tsin,  notre  nouvelle 
base  d'opérations.  » 

IX.  —  Là,  commençait  la  véritable  campagne;  là,  de- 
vaient commencer  pour  les  commandants  en  chef  chargés 
delà  responsabilité  de  cette  petite  armée,  les  inquiétudes 
sérieuses  et  réelles  ;  car  il  fallait  résolument  se  lancer 
dans  l'inconnu.  —  Quel  pays  allail-on  parcourir?  La 
marche  des  troupes,  celle  des  bagages  et  de  l'artillerie 
ne  seraient-elles  pas  entravées  par  des  obstacles  et  des 
difficultés  imprévus?  Quelles  ressources  rencontrerait- 
on  pour  l'installation  et  le  ravitaillement  du  corps  ex- 
péditionnaire, la  marine  ne  pouvant,  à  cause  de  l'abais- 
sement des  eaux,  remonter  le  canal  impérial.  —  Ces 
éventualités  matérielles  pouvaient  offrir  des  dangers 
bien  plus  redoutables  que  les  combats  —  qu'il  faudrait 
livrer. 

Toutes  ces  considérations  diverses  se  présentèrent 
à  la  pensée  des  généraux,  sur  lesquels  retombait  le 
poids  des  opérations  militaires  et  de  leurs  conséquen- 
ces; mais  l'hésitation  pouvait  tout  compromettre,  et 


180  CAMPAGNE    UE   CHINE. 

iiiùme   nous  enlever    les    avanlngcs    des    succès    déjà 
obtenus. 

Aussi  la  résolution  prise  de  ne  plus  écouter  les  pro- 
messes mensongères  des  Chinois,  et  de  se  porter  en 
avant,  reçut-elle  immédiatement  son  exécution. 

X.  —  Les  doniières  correspondances,  dont  nous  avons 
pai'lé,  entre  ks  ambassadeurs  et  les  commissaires  im- 
périaux s'échangeaient  le  7  ;  — le  9,1a  première  colonne 
se  mettait  en  marche. 

Les  généraux  avaient  décidé  que  l'armée  alliée  s'avan- 
cerait sur  trois  colonnes,  partant  chacune  à  un  jour  de 
distance.  —  C'était  aux  Anglais  à  marcher  les  premiers. 

Le  général  Grant  partit  donc  avec  1000  bommes  envi- 
ron; lord  Eigin  l'accompagnait  à  cheviil. 

La  2"  colonne ,  avec  laquelle  était  le  général  de  Mon- 
tauban ,  était  ainsi  composée  :  la  brigade  Jamin 
(3000  hommes),  deux  batteries  d'artillerie,  une  de  4 , 
une  de  12;  50  artilleurs  à  cheval,  30  chasseurs  à  cheval 
et  20  spahis.  —  Elle  partit  le  lendemain. 

Le  baron  Gros  accompagnait  cette  colonne  en  palan- 
quin; il  emmenait  avec  lui  deux  membres  de  son 
ambassade,  à  cheval. 

La  3«  colonne,  commandée  par  sii'  Jolm  Michel, 
comptait  environ  2000  bommes. 

XI.  —  La  première  étape  est  le  gros  village  de  Pou- 
kao,  à  17  kilomètres  environ  de  Tien-tsin:  il  faut  tra- 
verser des  plaines  sablonneuses  sur  lesquelles  le  soleil 


LIVRE   II  ,   CHAPITRE   I.  181 

darde  ses  rayons  l)rû!ants.  —  L'air  est  embrasé,  la  chaleur 
accablante.  —  De  temps  à  autre  des  groupes  de  maisons 
que  leurs  habitants  effrayés  ont  abandonnées,  avoisinent 
la  roule  que  suit  la  colonne. —  Tantôt  cette  route  longe 
le  Peï-ho,  dont  le  cours  sinueux  se  dérobe  tout-à-coup, 
tantôt  elle  est  tracée  au  milieu  des  sorghos  aux  tiges 
élevées.  — Pas  un  souffle  d'air  ne  pénètre  dans  ces  taillis 
épais. 

Pou-kao  ,  où  doivent  s'établir  les  premiers  bivacs, 
compte  de  12  à  15,000  habitants  environ.  —  Prise  sans 
doute  à  l'improviste,  la  population  n'a  pu  déserter  en- 
tièrement le  village.  —  Les  troupes  sont  campées  au 
delà;  l'état-major  du  général  en  chef  et  l'ambassade 
française  sont  seuls  logés  dans  l'intérieur. 

A  la  tombée  du  jour,  un  violent  orage  s'abattit  tout  à 
coup  surle  camp;  au  milieu  du  désordre  qu'il  occasionna, 
les  conducteurs  des  chariots  chargés  des  vivres  de  l'ad- 
ministration et  des  munitions  de  guerre  purent,  à  la 
faveur  de  la  nuit,  s'échapper  avec  leurs  attelages,  nous 
laissant  ainsi  dans  le  plus  grand  embarras.  Les  vastes 
champs  de  sorghos  qui  entouraient  les  campements  pro- 
tégèrent la  désertion  de  ces  hommes  et  empêchèrent  de 
découvrir  leurs  traces.  L'état  des  routes  devenues  im- 
praticables, joint  à  cet  événement  inattendu,  empê- 
chèrent de  songer  à  continuer  la  route  le  lendemain. 

Xn.  —  Dès  que  le  général  de  Monlauban  fut  inslruil 
de  la  fuite  des  conducteurs  chinois,  il  donna  ordre  de 
chercher  à  se  procurer,  par  tous  les  moyens  possibles,  de 


182  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

nouveaux  mulets  d'attel;ige,  et  très-inquiet  de  la  position 
dans  laquelle  il  se  trouvait  par  suite  de  cette  désertion, 
il  parcourait  lui-même  à  cheval  les  environs  du  camp 
avec  le  colonel  d'artillerie  de  Bentzmann. 

Tous  deux  se  trouvèrent  bientôt  devant  un  large  cours 
d'eau.  — Des  jonques  de  grande  dimension  étaient  amar- 
rées au  rivage.  Ce  devait  être  évidemment  le  Peï-lio  ou 
un  de  ses  affluents.  —  Le  général  interroge  les  patrons 
de  ces  jonques. 

«  —  Nous  arrivons  de  Tung-chao,  disent-ils,  grande 
ville  à  4  lieues  de  Pé-king,  où  nous  sommes  allés  porter 
les  approvisionnements  de  riz  destinés  à  la  capitale. 
200  jonques  environ  de  la  plus  grande  dimension  ont 
fait  le  même  trajet  et  vont  descendre  successivement  le 
Peï-ho  jusqu'à  Tien-tsin.  » 

Le  général  passe  aussitôt  un  marché  pour  le  compte 
de  l'administration,  à  raison  de  2  piastres  par  jour, 
et  fait  charger  sur  ces  barques  les  approvisionnements 
que  contenaient  les  chariots  abandonnés.  Dans  la  même 
journée,  un  convoi  de  cent  jonques  environ  fut  orga- 
nisé, nombre  suffisant  pour  nos  munitions  et  nos  vivres, 
qui  allaient  ainsi  arriver  à  destination  dans  les  conditions 
les  plus  favorables.  —  Ce  convoi  fut  placé  sous  le  com- 
mandement du  capitaine  Gaillart  de  Blairville,  des  pon- 
tonniers, qui  rendirent  en  cette  occasion  des  services 
signalés. 

Cette  importante  découverte  faisait  cesser  les  embarras 
toujours  inhérents  à  un  transport  par  terre  à  traversun 
pays  inconnu,  et  assurait  pour  l'avenir  à  nos  troupes  un 


LIVRE  11,  CHAPITRE  I.  183 

facile  ravitaillement,  ainsi  que  des  moyens  sûrs  et  ra- 
pides pour  le  renvoi  de  nos  malades  et  de  nos  blessés  à 
Tien-tsin. 

XIII. —  Le  12,  l'armée  alliée  se  remit  en  marche  pour 
gagner  Yang-tsun,  où  l'avant-garde  arriva  vers  dix  heures 
du  matin. 

Des  lambeaux  de  muraille  éparses  çà  et  là ,  et  deux 
portes  monumentales  élevées  aux  deux  extrémités  de  ce 
grand  village ,  indiquent  que  c'était  autrefois  une  ville 
fortifiée.  —  Une  longue  rue  traverse  Yang-tsun  dans 
sa  plus  grande  étendue.  —  Les  camps  furent  établis  dans 
une  vaste  plaine. 

Le  matin  du  même  jour,  au  moment  du  départ  de  Pou- 
kao,  le  baron  Gros  avait  reçu  une  nouvelle  communi- 
cation du  gouvernement  chinois,  qui  cherchait  à  renouer 
le  fil  des  négociations  rompues  à  Tien-tsin. 

Cette  fois ,  ce  n'est  plus  Kwei-liang  ;  il  a  joué  son 
rôle  et  est  sacrifié  à  la  marche  forcée  des  événements. 
—  Cette  communication  est  signée  du  Tsai,  prince  de  la 
famille  impériale,  adjudant  de  l'Empereur  et  de  Muh, 
président  du  bureau  de  la  guerre. 

«  Nous  avons,  mon  collègue  et  moi  (écrit  le  prince 
Tsai)  reçu  respectueusment  les  ordres  de  l'Empereur 
qui  daigne  nous  nommer  ses  plénipotentiaires.  Nous 
apprenons  que  Votre  Excellance  s'avance  de  Tien-tsin 
avec  des  forces  militaires.  Puisque  votre  gouvernement 
et  celui  de  la  Chine  veulent  conclure  une  paix  éternelle 
et  s'entendre  sur  les  clauses  d'un  traité,  à  quoi  bon  cette 


184  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

marche  milituire?  Si  vous  faites  avancer  des  troupes,  ce 
n'est  plus  la  paix.  Nous  vous  prions  de  faiie  rentrer  vos 
troupes  à  Tien-tsin,  afin  de  constater  qu'il  n'y  a  aucune 
inimitié  entre  nous,  et  pour  que  nous  puissions  nous 
rendre  aussi  à  Tien-tsin,  dans  le  but  de  négocier  à 
l'amiable  et  de  conclure  avec  vous  une  paix  durable,  si 
vous  voulez  traiter  encore  sur  les  bases  déjà  convenues, 
nous  qui  différons  de  Kicei-liang,  nous  ne  manquerons  pas 
à  noire  parole (i).  » 

Dans  cette  lettre,  que  nous  trouvons  inutile  de  repro- 
duire en  son  entier,  le  prince  appuyait  en  terminant  sur 
la  crainte  que  cette  marche  des  troupes  n'amenât  quelque 
nouveau  conflit  qui  deviendrait  un  obstacle  aux  arran- 
gements si  près  de  se  conclure,  et  sur  l'espérance  qu'il 
conservait  de  recevoir  une  réponse  favorable.  — Ill'at- 
tendait  à  Ma-toua  où  il  était  arrivé  avec  son  collègue. 

XIV.  —  Le  môme  jour,  en  arrivant  à  Yang-tsun,  le  ba- 
ron Gros  lui  répondait  dans  des  termes  fermes  et  précis. 

«  Le  gouvernement  chinois,  écrivait-il,  semble  vouloir 
^encore  ne  pas  comprendre  la  position  dans  laquelle  son 
manque  de  loyauté  l'a  placé. 

«  Les  hostilités  commencées  dans  le  golfe  dePe-lchi-li 
n'ont  point  été  suspendues,  parce  que  la  Chine  n'a 
pas  encore  donné  à  la  France  les  satisfactions  qu'elle 
demande;  mais  ces  hostilités  ont  été  un  moment  ralenties 


(1)  Dépêche  du  prince  Tsai,  de  la  famille  impériale  au  titre  de  Y- 
l'sin,  au  baron  Gros.  II  septembre  18G0. 


LIVRE  II,   CHAPITRE  I.  185 

de  fait  et  non  de  droit,  et  par  bienveillance  pour  le 
gouvernement  chinois,  lorsqu'à  Tien-tsin  le  soussigné 
a  cru  pouvoir  espérer  que  la  paix  allait  être  rétablie 
sérieusement. 

«  Déçu  dans  ses  espérances,  le  soussigné  a  dû  activer 
les  hostilités,  et  si  à  son  arrivée  à  Tung-chao,  les 
connnissaires  impériaux  accèdent  enfin  de  bonne  foi 
aux  demandes  qui  ont  été  faites,  la  paix  sera  rétablie, 
les  hostilités  cesseront,  et  l'ambassadeur  accompagné 
seulement  de  l'escorte  convenable  à  son  rang,  se  rendra 
pacifiquement  à  Pé-king-  pour  y  procéder  à  l'échange  des 
ratifications  du  traité  de  Tien-tsin. 

«  Si,  au  contraire,  le  gouvernement  chinois  mécon- 
naissant ses  véritables  intérêts,  permettait  que  l'on 
cherchât  h  entraver  la  marche  des  troupes  qui  se  rendent 
à  Tung-chao ,  les  hostilités  continueraient  au  delà  de 
cette  ville,  et  l'armée  marcherait  immédiatement  sur 
Pé-king. 

«  Que  les  nobles  commissaires  choisissent  donc,  ou  In 
paix  à  Tung-chao  ou  la  guerre  avec  ses  conséquences. 
Le  gouvernement  chinois  devrait  comprendre  qu'en  der- 
nier résultat,  elles  ne  peuvent  pas  lui  être  favorables.  » 

oc  Yaiig-tsun,  12  septembre  1860.  » 

XV.  —  Il  est  utile  de  préciser  nettement  les  faits  qui 
précédèrent  les  événements  du  18  septembre,  dans  la- 
quelle trempèrent  si  honteusement  les  hauts  commis- 
saires impériaux.  La  connaissance  exacte  de  ces  docu- 
ments diplomatiques,  révèle  la  vérité  tout  entière,  et 


186  CAMPAGiNE   DE  CHLNE. 

permet  de  suivre  et  d'apprécier  les  faits  dont  nous  allons 
retracer  le  récit  dans  leui's  plus  exacts  détails  ;  ces  dé- 
tails mettent  à  nu  la  diplomatie  chinoise  appuyée  sur  la 
duplicité  et  le  mensonge,  et  que  la  force  des  armes  pou- 
vait seule  réduire  au  silence. 

La  marche  continua  donc  en  avant,  malgré  les  tenta- 
tives des  nouveaux  mandarins. 

Le  13,  la  petite  armée  campait  à  Kho-seyou,  où  elle 
séjournait  le  14.  —  Là,  l'amhassadeur  reçut  une  nou- 
velle communication  officielle  de  Tsai,  prince  d'Y'- 
Tsin,  et  de  son  collègue  Muh.  —  Cette  dépêche  est  très- 
importante  dans  sa  teneur,  car  elle  montre  clairement, 
en  présence  des  fails  qui  se  produisirent  cinq  jours  plus 
tard,  combien  le  gouvernement  chinois  chercha  jusqu'à 
la  fin  à  nous  abuser  et  à  endormir  notre  vigilance  par 
des  démarches  conciliatrices  qui  devaient  aboutir  à  la 
plus  manifeste  trahison. 

Cette  note  se  termine  ainsi  : 

«  Nous  avons  remarqué  dans  la  dépêche  que  Votre 
Excellence  nous  a  écrite  le  12  septembre,  que  son  désir 
était  de  s'avancer  jusqu'à  Tung-chao.  Loin  de  nous  op- 
poser à  ce  que  les  intentions  de  A'^otre  Excellence  se  réa- 
lisent à  ce  sujet,  nous  voulons  au  contraire  nous  en- 
tendre avec  elle.  —  Si  elle  consent  à  faire  camper  son 
armée  dans  les  trois  villages  de  Yang-tsun,  Tchoun-tchou 
et  Rho-seyou,  sans  qu'elles  avancent  plus  loin.  Votre 
Excellence  suivant  ce  qui  a  été  convenu  à  Tien-tsin,  au 
sujet  de  son  voyage  à  Pé-king,  pourra  avec  une  suite 
peu  nombreuse  et  sans  armes,  venir  à  Tung-chao  pour 


LIVKE   I],   CHAPITRE  I.  187 

s'y  entendre  avec  nous  sur  tous  les  articles  de  la  con- 
vention auxquels  nous  donnons  notre  assentiment,  et 
que  nous  pourrions  établir,  signer  et  sceller,  avant  que 
A'otre  Excellence  ne  se  rendît  dans  la  capitale  pour  y 
procéder  à  l'échange  de  la  ratification  du  traité.  Ainsi 
les  retards  seront  évités  et  les  autorités  chinoises  seront 
chargées  de  procurer  à  Votre  Excellence  des  charriots, 
et  tout  ce  qui  sera  nécessaire  pour  faciliter  son  voyage. 
Nous  la  prions  donc  de  vouloir  bien  nous  faire  connaître 
le  nombre  de  personnes  qui  l'accompagnent,  afin  que 
tout  soit  prêt  d'avance  (1).  » 

XVI.  —  Les  termes  de  cette  communication  des  nou- 
veaux commissaires  impériaux  étaient  clairs  et  précis, 
les  troupes  devaient  s'arrêter  à  la  hauteur  des  villages 
indiqués,  à  six  milles  environ  de  Tung-chao,  ville  dans 
laquelle  les  commissaires  attendraient  les  ambassadeurs 
pour  signer  la  convention  préparée  à  Tien-tsin  (2).  — 
Une  copie  de  cette  communication  à  laquelle  lesambassa- 


(1)  Les  commissaires  impériaux  prince  Tsai  Y'tsin  ,  elc...,  au  baron 
Gros.  13  septembre  1860. 

(2)  Le  général  en  chef  de  Montauban  écrit  à  ce  sujet  au  Ministre  de 
la  guerre,  dans  sa  dépêche  en  date  du  19  septembre  : 

«  Des  communications  diplomatiques  ayant  été  de  nouveau  échan- 
gées à  Kho-seyou,  ville  située  à  environ  trente  kilomètres  de  Tung- 
chao,  les  ambassadeurs  firent  savoir  aux  commandants  en  chef  alliés 
que  tout  était  terminé;  que,  par  suite  d'une  convention  définitive, 
les  forces  militaires  s'arrêteraient  à  environ  deux  lieues  de  Teng- 
cbeou .  que  les  entrevues  avec  les  commissaires  impériaux  auraient 
lieu  dans  cette  ville,  et  qu'enfin  une  escorte  d'honneur  accompa- 
gnerait les  ambassadeurs  à  Pé-king  pour  y  échanger  les  ratifications.» 


188  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

deurs  avaitMil  accédé,  fut  envoyée  aux  coinmandaiits  en 
chef,  afin  qu'ils  se  conformassent  dans  leurs  opérations 
militaires  aux  conventions  arrêtées,  et  qu'ils  établissent 
leurs  campements  dans  les  limites  indiquées  par  les 
hauts  commissaires  chinois. 

Ces  comhiissaires  ont-ils  trempé  dans  l'horrihle  guet- 
apens  préparé  par  l'armée  chinoise,  ou  cette  trahison 
fut-elle  l'œuvre  de  Sang-ko-linsin,  commandant  en  chef 
de  l'armée  tarlare.  C'est  un  point  difficile  à  apprécier, 
et  sur  lequel  les  événements  futurs  pouvaient  seuls  jeter 
quelque  lumière;  car  ces  mandarins  civils  avaient  eu 
soin  de  dire  en  commençant  leur  dépèche  du  13  sep- 
tembre. 

«  Nous  devons  vous  déclarer  que  les  troupes  chinoises 
qui  tiennent  garnison  au  nord  de  Klio-seyou  n'obéissent 
qu'à  leurs  chefs  militaires,  et  que  nous  n'avons  aucune 
autorité  sur  elles.  » 

Toutefois,  il  est  important  de  remarquer  que  le  prince 
Tsai  était  le  gendre  de  Sang-ko-lin-sin,  ce  qui  fait  gran- 
dement supposer  que  ces  deux  persoiuiages  élevés,  tous 
deux  membres  de  la  famille  impériale,  s'étaient  con- 
certés entre  eux. 

XYII.  —  Mais  quand  on  rapproche  des  divers  inci- 
dents de  celte  odieuse  trahison,  la  confiance  que  les 
hauts  mandataires  du  gouvernement  chinois  voulaient 
inspirer  aux  alliés  par  leurs  paroles  de  paix  et  de  con- 
ciliation, ainsi  que  leur  insistance,  pour  (jue  les  ambas- 
sadeurs s'avançassent  jusqu'à  Tnng-cliao  avec  une  suite 


LIVRE  II,   CHAPITRE   f.  189 

peu  nombreuse  et  sans  armes,  il  est  bien  difficile  de  croire 
que  ces  envoyés  de  l'Empereur  soient  restés  complète- 
ment étrangers  aux  événements  qui  devaient  stigmatiser 
à  jamais  la  nation  chinoise. 

Sang-ko-lin-sin,  on  le  savait,  par  les  différents  rapports 
des  espions,  avait  promis  à  son  souverain  d'exterminer 
jusqu'au  dernier  homme  l'armée  des  barbares,  si  elle 
osait  jamais  s'aventurer  jusqu'au  sein  du  Céleste  Empire, 
et  s'occupait  activement  h  réunir  devant  la  capitale  des 
forces  imposantes,  surtout  en  cavalerie,  la  cavalerie  tar- 
tare  jouissant  d'une  très-grande  renommée!  —  Il  avait 
espéré  que  les  forts  de  Ta-kou,  si  formidablement  armés 
de  longue  main,  arrêteraient  l'ennemi  assez  longtemps 
pour  lui  permettre  d'appeler  à  lui  les  éléments  considé- 
rables de  résistance  qu'il  voulait  concentrer  sous  sa  main. 

La  reddition  subite  des  forts  avait  trompé  son  attente, 
et  il  est  évident  que  les  bauts  commissaires  Kwei-liang 
et  ses  collègues,  désavoués  et  accusés  plus  tard  par  leurs 
successeurs  le  prince  Tsai  et  Muh,  n'avaient  agi  ainsi 
qu'ils  l'avaient  fait,  que  pour  gagner  du  temps  et  retenir 
le  plus  longtemps  possible  à  Tien-tsin  l'armée  alliée,  prêle 
à  s'avancer  à  marche  forcée  sur  la  capitale  de  l'Empire. 

XYIII.  —  La  volonté  persistante  des  ambassadeurs 
d'en  finir  sans  délai  et  la  découverte  de  l'insuffisance  des 
pouvoirs  de  Kwei-liang  avaient  déjoué  ces  nouveaux 
plans,  en  suspendant  le  cours  des  négociations  entamées. 

Cependant  il  fallait  à  tout  prix  arrêter  notre  marche 
en  avant;  aussi  nous  voyons  de  nouveaux  mandarins 


190  CAMPAGNE   DE    CHINE. 

appartenant  à  l'ordre  le  plus  élevé,  dont  l'un  est  issu  de 
la  famille  impériale,  tenter  de  nouvelles  démarches  qui 
ne  réussissent  pas.  —  C'est  alors  que  la  trahison  devient 
une  dernière  ressource  à  lacjuelle  le  gouvernement  chi- 
nois n'a  pas  honte  de  faire  appel.  La  tète  des  ambassa- 
deurs et  des  commandants  en  chef  alliés  n'est-elle  pas 
mise  à  [)rix  ;  tous  les  moyens,  ainsi  que  le  disaient  les  res- 
crits  impériaux,  ne  sont-ils  pas  justes  et  sacrés  pour 
exterminer  les  barbares  Occidentaux  qui  osent  pénétrer 
au  sein  du  grand  empire  de  la  Chine? 

Pour  se  convaincre  de  cette  vérité,  il  suffit  de  lire  le 
manifeste  adressé  par  l'Empereur  à  ses  populations . 
après  la  prise  des  forts  de  Ta-kou,  sur  le  Peï-ho.  On  n'y 
trouvera  aucune  trace  des  sentiments  de  conciliation 
qu'aftichaient  en  termes  si  pompeux  les  commissaires 
impériaux  dans  leurs  communications  officielles  aux 
ambassadeurs  alliés. 

XIX.  —  Ce  manifeste,  appréciant  d'abord  à  son  point 
de  vue  la  journée  du  25  juin  1859,  s'exprime  ainsi  : 

c  A  peine  les  Barbares  eurent-ils  essayé  de  forcer  le 
passage  de  Ta-kou ,  qu'en  un  clin  d'oeil  tous  les  bâti- 
ments furent  coulés  bas,  et  des  milliers  de  cadavres  flot- 
tèrent sur  les  eaux  pendant  plus  d'une  lieue.  Quelques- 
uns  étaient  parvenus  à  s'échapper,  et  allèrent  porter 
chez  eux  la  nouvelle  de  cette  terrible  punition.  » 

Puis  il  continue  ainsi  : 

«  Je  croyais  bien  que  cette  leçon  suffirait  pour  les 
rendre  plus  circonspccis.  Mais  qui  l'aurait  cru!  un  an 


LIVRE  II,   CHAPITRE   I.  191 

s'était  à  peine  écoulé  depuis  la  mémorable  victoire  de 
nos  armes,  et  les  voici  revenus  plus  nombreux  et  plus 
arrogants  que  jamais  ! 

«  Profitant  de  la  marée  basse,  Ils  ont  débarqué  à  Peh- 
tang,  et  sont  venus  attaquer  les  formidables  retranche- 
ments de  Ta-kou;  mais,  comme  des  barbares  qu'ils  sont, 
ils  les  ont  attaqués  la  nuit  et  par  derrière.  C'est  ainsi 
qu'ils  ont  pu  surprendre  nos  miliciens,  accoutumés  à  se 
voir  braver  en  face  par  un  ennemi  courageux  et  fier,  mais 
ne  pouvant  pas  s'imaginer  que  tant  de  lâcheté  et  de  per- 
fidie fût  mise  en  œuvre  contre  eux.  Maintenant,  enflés 
par  ce  succès  qui  devrait  les  couvrir  de  honte,  ils  osent 
marcher  sur  Tien-tsin;  mais  ma  colère  va  les  atteindre, 
et  pour  eux  il  n'y  aura  pas  de  merci.  Aussi,  nous  or- 
donnons à  tous  nos  sujets,  miliciens  et  laboureurs,  ha- 
bitants des  villes  et  des  campagnes.  Chinois  ou  Tartares, 
de  les  détruire  comme  des  animaux  malfaisanis.  Nous 
ordonnons  à  tous  nos  mandarins  et  officiers,  militaires  et 
civils,  d'avoir  à  faire  évacuer,  par  les  populations  sous 
leurs  ordres,  toute  ville  ou  bourgade  vers  laquelle  ces 
misérables  étrangers  feraient  mine  de  se  diriger.  On 
devra  également  détruire,  par  l'eau  et  par  le  feu,  tous  les 
vivres  et  tous  les  approvisionnements  que  l'on  serait 
obligé  d'abandonner.  De  cette  façon,  cette  race  maudite, 
traquée  par  le  fer  et  par  la  faim,  périra  bientôt,  comme 
les  poissons  d'un  étang  qu'on  a  mis  à  sec. 

Donné  à  Huyen-mi-hu-hyen,  le  vingt-troisième  jour 
de  la  dixième  lune  de  la  neuvième  année  de  notre 
règne.  » 


192  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

XX.  —  Le  général  Collineau  a  rcgu  l'ordre  de  re- 
joindre le  général  en  chef",  en  conservant  à  Tien-tsin, 
sous  les  ordres  du  capitaine  Théologuc,  les  troupes  né- 
cessaires à  la  garde  du  fort  et  des  positions  que  nous 
occupons  eu  dehors  de  la  ville.  —  Pendant  ce  temps, 
l'armée  continue  sa  marche  sur  Tuug-chao. 

Si  l'on  devait  avec  juste  raison  n'avoir  qu'une  con- 
Jiance  très-limitée  dans  les  assurances  pacifiques  du 
gouvernement  chinois,  la  pensée  des  amhassadeurs  et  des 
commandants  en  chef  n'allait  pas  plus  loin.  —  Cepen- 
dant les  traces  visihlcs  de  campements  considérables  de 
cavalerie  indiquaient  que  l'armée  ennemie  était  en  cam- 
pagne, et  qu'elle  se  relirait  pas  à  pas  devant  nos  télés 
de  colonne. 

On  ne  voulait  point,  par  une  suspicion  qu'eussent 
grandement  motivée  les  actes  précédents  du  gouverne- 
ment, entraver  les  nouvelles  négociations  qui  touchaient 
àleur  terme,  elle  général  de  Monlauhan  se  décida,  ainsi 
que  son  collègue  de  l'armée  anglaise,  à  envoyer  en  avant 
plusieurs  officiers  chargés  de  passer  à  Tung-chao  des 
marchés  pour  les  approvisionnements,  et  convenir  avec 
les  pléni[)olentiaires  chinois  des  positions  oîi  devaient 
s'établir  les  bivacs  des  deux  armées. 

Cette  mesure  était  du  resle  devenue  nécessaire  par  le 
vide  qui  se  faisait  autour  de  l'armée  alliée,  partout  où 
elle  passait.  Dans  les  villages ,  les  habitations  étaient 
fermées  ;  de  tous  côtés  régnait  un  moi-ne  silence,  et  la 
vie  semblait  retirée  de  ce  pays  devenu  subitement 
désert. 


LIVRE  II,   CHAPITRE  II.  193 


CHAPITRE  II. 


XXI.  —  Les  officiers  parlementaires  quittèrent  le  cam|) 
dans  la  matinée  du  17  septembre. 

Le  général  en  chef  avait  désigné  pour  cette  mission 
le  colonel  Foullon  de  Grandchamps  de  l'artillerie,  le 
capitaine  d'état-major  Chanoine,  le  caïd  Osman,  sous- 
lieulenant  de  spahis,  MM.  Duhut,  sous-infendant  mili- 
taire, Ader  et  Gagey,  compfables,  et  M.  l'abbé  Uuluc, 
interprète.  —  Chacun  des  officiers  était  accompagné  de 
ses  ordonnances,  M.  le  baron  Gros  avait  également 
chargé  M.  de  Bastard,  secrétaire  d'ambassade,  de  porter 
aux  plénipotentiaires  chinois  une  dépêche  à  laquelle  il 
devait  réclamer  une  prompte  réponse;  M.  de  Méritens, 
interprète  d'ambassade,  devait  suivre  M.  de  Bastard. 

M.  d'Escayrac  de  Lauture,  chef  de  la  mission  scienti- 
fique en  Chine,  se  joignit  aux  parlementaires  ayant  avec 
lui  son  lettré  et  les  ordonnances  attachées  à  sa  personne. 

Les  Anglais  avaient  envoyé  le  lieutenant-colonel  Wa!- 
ker,  chef  d'état-major  de  la  cavalerie  et  le  lieutenant  An- 
derson,  avec  19  cavaliers  indiens.  — M.  Bowlby,  corres- 
pondant du  Times,  s'était  joint  à  M.  de  Normann,  premier 
II  13 


194  CAMPAG.NE   DK   CHINE. 

allaclié  de  légalioii,  et  M.  Loch  à  M.  ParKes,  le  consul 
de  Shang-liai,  dont  le  long  séjour  en  Chine  et  sa  parfaite 
connaissanee  de  la  langue  chinoise  rendait  en  toute  cir- 
constance le  concours  si  précieux. 

XXII.  —  Le  17,  à  quatre  heures  du  matin,  le  général 
de  Moiilaiiban  leva  le  camp  de  Rho-seyou  et,  accompagné 
de  son  état-major  général,  se  dirigea  surMatao,  où  il  de- 
vait établir  ses  nouveaux  hivacs.  Il  emmenait  avec  lui 
le  général  Jamin,  commimdant  600  chasseurs  à  pied  du 
2'"  baîaillon,  une  compagnie  du  génie,  une  compagnie 
d'élite  du  101'  et  du  102%  une  batterie  de  4,  en  tout 
1 100  Jiommes.  Le  reste  de  la  brigade  restait  à  Kho-seyou 
avec  une  batterie  de  12  pour  y  garder  les  approvision- 
nements attendus  à  Tien-tsin. 

A  onze  heures  et  demie,  les  troupes  arrivèrent  à  Matao  ; 
elles  trouvèrent,  comme  toujours,  ce  village  abandonné 
par  ses  habitants.  Les  traces  des  bivacs  de  la  cavalerie 
tartare  étaient  toutes  récentes  et  indiquaient ,  par  Icui' 
étendue,  un  immense  campement.  —  Il  n'y  avait  pas  à 
en  douter  :  la  cavalerie  qui  gardait  les  abords  de  Tung- 
chao  se  repliait  lentement  devant  nous. 

XXIII.  —  Pendant  que  nos  troupes  s'établissaient  à 
Matao,  les  envoyés  français  et  anglais  arrivaient  àïung- 
chao  avec  grande  confiance,  ainsi  que  le  secrétaire  d'am- 
bassade, M.  de  Baslard,  et  son  interprète,  qui  avaient 
icjoint,  en  compagnie  de  M.  d'Escayrac  de  Laulure,  le 
groupe  des  ofiiciers  français.  Pendant  le  trajel,  rien 


LIVRE   II,  CHAPITRE   II.  195 

n'avait  pu  éveiller  leurs  soupçons  et  leur  taire  suppo- 
ser l'odieuse  trahison  dont  ils  devaient  être  victimes. 

A  quatre  ou  cinq  mille  mètres  environ  avant  Tung- 
chao,  ils  avaient  bien  aperçu  sur  leur  gauche  des  tentes 
tartares,  et  çà  et  là  dans  la  campagne  ou  même  sur  les 
routes  qu'ils  suivaient,  quelques  détachements  de  cava- 
liers prenant  des  directions  diverses;  mais  les  soldats 
qu'ils  avaient  rencontrés  dans  les  villages  ou  en  chemin 
ne  semblaient  point  se  préoccuper  de  leur  présence. 

A  l'entrée  de  Tung-chao,  ils  furent  accueillis  avec  grand 
empressement  par  divers  mandarins  qui  leur  offrirent  de 
les  conduire  dans  l'intérieur  de  la  ville.  L'un  d'eux  mena 
M.deBastard  àun  yamoun  préparé  à  l'avance,  pendant  que 
ses  compagnons  de  route  suivaient  une  autre  direction. 

De  leur  côté,  les  parlementaires  anglais  étaient  égale- 
ment arrivés.  —  Une  population  nombreuse  se  pressait 
dnns  les  rues;  elle  n'avait  dans  son  allure  ou  sur  son 
visage  aucun  caractère  menaçant. 

XXIV.  —  M.  de  Baslard  fit  sans  retard  demander  au 
prince  Tsai  une  audience  qui  fut  (ixée  à  quatre  heures 
du  soir. 

A  quatre  heures,  en  effet,  l'envoyé  de  l'ambassadeur 
de  France  fut  introduit  dans  une  salle  où  se  trouvaient 
les  deux  plénipotentiaires  Tsai  et  Muh,  entourés  de  man- 
darins de  différents  ordres.  —  Muh  semblait  jouer  en 
cette  circonstance  un  rôle  entièrement  secondaire,  tandis 
qu'au  contraire  le  prince  Tsai,  par  ses  manières  hautai- 
nes envers  son  entourage,  indiquait  l'homme  habitué  à 


196  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

voir  ses  moindres  ordres  exécutés  sans  réplique  ;  tous 
ceux  qui  l'approchaient  se  tenaient  dans  une  attitude 
pleine  de  crainte  et  de  respect. 

Le  prince  prit  connaissance  de  la  dépèche  dont  était 
porteur  M.  de  Basiard  et  l'approuva  en  son  entier; 
la  seule  objection  qu'il  fit  portait  sur  le  nombre  de  mille 
hommes  qui  devaient  servir  d'escorte  à  l'ambassadeur 
pour  se  rendre  à  Pé-kinp:.  La  discussion  fut  assez  longue 
sur  ce  point,  et  Muh  ri'y  prit  aucune  part,  se  contentant 
d'écouter  avec  une  impassibilité  apparente  les  paroles 
transmises  par  les  inter[)rèfes. 

Enfin  ce  point  fut  accordé. 

L'incident  qui  avait  mis  fin  aux  relations  entamées 
avec  Kwei-liang,  quelques  jours  auparavant,  avait  mon- 
tré qu'il  fallait  avant  tout  être  édifié  sur  la  nature  et 
l'étendue  des  pouvoirs  concédés  aux  nouveaux  pléinpo- 
tentiaires.  —  Aussi  M.  de  Bastard,  selon  ses  instructions, 
demanda  au  prince  Tsai  s'il  était,  ainsi  que  son  collègue, 
muni  de  pleins  pouvoirs.  <t  Le  prince  répondit  affirma- 
tivement (écrit  M.  de  Bastard  dans  sa  dépêche  au  baron 
Gros),  mais  non  sans  avoir  manifesté  sa  vive  contrariété 
d'être  en  butte  à  pareille  question,  lui  qui,  dit-il,  n'avait 
jamais  menti,  dont  l'autorité  était  supérieure  à  celle  de 
tous  les  plénipotentiaires,  et  dont  la  signature  avait  la 
même  force  que  celle  de  l'Empereur.  » 

XXV.  —  Le  projet  de  convention  préparé  à  Tien-tsin 
fut  ensuite  discuté  pendant  quelques  instants,  et  le  prince, 
après  des  objections  sans  importance,  déclara  qu'il  était 


LIVRE  II,  CHAPITRE   II.  197 

prêt  à  tout  signer.  Il  promit  de  faire  prendre  toutes  les 
dispositions  nécessaires  pour  le  voyage  de  l'ambassadeur 
à  Pé-king,  comme  pour  rétablissement  des  marchés  qui 
devaient  servir  à  l'approvisionnement  de  l'armée  alliée; 
cette  armée  devait  camper  en  avantdeTchang-kia-ouang, 
sur  des  points  qui  furent  indiqués. 

M.  de  Baslard,  que  le  prince  Tsai  avait  reçu  avec  la 
plus  grande  courtoisie,  se  retira  en  demandant  aux  plé- 
nipotentiaires chinois  de  vouloir  bien  lui  faire  trans- 
mettre sans  retard  leur  réponse  officielle. 

Cette  réponse  fut  en  effet  apportée  dans  la  nuit,  et  M,  de 
Bastard,  ayant  dès  lors  rempli  sa  mission,  se  prépara 
à  quitter  Tung-chao  ,  le  lendemain  matin  à  la  pointe 
du  jour. 

Les  officiers  français  délégués  par  le  général  en  chef 
avaient  aussi  obtenu  du  mandarin  gouverneur  de  la  ville 
la  promesse  formelle  de  l'établissement  des  marchés 
destinés  à  fournir  des  vivres  à  l'armée. 

Le  18,  à  la  pointe  du  jour,  M.  de  Bastard,  accompagné 
de  M.  de  Méritens,  quitta  la  ville.  Un  officier  d'ordon- 
nance du  général  de  Montauban,  le  caïd  Osman,  qui  la 
veille  avait  fait  roule  avec  M.  de  Bastard  et  le  capitaine 
d'état-major  Chanoine,  suivi  de  son  ordonnance,  parti- 
rent en  même  temps.  —  Leur  escorte  se  composait  de 
deux  spahis. 

11  ne  restait  plus  dans  la  ville,  du  côté  des  Français, 
(jue l'intendant  Dubut,  le  colonel  de  Grandchamps,  l'abbé 
Duluc,  les  deux  comptables  Ader  et  Gagey  et  M.  d'Es- 
cayrac  de  Lauture. 


198  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

XXVI.  —  Le  môme  jour,  dans  la  iiiatince,  les  deux 
armées  devaient  quitter  leurs  campements  respectifs 
près  de  Matao  pour  se  rendre  au  bivac  définitif  ar- 
rêté parles  conventions,  en  avant  de  Tchang-kia-ouang. 
Aussi  une  partie  des  officiers  envoyés  la  veille  avait  mis- 
sion de  quitter  cette  ville,  dès  les  premières  lueurs  du  jour, 
pour  indiquer  aux  troupes  en  marche  la  limite  où  elles 
devaient  s'arrêter.  —  Le  capitaine  d'état-major  Chanoine 
prit  donc  les  devants  à  la  sortie  de  la  ville,  afin  de  re- 
joindre au  plus  vite  le  général  en  chef  de  Montauhan  et 
lui  donner  à  ce  sujet  les  indications  nécessaires. 

Une  heure  auparavant,  M.  Parkes  était  aussi  parti  de 
Tung-chao  pour  porter  au  général  Grant  les  mêmes 
renseignements  (cinq  heures  et  demi  environ).  Il  avait 
avec  lui  M.  Loch,  le  colonel  Walker  et  une  escorte  de 
dragons  de  sicks.  M.  Parkes  devait  ensuite  revenir  à 
Tung-chao,  où  l'attendaient  M.  de  Normann,  M.  Bowlby 
et  le  lieutenant  Anderson. 

L'aspect  de  ce  pays,  que  le  capitaine  Chanoine  avait 
traversé  la  veille  avec  ses  compagnons,  était  bien  changé. 
Ce  n'était  plus  de  petits  groupes  détachés  soit  d'infante- 
rie, soit  de  cavalerie  se  dirigeant  vers  des  points  diffé- 
rents :  c'était  une  armée  tout  entière  qui  occupait  la 
campagne  et  se  présentait  entre  Tchang-kia-ouang  et 
Matao  en  forces  imposantes.  —  L'infanterie  bordait  la 
roule,  et  la  cavalerie  manœuvrait  pour  s'établir  en  ba- 
taille sur  une  chaussée,  formant  ainsi  un  arc  de  cercle 
dont  la  convexité  regardait  Tchang-kia-ouang. 

Ce  mouvement  considérable  de  troupes  qui  jetait  des 


LIVRE  II,   CHAPITRE  II.  199 

masses  compactes  sur  le  terrain  même  destiné  au  cam- 
pement dn  corps  expéditionnaire  anglo-français,  avait 
évidemment  un  but  hostile  et  inexplicable.  Le  capitaine 
Chanoine  hâta  le  pas,  pour  prévenir  au  plus  vite  le  gé- 
néral en  chef  français  de  cet  mcidenl  si  peu  en  harmonie 
avec  les  assurances  données ,  la  veille  encore,  par  les 
plénipotentiaires  chinois. 

XXVII.  —  De  leur  côté,  M.Parkes  et  ses  compagnons, 
étonnés  de  se  trouver  ainsi  tout  à  coup  au  milieu  de  l'ar- 
mée tartare,  établie  sur  le  terrain  même  que  les  troupes 
alliées  devaient  occuper,  s'étaient  arrêtés  pour  se  con- 
sulter sur  ce  qu'il  convenait  de  faire  devant  cette  appa- 
rence menaçante.  —  M.  Parkes  était  trop  habitué  de  lon- 
gue date  aux  allures  des  Chinois  et  à  leur  duplicilé,  pour 
ne  pas  y  voir  l'indice  certain  d'une  trahison  ;  songeant 
à  ses  compatriotes  restés  à  Tung-chao,  il  prit  aussitôt 
la  décision  de  retourne  r  vers  cette  ville  pour  les  protéger 
par  sa  présence  et  demander  énergiquement  au  prince 
Tsai  des  explications  sur  ce  qui  se  passait.  La  seule 
chance  qui  restât  était  évidemment  d'inspirer  au  prince 
des  craintes  sérieuses  sur  les  résultats  d'une  semblable 
action  et  d'en  assumer  sur  lui  seul  toute  la  re?ponsa- 
bihté.  —  Il  fut  décidé  que  M.  Loch  continuerait  au  plus 
vite  sa  route  vers  le  camp  pour  avertir  le  général  Grant, 
et  que  le  colonel  Walker,  avec  six  hommes  d'escorte, 
attendrait  là  où  il  était,  le  retour  de  M.  Parkes,  ou  les 
ordres  du  général  en  chef.  —  Telles  furent  les  résolutions 
nipidement  arrêtées  et  mises  aussitôt  à  exécution. 


200  CAMPAGNE   DE  CHINE 

M.  Parkes  reprit  donc  au  galoi»  le  plus  rapide  de  sou 
cheval  le  chemin  de  Tung-chao,  pendant  ipic  M.  I^och 
courait  en  toute  hâte  vers  le  camp  anglais. 

Sur  la  route,  M.  Parkes  rencontre  M.  de  liastard;  il 
s'arrête  un  instant. 

«  —  Les  Tarlares,  lui  dit-il,  occupent  en  grand  nombre 
le  terrain  destiné  à  nos  campements.  Je  les  connais  tro|) 
pour  ne  pas  redouter  une  trahison.  J'ai  fait  prévenir  le 
général  Grant  et  je  cours  à  Tung-chao  déclarer  aux 
plénipotentiaires  chinois  qu'ils  sont  responsables  des  évé- 
nements qui  peuvent  survenir  (1).  » 

Puis  il  continue  sa  course  aventureuse  au  milieu  d'en- 
nemis dont  le  cercle  formidable  devait  se  refermer 
sur  lui. 

XXYIII.  —  Voici  maintenant  ce  qui  se  passait  pendant 
ce  temps  au  camp  des  alliés. 

L'armée  anglaise,  tenait  ce  jour  là  la  tête  de  la  colonne. 

Les  troupes  parties  de  Malao  le  malin,  avaient  fait 
deux  heures  de  marche  environ,  lorsque  le  généra! 
Grant  lit  prévenir  le  conuiiandant  en  chef  français  qu'il 
apercevait  devant  lui  un  certain  nombre  de  vedettes  de 
cavalerie  ennemie,  et  que  les  positions  vers  lesquelles  ils 
se  dirigeaient  n'étaient  pas  encore  évacuées  par  l'armée 
tartare. 

Le  général  de  Montauban  se  rendit  aussitôt  auprès  de 
son  collègue,  et  les  deux  généraux,  constatant  la  pré- 

(1)  Dépêche  de  M.  de  Bastard  au  baron  Gros.  18  septembre  1860. 


LIVRE  11,    CHAflïHE   11.  201 

sence  d'une  troupe,  dont  ils  ne  pouvaient  pour  le  moment 
apprécier  le  nombre,  décidèrent  qu'il  fallait  s'arrêter  là 
ou  se  trouvait  la  tète  de  colonne  anglaise. 

Presque  au  même  moment  ils  voient  venir  vers  eux  un 
mandarin  porté  en  palanquin  et  suivi  d'une  nombreuse 
escorte.  —  Ce  mandarin  d'un  rang  très-élevé  c'est  Hang- 
Ki;  il  demande  à  parler  aux  ambassadeurs.  On  lui  ré- 
pond qu'ils  ne  sont  pas  au  camp  :  <i  II  venait,  dit-il,  pour 
s'entendre  avec  Leurs  Excellences  sur  quelques  disposi- 
tions de  détail  relatives  à  leur  réception  à  Pé-king.  »  Vi- 
vement interpellé  sur  la  présence  des  troupes  tarlares, 
Hang-Ki  paraît  tort  étonné  et  déclare  que  c'est  sans 
aucun  doute  le  résultat  d'un  malentendu  sur  les  posi- 
tions réciproques  à  occuper.  «  —  Du  reste,  ajoute-t-il,  je 
vais  immédiatement  faire  savoir  aux  chefs  de  l'armée 
qu'ils  aient  à  se  retirer  sans  retard.  » 

XXIX.  —  Les  généraux  acceptèrent  cette  explica- 
tion. Quelques  doutes  qu'ils  pussent  conserver  sur  la 
bonne  foi  de  ce  mandarin,  ils  ne  voulaient  pas  com- 
niencer  eux-mêmes  une  attaque  qui  pourrait  donner  au 
gouvernement  chinois  le  droit  de  se  plaindre;  mais,  tout 
en  attendant  le  résultat  des  promesses  qui  venaient  de 
leur  être  faites  et  le  départ  des  troupes  tartares,  ils  pri- 
rent sans  plus  tarder  des  dispositions  militaires  pour 
parer  à  tout  événement,  et  se  garder  contre  une  sur- 
prise que  pouvaient  peut-être  préméditer  les  chefs  de 
l'armée  ennemie. 

Kn  effet,  les  Tartares  continuaient  leur  mouvement. 


202  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

et  (le  tous  côtés  on  apercevait  la  poussière  soulevée  par 
les  cavaliers;  cependant  un  engagement  ne  paraissait 
pas  imminent. 

Le  général  Grant  offrit  un  escadron  de  sicks  au  gé- 
néral de  Montauban,  qui  n'avait  avec  lui  que  cinquante 
cavaliers,  et  il  fut  convenu  que  les  Français  placés  à  la 
droite  de  l'armée  alliée,  tourneraient  les  positions  sur 
la  gauche  de  l'ennemi  ;  les  Anglais  devaient  les  attaquer 
de  front,  aussitôt  que  les  Fançais  seraient  arrivés  à  leur 
hauteur. 

oc  Fort  heureusement  (écrit  le  général  de  Montauban), 
conmie  je  n'avais  qn'une  foi  très-médiocre  dans  les  Chi- 
nois, au  lieu  de  très- peu  de  monde  qu'ils  demandaient 
que  nous  prissions  avec  nous,  j'en  avais  doublé  le  nom- 
bre et  amené  deux  batteries  de  12  et  de  4.  » 

XXX.  —  Il  n'est  pas  sans  importance  d'entrer  dans 
quelques  détails  sur  le  terrain  qui  se  développe  devant 
les  deux  corps  expéditionnaires  et  qu'occupe  l'armée  en- 
nemie. —  Les  dispositions  de  ce  terrain,  les  hautes  cul- 
tures et  les  massifs  d'arbres  empochaient  d'apprécier 
exactement  le  nombre  des  troupes  réunies  sous  les  ordres 
de  Sang-ko-lin-sin,  ainsi  que  les  défenses  élevées  pour 
protéger  leurs  positions  et  nous  barrer  le  passage. 

C'est  une  vaste  plaine  bordée  par  le  canal  qui  pari  de 
Tchang-kia-ouang,  pour  rejoindre  le  Peï  ho,  dont  les 
eaux  coulent  derrière  nous.  Le  pays  est  surtout  l)oi^é  aux 
approches  du  canal  et  aux  abords  des  habitations.  —  A 
notre  extrême  droite  vers  le  Peï  ho,  s'élève  un  petit  vil- 


LIVRE  11,   CHAPITRK   11.  203 

lage  (Lio-lsang),  entouré  de  cultures  abondantes  et  de 
vergers.  Plus  en  avant  vers  le  canal,  un  second  village 
(Léost),  étend  parallèlement  au  canal  ses  longues  li- 
gnes de  maisons,  dont  une  des  extrémités  s'en  rapproche 
sensiblement.  —  C'est  dans  ce  village  que  s'est  déployée 
la  cavalerie  tartare  formant  un  large  cercle,  dont  la 
gauche,  soutenue  par  de  fortes  masses  d'infanterie, 
touche  au  village  même  de  Lio-tsang  :  tandis  que  la 
droite  garnit  la  plaine,  défendant  les  approches  de  deux 
autres  villages  Khouat-tsun  et  Tchang-kia-ouang. 

Tous  les  abords  du  canal  sont  garnis  de  nombreuses 
batteries  d'artillerie  tartare  ;  quatre-vingt-quatre  pièces 
défendent  cette  ligne  formidable  soutenue  par  l'infan- 
terie ;  une  batterie  de  dix-huit  pièces  protège  en  arrière 
les  approches  du  village  Khouat-tsun. 

XXXI.  —  La  colonne  anglaise  placée  en  avant  par  son 
ordre  de  marche,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  occupe  la 
plaine.  Le  général  Grant  dispose  sa  cavalerie  en  éche- 
lons sur  trois  rangs,  les  deux  premiers  appuyant  à  droite 
se  composent  des  dragons  de  la  reine,  les  deux  derniers 
des  sicks.  —  L'infanterie  est  massée  en  arrière. 

Le  général  de  Montauban  met  en  potence,  à  droite 
des  troupes  anglaises,  la  brigade  Jamin  ;  une  batterie 
de  4  est  en  position  devant  le  village  même  de  Lio-tsang 
occupé  par  l'infanterie  tartare,  et  couvert  par  une  ligne 
de  tirailleurs  disséminés  aux  alentours  dans  les  terrains 
cultivés.  —  A  la  droite  de  l'infanterie  sont  les  sp.ihis 
et  les  chasseurs,  ainsi  que  l'escadron  des  sicks,  que  le 


204  CAMPAI, Mi    Dt   CHINK. 

général  Granl  a  mis  à  la  disposition  du  ^éiiéial  en  chef 
français. 

Le  général  de  Monlauban  surveille  avec  soin  l'exécu- 
tion de  ses  ordres.  Avec  le  petit  nombre  de  troupes  qu'il 
commande,  les  moindres  détails  de  posilion  acquièrent 
une  grande  importance. 

Pendant  qu'il  lait  ainsi  ses  préparatifs  d'attaque,  le 
capitaine  Chanoine  arrive  au  camp,  et  rend  compte  au 
commandant  en  chef  qu'il  vient  de  traverser  toute  l'ar- 
mée tarlare.  —  Fortement  établie  entre  les  alliés  et 
Tung-chao ,  elle  occupe  en  nombre  considérable  les 
positions  en  avant  de  notre  tète  de  colonne  ;  son  altitude 
est  hostile.  Ariêté  plusieurs  fois  dans  sa  marche,  le  ca- 
pitaine a  eu  grand'peineà  rejoindre  le  camp,  et  n'a  pu 
continuer  sa  roule  qu'apiès  être  entré,  grâce  à  sa  con- 
naissance de  la  langue  chinoise,  dans  de  nombreuses 
explications  avec  les  mandarins  militaires,  sur  la  mission 
toute  pacifique  qu'il  venait  de  remplir. 

Peu  après,  arrivent  aussi  M.  de  P.astard  et  M.  de  Méri- 
tens;  ilsconlirmentdc;  la  façon  la  plus  formelh; aux  deux 
généraux  en  chef  le  rapport  du  capitaine  Chanoine. — 
SeuIiMuent,  ils  n'ont  rté  l'objet  d'aucune  menace  et  ont 
traversé  les  lignes  ennemies,  sans  que  chefs  ou  soldats 
parussent  faire  la  moindre  attention  h  eux.  Mais  proba- 
blement cette  parliculaiité  était  due  à  la  précaution  qu'ils 
avaient  prise  d'emmener  un  mandarin  dont  ils  se  tirent 
accompagnei  jusiju'en  vue  du  camp. 

L'officier  d'administration  Gagey  «u'iive  aussi  bientôt 
après,  son  rapport  est  en  toul  point  semblable  à  celui  du 


LIVRE  H,  CHAPITRE  IK  205 

capitaine  Chanoine  siii-  r.ittitiulc  menaçante  des  lrou[)es 
tartares  : 

«  Plus  de  15  000  cavaliers,  dit-il,  sont  déployés  dans 
la  plaine,  où  l'on  aperçoit  de  grandes  masses  d'infanterie 
rangées  en  bataille  et  la  mèche  allumée.  «  Nous  étions 
évidemment  en  présence  d'une  situation  très-sérieuse 
avec  des  forces  minimes.  Vouloir  douter  plus  longtemps 
eût  été  de  l'aveuglement;  l'ennemi  comptait  nous  sur- 
prendre en  petit  nombre  et  nous  écraser.  —  Si  les  pro- 
messes du  mandarin  Hang-Ki  avaient  été  faites  de 
bonne  foi,  les  troupes  tartares  opéreraient  déjà  leur 
mouvement  de  retraite,  pour  dégager  le  terrain  devant 
nous,  ainsi  qu'il  avait  été  convenu. 

XXXII.  —  Mais  quel  était  le  sort  des  parlementaires 
qui  n'avaient  pas  encore  rejoint  l'armée  alliée?  ils  sont 
nombreux  ;  victimes  sans  nul  doute  de  cette  odieuse 
trahison,  ils  ne  seront  pas  protégés  par  leur  caractère 
sacré  de  parlementaires.  —  Un  moyen  restait  peut-être 
encore  de  les  sauver:  c'était  de  fondre  impétueusement 
sur  cette  armée  qui  tenterait  en  vain  de  nous  barrer 
le  passage,  et  d'arriver  en  toute  hâte  à  Tung-chao , 
avant  même  que  les  Chinois  se  doutassent  de  leur  dé- 
faite. 

Le  général  de  Montauban  le  proposa,  mais  le  général 
Grant  craignit,  au  contraire,  qu'en  agissant  ainsi  on  ne 
vouât  à  une  mort  certaine  les  malheureux  livrés  à  la 
merci  des  Chinois. 

Le  général  anglais  veut  attendre  le  retour  de  M.  Par- 


206  CAMPAGNE    DE   CHINE. 

kes,  car  de  son  côté  il  a  reçu  de  tristes  renseignements 
sur  les  intentions  évidemment  hostiles  des  Tarlares.  — 
M.  Loch  lui  a  appris  le  plan  arrêté  avec  M.  Parkcs,  et  la 
position  du  colonel  Walker  laissé  en  observation  au 
milieu  des  rangs  ennemis.  Après  avoir  rempli  sa  mis- 
sion, M.  Loch  est  lui-même  reparti  pour  ïung-chao.  Le 
général  Grant  connaît  l'énergie  et  la  persistance  de  vo- 
lonté de  M.  Parkes,  dont  lord  Elgin  disait:  «  Il  vaut  à 
lui  seul  toute  une  armée,  »  et  il  espère  tout  de  sa  dé- 
marche auprès  des  hauts  commissaires  chinois.  — 
Une  attaque  prématurée  ponri-ait  faire  échouer  ces  der- 
nières tentatives.  —  On  attend  donc  qu'un  incident 
nouveau  vienne  jeter  quelque  lumière  sur  ces  sombres 
secrets. 

XXXIIL — L'heure  est  solennelle:  chefs  et  soldats 
attendent  avec  impatience  que  l'heure  du  combat  vienne 
les  délivrer  de  cette  incertitude  qui  les  tient  ainsi  im- 
mobiles. Ils  sentent  leur  énergie  scdoublei'  par  le  danger 
qui  les  menace,  et  comprennent  que  dans  la  position 
(•titi(iue  où  les  a  placés  la  duplicité  d'un  ennemi  déloyal, 
il  liuil  lui  arracher  la  victoire  par  un  élan  irrésistible. 
Aussi  chaque  minute  qui  s'écoule  est-elle  pleine  de  fièvre 
et  d'anxiété. 

Il  est  dix  heures  du  matin. 

Trois  coups  de  canon  suivis  d'une  décharge  de  mous- 
queterie  partent  des  rangs  ennemis,  et  l'on  aperçoit  le 
colonel  Walker,  accourant  à  toute  bride  vers  le  camp  an- 
jjlais  avec  les  quelques  soldats  de  son  escorte. 


LIVRE   IJ,   CHAPITRE   II.  207 

Une  s'est-il  donc  passé  ? 

Après  le  dépari  de  M.  Parkes,  le  colonel  était  resté 
avec  six  hommes,  attendant,  on  le  sait,  soil  le  retour  du 
consul  anglais,  soit  des  ordres  du  général  Granl;  très- 
attentif  à  ce  qui  se  passait  autour  de  lui,  il  observait 
les  positions  et  les  mouvements  de  l'ennemi,  dont  le  but 
évident  était  de  nous  envelopper.  De  la  place  qu'il  avait 
choisie,  il  découvrait  parfaitement  leurs  longues  lignes 
de  batteries  et  les  masses  d'infanterie  qui  s'étendaient 
jusqu'au  canal.  Dans  les  premiers  moments,  il  ne  re- 
marqua dans  l'attitude  des  officiers  aucun  indice  d'hos- 
tilité; ceux-ci  lui  offrirent  même  de  descendre  de 
chevalet  d'entrer  dans  leur  tente;  —  fort  heureusement 
le  colonel  n'accepta  pas  cette  offre  qui,  sans  nul  doute, 
cachait  une  arrière-pensée  de  trahison.  —  Peu  à  peu, 
en  effet,  cette  attitude  inoffensive  changea  et  prit  un 
caractère  menaçant.  —  Des  interpellations  violentes 
lui  furent  adressées,  des  groupes  se  formèrent  autour 
do  lui  pour  lui  barrer  le  passage.  —  Le  colonel  avait 
ordonné  à  son  escorte  d'éviter  avec  soin  toute  collision 
et,  se  tenant  sur  ses  gardes,  il  attendait  impatiemment. 

A  quelque  distance  de  lui,  il  entendit  bientôt  un  grand 
tumulte  ;  des  soldats  chinois  entouraient  un  officier  fran- 
çais, le  menaçant  par  des  gestes  et  des  cris  furieux.  — 
On  sut  depuis  que  c'était  le  comptable  Ader.  —  Le  co- 
lonel Walker  se  porta  à  sa  rencontre,  et  vit  que  cet 
officier  avait  à  la  tête  une  large  blessure,  ses  vêtements 
étaient  déchirés  et  couverts  de  sang;  il  soutenait  avec  une 
rare  énergie  une  lutte  désespérée.  Son  ordonnance,  le 


:>08  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

soldai  Aiizoïi,  du  2'  Ijulailloii  de  chasseurs  à  pied,  roni- 
batlait  près  de  lui  avec  une  bravoure  sans  égale,  per- 
çant de  sa  baïonnette  tous  ceux  qui  approchaient. 

Le  colonel  Walker  veut  essayer  de  lui  porter  secours; 
mais,  avant  qu'il  ait  pu  approcher,  il  est  lui-même  en- 
touré, ainsi  que  les  hommes  qui  l'accompagnent;  des  sol- 
dats se  précipitent  sur  lui,  lui  arrachent  son  sabre  et 
cherchent  à  le  renverser  de  son  cheval.  Pendant  qu'il  se 
débat  contj'e  ses  agresseurs,  le  compta])le  Ader,  que  les 
misérables  ont  désarmé  el  jeté  à  terre  lui  crie;  «  Courez 
au  camp  porter  la  nouvelle  de  cette  trahison.  »  —  La  ré- 
sistance était  impossible,  car  d'instants  en  instants,  le 
nombre  des  ennemis  croissait  et  allait  former  im  cercle 
infranchissable;  le  colonel  est  lui-même  gravement  blessé 
à  la  main  droite;  mais  monté  sur  un  excellent  cheval,  il 
se  lance  résolument  au  milieu  des  soldats  qui  veulent 
l'arrêter,  les  six  hommes  qui  l'accompagnent  iinilenl 
son  exemple  et  parviennent  à  se  frayer  un  passage. 

Les  Chinois,  furieux  de  voir  cette  proie  leur  échapjjer, 
font  un  feu  de  niousquelerie  sur  ce  petit  groupe  de  ca- 
valiers qui  s'éloigne  à  toute  bride,  ils  tirent  aussi  contre 
lui  (rois  coups  de  canon. 

Ce  sont  ces  trois  coups  de  canons  qui  viennent  de 
donner  l'éveil  dans  le  camp  des  alliés,  qu'atteignait, 
quelques  secondes  après,  le  colonel  Walker;  deux  de  ses 
hommes  seulement  avaient  été  blessés.  —  A  quelques 
pas  des  avant-gardes,  un  cheval  tomba  mort. 

XXXIY.  —  Le  général  de  Montauban  l'ait  dire  au  gé- 


LIVRE   11,  CHAl-ITRE  II.  209 

néral  Grant  qu'il  va  commencer  son  mouvement  et  atta- 
quer le  village  qui  est  devant  lui.  Il  se  met  aussitôt  à  la 
(ête  de  ses  troupes  et  se  dirige  vers  l'extrême  droite  du 
village  de  Leost  que  l'eimemi  occupe  en  force,  et  qu'en- 
tourent de  nombreux  jardins,  pendant  que  le  général 
Grant  lance  ses  redoutables  escadrons  contre  la  cavalerie 
tartare,  déployée  devant  lui  en  un  vaste  fer  à  cheval. — 
Surprise  par  cette  attaque  inattendue,  celle-ci  se  replie 
en  désordre  et  n'attend  pas  le  choc  impétueux  des  sicks 
et  des  dragons  de  la  reine. 

L'artillerie  la  poursuit  de  ses  boulets  jusqu'à  ce  qu'elle 
ait  disparu. 

En  avant  des  positions  que  doit  enlever  le  général 
de  Montauban,  les  Chinois  ont  placé  un  grand  nombre 
de  pièces  ;  mais  notre  petite  colonne,  protégée  par  des 
massifs  d'arbres,  s'avance  sans  être  aperçue,  et  appuyant 
sur  la  droite,  évite  ainsi  le  feu  de  ces  batteries.  —  Les 
compagnies  d'avant-garde  se  précipitent  avec  un  élan 
irrésistible,  et  chassant  devant  elles  l'ennemi  qui  n'ose 
les  attendre  corps  à  corps,  elles  tournent  les  dernières 
maisons,  pendant  que  le  colonel  Schmitz,  à  la  tète  du 
S'' chasseurs,  traverse  le  même  village  par  la  gauche; 
l'artillerie  que  commande  le  colonel  de  Bentzmann 
est  avec  lui. 

Les  pièces  sont  aussitôt  mises  en  batterie  sur  une 
position  dominante  et  ouvrent  un  feu  terrible  contre 
les  masses  compactes  d'infanterie,  que  resserre  de  plus 
en  plus  le  général  de  Montauban  dans  sa  marche 
rapide.  Prises  ainsi  de  deux  côtés,  ces  masses  se  re- 
n  14 


210  CAMPAGNE   Dli  CHINE. 

pliiiit  en  désordre  dans  la  direction  de  Kliaouat-lsun, 
se  répandant  en  désordre  au  milieu  des  arbres  et  des 
hautes  cultures;  nos  projectiles,  habilement  dirigés,  et 
les  balles  des  chasseurs  foudroient  ces  colonnes  dés- 
unies qui  suivent  pèle  mêle  la  direction  du  canal. 

XXXV.  —  Le  commandant  en  chef  a  envoyé  l'or- 
dre au  colonel  Foley,  auquel  il  a  donné  le  commande- 
ment de  sa  cavalerie,  de  se  lancer  sur  les  fuyards,  et 
lui-même,  à  la  tête  de  son  escorte,  se  jette  sur  les  lignes 
ennemies  pour  les  débander. 

Les  chasseurs,  les  spahis  et  l'escadron  des  sicks, 
placés  en  arrière,  entre  le  village  de  Lio-tsang  à  leur 
droite,  et  le  village  de  Leost  à  leur  gauche,  poussent 
droit  devant  eux  et  passant  entre  le  village  de  Leost 
et  le  canal  qui  descend  au  Peï  lio  ;  ils  doivent  prendre 
l'armée  tarlarc  par  derrière,  et  la  rejeter  vigoureuse- 
ment vers  ses  derniers  points  de  défense,  où  elle  espèi'e 
se  rallier  sous  la  protection  de  son  artillerie. 

Les  cavaliers  doivent  suivre  un  chemin  creux  que 
surplombent  de  chaque  côté  des  hauteurs  boisées  ; 
ils  s'y  engagent  résolument  ;  le  colonel  Foley  et  le  ca- 
pitaine Mocquart  sont  à  leur  tête,  excitant  par  leur 
exemple  les  hommes  qu'ils  commandent. —  Parcelle 
manœuvre  rapidement  exécutée,  nos  troupes  se  sont  ap- 
puyées au  canal,  et  écrasent  le  flanc  gauche  de  l'ennemi, 
que  les  Anglais  menacent  et  refoulent  sur  leur  droite  (l). 

(1)  Dans  cette  charge  le  colonel  Foley  a  eu  son  cheval  percé  de 


LIVRE   II,  CHAPITRE   II.  211 

XXXVI.  —  Mais  le  lieutenant  de  Damas  est  tombé 
mortellement  frappé,  et  presque  au  même  moment  le 
sous-lieutenant  Destremont  est  blessé.  Plusieurs  charges 
brillantes  et  énergiques  ont  dégagé  le  terrain.  —  Les 
colonels  Pouget  et  Dupouët,  pénètrent  bientôt  dans  le 
village  avec  les  troupes  qu'ils  commandent. 

Le  mouvement  se  continue  rapidement  en  avant. 

Sur  les  pas  de  l'artillerie  accourent  une  compagnie 
du  génie  et  les  compagnies  d'élite  du  101"  et  du  102% 
sous  les  ordres  du  colonel  Pouget  et  du  lieutenant- 
colonel  Dupouët. 

Le  colonel  de  Bentzmann,  toujours  soutenu  par  les 
chasseurs  à  pied,  suit  le  mouvement  avec  son  artillerie 
dont  le  feu  heureux  et  précis  ne  cesse  pas  un  seul  in- 
stant de  foudroyer  l'ennemi. 

Le  chemin  qu'a  suivi  notre  colonne  est  jonché  des 
cadavres  que  l'ennemi,  dans  sa  fuite  précipitée,  n'a  pu 
selon  son  habitude,  emporter  avec  lui. 

Les  Tartares  n'essayent  plus  de  se  défendre,  et  n'o- 
sent plus  combattre.  Ils  fuient  en  désordre;  une  partie 
court  dans  la  direction  du  canal,  l'autre  cherche  à 
se  dérober  à  une  mort  certaine,  en  se  réfugiant  dans 
les  terrains  boisés  qui  l'entourent.  La  victoire  nous  ap- 
partient sur  tous  les  points.  L'armée  chinoise  si  sûre 
d'un  triomphe  qu'elle  espérait  trouver  dans  sa  trahison, 
est  en  complète  déroute. 


trois  balles;  il  a  été,  dit  le  général  de  Montauban  dans  son  rapport, 
d'une  bravoure  éclatante  dans  la  charge  fournie  par  les  sicks. 


212  CAMPAGNE   Dli   CHINE. 

Lo  frcMiéral  do  Monl.uiban  r.iit  .ilorsexrculcr  Icloiig  tlii 
(•;im;i1  un  iiioini'iiiciit  touni.iiil  (|iii  enveloppe  les  Tar- 
lares  ponisuivis  encoir.  dans  leur  iciraiti?  tmmil- 
kieusc  par  les  boulels  de  nos  canons  rayés.  Nos  tronpes, 
élcclrisées  par  le  succès,  rivalisent  d'ardeur  et  d'éner- 
gie; elles  oublient  leurs  faligues  et  ces  longues  heures 
de  combat,  sous  les  rayons  ardents  d'un  soleil  de  feu, 
pour  se  lancer  à  la  poursuite  de  l'ennemi  dont  les 
colonnes  désordonnées  sont  refoulées,  pèle-mèle,  sous 
le  canon  des  Anglais. 

Là,  encore,  elles  ont  à  subir  des  pertes  considérables. 

XXXYII.  —  Le  général  en  chef  continue  toujours  sa 
marche  devant  lui,  accompagné  par  son  artillerie  qui 
profile  de  toutes  les  dispositions  favorables  du  terrain 
pour  mettre  ses  pièces  en  batterie;  il  suit  ainsi,  pendant 
plus  de  trois  kilomètres,  le  bord  du  canal  et  rejoint 
alors  le  centre  des  forces  anglaises,  retardées  dans  leui- 
attaque. 

De  ce  grand  nombre  de  cavaliers  et  de  fantassins,  qui 
le  malin  se  déployaient  audacieusement  dans  la  plaine,  il 
ne  reste  plus  que  les  morts  et  les  blessés.  —  Les  vivants 
ont  disparu. 

Dans  cette  journée  si  brillante  pour  nos  armes,  et  qui 
était  déjà  un  premier  châtiment  infligé  à  des  traîtres,  chefs 
et  soldats  avaient  compris  tout  ce  que  l'on  attendait 
d'eux,  malgré  la  disproportion  immense  de  nos  forces 
avec  celles  de  l'ennemi.  Les  pertes  pouvaient  être  éva- 
luées à  environ  quinze  cents   hommes,  quatre-vingt 


LIVRE   JI,   CHAPITliE   H.  213 

pièces  de  canon,  dont  soixante  en  bronze  restaient  en 
noire  ponvoir,  ainsi  qu'nne  grande  quantité  de  drapeaux 
et  de  gingalls. 

«  Je  ne  veux  pas  terminer  mon  rapport  (écrivait  le 
général  en  chef  au  ministre),  sans  vous  dire  la  glorieuse 
satisfaction  que  j'ai  éprouvée  à  diriger-celte  poignée  de 
braves  contre  des  forces  conduites  au  combat  par  des 
chefs  perfides.  —  Un  nouveau  succès,  pour  nos  armes,  a 
été  la  conséquence  de  la  trahison  et  de  la  félonie  du  gou- 
vernement chinois,  qui  nous  avait  attirés  par  des  assu- 
rances de  paix  auprès  de  la  capitale,  avec  des  forces 
qu'il  croyait  insignifiantes.  » 

XXXVIII.  —  Au  début  de  l'action,  nos  alliés  avec 
leurs  canons  Armstrong,  très-favorablement  placés  sur 
une  élévation  de  terrain,  avaient  jeté  le  désordre  dans  la 
cavalerie  tartare  ;  une  vigoureuse  charge  de  cavalerie 
commandée  par  le  major  Probyn  avait  dégagé  tout  le 
terrain  sur  la  gauche.  Ce  fut  un  heureux  début,  car  la 
cavalerie  fartare  eût  pu  considérablement  nous  inquiéter, 
et  sa  disparition  du  champ  de  bataille  jeta  la  démora- 
lisation dans  les  masses  d'infanterie  privées  ainsi  d'un 
soutien  efficace.  Mais  la  colonne  d'infanterie  anglaise 
sous  les  ordres  du  général  Mitchell,  chargée  d'attaquer 
la  droite  de  l'ennemi,  rencontra  des  forces  tartares  si 
compactes,  qu'elle  ne  put  opérer  son  mouvement,  crai- 
gnant d'èlre  coupée  du  corps  [)rincipal;  et  lorsque  le  gé- 
néral put,  à  l'aide  des  canons  qui  lui  furent  envoyés, 
déblayer  le  terrain,  déjà  les  Français  avaient  achevé  leur 


2U  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

mouvcmcMit  cl  dépassé  sa  hauteur.  Le  commandant  en 
chef  fr-ançais  dut  même  envoyer  un  de  ses  officiers 
d'ordonnance  prier  le  général  anglais  de  cesser  le  feu 
de  son  artillerie  dont  les  boulets  arrivaient  dans  sa  di- 
rection (1). 

Il  était  près  de  deux  heures  lorsque  les  troupes, 
harassées  de  fatigue,  prirent  position  à  Khaonat-tsun, 
village  éloigné  de  Tung-chao  de  sept  kilomètres  en- 
viron (2). 

Les  Anglais  s'établirent  à  quatre  kilomètres  plus  haut 

(1)  Correspondance  du  général  de  Montauban* 

(2)  Ordre  général  sur  la  journée  du  18  septembre  1860. 

L'armée  tartare  tout  entière,  retranchée  dans  une  position  défendue 
par  un  grand  nombre  de  pièces  de  canon,  a  voulu  s'opposer  au  pas- 
sage d'une  colonne  franco-anglaise  qui  se  rendait  à  Pé-king. 

Ces  hordes,  amenées  au  combat  par  des  chefs  perfides,  ont  été  dis- 
persées en  quelques  heures. 

L'histoire  dira  que  deux  mille  Européens  ont  triomphé,  par  leur 
courage,  d'un  ennemi  défendant  sa  capitale  avec  des  forces  qui  leur 
étaient  dix  fois  supérieures  en  nombre. 

Le  corps  expéditionnaire  apprendra  avec  joie  cet  immense  succès. 

Le  général  commandant  en  chef  cite  à  l'ordre  de  l'armée  les  noms 
des  chefs  de  service  qui  ont  pris  part  à  ce  combat,  en  les  faisant 
suivre  de  ceux  des  officiers  et  soldats  dont  la  bravoure  a  été  au-dessus 
de  tout  éloge  : 

Le  général  Jamin,  commandant  en  second  l'expédition. 

Le  colonel  Sclimitz,  chef  d'état-major  général. 

Le  colonel  de  Bentzmann,  commandant  l'artillerie. 

Le  lieutenant-colonel  D  ipouët,  commandant  le  génie  par  intérim. 

État-Major  (jtnéral. 

Dp  Bouille,  chef  d'escadron  d'état-major. 

Dp  Montauban.  capitaine,  officier  d'ordonnance  du  général  com- 
mandant en  chef. 


LIVRE  n,   CHAPITRE  II.  215 

au  village  de  Tchaiig-kia-ouang,  qu'ils  livrèrent  au  pil- 
lage. —  Ce  fut  un  étrange  spectacle  de  voir,  dans  ce 
village  abandonné  par  ses  habitants,  accourir,  pour  es- 
sayer de  prendre  part  au  pillage,  les  hordes  de  bandits 
qui  suivaient  partout  les  traces  de  l'armée. 

XXXIX.  —  Pendant  que  nous  remportions  sur  les 
Tartares  cette  victoire  signalée,  de  tristes  événements  se 
passaient   à   Tung-chao  où  le  drapeau  parlementaire 

Artillerie. 

Le  capitaine  Legardeur. 
Le  sous-lieutenant  Carré  (blessé). 
Volant,  maréchal  des  logis. 
Thevenot,  servant  (blessé) 
Mouat,  servant  (blessé). 
Richard,  servant  (blessé). 

Pontonniers. 

Bédel,  maréchal  des  logis  (blessé  d'un  coup  de  sabre  à  la  main). 
Durieu,  maître  ouvrier. 

Cavalerie. 

Le  lieutenant  de  Damas,  tué  en  chargeant  à  la  tête  des  premiers 
cavaliers. 
Le  capitaine  Mocquart,  commandant  le  détachemeni. 
Le  sous-lieutenant  Destremont  (blessé). 
Le  maréchal  des  logis  de  Braux  d'Anglure. 
Le  brigadier  Bellechamps. 
Les  spahis  Otman  (blessé)  et  Mohamed-Oued-Da. 

2°  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

Le  commandant  de  la  Poterie, 

Les  capitaines  Blouet,  Lafouge  et  de  Paillot. 

Le  sapeur  Tappet  (blessé). 

Le  chasseur  Troubat  (blessé). 

Le  chasseur  Ousouf  (disparu). 


216  CAMPAGNB  DE  CHINE. 

(jlail  impuissant  à  protéger  ceux  qui  s'élaieul  uiis  sous 
Sti  sauvegarde.  Parmi  les  personnes  envoyées  la  veille 
dans  cette  ville  pour  y  remplir  une  mission  toute  paci- 
fique, celles  qui  n'avaient  point  eu  l'heureuse  inspiration 
de  quitter  Tung-chao,  dès  le  point  du  jour,  avaient  été 
lâchement  arrêtées  et  garrottées  avec  la  plus  odieuse  hru- 
tahté.  —  Au  nombre  de  celles-là  était  le  consul  Parkes. 
M.  Parkes,  on  lésait,  avait  pris  la  courageuse  résolution 
de  retourner  sur  ses  pas  pour  arracher  ses  compatiMOtes 
à  la  captivité  qui  les  menaçait  ;  le  môme  sort  était  ré- 
servé à  M.  Loch  qui  avait  dignement  imité  son  exemple. 
Il  est  facile  de  penser  avec  quelle  anxiété  l'armée  at- 
tendait des  nouvelles  de  ces  malheureux  voués  peut-être 
par  la  cruauté  de  leurs  ennemis  aux  plus  afiVeux.  sup- 

101"  de  ligne. 

Le  colonel  Pouget,  qui  a  été  remarqué  de  tous  pour  la  vigueur  qu'il 

a  imprimée  à  sa  troupe, 
Le  commandant  Blot. 
Les  capitaines  Lian  et  Granier. 
Le  sergent-major  Bosch. 
Le  sergent  Allemand. 
Pierre,  grenadier  (blessé  grièvemenl). 

10'2*  de  ligne. 
Le  capitaine  Joly. 

Le  sous-lieulenant  Martin  de  Bonsonge. 
Bouillon,  sergent. 
Métayer  grenadier. 
Lefèvre,  caporal. 

Au  bivac  de  Khouat-tsun,  le  19  septembre  1860. 

Le  général  commandant  en  clief. 
De  Montauban. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  IL  217 

plices.  —  Quelle  influence  exercerait  sur  les  Chinois  la 
nouvelle  subite  de  leur  défaite  :  jetterait-elle  la  conster- 
nation au  milieu  d'eux,  ferait-elle  comprendre  aux  auto- 
rités chargées  des  négociations  la  vengeance  terrible  que 
nous  tirerions  de  cet  infâme  guet-apens?  ou,  n'écoutant 
que  sa  colère,  l'ennemi  voudrait-il  venger  les  désastres 
de  son  armée  sur  les  prisonniers  livrés  à  sa  merci? 

La  journée  se  passa  dans  la  plus  cruelle  inquiétude, 
tous  les  regards  interrogeaient  à  l'horizon  la  route  qui 
conduisait  de  Tung-cbao  au  camp  des  alliés,  espérant 
découvrir  quelque  indice  révélateur.  —  Hélas  !  la  nuit 
vint  sans  nous  apporter  aucune  nouvelle  de  nos  mal- 
heureux compatriotes.  Il  n'était  pas  douteux,  d'après  le 
récit  du  colonel  Walker,  que  l'officier  français  entouré 
par  les  Chinois,  blessé  et  renversé  de  son  cheval,  fût  le 
comptable  de  première  cla?se  Ader.  —  Ces  renseigne- 
ments étaient  corroborés  par  le  comptable  Gagey,  qui 
par  son  ordre  l'avait  devancé  et  était  parvenu  à  atteindre 
l'avant-garde  anglaise  (1). 

L'intendant  militaire  Dubut  et  le  colonel  Foullon  Grand- 
champs  avaient  dû  quitter  Tung-chao  peu  de  temps 

(l)  Uapport  du  comptahle  Gagey. 

• 

Notre  chargement  s'étant  dérangé,  et  les  embarras  de  la  route  nous 
faisant  craindre  de  ne  pas  arriver  à  huit  heures  précises  à  la  porte  du 
village  où  nous  devions  rencontrer  M.  le  capitaine  Chanoine,  chargé 
de  nous  indiquer  l'emplacement  des  magasins  de  l'administration 
et  de  l'ambulance,  M.  Ader  m'engagea  à  le  devancer;  je  fis  donc 
mettre  sur  la  voiture  le  chargement  de  ma  mule,  qui  fut  montée  par 
le  soldat  Berden,  (jui  la  conduisait  etqui  m'accompagna  en  avant,  en 
forçant  la  marche  de  nos  montures. 


218  CxVMPAGNE    Dli   CHINE. 

après,  sans  se  douter  du  sort  qui  les  attendait,  et  avaient 
été  sans  nul  doute  également  massacrés. 

XL.  —  Dans  une  des  reconnaissances  exécutées  le 
19  et  le  20  septembre,  un  soldat  chinois  fait  prisonnier 
raconta,  que,  le  18,  plusieurs  étrangers  faits  prisonniers 
avaient  été  emmenés  à  Pé-king  dans  des  chariots.  —  On 
avait  espéré  que  notre  victoire  si  éclatante  aurait  dé- 
terminé le  gouvernement  chinois  à  désavouer  l'acte 
de  trahison  de  Tung-chao,  mais  cette  espérance  dut 
s'évanouir.  —  M.  Wade,  interprète  anglais,  envoyé  dans 
la  journée  du  19  pour  réclamer  les  prisonniers  anglais 
et  français,  n'avait  rien  obtenu,  et  s'était  retiré  en  décla- 
rant aux  autorités  chinoises  que  l'on  attaquerait  Pé-king, 
si  ces  prisonniers  n'étaient  pas  immédiatement  ren- 
voyés à  leur  camp  respectif. 

En  face  des  faits  qui  venaient  de  s'accomplir  et  du 
refus  criminel  des  plénipotentiaires  chinois  qui  tous 
deux,  à  n'en  pas  douter,  avaient  trempé  dans  cet  infâme 
guet-apens,  il  ne  restait  phis  qu'à  marcher  résolument 
en  avant. 

Les  deux  journées  qui  s'étaient  écoulées  avaient  été, 
nous  l'avons  dit,  employées  à  explorer  le  pays.  Les 
reconnaissances  envoyées  dans  différentes  directions 
avaient  appris  aux  généraux  alliés  qu'un  nombre  consi- 
dérable de  Tartares  des  bannières  se  rassemblait  au- 
dessus  de  Tung-chao.  — C'était  là  qu'était  réunie  dans 
de  grands  camps  retranchés  cette  redoutable  cavalerie 
tartarc   que  nous  avions   un  instant  aperçue  dans  la 


LIVRE  II,  CHAPITRE   II.  219 

journée  du  18;  elle  était,  ainsi  que  l'infanterie,  sous 
les  ordres  du  fameux  chef  mogol  Sang-ko-lin-sin,  ce  gé- 
néral si  renommé  parmi  les  Chinois  par  ses  victoires 
sur  les  rebelles  et  que  n'avaient  pu  faire  disgracier  ni 
l'échec  du  Pcï  ho,  ni  celui  qu'il  venait  encore  d'essuyer 
tout  récemment. 

Les  camps  préparés  de  longue  main  et  placés  à  che- 
val sur  la  grande  route  de  Pé-king  révélaient  une  di- 
rection énergique  el  habile;  le  combat  livré  deux  jours 
auparavant  n'avait  évidemment  aucun  caractère  décisif 
■  aux  yeux  des  chefs  militaires  tartares.  —  C'était  dans 
la  vaste  plaine  qui  s'étend  en  avant  du  canal  depuis 
Tung-chao  jusqu'au  pont  de  Pa-li-kiao  que  le  Sen- 
Wang  Sang-ko-lin-sin  s'était  établi  dans  une  redoutable 
position. 

XLI.  —  On  apprit  plus  tard  par  une  correspondance  qui 
tomba  entre  les  mains  des  alliés,  que  Sang-ko-lin-sin  avait 
écrit  de  Kho-seyou  à  l'Empereur  pour  lui  faire  savoir  que 
nous  nous  avancions  de  Tien-tsin  vers  la  capitale  avec 
des  forces  si  minimes  qu'il  n'y  avait  rien  à  craindre. 

ot  La  position  que  j'ai  choisie  en  avant  de  Tchang-kia- 
ouang  (disait-il)  est  très-forte  et  les  nombreuses  troupes 
que  je  commande  sont  disposées  de  telle  façon  qu'il  me 
sera  facile  d'écraser  les  barbares ,  s'ils  tentent  d'aller 
plus  avant.  »  —  La  date  de  cette  lettre  indiquait  qu'elle 
avait  été  écrite  dans  le  même  moment  où  le  prince  Tsaï 
el  son  collègue  traitaient  et  donnaienfaux  ambassadeurs 
des  assurances  réitérées  de  paix. 


220  CAWI'AGNE   M.   CHINE. 

Les  deux  g^énéraux  en  chef  ne  doutèrenl  point  qu'une 
grande  bataille  ne  fût  imminente  ;  ils  résolurent  de 
prendre  les  devants  et  d'attaquer  rcnnenii,  drs  le  len- 
demain. —  Le  général  Collineau,  accouru  à  marches 
forcées  avec  toutes  ses  forces  disponibles,  avait  rejoint 
l'armée  dans  la  journée  du  19  septembre. 

Le  20,  dans  la  soirée,  après  avoir  reçu  tous  les  rensei- 
gnements que  l'on  avait  pu  recueillir  sur  le  développe- 
ment des  positions  ennemies,  le  général  de  Monlauban 
se  rendit  auprès  du  commandant  en  chef  anglais  pour 
combiner  a\ec  lui  le  plan  général  des  opérations  du 
lendemain. 

Les  ambassadeurs  avaient  entin  ouvert  les  yeux  sur 
l'inefticacité  des  négociations  diplomatiques,  voile  trom- 
peur derrière  lequel  le  gouvernement  chinois  avait  ca- 
ché jusqu'au  dernier  momentses  préparatifs  dedéfense. 
La  vraie  véi'ité  se  taisait  jour  un  peu  tard  })eut-ôtre,  et 
devait ,  en  dehors  des  chances  ordinaires  de  la  guerre, 
coûter  la  vie  à  quelques-uns  des  infortunés  si  traîtreu- 
sement arrêtés  dans  la  ville  de  Tung-chao. 

Les  dispositions  de  combat  furent  donc  arrêtées  de 
commun  accord  avec  le  général  Grant. 

XLIL  —  a  Nous  avions,  éciit  le  général  de  Montauban 
au  ministre  de  la  gueirc  (I),  à  cinq  kilomètres  en  avant 
(le  nos  bivacs  ûc  Tehang-kia-ouaug,  la  grande  ville  de 
Tung-ehao  de  400  Ouo  âmes,  qui  est  reliée  à  Pé-king 

1.  Dépèche  du  21  septembre. 


LIVRE  H,   CHAPITRE  II.  221 

par  iiiin  voir  do  douze  kilomètres,  ouvrage  des  an- 
ciennes dynasties.  C(>tle  loule  traverse,  au  village  de 
Pa-li-kiao  et  sur  un  grand  pont  de  j)ierre,  le  canal  (jui 
joint  le  Peï  ho  à  Pé-king.  Nous  résolûmes  de  négliger 
Tung-chao  ,  où  il  n'y  avait  plus  un  seul  soldai,  et  de 
nous  porter  sur  ce  pont  que  nous  savions  occupé,  en 
avant  et  en  arrière,  par  les  camps  du  Sen-Wang^.  » 

C'était  à  l'armée  française ,  celte  fois ,  à  choisir  son 
ordre  de  marche  et  sa  position  d'attaque  ;  le  général 
de  Montauban  prit  le  pont  de  Pa-li-kiao,  ce  devait  être 
évidemment  le  point  principal  de  la  défense. 

Ainsi,  l'armée  française  devait  s'avancer  directement 
vers  ce  pont,  tandis  que  l'armée  anglaise,  déployée  sur 
sa  gauche,  chercherait  un  autre  point  de  passage,  en 
prenant  pour  direction  un  petit  pont  de  bois  étroit  et  des- 
tiné aux  piétons. —  Ce  pont  était  à  trois  kilomètres  envi- 
ron plus  à  gauche.  Mais  il  était  évident  que  les  deux 
corps  expéditionnaires  restaient  un  peu  dans  l'inconnu, 
malgré  les  renseignements  recueillis  la  veille  et  l'avant- 
veille,  et  sur  l'exactitude  desquels  il  n'était  pas  possible 
de  se  fier  entièrement.  Les  chefs  ignoraient  la  roule 
certaine  qu'ils  pourraient  suivre  et  si  des  obstacles  ma- 
tériels ne  viendraient  pas  entraver  leur  marche  et  sur- 
tout intercepter  le  passage  de  leur  artillerie,  —  C'étaient 
là  des  considérations  majeures  dont  il  fallait  accepter 
les  éventualités  bonnes  ou  mauvaises. 

Une  résolution  prompte  et  énergique  était  déjà  un 
gage  de  succès.  —  La  journée  du  lendemain  devait  être 
décisive.  —  L'armée  tartare  battue  ne  pourrait  plus  se 


222  CAMPAGNl':   DE   CHINE. 

relever  de  ce  nouvel  échec,  et  laisserait  la  grande  route 
qui  conduit  de  Tung-chao  à  Pé-king,  Sang-ko-lin-sin 
était  là,  et  si  la  cavalerie  avait  déserté  le  champ  de  ba- 
taille de  Tchang-kia-ouang,  c'était  pour  nous  attendre 
sur  son  terrain  dans  une  position  que  le  chef  tartare 
jugeait  inexpugnable;  les  nuées  de  ses  cavaliers  de- 
vaient fouler  les  barbares  aux  pieds  de  leurs  chevaux, 
comme  une  vile  poussière. 


CHAPITRE  III. 


XLIII.  ^Dans  le  camp  des  alliés,  la  nuit  fut  pleine 
non  d'anxiété  mais  de  fièvre,  de  cette  fièvre  d'impa- 
tience qui  fait  battre  le  cœur  des  plus  nobles  émotions, 
la  nuit  vint  couvrir  de  son  voile  les  derniers  prépara- 
lits.  —  Si  près  de  l'ennemi,  toutes  les  mesures  d'une 
surveillance  sévère  avaient  été  prises  pour  éviter  toute 
surprise  ;  les  sentinelles  vigilantes  épiaient  le  moindre 
bruit;  les  grands-gardes  étaient  prêts  à  s'élancer  au 
premier  signal.  Toute  la  nuit,  des  patrouilles  parcou- 
rurent le  camp  ,  sillonnant  dans  leur  marche  régulière 
les  tentes  endormies. 

Dès  que  les  premiers  rayons  du  jour  parurent,  l'ar- 


LIVRE   II,   CHAPITRE  III.  223 

niée  alliée  élait  debout;  les  chefs  de  corps  avaient  reçu 
leur  ordre  de  marche  et  d'attaque.  —  Déjà  les  tentes  sont 
dépliées.  —  Les  soldats  ont  pris  le  café.  —  Le  signal  du 
départ  est  donné;  il  est  cinq  heures  et  demie  du  matin. 

Le  général  de  Montauban,  passant  en  avant  de  l'armée 
anglaise  pour  prendre  la  position  où  l'appelait  son 
tour  de  marche,  laissa  ses  bagages  sous  la  protection 
de  deux  compagnies  d'infanterie,  dans  un  petit  village 
situé  à  une  lieue  en  avant  de  Tchang-kia-ouang.  —  La 
colonne  française  s'était  avancée  à  dix  kilomètres  en- 
viron au  delà  de  Khaouat-tsun ,  et  n'était  plus  séparée 
de  Pa-li-kiao  que  par  une  distance  de  trois  kilomètres 
au  plus ,  lorsqu'elle  aperçut  les  premières  vedettes  tar- 
tares. 

Les  terrains ,  presque  complètement  boisés  ,  inter- 
ceptaient la  vue  de  distance  en  distance.  Des  groupes 
de  maisons  assez  considérables ,  reliées  entre  elles  par 
des  massifs  épais  où  s'élevait  un  grand  nombre  de  tom- 
beaux, contribuaient  encore  à  nous  dérober  les  mouve- 
ments de  l'ennemi. 

XLIV.  —  Des  cavaliers  sont  lancés  en  avant  pour 
éclairer  la  route.  La  cavalerie  tartare,  que  l'on  ne  pou- 
vait encore  apercevoir  ,  déployée  dans  une  immense 
plaine,  formait  un  grand  arc  de  cercle  au  centre  duquel 
se  trouvait  Oua-koua-yé;  aux  alentours  et  derrière  ce 
village  étaient  échelonnées  de  grandes  masses  d'infan- 
terie avec  du  canon.  Le  demi-cercle  que  formait  cette 
cavalerie,  évaluée  à  20  000  ou  25  000  hommes  envi- 


224  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

ron(l),  élait  puissaiiiniciil  itmiIoitc'' aux  deux  ailes.  —  Le 
Icnaiii  avait  élr  liahilcim'iit  clioisi  pour  livrer  halaillo. — 
Le  village  de  Oua-koua-yé' élail  un  solide  [toiiil  d'appui 
(jiii  pouvait,  au  besoin,  couvrir  la  retraite  de  la  cavalerit;, 
si  celle-ci  était  torcée  de  se  replier,  et  détendre  les  ap- 
proches du  grand  pont  de  l'a-li-kiao,  où  l'ennemi  avait 
concentré,  en  arrière  du  canal,  des  forces  d'infanterie 
considérables. 

Le  générai  de  Montauban,  qui  tenait,  nous  l'avons 
dit,  la  droite  de  l'armée  alliée,  a  pris  les  premières  dis- 
positions de  combat. 

Le  général  CoUineau  reçoit  l'ordre  de  se  porter  en 
avant.  Cette  petite  colonne  d'avant-garde  se  compose 
d'une  compagnie  du  génie,  de  deux  compagnies  de 
chasseurs  à  pied,  d'un  détachement  de  pontonniers, 
d'une  batterie  de  quatre  et  de  deux  pelotons  d'artilleurs 
à  cheval.  Le  général  Collineau  doit  appuyer  un  peu  à 
gauche  pour  se  tenir  à  bonne  distance  de  l'aile  droite 
des  Anglais.  —  Le  commandant  en  chef  suivait  le  mou- 
vement avec  le  général  Jamin,  en  se  maintenant  sur  la 
droite;  il  avait  conservé  le  reste  du  bataillon  de  chas- 
seurs à  pied,  les  fuséens,  la  batterie  de  12  et  le  lOP  de 
ligne. 

XLV.  —  Menacée  dans  le  centre  de  sa  ligne,  la  cava- 
lerie tai'tare  ,  dont  les  massifs  d'arbres  nous  dérobaient 
les  mouvements,  s'ébranla   tout  à  coup,  et   s'avança 

1.  Correspondance  du  général  de  Montauban  au  ministre  de  la 
guerre,  22  septembre  1860. 


LIVRE   H,   CHAPITRE   III.  225 

résolument  en  deux  masses  compactes,  jusqu'à  cinquante 
mètres  environ  de  la  ligne  des  tirailleurs.  —  Les  cava- 
liers sont  armés  de  lances  et  d'arcs,  —  Reçus  par  un  feu 
très-vif  qui  abat  dès  la  première  décharge  un  grand 
nombre  d'hommes  et  de  chevaux,  ils  ne  s'arrêtent  pas; 
de  nouveaux  escadrons  accourent  se  joindre  à  eux,  et 
cette  nuée  de  cavaliers,  pleine  d'une  confiance  redou- 
table qu'augmente  encore  la  supérioriîé  si  considé- 
rable du  nombre ,  cherche  à  écraser  la  faible  avant- 
garde  que  commande  le  général  Collineau  ;  mais  déjà 
celui-ci  a  mis  ses  pièces  en  batterie  et  préparé  ses  fai- 
bles troupes  à  recevoir  fièrement  l'ennemi.  —  Le  colo- 
nel Pouget  est  accouru  et  a  rallié  aussitôt  les  deux 
compagnies  de  chasseurs  détachées  en  tirailleurs,  puis 
il  a  rejoint  au  galop  son  régiment  qui  tient  la  droite. 

La  situation  est  grave  et  le  danger  imminent.  —  Cet  ou- 
ragan humain  augmente  et  se  décuple  de  minute  en 
jninute;  il  déborde  en  un  instant  toute  notre  ligne  de 
bataille  avec  des  cris  sauvages.  A  voir  hommes  et  che- 
vaux s'élancer  ainsi,  soulevant  autour  d'eux  des  nuages 
de  poussière,  on  eût  dit  qu'ils  vont,  sans  s'arrêter,  pas- 
ser sur  le  corps  de  ces  quelques  combattahts  qu'ils 
menacent  d'envelopper  de  toutes  parfs;  mais  l'artillerie 
tonne,  et  les  boulets  tracent  de  sanglants  sillons  dans  ces 
masses  amoncelées  et  tumultueuses.  —  Les  balles  de 
carabines  renversent  les  premiers  rangs,  les  baïon- 
nettes étincelantes  touchent  presque  les  poitrails  des 
chevaux.  Devant  cette  résistance  inattendue,  les  Tar- 
tares  s'arrêtent,  hésitent,  et,  se  répandant  sur  leur  droite, 
II  15 


226  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

CQmirie  un  lonenl  subitement  débordé,  vont  tourner 
parla  gauche  le  corps  si  réduit  du  général  CoUineau, 
Car  le  vide  qui  existait  entre  lui  et  les  Anglais  n'est  pas 
comblé,  et  le  général  Grant,  au  lieu  de  suivre  sa  marche 
en  avant,  s'est  jeté  entièrement  à  gauche  avec  sa  cava- 
lerie et  son  artillerie ,  nous  laissant  ainsi  entièrement  à 
découvert. 

Ce  changement  au  plan  combiné  entre  les  généraux 
alliés  failht  être  fatal,  car  le  général  Colliueau  ne  trouvant 
plus  de  point  d'appui,  pouvait  être  écrasé. 

XL VI.  —  Un  violent  feu  d'artillerie  s'est  en  même 
temps  ouvert  contre  notre  droite,  au  moment  où  le  com- 
mandant en  chef  allait  soutenir  le  général  Colliueau 
avec  le  reste  de  ses  troupes;  forcé  de  se  défendre  aussi, 
il  donne  l'ordre  au  général  Jamin  de  faire,  de  ce  côté, 
face  au  canon.  —  Pendant  qu'il  déploiera  le  bataillon 
de  chasseurs  et  placera  les  fuséens  et  le  bataillon  d'ar- 
tillerie, le  101*  avancera  le  plus  promptement  possible 
pour  renforcer  la  droite. 

Mais  le  général  Collincau  est  menacé  de  plus  en  plus  ; 
la  cavalerie  lartare,  qui  s'est  aperçue  des  vides  qui  sé- 
[larcnt  les  deux  corps  alliés,  glissant  sur  le  front  de 
bataille  qu'elle  voulait  d'abord  traverser,  se  développe, 
par  une  manœuvre  soudaine,  sur  ses  deux  ailes  et  s'é- 
lance avec  un  redoublement  d'énergie  pour  nous  en- 
tourer de  toutes  parts.  —  Enhardis  par  notre  infériorité 
numérique,  les  cavaliers  poussent  des  cris  sauvages  pour 
s'animer  au  combat,  et  brandissent  leurs  armes,  en  se 


LIVRE  II,   CHAPITRE  III.  227 

courbant  sur  leurs  chevaux  donlils  déchirent  les  flancs 
avec  leurs  éperons  aigus. 

Il  ne  s'agit  plus  de  s'occuper  du  canon  qui  retentit  en 
ce  moment  sur  la  droite,  tant  là  le  danger  est  immense, 
il  faut  se  resserrer  pour  briser  dans  son  élan  cette 
charge  impétueuse.  —  Le  commandant  Campenon,  de 
l'état-major  général,  a  porté  l'ordre  au  général  Jamin  de 
se  rabattre  sur  la  gauche.  —  Mais,  avant  même  que  cet 
ordie  pût  être  exécuté,  la  cavalerie  tartare  s'est  jetée  à 
la  fois  sur  le  centre,  sur  la  gauche  et  sur  la  droite,  sans 
pouvoir  parvenir  à  se  frayer  un  passage.  A  gauche,  le 
général  Collineau  a  tenu  bon  avec  la  petite  poignée 
d'hommes  énergiques  qu'il  commande,  et  la  batterie 
Jamont  froudroie  presqu'à  bout  portant  les  escadrons 
ennemis.  —  Au  centre,  ce  sont  les  fuséens  et  les  chas- 
seurs à  pied,  appuyés  par  la  batterie  de  12,  dont  le  tir, 
dirigé  avec  une  grande  précision,  fait  de  sanglants  ra- 
vages. —  Adroite,  le  101%  disposé  en  carrés  par  l'in- 
trépide colonel  Pouget,  attend  l'ennemi  avec  sang-froid 
et  l'arrête  par  un  feu  nourri  et  meurtrier. 

XLVIL  —  C'est  en  ce  moment  qu'apparut  enfin  la  tête 
de  colonne  anglaise  qui  entrait  en  ligne  en  reliant  notre 
gauche.  En  vain  les  chefs  tartares  s'élancent  de  nouveau 
avec  une  grande  intrépidité,  jusque  sur  les  baïonnettes 
de  nos  soldats;  les  escadrons  désunis  ne  continuent 
plus  le  combat;  immobiles,  mais  fiers,  ils  restent  sous 
le  feu  qui  les  décime,  et  se  retirent  lentement  empor- 
tant leurs  morts  et  leurs  blessés.  L'arrivée  des  Anglais, 


22K  CAMPAGNE    DE  CHINK. 

en  ôlaiil  luul  t'S|)oir  aux  ca\aliei's  tarlares  de  nous  en- 
velopi)('r,  a  dégagé  la  position  un  instant  sérieusement 
coniproinise. 

Rassuré  sur  son  aile  gauche,  le  général  de  Montau- 
ban  peut  alors  conlinucr  rapidement  son  mouvement  sur 
le  pont  de  Pa-li-kiao,  en  enlevant  Oua-koua-yé,  où  l'en- 
nemi s'est  solidement  retranché. 

Pendant  que  le  général  Goliineau  marchera  devant 
lui, en  appuyant  adroite  par  un  mouvement  de  rotation 
pour  gagner  le  canal  et  menacer  en  même  temps  la 
droite  du  village,  le  général  Jamin  abordera  ce  village  de 
front,  et,  le  traversant,  se  dirigera  en  ligne  directe  sur 
le  pont. 

Ainsi  la  colonne  Goliineau,  tout  en  opérant  son  mou- 
vement de  conversion,  prête,  par  une  simultanéité  de 
mouvement ,  son  appui  à  l'attaque  du  général  Jamin , 
que  dirige  en  personne  le  général  en  chef. 

Nos  troupes  ,  électrisées  par  leur  premier  succès, 
en  voyant  fuir  devant  elles  celte  cavalerie  si  redou- 
tée dans  tout  l'Empire  ,  se  lancent  au  pas  de  course 
dans  la  direction  qui  leur  est  indiquée.  L'infanterie 
ennemie  massée  aux  abords,  dedans  et  derrière  le  vil- 
lage de  Oua-koua-yé,  s'apprête  à  défendre  pied  à  pied 
cette  position.  A  notre  approche,  son  artillerie  com- 
mence un  feu  violent.  —  Mais,  comme  toujours,  son 
point  de  mire  est  défectueux  ;  les  boulets  traversent  l'es- 
pace à  une  grande  hauteur,  et  vont  labourer  loin  de  nous 
les  terrains  déserts. 

Le  cri  :  En  avant  !  retentit  sur  toutfti  .-x  ligne  ;  le  lOf, 


LIVRE    H,   CHAPITRE   lil.  229 

que  conduit  loujours  au  feu  son  colonel ,  entre  par  la 
droite,  renversant  tout  ce  qui  s'oppose  à  son  passage, 
pendant  que  les  chasseurs  à  pied  envahissent  la  gauche 
et  prennent  ainsi,  dans  un  cercle  de  feu,  les  masses 
éperdues  qui  se  font  tuer  en  essayant  encore  une  dé- 
fense inutile. 

Alors,  au  milieu  de  ces  colonnes,  brisées  à  la  fois 
par  les  balles  et  par  les  baïonnettes,  on  vit  des  chefs 
tartares  s'avancer  au  milieu  du  feu,  agitant  des  dra- 
peaux pour  rallier  leurs  combattants  et  les  ramener 
vers  le  pont  où  Sang-ko-lin-sin  a  déployé  sa  bannière  ; 
c'est  là  que  ce  général  a  organisé  sa  principale  défense. 
—  C'est  là  le  dernier  rempart  qu'il  faut  franchir  poui' 
marcher  victorieusement  sur  la  capitale. 

XLVIII.  —  De  son  côté,  le  général  Collineau  a  ren- 
contré sur  sa  route  un  ensemble  de  bois  touffus,  remplis 
de  tombeaux.  —  Les  Chinois  ont  disséminé  derrière  ces 
abris  naturels  un  grand  nombre  de  tirailleurs  qui  ten- 
tent de  barrer  le  passage  à  celte  colonne.  Le  général 
les  a  bientôt  refoulés,  et  continue  rapidement  sa  marche 
pour  atteindre  le  canal.  —  Les  deux  brigades  marchaient 
donc  à  la  même  hauteur,  refoulant  les  fuyards  devant 
elles. 

Déjà  toutes  deux  apercevaient  le  beau  pont  de  Pa-li- 
kiao,  surmonté  d'énormes  statues  et  que  l'infanterie, 
disposée  en  arrière  en  masses  profondes,  s'apprête  à  dé- 
fendre vigoureusement.  —  Tout  le  long  du  canal,  sur 
les  berges  opposées,  couvertes  de  joncs  élevés,  sont  en>- 


230  .  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

busqués  des  tirailleurs  armés  d'arcs  et  de  gingalls;  d'au- 
tres se  sont  logés  dans  les  pagodes  et  dans  les  maisons 
éparpillées  sur  le  bord.  —  Pendant  que  notre  infanterie 
s'approche,  en  s'abritanf,  elle  aussi,  derrière  les  con- 
structions qu'elle  rencontre,  l'artillerie  du  général  Col- 
lincau  s'est  mise  en  position  et  prend  le  pont  d'écliarpe  ; 
de  son  côté  le  colonel  de  Bentzmann,  avec  la  batterie 
de  12  elles  fuséens,  le  prend  d'enfilade  et  dirige  spécia- 
lement son  feu  sur  les  pièces  de  gros  calibre  qui  en  pro- 
tègent les  abords. 

L'ennemi,  déjà  repoussé  deux  fois,  ne  s'avoue  ce- 
pendant pas  encore  vaincu  et  s'apprête  à  disputer  réso- 
lument le  passage. 

XLIX.  —  On  ne  peut  réellement  expliquer  que  i)ar 
l'infériorité  de  l'armement  des  Chinois  les  pertes  peu 
considérables  que  nous  avons  subies,  malgré  la  ténacité 
de  leur  résistance  (1).  On  eût  dit,  en  effet,  que  nos  sol- 
dats étaient  i)rotcgés  par  une  main  invisible  qui  écartait 
d'eux  les  balles  et  les  boulets  que  Tcnnemi  lançait  avec 
une  profusion  sans  égale.  —  Le  pont  semblait  en  feu  et 
tremblait  dans  sa  base  sous  les  volées  retentissantes  des 
canons  tartares.  —  Ce  n'était  plus  derrière  des  remparts 
ou  abrités  par  des  ouvrages  de  campagne  que  combat- 
taient les  Chinois,  c'était  à  poitrine  découverte.  —  Là 
sont  réunis,  aux  portes  mêmes  de  la  capitale,  les  Tar- 
tares de  la  bannière  impériale,  l'élite  des  troupes  de  l'Em- 

<\)  Rapport  (lu  génér<'il  de  Monlautian. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  III.  âSl 

pire.  A  leur  tête,  au  milieu  du  pont,  exi)Osé  aux  balles 
et  aux  boulets  qui  pleuvant  de  toutes  part?,  un  de  leurs 
chefs  à  cheval  agite,  en  signe  de  défi,  une  bannière 
jaune,  et  pousse  des  cris  gutturaux  qui  se  perdent  dans 
le  bruit  de  la  canonnade.  —  Autour  de  ce  chef  intré- 
pide le  marbre  des  parapets  vole  en  éclats,  et  nos  obus 
abattent  des  rangs  entiers.  —  La  mort  qui  frappe  sans 
relâche  n'épouvante  pas  ces  inhabiles  mais  hardis  com- 
battants; pas  un  ne  bouge.  —  Déjà  les  bords  du  canal  et 
le  pont  lui-même  sont  couverts  de  morts  mutilés  par 
d'affreuses  blessures. 

«  En  ce  moment  (écrit  le  général  de  Montauban), 
le  pont  de  Pa-li-kiao  offrait  un  spectacle  qui  est  certes 
un  des  épisodes  les  plus  saisissants  de  la  journée.  Tous 
les  cavaliers,  si  ardents  le  matin,  avaient  disparu.  — 
Sur  la  chaussée  du  pont,  monument  grandiose  d'une  ci- 
vilisation vieillie,  des  fantassins  richement  vêtus  agi- 
taient des  étendards  et  répondaient  à  découvei  t  par  un 
feu  heureusement  impuissant  à  celui  de  nos  pièces  et  à 
notre  mousqueterie.  «  C'était  l'élite  de  l'armée  qui  se 
dévouait  pour  couvrir  la  retraite  » 

Depuis  près  d'une  demi-heure,  le  feu  ne  cessait  pas 
de  part  et  d'autre.  Cependant  celui  de  l'ennemi  faiblissait 
sensiblement.  Nos  boulets  avaient  tué  presque  tous  les 
canonniers  sur  leurs  pièces. 

Le  général  Gollineau  a  formé  une  colonne  d'attaque  à 
laquelle  se  joint  la  compagnie  du  lOP  du  capitaine  de 
Moncets,  officier  plein  de  bravoure,  qui  déjà  avait  voulu 
se  jeter  en  avanl.  —  Le  général  n  pris  la  tête  de  la  co- 


232  campa(;ne  de  chine. 

lomio  et  s'élance  à  cheval  vers  le  pont;  derrière  lui,  gui- 
dées par  leurs  chefs,  accourt  le  reste  de  ses  troupes,  aux 
cris  de  :  Vive  VEmpereur!  —  Ils  envahissent  le  pont, 
qu'encombrent  les  morts  et  les  blessés,  et  dont  l'entrée 
est  obstruée  par  des  pièces  de  canon  renversées  de  leurs 
affûts.  —  L'ennemi  n'essaye  plus  de  résister;  ces  masses 
si  compactes  tout  à  l'heure,  maintenant  confuses,  désor- 
ganisées, privées  de  leurs  chefs,  dont  le  plus  grand 
nombre  a  été  tué  en  s'exposant  vaillamment  à  nos  coups, 
se  retirent  en  désordre  dans  la  direction  de  Pé-Ring. 
—  Le  général  CoUineau  culbute  avec  son  avant-garde 
quelques  groupes  de  Tartares  qui  tentent  encore  un 
dernier  effort,  et  s'engage  sur  la  droite  de  la  route  à 
la  poursuite  des  fuyards,  —  Mais  des  maisons  qui  bor- 
dent la  rive  opposée  à  l'armée  alliée  et  des  berges  cou- 
vertes, de  hautes  herbes,  part  encore  un  feu  assez  suivi 
de  tirailleurs.  —  Ces  derniers  défenseurs  du  pont  sont 
presque  tous  tués  surplace,  et  le  général  en  chef  marche 
avec  la  colonne  Jamin  sur  les  traces  du  général  CoUineau. 
L'ennemi  avait  disparu,  laissant  le  champ  de  bataille 
couvert  de  ses  morts.  —  Il  était  midi,  et  depuis  sept 
heures  du  malin  le  combat  durait  — Le  général  de  Mon- 
tauban  fait  sonner  la  halle,  et,  deux  heures  après,  toutes 
les  troupes  étaient  établies  dans  le  camp  et  sous  les 
tentes  mômes  des  Tartares. 

L.  —  Mais  qu'avaient  fait  de  leur  côté  nos  alliés  de- 
puis le  matin?  quelle  marche  avaient-ils  suivie?  quels 
combats  avaient-ils  livrés?  —  Le  droit  que  nous  avions 


LIVRE   II  ,   CHAPITRE    111.  233 

eu  de  choisir  notre  ordre  de  marche  et  notre  point  d'at- 
taque nous  avait  donné  la  plus  grosse  part  dans  cette 
glorieuse  journée;  car  il  était  évident  que  c'était  sur  le 
grand  pont  de  Pa-li-kiao  que  se  déciderait  le  sort  de  la 
bataille. 

L'extrême  gauche  de  la  cavalerie  anglaise  devait,  tout 
en  suivant  sa  direction,  balayer  ce  qu'elle  rencontre- 
rait, de  manière  à  refouler  le  flanc  droit  de  l'ennemi  vers 
son  centre,  qui  se  trouverait  alors  n'avoir  plus  d'autre 
ligne  de  retraite  que  le  canal  ou  le  petit  pont  de  ba- 
teaux contre  lesquels  marchaient  l'artillerie,  l'infanterie 
et  la  cavalerie.  —  Arrêtée  ainsi  d'un  côté  par  les  colonnes 
françaises,  de  l'autre  par  les  colonnes  anglaises,  l'armée 
tartare  devait  être  culbutée  et  mise  dans  le  plus  grand 
désordre. 

LI.  —  Le  corps  expéditionnaire  anglais,  après  avoir 
marché  un  mille  environ,  aperçut  la  cavalerie  s'étendant 
à  perte  de  vue.  —  Les  positions  qu'elle  occupait  indi- 
quaient son  intention  d'envelopper  la  gauche  de  la  ligne 
alliée.  —  L'infanterie,  postée  dans  les  petits  bois  qui 
étaient  disséminés  dans  la  plaine,  pouvait  masquer  ses 
mouvements.  Elle  ouvrit  aussitôt  un  feu  de  gingalls  et 
de  pièces  de  campagne. 

Le  généralGrant  se  préoccupa  férieusementdece  grand 
déploiement  de  forces  sur  son  extrême  gauche.  Comme 
il  entendait  une  vive  cannonade  du  côté  des  Français,  il 
voulut,  de  sa  personne,  s'assurer  de  la  position  de  ses 
alliés  ;  mais  il  s'égara,  et,  se  trouvant  tout  à  coup  en 


234  CAMPAGNE   Dli  CHINE. 

lace  d'un  toil  parti  lariarc,  il  dut,  avec  son  étal-major, 
rebrousser  chemin.  L'ennemi  s'élança  à  sa  poursuite 
avec  de  grands  cris;  mais,  arrivé  à  deux  cent  cinquante 
mètres  environ  de  la  ligne,  il  fut  reçu  par  un  feu  d'ar- 
tillerie qui  l'arrêta  court  et  le  rejeta  sur  la  droite,  où 
l'on  sait  que  déjà  les  deux  brigades  françaises  avaient 
aussi  devant  elles  des  masses  considérables  de  cavalerie 
qui  voulaient,  en  les  enveloppant,  les  isoler  complète- 
ment.—  G'estaiors  que  l'apparition  des  Anglais,  retardée 
par  la  préoccupation  sérieuse  que  leur  donnaient  ces 
masses  considérables  de  cavalerie  déployées  sur  leur 
gauche,  vint  apporter  un  si  utile  appui  au  petit  corps 
du  général  Collineau. 

LU.  —  Le  général  Grant  divisa  ses  troupes  en  deux 
corps. —  La  droite,  sous  les  ordres  du  brigadier  Sutton,  et 
la  gauche,  où  il  se  tenait  en  personne,  sous  le  commande- 
ment de  sir  John  Mitchcll.  —  La  cavalerie  se  porta  aussi- 
tôt en  avant  sur  la  cavalerie  tartare,  qui  venait  de  tenter 
d'inutiles  efforts  contre  le  général  Collineau.  —  En  voyant 
»es  cavaliers  anglais  s'avancer,  IcsTartares  se  reformèrent 
rapidement  derrière  un  fossé  large  et  profond. 

Les  dragons  de  la  garde  du  roi  et  les  sieks  poussè- 
rent aussitôt  sur  eux  avec  une  grandeur  énergique.  Par 
malheur  un  grand  nombre  de  chevnux  des  sicks,  gênés 
par  leurs  martingales,  ne  purent  franchir  le  fossé  et 
s'abattirent  se  culbutant  en  désordre  les  uns  sur  les  au- 
tres et  renversant  leurs  cavaliers, —  mais  les  dragons  du 
roi  arrivèrent  si  rapidement  sur  les  Tartare?,  qu'ils  les 


LIVRE  11,  CHAPITRE  111.  235 

rompirent,  les  débandèrent  et  les  mirent  en  déroute.  — 
Une  portion  des  sicksse  joignit  à  eux  et  compléta  la  dé- 
route de  l'ennemi  qui  se  dispersa  dans  toutes  les  direc- 
tions. —  La  colonne  du  général  Grant,  voyant  cette  ca- 
valerie se  répandre  confusément  sur  la  gauche,  se  mita 
sa  poursuite,  pendant  que  les  projectiles  des  canons 
armstrong  éclataient  dans  ses  rangs  et  augmentaient  le 
désordre  en  abattant  hommes  et  chevaux. 

Lin.  —  Dans  la  direction  que  suivait  cette  colonne, 
les  Tartarcs  avaient  plusieurs  camps,  les  Anglais  trou- 
vèrent les  tentes  encore  debout  et  les  détruisirent.  A 
mesure  qu'ils  approchaient  de  ces  différents  camps  par 
des  chemins  très-difficiles,  ils  voyaient  l'ennemi  les 
abandonner  à  la  hâte,  sans  même  tenter  de  s'y  défendre. 
—  11  n'essaya  de  résistance  que  dans  un  seul  qui  était 
entouré  de  terrains  boisés  dans  lesquels  l'infanterie  re- 
tranchée ouvrit  un  feu  assez  vif,  mais  elle  en  fut  rapi- 
dement délogée.  —  Cette  colonne,  après  avoir  marché 
pendant  quelque  temps  le  long  du  canal,  dans  la  direc- 
tion de  Pé-king,  rejoignit  la  â-^  brigade  qui  était  déjà 
arrivée  au  pont  de  bois,  en  chassant  successivement  de- 
vant elle  quelques  groupes  d'infanterie  et  de  cavalerie 
tartare  embusqués  dans  les  bois. 

Ce  pont  devant  lequel  les  Anglais  se  trouvèrent  étant 
infranchissable  pour  leur  artillerie,  ils  n'allèrent  pas  plus 
avant.  —  D'ailleurs  la  bataille  était  gagnée,  et  déjà  le  gé- 
néral CoUineau  avait  enlevé  de  son  côté  le  grand  potit 
de  Pa-li-kiao,  centre  de  résistance  de  l'armée  tartare. 


■236  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Les  deux  corps  exijéditiunnaires  établireiil  leurs  bi- 
vacs  dans  les  positions  respectives  qu'ils  occupaient. 

Pendant  quelque  temps  encore  on  entendit  çà  et  là 
quelques  coups  de  fusil  isolés,  tirés  par  l'ennemi  dans  sa 
retraite  sur  les  patrouilles  envoyées  en  reconnaissance 
dans  différentes  directions  au  delà  du  canal;  puis  la  nuit 
\int,  et  avec  elle  un  silence  profond,  étrange  contraste 
avec  ce  formidable  tumulte  d'bommes,  de  chevaux  et  de 
canons, qui  quelques  heures  auparavant  retenlissaitdans 
cette  immense  plaine  où  venaient  de  s'anéantir  les  der- 
nières espérances  et  se  briser  les  suprêmes  efforts  de 
l'armée  tartare. 

LIY.  —  Le  lendemain,  le  pont  de  Pa-li-kiao  et  ses  abords 
offraient  un  lugubre  spectacle.  Sur  les  côtés  du  pont  sont 
entassés  pêle-mêle  des  monceaux  de  cadavres  chinois, 
quelques-uns  sont  presque  entièrement  consumés  par 
le  feu.  En  effet,  les  fantassins  tartares  portent  sur  la 
poitrine  une  cartouchière!  remplie  de  poudre  et  ont  une 
mèche  enroulée  autour  du  bras,  c'est  avec  cette  mèche 
qu'ils  allument  l'amorce  de  leur  mousquet.  —  Les  mal- 
heureux étaient  tombés  ayant  encore  cette  mèche  al- 
luméL'  qui  avait  mis  le  feu  à  la  poudre  des  cartouchières. 
Ces  corps  calcinés  ont  un  aspect  affreux.  —  C'est  la 
mort  sous  son  plus  sinistre  aspect.  D'autres  ont  la  tête 
emportée  par  les  boulets  et  sont  couchés  sur  les  che- 
vaux éventrés  pai'  nos  [)rojectiles.  —  Les  prisomiiers 
tartares  sont  employés  à  enterrei"  les  morts. 

La  journée  du  21  septembre  mettait  en  notre  pouvoir 


LIVRE   II,   CHAPITRE   111.  -237 

vingt-sept  canons  en  bronze,  une  énorme  quantité  de 
mousquets  à  mèche,  de  gingalls,  de  lances,  d'arcs,  de 
tlèches  et  d'engins  de  guerre,  —  Les  étendards  de  toutes 
couleurs  jonchaient  la  terreau  milieu  des  morts,  ainsi 
qu'une  bannière  du  fameux  chef  Sang-ko-lin-sin. 

D'après  tous  les  renseignements  recueillis  et  en  se 
fondant  surtout  sur  l'assertion  du  général  Ignatieff,  am- 
bassadeur de  Russie  en  Chine,  qui  se  trouvait  à  Pé-king 
le  jour  même  de  la  balaiUe,  on  peut  évaluer  les  forces 
tarlares  dans  cette  journée  à  50  ou  60000  hommes,  sur 
lesquels  il  faut  compter  30  000  cavahers  environ. 

LV.  —  Les  Chinois  perdirent  près  de  3000  hommes  (1), 
tandis  que  les  perles  des  alliés  étaient  presque  nulles: 
les  Français  enrent_  3  hommes  tués  et  17  blessés,  —  les 
Anglais  eurent  2  tués  et  29  blessés.  Ainsi  l'armée  aUiée 
comptait  en  tout  51  hommes  hors  de  combat. 

Les  pertes  si  considérables  du  côté  des  Chinois  seraient 
à  peine  croyables,  si  l'on  ne  s'en  rendait  compte  en 
examinant  les  armes  primitives  dont  les  Chinois  se  ser- 
vent, jointes  à  l'inhabilité  de  leur  tir;  —  pas  un  de  leurs 
boulets  n'a  porté.  Leurs  canons  étaient  pour  la  plupart 
du  plus  gros  calibre,  et  les  projectiles  qu'ils  lançaient 
dépassaient  presque  tous  la  cime  des  arbres  ou  brisaient 
en  passant  les  branches  les  plus  élevées.  Celte  infério- 


(1)  Ce  chiffre  est  celui  que  les  Chinois  accusent  eux-mêmes-,  et  on 
le  trouva  plus  tard  relaté  dans  une  lettre  saisie  sur  un  courrier  ex- 
pédié de  Pé-king  et  qui  fut  arrêté  le  5  octobre  à  une  des  portes  de 
sortie  de  la  ville. 


238  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

rilé  cl'armciiieiil,  telle  inliahilelé  de  manœuvres  et  de 
lir  se  faisaient  bien  plus  sentir  sur  un  champ  de  bataille 
où  le  lieu  du  combat  était  sans  cesse  déplacé.  Les  Chi- 
nois n'ont  pas  étudié  la  guerre,  aussi  ils  ne  savent  pas 
combattre  :  car  le  soldat,  le  soldat  tartare  surtout,  est 
d'une  bravoure  incontestable,  et  dans  cette  guerre  comme 
dans  celle  de  l'année  précédente,  on  avait  vu  des  chefs  se 
donner  eux-mômes  la  mort  pour  ne  pas  survivre  à  leur 
défaite. 

LVI.  —  Une  bataille  est  surtout  grande  par  ses  ré- 
sultats; aussi  la  bataille  de  Pa-li-kiao  avait  une  inmiense 
portée.  —  C'était  le  dernier  coup  de  hache  qui  renverse 
et  abat  le  cèdre  orgueilleux.  C'était  l'armée  tartare  dé- 
moralibée,  débandée,  emportant  avec  elle  dans  sa  fuite 
le  dernier  espoir  de  l'Empereur,  réduit  à  s'enfuir  en 
Tar  tarie. 

Après  la  bataille  de  Pa-li-kiao  livrée  au  cœur  même  de 
l'Empire,  après  la  défaite  inattendue  des  troupes  impé- 
riale et  celle  de  cette  cavalerie  tartare  réputée  invinci- 
ble, un  traité  de  paix  était  l'unique  ressource  du  gou- 
vernement chinois,  s'il  ne  voulait  voir  la  ville  dePé-king 
devenir  la  proie  des  armées  alliées  et  le  gage  de  sa 
soumission. 

C'était  enfin  le  désastre  réel,  palpable,  de  toutes  ces 
illusions  de  victoires  dont  le  parti  de  la  guerre  berçait 
dans  le  grand  conseil  le  souverain  aveuglé. 

Que  restait-il  de  cette  formidable  concentration  de 
forces  qui,  la  veille,  couvrait  comme  un  rempart  infran- 


LIVRE  II,  CHAPITRE   III.  239 

chissable  les  approches  de  la  capitale?  —  Le  souvenir 
d'une  défaite  et  la  route  ouverte  jusqu'aux  portes  mêmes 
de  la  capitale  du  Céleste-Empire. 

LYII.  —  Le  lendemain,  une  dépêche  du  prince  Kong, 
frère  puîné  de  l'Empereur,  arriva  au  camp;  elle  était 
adressée  au  baron  Gros.  —  Cette  dépêche,  datée  de 
21  septembre,  semblait,  ou  plutôt  voulait  paraître  avoir 
été  écrite  avant  la  bataille  :  car  elle  ne  faisait  aucune 
mention  des  grands  événements  militaires  qui  venaient 
de  se  passer  et  du  désastre  de  l'armée  chinoise. 

Le  prince  Kong  annonçait  que  les  hauls  commissaires 
Tsaï  et  Muh,  ayant  mal  mené  les  affaires,  avaient  été  des- 
titués; comme  prince  de  la  famille  impériale,  il  avait 
reçu  les  pouvoirs  les  plus  étendus  pour  traiter  avec  les 
ambassadeurs  et  conclure  enfin  la  paix.  Il  demandait 
en  conséquence  de  faire  cesser  les  hostilités. 

La  nomination  du  frère  de  l'Empereur  comme  négo- 
ciateur plénipotentiaire  avec  les  ambassadeurs  des  puis- 
sances alliées  avait  évidemment  une  portée  sérieuse  et 
un  sens  significatif.  — Après  avoir  recouru  à  la  ruse  et 
à  la  trahison,  après  avoir  tenté  fatalement  le  sort  des 
armes,  le  gouvernement  chinois  comprenait  enfin  que  la 
paix  était  son  seul  refuge,  et  il  envoyait  comme  gage  de 
sa  sincérité  le  ftère  même  du  Souverain. 

Le  même  jour,  le  baron  Gros  et  lord  Elgin  répondi- 
rent au  prince  Kong  que  des  sujets  français  et  anglais, 
venus  à  Tung-chao  sous  la  sauvegarde  du  drapeau 
parlementaire,  avaient  été  traîtreusement  arrêtés,  qu'en 


2'4U  CAMl'AGNK   DE  CHINE. 

vain  ils  avaient  ùlé  réclamés  au  prince  Tsai ,  et  que  les 
hostilités  ne  seraient  pas  suspendues ,  tant  qu'ils  ne 
seraient  pas  revenus  à  leurs  camps  respectifs.  Alors  seu- 
lement les  négociations  de  paix  pourraient  être  reprises. 

«  Le  Tao-taï  de  Tung-chao  (.ijoutont  les  ambassa- 
deurs) a  été  prévenu  par  les  connnandanls  en  chef  des 
forces  alliées,  que  si  le  moindre  obstacle  était  apporté  au 
retour  de  ces  individus,  le  gouvernement  chinois  assu- 
merait sur  lui  la  plus  grave  responsabilité  (1).  » 

Loin  d'être  satisfaisante  et  catégorique,  la  réponse  du 
prince  Kong  se  traîna  encore  dans  les  mêmes  voies  de 
cette  diplomatie  tortueuse  et  ambiguë;  elle  ne  disait  rien, 
ne  résolvait  rien.  —  Mais  l'heure  des  attermolenients  est 
passée;  les  faits  qui  se  sont  accomplis  donnent  aux  am- 
bassadeurs le  droit  de  tenir  un  langage  sévère  qui  pré- 
cise la  question  et  la  met  sur  son  véritable  terrain. 

LA'III.  —  Tl  est  intéressant  de  suivre  le  fil  de  ces  négo- 
ciations rompues  tant  de  fois  et  tant  de  fois  reprises;  c'est 
un  des  côtés  de  la  campagne  de  Chine  les  plus  curieux 
à  étudier.  On  a  reproché  aux  plénipotentiaiics  anglais  et 
français  d'avoir,  malgré  des  délais  interminables,  conti- 
nué à  négocier  avec  ce  semblant  de  gouvernement  per- 
fide, dont  l'astuce  et  la  mauvaise  foi  étaient  palpables 
à  tous  les  yeux,  aussi  bien  dans  ses  actes  que  dans  ses 
communications  officielles.  Cette  élude  de  l'action  diplo- 


(1)  Dépêche  du  baron  Gros  au  prince  Kong  Pa-li-kiao,  22  septembre 
1860. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  III.  241 

niatique ,  mise  en  regard  de  l'action  militaire,  fera 
mieux  comprendre  les  faits  accomplis  et  apprécier  ceux 
qui  devaient  s'accomplir  et  atteindre  enfin  le  but  depuis 
si  longtemps  poursuivi. 

La  dépêche  que  le  baron  Gros  adressa  alors  au  prince 
Kong  est  une  pièce  diplomatique  qu'il  est  important  de 
connaître  en  son  entier,  car  elle  joint  à  la  loyauté  et  à 
la  fermeté  du  langage  une  éloquence  pleine  de  dignité. 

25  septembre  1860. 

a  Le  soussigné  a  reçu  la  dépêche  que  S.  A.  le  prince 
Kong  lui  a  fait  l'honneur  de  lui  écrire  le  23  de  ce  mois, 
et  qui  semble  devoir  aggraver  la  position  du  gouverne- 
ment chinois,  si  celui-ci,  mù  par  un  de  ces  sentiments 
d'honneur  et  d'équité  qui  se  produisent  chez  les  nations 
civilisées,  eût  renvoyé  immédiatement  dans  les  camps 
des  alliés  les  individus  qui,  en  violation  du  droit  des  gens 
et  des  principes  de  l'honneur,  ont  été  détenus,  alors  que, 
se  confiant  à  la  parole  des  commissaires  impériaux ,  ils 
revenaient  de  Tung-chao,  où  ils  avaient  été  reçus 
comme  parlementaires,  la  paix  aurait  été  signée  dans 
peu  de  jours,  et  le  pays  n'aurait  plus  à  souffrir  des  maux 
que  la  guerre  entraîne  nécessairement  avec  elle. 

«  Les  commandants  alliés  ont  pris,  les  armes  à  la  main, 
bien  des  soldats  tartares  et  leur  ont  rendu  la  liberté. 
Quant  aux  blessés  ennemis  relevés  sur  le  champ  de  ba- 
taille ,  ils  sont  dans  nos  hôpitaux ,  où  ils  reçoivent  les 
mêmes  soins  que  nous  donnons  à  nos  soldats.  Que  le 
II  16 


242  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

gouvernement  chinois  compare  sa  conduite  à  la  nùlrc , 
peut-être  sera-l-il  honteux  de  celle  qu'il  a  tenue. 

«  Le  soussigné  croit  ne  pouvoir  mieux  faire,  pour  ré- 
pondre à  la  dépêche  du  prince  Kong,  que  de  lui  euvoyer 
celle  qu'il  avait  écrite  au  commissaire  impérial,  prince 
Tsaï  ,  et  qu'il  allait  lui  faire  parvenir,  lorsque  le 
prince  Kong  a  adressé  au  soussigné  sa  conimuuication 
du  21  de  ce  mois.  Le  soussigné  donne  aujourd'hui  à  cette 
ancienne  dépêche  toute  la  valeur  qu'elle  avait,  et  il  s'a- 
dresse au  prince  Kong,  en  le  priant  seulement  de  vou- 
loir hien  substituer  son  nom  à  celui  du  commissaire 
impérial  Tsaï  (1). 


(1)  Communications  aux  commissaires  impériaux  Tsaï  et  Mv.h, 
envoijée  au  prince  Kong,  le  25  décembre  1860. 

Le  soussigné  a  reçu  la  lettre  que  Leurs  Excellences  lui  ont  fait  re- 
melli  e  par  le  premier  secrétaire  de  son  ambassade  qui  avait  eu  l'hon- 
neur de  les  voir  à  Tung-chao;  mais  les  graves  événements  qui  se  sont 
passés  depuis  ce  jour-là  ont  empêché  le  soussigné  d'y  répondre. 

Lorsque,  pour  mettre  à  exécution  les  arrangements  convenus  entre 
Leurs  Excellences  et  le  soussigné,  et  dont  la  dépêche  en  question  était 
la  plein  -  confirmation  de  la  jarl  des  commissaires  impériaux,  les  trou- 
pes alliées  delà  France  et  de  l'AngK  terre  se  sont  avancées,  pleinesde 
confiance,  vers  le  terrain  sur  lequel  il  avait  été  convenu  qu'elles  éla- 
biiraienl leur  camp,  et  elles  en  étaient  encore  assez  éloignées,  lorsque 
l'armée  tartare,  violant  avec  peifidie  le  droit  des  gens  et  les  simples 
notions  de  l'honneur,  a  laissé  blesser  ou  tuer  des  Européens  qui  reve- 
naient paisiblement  de  Tung-chao,  où  ils  s'étaient  rendus  comme 
parlementaires,  et  pour  y  prendre  quelques  arrangements  relatifs  à  la 
position  que  la  paix  allait  créer;  dans  son  orgueil,  le  commandant  en 
chef  lartare  a  cru  pouvoir  attaquer  l'avant-garde  des  alliés  et  a  subi 
une  déroute  complète. 

Les  troupes  alliées,  par  suite  de  cette  conduite,  se  sont  trouvées  dé- 
liées des  engagements  qu'elles  avaient  pris,  et  qu'elles  remplissaient 
avec  honneur;  elles  ont,  à  !eur  tour,  attaqué  le  camp  de  l'a-li-kiao. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  III.  243 

a  Le  soussigné  ne  peut  croire  que  Son  Altesse  approuve 
la  conduite  déloyale  tenue  par  quelques  autorités  chi- 
noises, qui  semblent  vouloir  pousser  la  dynastie  à  sa 
perle,  et  il  demande  à  Son  Altesse  de  prévenir  les 
malheurs  qui  peuvent  encore  arriver  :  qu'il  relâche  im- 
médiatement les  Français  et  les  Anglais  qui  sont  détenus 
contre  l'équité  et  le  droit  des  gens,  et  qu'il  les  renvoie 


où  s'élait  réfugié  le  chef  tartare,  après  sa  première  défaite,  et  l'ont 
forcé  à  fuir  une  seconde  fois,  laissant  son  camp  tout  entier  au  pouvoir 
des  alliés,  après  avoir  inutilement  sacrifié,  les  meilleurs  de  ses  soldats. 

Leurs  Excellences  ont  écrit  plusieurs  fois  au  soussigné  que  leur  pa- 
role était  sincère,  et  qu'ils  n'agiraient  pas  comme  Kwei-liang,  qui  avait 
manqué  à  la  sienne,  et  le  soussigné  y  croit  fermement.  II  ne  sera 
pas  déçu  dans  son  espoir.  La  paix  peut  être  encore  signée  à  Tung-chao , 
comme  il  en  avait  été  convenu  de  part  et  d'autre,  il  n'y  aura  de 
changé  dans  la  position  que  la  double  défaite  des  troupes  impériales  , 
et  le  campement  des  forces  alliées  qui  se  trouvera  auprès  de  Tung-chao, 
au  lieu  d'être  auprès  de  Tchang-kia-ouang. 

Les  conférences  peuvent  donc  être  tenues  à  Tung-chao,  comme  il 
en  avait  été  convenu;  et  après  y  avoir  signé  une  convention  de  paix, 
le  soussigné  pourra  se  rendre  à  Pé-king,  pour  y  procéder  à  l'échange 
des  ratifications  du  traité  de  1858.  Les  troupes  françaises  campées 
près  de  la  capitale  retourneront  alors  à  Tien-tsin ,  lorsque  tout  sera 
terminé  à  Pé-king. 

Le  soussigné  attendra  pendant  deux  fois  vingt-quatre  heures  une 
réponse  à  celte  importante  communication,  qui  donne  encore  au  gou- 
vernement chinois  un  moyen  de  conclure  la  paix. 

Le  soussigné  doit  déclarer  formellement  à  Leurs  Excellences  que 
S.  M.  l'empereur  des  Français  désire  sincèrement  que  l'auguste  dynastie 
qui  règne  aujourd'hui  sur  l'empire  chinois  se  maintienne  sur  le  trône 
et  s'y  raffermisse;  or,  dans  l'esprit  du  soussigné,  la  prise  et  l'occu- 
pation de  Pé-king  par  les  troupes  alliées  pourrait  lui  faire  courir  de  vé- 
ritables dangers ,  et  le  soussigné  veut  encore  tenter  un  dernier  moyen 
de  conciliation,  avant  délaisser  cette  chance  se  produire;  ainsi  donc, 
ou  la  paix  encore  à  Tung-chao,  ou  la  marche  des  troupes  alliées 
vers  le  nord. 

Le  soussigné  profite,  etc. 

Baron  Gros. 


244  CAMPAGNE   DE   CHINE. 

aux  commandants  en  chef  alliés  qui  ont  rendu  à  la  li- 
berté des  prisonniers  que  le  sort  des  armcsa  fait  tomber 
loyalement  entre  nos  mains.  Que  les  conférences  s'ou- 
vrent à  Tung-chao,  qu'une  convention  de  paix  soit 
signée  et  que  l'échange  des  ratifications  des  traités  de 
1858  se  fasse  à  Pé-king,  comme  tout  cela  a  été  convenu 
avant  la  trahison  du  18  de  ce  mois,  et  les  troupes  fran- 
çaises ne  feront  plus  un  pas  en  avant;  elles  s'éloigneront 
au  contraire  des  abords  de  la  capitale  dès  que  tout  sera 
terminé  à  Pé-king. 

«  Le  soussigné  croit  devoir  déclarer  formellement  à 
Son  Altesse  et  aux  membres  du  grand  conseil  de  l'empire, 
que  le  gouvernement  français  veut  le  maintien  de  la  dy- 
nastie actuelle  sur  le  trône  impérial,  qu'il  verrait  avec 
chagrin  la  ruine  de  la  capitale,  qu'il  veut  que  la  paix  se 
rétablisse  entre  les  deux  empires  ;  mais  que  si ,  par  des 
refus  qu'un  fatal  aveuglement  pourrait  seul  expliquer  ou 
que,  par  un  manque  de  loyauté  dont  il  n'a  donné  que 
trop  d'exemples,  le  gouvernement  chinois  rejetait  les 
justes  demandes  des  deux  puissances  alliées,  le  sort  des 
armes  en  déciderait. 

«  Le  gouvernement  chinois  doit  ne  pas  oublier  que 
jusqu'à  présent,  il  lui  a  été  bien  contraire,  et  le  soussigné 
croit  être  bienveillant  encore  envers  lui  en  lui  don- 
nant l'assurance  que  la  guerre  serait  encore  bien 
plus  fatale  pour  le  gouvernement  chinois  qu'elle  ne 
l'a  été  jusqu'à  présent,  si,  comme  il  ne  tient  qu'à 
lui,  il  ne  donnait  au  soussigné  la  possibilité  de  faire 
cesser  les  hostiUlés,  aujourd'hui  en  voie  d'exécution. 


LIVRE  H,   CHAPiJHE  111.  245 

a  Le  soussigné  attendra,  pendant  les  trois  jours  qui 
suivront  la  date  de  cette  dépêche,  la  réponse  que  Son 
Altesse  voudra  bien  lui  faire;  si  le  gouvernement  chinois 
accepte  les  propositions  qu'elle  contient,  dès  que  tout 
aura  été  terminé  à  Tung-chao  et  à  Pé-king,  l'armée 
française  se  retirera  à  Tien-tsin ,  où  elle  devra  hiverner, 
parce  que  la  mauvaise  foi  du  gouvernement  chinois  et 
les  retards  qu'elle  a  fait  naître,  rendent  bien  difficile 
maintenant  le  départ  des  troupes  alliées  avant  l'hiver. 
Le  gouvernement  chinois  doit  subir  la  peine  de  ses  fautes. 

«  Si,  à  l'expiration  du  délai  accordé,  une  réponse  satis- 
faisante n'est  pas  envoyée  au  soussigné,  les  commandants 
en  chef  des  armées  alliées  auront  à  prendre  les  mesure? 
qu'ils  jugeront  convenables  pour  s'établir  dans  la  capitale 
de  l'empire,  et  pour  prouver  au  gouvernement  chinois 
que  le  droit  des  gens  ne  peut  être  impunément  violé  dans 
la  personne  des  sujets  de  S.  M.  l'empereur  des  Français 
et  des  sujets  de  S.  M.  la  reine  de  la  Grande-Bretagne.  » 

LIX.  —  Il  n'était  certes  point  possible  d'entrer  plus  net- 
tement au  cœur  de  la  question,  afin  d'amener  de  la  part 
du  nouveau  commissaire  impérial  une  réponse  catégo- 
rique. Mais  le  prince  Kong  ne  comprend  pas  ou  ne  veut 
pas  comprendre  ce  qu'on  attend  de  lui.  Si  le  négociateur 
est  changé,  la  pensée  qui  dirige  cette  politique  à  double 
face  est  restée  la  môme;  ce  sont  les  mêmes  idées  repro- 
duites sous  une  autre  forme,  les  mêmes  désaveux  des 
actes  accomplis,  les  mêmes  assurances  de  loyauté  et 
de  sincérité. 


246  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

«  Si  précédemment  les  affaires  ont  été  mal  conduites, 
(écrit  le  prince  Kong)(I),  je  ne  puis  en  être  responsable, 
car  je  n'avais  pas  à  m'en  mêler.... 

«  Votre  Excellence  me  dit,  dans  sa  dépêche,  que  la 
dynastie  court  quelques  périls  ;  il  eût  été  convenable  de 
ne  pas  me  tenir  un  tel  langage. 

a  Votre  Excellence  fixe  un  délai  de  trois  jours  pour 
recevoir  une  réponse;  mais  pourquoi  les  troupes  de 
votre  noble  empire  s'avancent-elles  en  colonnes?  ce 
n'est  pas  là  le  moyen  de  rétablir  la  paix,  et,  au  mo- 
ment de  la  conclure,  ne  serait-il  pas  déplorable  de  vous 
voir  rompre  toutes  les  négociations? 

«  Si  vos  troupes  veulent  réellement  attaquer  la  capi- 
tale ,  nos  soldats ,  qui  sont  dans  la  ville  avec  leurs  fa- 
milles, se  défendront  jusqu'à  la  mort,  et  cette  guerre  ne 
pourra  pas  être  comparée  aux  précédentes.  Nous  avons 
aussi,  hors  la  ville,  des  milices  nombreuses  et  redou- 
tables, et  quand  vous  attaquerez  la  ville,  non-seule- 
ment vos  nationaux  seront  sacrifiés ,  mais  votre  armée 
coupée  dans  sa  retraite,  ne  pourra  l'effectuer  peut-être 
que  difllcilement. 

«  Quant  aux  individus  de  votre  noble  empire,  qui  sont 
détenus  dans  Pé-king,ils  ont  été  arrêtés  par  les  commis- 
saires précédents  qui  ont  mal  conduit  les  affaires;  mais 
j'ai  reçu  de  l'Empereur  toute  l'autorité  nécessaire  pour 
traiter  cette  question ,  et  ces  individus  n'ont  pas  été  mis 

(1)  Dépêche  du  prince  Knnçi  à  S.  Exe.  le  baron  Gros.  27  septem- 
hre  1860. 


LIVRE  II,  CHAPITRE  111.  247 

à  mort:  nous  ne  pouvons  les  rendre  en  ce  moment. 
Lorsque  la  convention  aura  été  signée  et  les  ratifications 
du  traité  échangées ,  ils  seront  certainement  mis  en  li- 
berté; et  alors  votre  noble  empire  verra  par  mes  actes 
que  je  suis  un  homme  dans  lequel  on  peut  avoir  tou- 
jours une  pleine  et  entière  confiance. 

«  Cette  communication  est  faite  à  Son  Ex.  M.  le  baron 
Gros,  le  27  septembre  1660.  » 

LX.  —  Ces  deux  pièces  diplomatiques  disent  claire- 
ment la  situation  réciproque  dans  laquelle  se  trouvaient 
les  parties  belligérantes. 

Il  était  évident  que  l'intervention  du  prince  Kong  dans 
les  affaires,  intervention  succédant  à  la  défaite  de  Sang- 
ko-lin-sin,  était  la  dernière  ressource  du  gouvernement 
chinois  réduit  à  toute  extrémité. 

L'arrivée  du  prince  montrait-elle  la  question  sous 
un  nouveau  jour,  et  l'élevait-elle  à  la  hauteur  de  la 
haute  position  du  nouveau  plénipotentiaire  placé  par  sa 
naissance  sur  les  marches  du  troue?  —  Non;  —  elle 
continuait  la  politique  suivie  jusqu'à  ce  jour  et  lui  don- 
nait ainsi,  tout  en  la  condamnant,  une  tacite  approbation. 

Il  est  facile  de  résumer  cette  politique  et  d'en  appré- 
cier la  pensée  secrète  et  constante,  en  rappelant  les  pièces 
officielles  émanées  des  hauts  fontionnaires  qui  se  succé- 
daient les  uns  aux  autres,  depuis  le  commencement  de 
nos  différends  avec  le  Céleste-Empire. 

LXI.  —  En  1859,  le  vice-roi  Yéh  commence  à  traiter 


248  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

avec  arrogance  et  dédain  les  ouvertures  qui  lui  sont 
faites  par  les  puissances  alliées  et  entre  de  plain-pied 
dans  cette  voie  inlcrniinable  de  dénégations,  d'ater- 
moiements et  de  promesses  vagues  et  obscures. 

Les  jours,  les  semaines,  les  mois  mômes  s'écoulent 
en  espérances  stériles.  —  La  prise  de  Canton  est  la 
conséquence  de  cet  orgueil  aveugle ,  de  ces  refus 
persistants.  —  Yeh  fait  prisonnier  par  les  alliés  est 
disgracié,  ses  actes  sont  désavoués,  les  termes  de  l'édit 
impérial  sont  tels  que  l'on  doit  espérer  un  résultat  fa- 
vorable des  négociations  entamées  de  nouveau  avec  le 
Céleste-Empire.  Cependant  cet  espoir  s'évanouit  bientôt, 
et  nos  navires  se  dirigent  vers  le  nord  dans  le  golfe  de 
Pet-cbi-li. —  L'entrée  du  Pei  bo  est  forcée,  et  ce  lleuve, 
interdit  jusqu'alors  aux  Européens,  est  remonté  jusqu'à 
Tien-tsin  par  nos  canonnières.  C'est  dans  celte  ville 
même  que  le  vice-roi  de  deux  Rwang  signe  enfin  un 
traité  de  paix  dont  les  ralitlications  doivent  s'échanger  à 
Pé-king  dans  un  délai  déterminé. 

Sous  divers  prétextes,  les  difticullés  recommencent, 
les  embarras  surgissent  et  ramènent  dans  le  dédale  ol)- 
scur  de  cette  politique  insaisissable  la  question  que  l'on 
croyait  nettement  terminée.  On  sait  ce  qui  advint  de  ce 
traité  de  Tien-tsin  déchiré  par  les  canons  mômes  des 
forts  de  Peï  ho.  —  La  guerre  recommence,  mais  celte 
fois  avec  des  moyens  plus  puissants;  car  il  faut  en  finir 
avec  ces  subtilités  d'arguments,  avec  ces  biais  échappa- 
toires qui  déplacent  sans  cesse  la  question  pour  se  dé- 
rober à  la  réaUté;  il  faut  que  la  cause  du  christianisme 


LIVRE  IJ,  CHAPITIŒ  111.  249 

et  de  la  civilisation  triomphe  enfin  dans  cet  extrême 
Orient  sous  la  sauvegarde  des  drapeaux  de  la  France  et 
de  l'Angleterre. 

LXII.  —  Une  seconde  fois  la  victoire  vient  rabaisser 
l'orgneil  insensé  et  l'aveup^le  obstination  du  gouverne- 
ment chinois.  Deux  hauts  commissaires  impériaux, 
Kwei-liang  et  Heng-fou,  font  savoir  qu'ils  sont  prêts  à 
ratifier  au  nom  de  leur  Souverain  les  clauses  du  traité 
de  l'année  précédente.  Les  alliés  victorieux  arrêtent  leur 
marche  surPé-king;  ils  agissent  de  bonne  foi,  loyalement; 
ils  s'aperçoivent  encore  qu'ils  sont  la  dupe  de  cette  di- 
plomaUe  dont  les  armes  favorites  sont  le  mensonge  et 
la  duphcité.  —  Ces  commissaires  ne  sont  point  munis 
de  pleins  pouvoirs  et  voulaient,  en  signant  un  traité 
que  le  gouvernement  eût  repoussé  plus  fard,  gagner  le 
temps  nécessaire  à  la  concentration  de  l'armée  tartare 
sous  les  ordres  directs  d'un  chef  renommé.  —  La  ruse 
est  découverte  :  —  alors  Kwei-liang  et  son  collègue  sont 
désavoués  à  leur  tour;  car  le  gouvernement  chinois  suit 
sa  même  tactique  et  brise  un  à  un  les  instruments  dont 
il  s'est  servi. 

Les  corps  expéditionnaires  se  mettent  en  marche  sur 
la  capitale  du  Céleste-Empire. —  Apparaît  alors  un  nou- 
veau plénipotentiaire,  le  prince  Tsaï  de  la  famille  impé- 
riale, qui  demande  instamment  aux  ambassadeurs  que 
les  troupes  alliées  n'aillent  pas  plus  avant  :  muni  de 
pleins  pouvoirs  ainsi  que  son  collègue  Muh,  ministre  de 
la  guerre,  il  est  prêt  à  ti'ailer  sur  les  bases  déjà  couve- 


250  CAMPAGNE  DE   CHINE. 

nues.  Nous  qui  différons  de  Kivei-Hang,  dit-il,  iious  ne 
manquerons  pas  à  notre  parole.  —  Ainsi  le  gouvernement 
chinois  reconnaissait  ouvertement  la  mauvaise  loi  des 
deux  hauts  mandarins  investis  par  lui  des  fonctions  les 
plus  élevées. 

Nous  avons  raconté  dans  tous  leurs  détails  les  négo- 
ciations entamées  avec  le  prince  Tsaï  et  les  conventions 
arrêtées  entre  lui  et  les  ambassadeurs  alliés.  —  Ces  con- 
ventions devaient  aboutir  cependant,  elles  aussi,  à  une 
trahison,  trahison  odieuse,  en  dehors  du  droit  des  gens 
des  peuples  civilisés,  guet-;ipens  perfide  dans  lequel  on 
espérait  envelopper  le  petit  nombre  de  trou[)es  qui 
s'avançait  sans  défiance  vers  les  points  déterminés  d'un 
commun  accord.  —  Mais  la  trahison  n'atteignit  pas  son 
but,  et  l'armée  tartare  deux  fois  vaincue  s'enfuit  en  dé- 
sordre, laissant  deux  champs  de  bataille  couverts  de  ses 
morts. 

LXIII.  —  Le  danger  est  imminent,  la  capitale  est  me- 
nacée; c'est  alors  qu'arrive  sur  la  scène  un  frère  môme 
de  l'Empereur,  —  Le  prince  Tsaï  est  désavoué,  brisé  à 
son  tour,  comme  ont  été  désavoués  et  brisés  ses  prédé- 
cesseurs. «  Si  précédemment  les  affaires  ont  été  mal 
conduites  (écrit  le  nouveau  plénipotentiaire),  je  ne  puis 
en  être  responsable,  car  je  n'avais  pas  à  m'en  mêler,  » 
et  il  termine  en  protestant  de  sa  bonne  foi,  comme 
l'avait  fait  quelques  jours  auparavant  le  prince  Tsaï. 
«  A'otre  noble  empire  verra  par  mes  actes  que  je  suis 
un  homme  dans  lequel  on  peut  avoir  toujours  une  pleine 


LIVRE  II,   CHAPITRE  III.  251 

el  entière  confiance.  »  Toutefois,  il  refuse  de  rendre 
avant  la  ratification  du  traité  les  prisonniers  traîtreuse- 
ment arrêtés  à  Tung-chao.  —  Étrange  politique  d'un 
gouvernement  qui  reconnaît  la  mauvaise  foi  de  ses 
agents,  mais  veut  profiter  du  résultat  des  actes  honteux 
dont  il  décline  toute  responsabilité. 

Tel  est  dans  son  ensemble  le  résumé  rapide  des  négo- 
ciations entamées  devant  Canton  et  les  phases  diverses 
qui  avaient  amené  les  corps  expéditionnaires  alliés  à 
quelques  lieues  de  la  capitale  du  Céleste-Empire. 

Tous  les  faits  que  nous  avons  énumérés,  appuyés  sur 
des  documents  officiels,  se  jugent  eux-mêmes  sans  qu'il 
soit  nécessaire  d'y  apporter  son  appréciation  personnelle. 
D'un  côté,  la  loyauté  et  la  modération,  signes  véritables 
de  la  force  et  du  droit;  —  de  l'autre  l'aveuglement, 
l'orgueil  et  la  duplicité,  signes  précurseurs  de  la  dé- 
composifion  d'un  empire  miné  par  la  corruption  et  qui 
se  débat  en  vain  dans  son  agonie. 

LXIV. —  La  question  des  prisonniers  de  Tung-chao 
venait,  on  l'a  vu,  aggraver  une  situation  déjà  bien  ten- 
due. Notre  honneur  nous  ordonnait  de  n'accéder  à 
aucune  proposition  de  paix  avant  le  renvoi  de  ces  pri- 
sonniers arrêtés  contre  les  lois  de  la  guerre;  les  ambas- 
sadeurs s'étaient  nettement  prononcés  à  cet  égard,  et, 
malgré  les  raisonnements  spécieux  du  prince  Kong,  ses 
assurances  pacifiques  et  ses  protestations  réitérées,  le 
baron  Gros  et  lord  Elgin  déclaraient  ne  rien  vouloir 
entendre  avant  le  retour  des  parlementaires. 


252  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

Ce  retard  de  quelques  jours  dans  la  marche  des  deux 
corps  expéditionnaires  sur  Pé-king  était  du  reste  néces- 
saire aux  commandants  en  chef  pour  attendre  les  appro- 
visionnements de  guerre  et  les  renforts  qui  avaient  reçu 
l'ordre  d'accourir  à  marche  forcée;  il  ne  devait  rester  à 
Tien-tsin  que  les  troupes  strictement  nécessaires  à  sa 
garde.  —  Les  démarches  du  prince  Kong,  par  le  retard 
qu'elles  apportaient,  ne  changeaint  donc  rien  aux  dispo- 
sitions arrêtées.  Le  délai  de  trois  jours  accordé  à  la  ré- 
ponse du  plénipotentiaire  chinois,  assignait  le  1"  octohrc 
pour  le  départ  des  troupes  alliées,  en  cas  de  refus  du 
gouvernement  chinois. 

La  position  de  Pa-li-kiao  était  très- favorable  comme 
point  défensif,  en. cas  de  surprise,  jusqu'au  jour  où 
nous  voudrions  reprendre  l'offensive.  Ce  village  était 
très-rapproché  de  la  ville  de  Tung-chao  qui  assurait, 
par  les  canaux  qui  y  aboutissent,  nos  communications 
avec  Tien-tsin.  —  \^n  marché  très-abondamment  fourni 
y  avait  été  établi.  —  Un  instant  les  chefs  alliés  agitèrent 
la  pensée  de  détruire  parle  feu  cette  ville,  théâtre  d'une 
odieuse  trahison  ;  mais  nous  eussions  souffert  les  pre- 
miers de  cette  destruction,  nous  privant  de  ressources 
précieuses,  tant  pour  les  approvisionnements  de  bouche, 
que  pour  les  moyens  de  transport  qui  abondaient  dans 
cette  ville  et  dont  l'administration  avait  grand  be- 
soin. 

LXV.  —  Les  trois  jours  accordés  par  les  ambassa- 
deurs s'écoulèrent  sans  aucune  solution  favorable  ;  les 


LIVRE  II,   CHAPITRE  III.  253 

dépèches  se  succédaient,  plusieurs  fois  souvent  dans 
la  même  journée,  mais  la  question  principale  n'avan- 
çait pas. 

Le  30  septembre  était  le  dernier  jour  fixé,  elle  baron 
Gros  attendait  sans  grande  espérance  la  réponse  défini- 
tive du  prince  Kong;  elle  arriva  en  effet  à  8  heures  du 
matin;  elle  portait  la  date  du  29  au  soir  et  se  terminait 
ainsi  : 

«  Les  troupes  de  votre  noble  empire  sont  si  près  de 
la  capitale  que  nous  éprouvons  quelques  craintes  sur  les 
intenfions  de  Votre  Excellence,  et  qu'il  nous  est  difficile 
de  signer  une  convention  de  paix.  Je  demande  donc  à 
Votre  Excellence  de  faire  retirer  vos  troupes  jusqu'à 
Tchang-kia-ouang  et  dans  un  délai  de  trois  jours  je 
ferai  transcrire  clairement  les  articles  de  la  conven- 
tion. J'enverrai  un  délégué  porter  cette  copie  dans  un 
lieu  intermédiaire  entre  Tung-cliao  et  Tchang-kia- 
ouang,  et  dès  qu'elle  sera  signée,  nous  conviendrons 
d'une  seconde  entrevue  pour  consolider  et  perpétuer 
la  paix. 

«  Quant  aux  personnes  détenues  précédemment,  elles 
n'ont  pas  été  insultées  et  sont  traitées  avec  bienveil- 
lance. Dès  que  vos  troupes  se  seront  reUrées  et  que  le 
traité  aura  été  signé,  elles  seront  reconduites  auprès  de 
vous. 

«  Pour  moi,  je  vous  ai  fait  connaître  franchement 
dans  ma  dernière  dépêche  quel  homme  j'étais,  je  ne 
trompe  personne  et  je  ne  manquerai  jamais  à  ma  pa- 


254  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

rôle  ;  que  Votre  Excellence  ait  donc  confiance  en  moi 
et  ne  conserve  aucun  sentiment  de  défiance.  » 

LXVI.,—  En  réponse  à  cette  communication,  le  baron 
Gros, d'accord  avec  lordElgin, prévinrent  S.  A.l.  le  prince 
Kong ,  que  les  captifs  anglais  et  français  n'ayant  point 
été  mis  en  liberté  dans  la  journée  du  29,  les  comman- 
daiitsen  chef  venaient  d'être  informés  de  ce  fait,  afin  qu'ils 
prissent ,  en  marchant  immédiatement  sur  Pé-king , 
toutes  les  mesures  nécessaires  pour  obtenir  du  gouver- 
nement chinois  par  la  force,  ce  qui  lui  avait  été  vaine- 
ment demandé  par  voie  de  conciliation. 

Les  affaires  furent  donc  remises  de  nouveau,  le  30  sep- 
tembre, aux  mains  des  généraux  en  chef,  et  un  conseil  de 
54uerre  fut  tenu  en  présence  des  deux  plénipotentiaires 
au  quartier  général  français  pour  arrêter  le  [jlan  des 
opérations  futures. —  Marcher  sur  la  capitale  du  Céleste- 
Empire  avec  un  effectif  de  troupes  aussi  restreint  était 
une  entreprise  hasardeuse,  et  devait  donner  aux  gé- 
néraux de  sérieuses  préoccupations.  Aussi  le  mérite  léel 
et  indiscutable  des  chefs  de  cette  expédition  lointaine, 
c'est  d'avoir  audacieusement  et  résolument  bravé  des 
dangers  et  des  difficultés  qui  pouvaient  tout  à  coup 
piendredes  proportions  formidables. 

Nous  l'avons  dit  dans  la  première  partie  de  ce  travail, 
ce  n'était  point  la  guerre  avec  ses  chances  ordinaires, 
ses  ressources  renouvelées  ou  augmentées  au  premier 
appel,  c'était  une  expédition  au  milieu  d'un  empire  im- 
mense et  d'une  population  de  400  millions  d'habitants, 


LIVRE  II,  CHAPITRE  III,  255 

avec    une  poignée   d'hommes  qui  ne   pouvaient  et  ne 
devaient  eonipler  que  sur  eux  seuls. 

LXVII.  —  La  conduite  du  nouveau  plénipotentiaire 
chinois  ne  devait  pas  inspirer  grande  confiance  malgré 
ses  protestations  de  loyauté  et  son  titre  de  frère  de  l'Em- 
pereur.— Certes,  le  prince  Kong  avait  un  rôle  tout  tracé; 
—  il  eût  pu,  il  eût  dû  par  un  sentiment  d'honneur  et  de 
dignité  personnelle  montrer,  en  renvoyant  immédiate- 
ment les  parlementaires  arrêtés  à  Tung-chao,  com- 
bien il  repoussait  toute  solidarité  avec  des  actes  indignes, 
et  effacer  ainsi  le  souvenir  d'une  odieuse  trahison.  Dans 
les  circonstances  difticiles  où  il  se  trouvait,  une  sembla- 
ble détermination  eût  été  un  acte  de  bonne  politique; 
elle  eût  facilité  l'issue  des  négociations.  Mais,  loin  d'en 
avoir  la  pensée,  le  prince  Kong  repoussa  au  contiaire  les 
justes  demandes  qui  lui  furent  adressées  à  ce  sujet.  —  Il 
ne  pouvait  ignorerles  affreux traitementsauxquels  avaient 
déjà  succombé  au  milieu  des  plus  cruelles  îoriures  quel- 
ques-uns des  malheureux  prisonniers  livrés  à  la  merci 
de  leurs  bourreaux,  et  il  écrivait  cependant  :  «  Les  per- 
sonnes arrêtées  par  les  commissaires  précédents  qui  ont 
mal  conduit  les  affaires  n'ont  pas  été  mises  à  mort.  » 
Et  en  certifiant  dans  une  de  ses  dépêches(l),  que  ces  pri- 

(1)  Le  prince  Kong  au  baron  Gros. 

De  3  octobre  1860. 

Dans  un  autre  passage  de  cette  dépèche ,  il  disait  eu  outre  : 

a  J'ai  pensé  que  le  consul  Parkes,  étant  habile  à  parler  et  à  écrire 


256  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

somiicrs  élaienl  Iraités  avec  égard,  il  ajoutait  :  «  Il  serait 
à  craindre,  si  la  paix  ne  se  rétablissait  pas,  que  vos  na- 
tionaux ne  courussent  des  dangers  réels  dans  la  capitale.  » 
—  C'était  une  menace  de  mort  que  le  nouveau  négocia- 
teur faisait  planer  sur  les  prisonniers,  dans  le  cas 
où  les  relations  diplomatiques  seraient  de  nouveau 
rompues. 

Loin  d'accéder  à  la  demande  que  formulait  le  prince 
Kong  de  faire  éloigner  les  troupes,  les  ambassadeurs, 
on  l'a  vu,  ont  informé  les  généraux  en  chef  alliés  qu'ils 
devaient  agir  militairement.  Ceux-ci  prirent  aussitôt 
toutes  leurs  dispositions,  mais  durent  attendre  pour  se 
mettre  en  marche  l'arrivée  des  renforts  qu'ils  avaient 
mandés  de  Tien-tsin. 

Œ  Mon  convoi  attendu  vient  d'arriver  (écrit  le  géné- 
ral de  Montauban  au  ministre  de  la  guerre,  en  date 
du  3  octobre),  et  après-demain,  de  concert  avec  le 
général  Grant,  nous  nous  mettrons  en  marciie  sur  la 
capitale.  » 

Par  ces  nouveaux  renforts  les  forces  françaises  étaient 


le  chinois,  et  que  l'un  de  vos  compatriotes,  d'Escayrac,  le  parlant 
aussi,  je  devais  nommer  des  délégués  qui,  dans  Pé-king,  pourraient 
s'entendre  définitivement  avec  eux  sur  le  traité  de  1858  et  sur  la  con- 
vention négociée  cette  année  à  Tien-tsin.  Dès  que  tout  aura  été  con- 
venu, Parkes  el  d'Escayrac  adresseront  à  Votre  Excellence  une  lettre, 
et  j'espère  que  tout  pourra  s'arranger. 

a.  Puisque  l'on  négocie  en  ce  moment  sur  cet  objet,  je  ne  puis  pas 
vous  renvoyer  immédiatement  les  sujets  de  votre  noble  empire. 

«  Quanta  nos  troupes,  je  les  ai  fait  retirer  provisoirement;  celles 
de  votre  noble  empire  devraient  songer  à  s'éloigner  en  ce  moment.  » 


LIVRE  II,  CHAPITRE  lli.  257 

portées  à  3500  baïonnGttes(l)  et  à  trois  batteries  d'artil- 
lerie,—  environ  4000  hommes  —  l'armée  anglaise  ren- 
forcée, présentaitle  même  effectif;  nous  emportions  avec 
nous  600  fusées  incendiaires. 


(ZiÇ^Q^ 


17 


LIVRE   III 


LIVRE  III. 


CHAPITRE  PREMIER. 


I.  —  Pendant  le  temps  qui  s'était  écoulé  depuis  la 
bataille  de  Pa-li-kiao  en  stériles  négociations,  plusieurs 
reconnaissances  avancées  avaient  été  poussées  pour 
déterminer  autant  que  possible  la  nature  du  pays  que 
l'on  allait  avoir  à  traverser,  et  reconnaître  les  positions 
de  l'ennemi. 

La  première  eullieu  le  24  ;  —  les  Anglais  l'effectuèrent. 
La  reconnaissance  partie  dans  la  soirée,  avança  sans 
rencontrer  d'obstacles  sérieux  jusqu'à  quelques  centaines 
de  mètres  de  la  porte  sud-est  de  Pé-king.  —  Le  mur 
d'enceinte  était  très-élevé  et  précédé  d'un  large  fossé, 
on  n'aperçut  aucune  sentinelle.  D'après  les  renseigne- 
ments recueillis,  l'armée  tartare  s'était  concentrée  vers 
Yucn-mun-yuen,  palais  d'été  de  l'Empereur, afin  décou- 
vrir les  approches  de  cette  magnifique  résidence. 

Deux  jours  après,  26  septembre,  une  nouvelle  recon- 
naissance fut  ordonnée;  elle  était  composée  de  troupes 
anglaises  et  françaises.  —  Les  troupes  françaises  avaient 


262  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

été  mises  pour  celte  opération  sous  les  ordres  du  com- 
mandant Campenon,  clief  d'escadron  d'état-major  atta- 
ché au  quartier  général  du  commandant  en  chef. 

Le  détachement  allié  s'approcha  très-près  de  la  ville 
et  pénétra  même  dans  un  des  fauhourgs,  où  la  petite 
troupe  rencontra  un  détachement  de  cavaliers  lartares. 
—  Cette  reconnaissance  ne  fit  que  confirmer  celle  du  24, 
sans  apporter  d'autres  renseignements  nouveaux. 

II.  —  L95  octobre,  l'armée  alliée  se  mit  en  mouvement 
vers  six  heures  du  matin.  —  Il  avait  été  convenu  entre 
les  commandants  en  chef,  que  les  deux  corps  marche- 
raient réunis,  afin  d'être  prêts  à  combattre  si  l'ennemi, 
apparaissait  tout  à  coup.  —  Car  il  ne  fallait  pas  oublier 
que  treize  jours  s'étaient  écoulés  déjà  depuis  la  défaite 
de  l'armée  tartare  à  Pa-li-kiao.  Celte  année  avait  donc  pu 
se  remettre,  de  sa  démoralisation,  et,  sous  l'impulsion 
de  ses  chefs,  se  représenter  de  nouveau  au  combat. 

Le  général  dcMontauban  pour  assurer  les  communi- 
cations avec  le  Pei  ho,  avait  laissé  au  camp  de  Pa-ii  kiao, 
dans  une  bonne  situation  de  défense,  trois  compagnies 
avec  l'ambulance  et  une  [)arlic  de  l'administration.  —  Le 
corps  expéditionnaire  emportait  avec  lui  cinq  jours  de 
vivres. 

L'armée  alliée,  se  tenant  sur  la  droite  de  la  grande 
route  de  Taung-Chou  à  Pé-king,  alla  asseoir  son  camp 
dans  un  grand  village  situé  à  trois  lieues  de  Pa-li-kiao, 
dans  la  direction  de  Pé-king  dont  on  n'était  plus  qu'à  six 
kiloniùlies  environ.  —  Du  camp  on  découvrait  vague- 


LIVRE  III,   CHAPITRE  I.  263 

ment  la  ville  et  ses  principoux  édifices.  Quelques  ca- 
valiers tartares  se  montrèrent  en  vue  des  avant-postes, 
mais  ils  n'approchèrent  pas  et  ne  tentèrent  aucune 
attaque. 

Le  pays  que  les  troupes  venaient  de  traverser  était  très- 
couvert,  semé  d'arbres  et  de  hautes  cultures  ;  il  était  en 
outre  coupé  dans  tous  les  sens  par  des  routes  dont  le 
plus  grand  nombre  aboutissait  à  des  impasses.  Aussi 
l'artillerie  éprouva-t-elle  dans  sa  marche  de  grandes 
difficultés.  —  L'ambassadeur  et  tout  le  personnel  de 
l'ambassade  s'établirent  en  arrière  de  l'armée. 

Il  est  difficile  de  rendre  l'impression  profonde  que 
produisit  sur  tous  les  esprits  la  première  vue  de  cette 
ville  immense  que  l'on  apercevait  se  dessiner  à  l'horizon 
avec  ses  hauts  monuments  d'une  architecture  si  bizarre, 
cité  mystérieuse  au  sein  de  laquelle  bien  peu  d'Euro- 
péens avaient  pu  pénétrer  jusqu'alors,  et  qui  devait  voir 
quelques  jours  après  flotter  sur  ses  murailles  les  dra- 
peaux réunis  de  la  France^et  de  l'Angleterre. 

D'abord  le  regard  suit  la  longue  ligne  des  murailles 
avec  ses  corps  de  garde  superposés  au-dessus  des  portes. 
Ici  c'est  la  montagne  artificielle  et  ses  cinq  pagodes  gi- 
gantesques ;  plus  loin  le  palais  impérial  au  centre  duquel 
s'élève  la  grande  pagode  en  marbre  blanc  ;  tout  autour 
viennent  se  grouper  les  différents  édifices  publics,  dont 
les  toits  en  tuiles  jaunes  resplendissent  aux  rayons  du 
soleil.  On  distingue  la  ligne  de  démarcation  qui  sépare 
la  cité  chinoise  de  la  cité  tartare,  c'est-à-dire  la  ville 
militaire,  la  ville  impériale  de  la  ville  commerciale. 


264  CAMPAGNE  Dli  CHINE. 

Du  haut  des  énormes  fours  à  briques  qui  abondent 
dans  le  village  où  sont  étrblis  les  bivacs,  les  yeux 
éblouis  ont  peine  à  embrasser  cet  ensemble  prodigieux  de 
maisons,  d'édifices  et  de  murailles  qui  se  déploie  à  l'ho- 
rizon. 

111.  —  Le  lendemain,  6  octobre,  les  troupes  alliées  se 
remettent  en  marche,  foimées  chacune  sur  deux  co- 
lonnes. Presque  toutes  les  habitations  que  l'on  rencontre 
sont  abandonnées. 

«  Après  deux  heures  d'une  marche  assez  pénible 
(écrit  le  général  de  Montauban),  nous  arrivâmes  à  deux 
mille  mètres  de  l'angle  nord-est  de  Pé-king  ;  nous  fîmes  la 
grande  halte  et  nous  lançâmes  des  reconnaissances  dans 
plusieurs  directions  autour  de  la  ville  :  —  Ces  reconnais- 
sances ne  signalèrent  pas  d'une  manière  certaine  la  pré- 
sence de  l'ennemi;  mais  des  Chinois  que  l'on  rencontra 
et  qui  furent  interrogés  nous  apprirent  qu'il  existait  vers 
la  direction  ouest  de  la  ville,.qui  a  de  ce  côté  un  mur  de 
sept  mille  mètres,  un  grand  camp  tarlare  de  dix  mille 
hommes.  On  apercevait  en  effet  dans  cette  direction  des 
parapets  en  terre.  » 

Les  généraux  commandants  en  chef  résolurent  aussi- 
tôt de  marcher  sans  plus  larder  sur  ce  camp  el  arrêtè- 
rent leur  plan  d'attaque. 

Anglais  et  Français  devaient  s'avancer  parallèlement 
formés  sur  quatre  colonnes.  Les  Anglais  tenaientla  droite, 
les  Français  la  gauche.  —  Le  général  Collincau  avait 
mission  de  tourner  l'extrême  gauche  du  camp,  pendant 


LIVRE  III,  CHAPITRE  J.  265 

qu'une  colonne  anglaise  opérerait  le  même  mouvement 
sur  l'extrême  droite  de  l'ouvrage,  la  cavalerie  était  prête 
à  couper  la  retraite  à  l'ennemi.  —  Le  général  de  Mon- 
tauban  prit  le  commandement  de  la  colonne  Jamin  qui 
devait  attaquer  de  front. 

Le  mouvement  en  avant  se  dessina  rapidement  et  ne 
tarda  pas  à  atteindre  les  retranchements  qui  étaient  en- 
tièrement abandonnés.  —  Le  camp  avait  été  évacué 
pendant  la  nuit. 

Le  général  Grant  fit  alors  prévenir  le  général  de  Mon- 
tauban  que,  d'après  les  renseignements  les  plus  proba- 
bles recueillis  par  ses  espions,  l'armée  tartare  s'était  reti- 
rée à  la  résidence  impériale  de  Yuen-mun-yuen,  située 
au  nord-ouest,  à  un  mille  et  demi  du  point  où  nous 
étions.  Le  général  anglais  proposait  à  son  collègue  de 
marcher  immédiatement  sur  ce  palais  et  de  le  prendre 
comme  point  de  rendez-vous  des  doux  armées(l).  —  La 
journée  était  peu  avancée,  les  troupes  pleines  d'ardeur; 
le  commandant  en  chef  français  fit  répondre  au  général 
Grant  qu'il  allait  se  porter  sans  retard  sur  le  point  in- 
diqué, 

IV.  —  La  marche  fut  longue  et  difficile,  par  suite  de 
l'ignorance  complète  où  l'on  était  du  pays  dans  lequel 
on  s'engageait.  Si  près  de  la  capitale  de  l'Empire,  sur 
les  traces  de  l'armée  ennemie  avec  un  effectif  de  troupes 


(1)  Rapport  du  général  commandant  en  chef  à  S.  E.  le  ministre  de 
la  guerre.  (Quartier  général  devant  Pé-king.  12  octobre  1860.) 


266  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

très-inférieur  en  nombre,  il  l'allail  s'avancer  avec  une 
extrême  prudence,  en  s'éclairant  soigneusement  devant 
soi  et  sur  ses  ailes.  —  Les  routes  étaient  très-encaissées; 
bientôt  les  deux  corps  d'armées  se  perdirent  de  vue.  — 
Le  général  de  Montauban  fit  arrêter  quelques  paysans 
qu'il  rencontra;  l'un  d'eux  lui  proposa  de  le  conduire 
au  palais  de  Yuen-mun-yuen  auprès  duquel,  disait-il,  les 
Tarlares  étaient  campés  la  veille,  mais  qu'ils  avaient  dû 
évacuer.  —  Peu  de  temps  après  arrivèrent  deux  régi- 
ments de  cavalerie  anglaise,  commandés  parle  brigadier 
Paltle.  —  Depuis  plusieurs  beures,  ces  deux  régiments 
marcbaient  seuls  et  ne  savaient  quelle  direction  avait 
prise  le  général  Grant.  —  Le  brigadier  anglais  demanda 
au  général  de  Moniauban  la  permission  de  se  joindre  à 
ses  troupes  ,  et  dès  lors  les  deux  régiments  firent  route 
de  concert  avec  la  colonne  française. 

Vers  le  soir,  on  aperçut  d'immenses  murs  d'enceinte 
derrière  lesquels  s'élevaient  des  bâtiments  considéra- 
bles.—  Les  coteaux  environnants  étaient  couverts  de  jar- 
dins et  de  pagodes  élégantes  dont  les  tuiles  vei'uies  en 
jaune  ne  laissaient  plus  de  doute  sur  le  voisinage  du 
palais  impérial. 

«  Nous  suivions  (écrit  le  général),  une  route  en  dalles 
de  granit,  et  nous  traversâmes  un  pont  magnifique  qui 
conduit  au  palais  impérial,  situé  à  deux  cents  mètres  du 
pont  et  dont  l'entrée  est  en  face.  La  route,  entre  ce  pont 
et  le  palais,  est  bordée  à  gauche  de  grands  arbres; 
sur  la  droite  s'étend  une  grande  place  à  laquelle  s'ap- 


LIVRE  III,   CHAPITRE  I.  267 

puie  une  rangée  de  belles  maisons,  habitations  des  prin- 
cipaux mandarins. 

«  Des  chevaux  de  frise  défendaient  l'entrée  de  la  place  ; 
ils  furent  rapidement  détruits,  et  quelques  hommes  que 
l'on  avait  aperçus  devant  la  porte  du  palais  armés 
d'arcs  et  de  fusils  à  mèche  disparurent  aussitôt  avec 
une  grande  précipitation.  —  La  nuit  commençait  à  se 
faire.  Il  était  à  supposer  que  les  Tartares  n'avaient  pas 
abandonné  l'intérieur  du  palais,  et  tenteraient,  avant  de 
l'évacuer  complètement,  un  dernier  effort;  aussi,  le  gé- 
néral en  chef  massa  ses  troupes,  et  pendant  qu'il  éta- 
blissait ses  bivacs  définitifs,  il  résolut  de  faire  fouiller 
l'entrée  du  palais  qui  était  fermée  par  une  porte  très- 
solide  et  par  des  barrières  à  droite  et  à  gauche;  derrière 
ces  portes  il  y  avait  des  cours  et  de  grands  jardins.  — Le 
connnandant  Campenon  se  porta  en  reconnaissance  avec 
deux  compagnies  de  marins  commandées  par  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Kenny,  et  l'enseigne  de  vaisseau  Yivenot 
qui  formaient  ce  jour-là  l'avant-garde.  Le  lieutenant  de 
vaisseau  de  Pina,  officier  d'ordonnance  du  général  de 
Montauban,  avait  reçu  l'ordre  d'accompagner  cette  re- 
connaissance pour  être  à  même  de  rendre  immédiate- 
ment compte  au  général  de  ses  résultats.  » 

V.  — La  petite  reconnaissance  s'avança  vers  la  poite 
principale  qui  était  la  plus  rapprochée  ;  à  l'endroit  où  était 
située  celte  porte,  le  murd'enceinte  formailun  vaste  ren- 
dant planté  de  grands  arbres  séculaires;  près  de  là  s'é- 
tendait une  belle  pièce  d'eau,  le  mur  était  très- élevé,  la 


268  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

porlc  haute  et  massive:  elle  était  fortenient  harrieadée 
en  dedans,  mais  plusieurs  faisceaux  de  fusils  et  de 
sabres  symétriquement  formés  en  dehors  semblaient 
indiquer  que  les  gardes  du  palais  avaient  renoncé  à 
toute  pensée  de  résistance;  à  quelque  distance  à  gauche, 
se  trouvait  fort  heureusement  une  poterne.  M.  Butte, 
aspirant,  aidé  de  quelques  matelots,  parvint  à  escalader 
la  muraille  qui,  sur  ce  point,  était  moins  élevée,  et  ou- 
vrit la  porte.  La  même  escalade  pratiquée  sur  la  droite 
doima  également  accès  à  une  autre  portion  des  marins 
qui  s'étaient  séparés  en  deux  bandes,  quelques  gardiens 
prirent  la  fuite  à  notre  approche.  —  La  petite  troupe 
avançait  avec  prudence,  le  commandant  Campenon  sur 
la  droite,  M.  de  Pina  sur  la  gauche;  de  tous  côtés  ré- 
gnait un  grand  silence.  Le  palais  élait-il  en  effet  entiè- 
rement abandonné,  ou  ce  silence  cachait-il  quelque  em- 
bûche? au  milieu  de  cette  magnifique  demeure,  il  avait 
quelque  chose  de  grave  et  de  solennel.  Excepté  les  quel- 
ques gardiens  qui  avaient  pris  la  fuite  aussitôt  que  la 
tête  de  nos  marins  avait  apparu  au-dessus  des  deux 
petites  portes  latérales,  nul  indice  ne  révélait  la  vie 
dans  ces  vastes  enceintes  où  les  pas  des  marins  réson- 
naient un  à  un  sur  les  dalles  sonoies. 

Al.  — C'est  en  arrivant  dans  une  petite  courconnnuni- 
quant  par  un  passage  très-étroit  avec  la  grande  cour  du 
palais  sur  laquelle  donnait  la  porte  principale,  que  le  dé- 
tachement qui  s'avançait  sur  la  gauche  aperçut  des  grou- 
pes assez  nombreux,  ces  groupes  étaient  armés  et  dans 


LIVRE   111,   CHAPITRE   I.  269 

une  attitude  défensive  :  le  lieutenant  de  Pina  s'avança, 
son  revolver  à  la  main  suivi  de  M.  Butte  et  de  quelques 
marins,  pensant  bien  que  les  Chinois  mettraient  bas  les 
armes  à  son  approche.  Tout  au  contraire,  les  Chinois, 
dont  on  pouvait  estimer  le  nombre  à  une  centaine  envi- 
ron, s'avancèrent  pour  barrer  le  passage. — La  nuit  ap- 
prochait, M.  de  Pina  s'élança  aussitôt  résolument  vers  la 
grande  porte,  afin  de  l'ouvrir  et  de  livrer  ainsi  passage 
au  reste  de  l'avant-garde  qui  n'avait  pas  encore  pénétré 
dans  le  palais  ;  mais  les  Chinois  lui  disputèrent  le  che- 
min ,  et  à  son  second  coup  de  revolver,  le  lieutenant  re- 
cevait sur  la  main  droite  un  violent  coup  de  sabre  qui 
le  blessait  grièvement.  D'instants  en  instants,  le  nombre 
des  Chmois  augmentait  et  menaçait  d'envelopper  les 
quelques  marins  qui,  seuls  de  ce  côté,  soutenaient  la 
lutte.  —  Fort  heureusement,  des  renforts  arrivèrent  pres- 
que immédiatement,  et  les  Chinois  jugeant  toute  résis- 
tance inutile,  se  retirèrent,  laissant  deux  ou  trois  morts 
sur  les  dalles  de  marbre.  —  Quelques  coups  de  fusil 
furent  tirés  sur  les  fuyards  par  les  deux  détachements 
de  droite  et  de  gauche,  et,  comme  l'obscurité  était  en- 
tièrement venue,  cette  fusillade  dont  la  direction  n'é- 
tait pas  très-certaine,  jointe  à  plusieurs  coups  de  feu 
ripostés  par  les  Tartares  par-dessus  les  murs,  cau- 
sèrent un  moment  d'étonnement  et  même  de  désor- 
dre parmi  le  détachement  d'avant-garde.  Cette  émo- 
tion gagna  les  premières  troupes  qui  s'apprêtaient  à 
camper,  et  qui  crurent  à  une  attaque  subite  des  Tar- 
tares; —  mais  cette  émotion  passagère  s'apaisa  près- 


270  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

(jue  aussitôt  à  la  voix  des  chefs,  et  tout  rentra  dans 
l'ordre. 

Le  général  de  Montauban,  qui  était  accouru  au  pre- 
mier bruit  de  la  fusillade,  fit  venir  le  général  Collineau 
avec  sa  brigade  et  fit  occuper  fortement  la  première 
cour  du  palais,  ne  jugeant  pas  prudent  de  s'engager 
plus  avant  dans  l'intérieur  du  palais,  au  milieu  de  l'obs- 
curité. Les  diverses  issues  furent  gardées  par  de  forts 
détachements,  dans  la  crainte  d'une  surprise;  ils  avaient 
ordre  de  ne  laisser  entrer  personne  dans  l'intérieur  du 
l)alais,  avant  que  cette  consigne  fût  levée.  —  Le  général 
de  Montauban  remit  en  effet  au  lendemain  pour  parcou- 
rir le  palais,  voulant  (ainsi  qu'il  l'écrit  au  ministre)  que 
nos  alUés  absents  fussent  au  moins  représentés  dans 
cette  première  visite.  On  se  souvient  qu'un  régiment  de 
cavalerie  sous  les  ordres  du  brigadier  Pattle,  s'était  joint 
dans  la  journée  au  général  en  chef  français. 

VIL  — Mais  qu'étaient  devenus  les  Anglais  que  le  bri- 
gadier avait  complètement  perdus  de  vue  après  une 
heure  de  marche  environ  ?  Au  milieu  de  ce  pays  traversé 
parmi  grand  nombre  de  routes  et  couverts  de  bois  épais 
qui  interceptaient  la  vue,  ils  s'étaient  égarés  et  n'avaient 
pu  atteindre  le  rendez-vous  convenu. 

«  Le  général  Grant  et  moi,  nous  étions  convenus  (écrit 
le  général  de  Montauban),  de  nous  rendre  à  Yuen-mun- 
yuen,  palais  d'été  que  l'Empereur  habite  presque  tou- 
jours. Ce  pays  est  tellement  coupé  de  routes,  de  bois,  etc., 


LIVRE  III,  CHAPITRE  I.  271 

que  le  général  Grant  s'est  égaré  avec  son  armée  et  que 
je  suis  arrivé  seul  le  soir  devant  le  palais  (1).  » 

VIII.— Voici  d'après  un  écrivain  anglais  (2)  ce  qui  s'é- 
tait passé  du  côté  de  l'armée  anglaise  : 

L'avant-garde  avait  rencontré  un  poste  de  cavalerie 
ennemie  qui  paraissait  assez  nombreux.  Les  disposi- 
tions peu  favorables  du  terrain  ne  permettaient  pas  de 
se  former  en  bataille  sans  difficulté,  et  cette  avant-garde 
avançait  lentement.  L'ennemi  se  retira  en  échangeant 
quelques  coups  de  feu  avec  les  tirailleurs  déployés  sur 
le  front  de  la  ligne. 

En  arrivant  sur  la  grande  route  qui  conduit  vers  la 
porte  de  Am-ting,  les  Anglais  se  trouvèrent  en  vue  d'un 
camp  considérable  de  cavalerie  et  eurent  quelques  es- 
carmouches dans  des  villages  situés  près  de  la  roule, 
quelques  Chinois  furent  tués  ;  mais  la  nature  couverte 
du  pays  au  milieu  duquel  on  s'avançait  commandait 
une  grande  prudence.  Se  trouvait-on  en  présence  d'une 
armée  ou  d'un  simple  détachement? 

Le  corps  expéditionnaire  anglais  était  entièrement 
séparé  du  corps  français.  Comme  la  nuit  approchait,  sir 
Hope  Grant  fit  faire  halte  à  cet  endroit,  et  le  lendemain 
matin  envoya  quelques  patrouilles  pour  s'assurer  de  la 
position  de  la  cavalerie  anglaise  et  de  celle  des  alliés.  — 

(1)  Le  général  de  Montauban  à  S.  Exe.  le  ministre  de  la  yuerre, 
8  octobre  1860.  (Correspondance.) 

(2)  Narration  de  la  guerre  de  Chine,  par  le  lieutenant-colonel 
G.  J.  Wolseley. 


272  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

Au  lever  du  jour,  il  lit  tirer  une  salve  de  vingt  et  un 
coups  de  canon  afin  d'indiquer  la  direction  dans  laquelle 
il  était  campé. 

La  régularité  de  cette  décharge  d'arlilk-rie  entendue 
du  camp  français,  prouva  en  effet  que  ce  n'était  point 
un  engageaient,  mais  un  signal.  —  Le  brigadier  Pattle 
envoya  aussitôt  un  détachement  en  reconnaissance;  l'of- 
llcier  qui  la  commandait  était  chargé  de  prévenir  le 
général  en  chef  anglais  que  les  Français  étaient  maîtres 
du  palais  d'été  de  l'Empereur,  et  que  son  arrivée  était 
impatiemment  attendue  pour  procéder  au  partage  des 
richesses  que  contenait  cette  magnifique  résidence. 

IX.  — En  effet,  vers  huit  heures  du  matin,  le  général 
de  Montauhan,  acconqiagné  des  généraux  Jamin  et 
CoUineau  et  de  son  chef  d'état-major  général,  le  colonel 
Schmitz  se  rendit  au  palais.  Le  brigadier  Pattle,  le  major 
Sley  des  dragons  de  la  Reine  et  le  colonel  Folcy,  atta- 
ché à  l'état-major  du  général  en  chef  français  avaient 
été  conviés  à  assister  à  cette  première  visite,  en  l'ab- 
sence du  général  Grant.  —  Une  compagnie  d'infan- 
terie de  marine  marchait  en  avant  pour  éclairer  la 
route. 

En  pénétrant  dans  l'intérieur  du  palais,  les  splendeurs 
les  plus  merveilleuses  frappèrent  les  regards  éblouis.  — 
Les  pierreries  les  plus  précieuses  étaient  entassées  à  pro- 
fusion et  étincelaient  de  tous  côtés  comme  des  étoiles 
tombées  du  ciel  ;  on  marchait  de  splendeurs  en  splen- 
deurs et  d'éblouissements  en  éblouissements;  chaque 


LIVRE  IH,   CHAPITRE   I.  273 

pas  révélait  des  richessos  nouvelles  dont  la  magnificence 
est  indescriptible  (l). 

Nous  n'entreprendrons  pas  ici  le  récit  de  toutes  ces 
magnificences  dont  le  souvenir  ne  s'effacera  jamais  de 
la  pensée  de  ceux  qui  ont  assisté  à  celte  première  vi- 
site.—  Nous  ne  rechercherons  pas  non  plus,  s'il  est  vrai 
que  des  soldats  et  même  des  officiers  ont  transgressé 
les  ordres  qu'ils  avaient  reçus  et  se  soient  laissés  entraî- 
ner sans  scrupule  par  un  sentiment  de  coupable  cupi- 

(1)     Rapport  du  général  de  Montauban.  —  12  octobre  1860. 

«  lime  serait  impossible,  monsieur  le  maréchal,  de  vous  dire  la 
magnificence  des  constructions  nombreuses  qui  se  succèdent  sur  une 
étendue  de  quatre  lieues,  et  que  l'on  appelle  le  palais  d'été  de  l'em- 
pereur; succession  de  pagodes  renfermant  toutes  des  dieux  d'or  et 
d'arj/ent  ou  de  bronze  d'une  dimension  gigantesque.  Ainsi  un  seul 
dieu  eu  bronze,  un  Bouddha,  a  une  hauteur  d'environ  soixante-dix 
pieds,  et  tout  le  reste  est  à  l'avenant:  jardins,  lacs  et  objets  curieux 
entassés  depuis  des  siècles  dans  des  bâtiments  en  marbre  blanc,  cou- 
verts de  tuiles  éblouissantes ,  vernies  et  de  toutes  les  couleurs  :  ajoutez 
à  cela  des  points  de  vue  d'une  campagne  admirable,  et  Votre  Excel- 
lence n'aura  qu'une  faible  idée  de  ce  que  nous  avons  vu. 

«  Dans  chacune  des  pagodes  il  existe,  non  pas  des  objets .  mais  des 
magasins  d'objets  de  toute  espèce.  Pour  ne  vous  parler  que  d'un  seul 
fait,  il  existe  tant  de  soieries  du  tissu  le  plus  fin ,  que  nous  avons  fait 
emballer  avec  des  pièces  de  soies  tous  les  objets  que  je  fais  expédier 
à  Sa  Majesté. 

«  Ce  qui  attriste  au  milieu  de  toutes  ces  splendeurs  du  passé  ,  c'est 
l'incurie  et  l'abandon  du  gouvernement  actuel  et  des  deux  ou  trois 
gouvernements  qui  l'ont  précédé;  rien  n'est  entretenu,  et  les  plus 
belles  choses,  à  l'exception  de  celles  qui  garnissent  le  palais  que 
l'empereur  habite,  sont  dans  un  état  déplorable  de  dégradation. 

ce  Dans  l'une  des  pagodes,  celles  des  voitures,  à  une  demi-lieue  du 
palais  habité,  nous  avons  trouvé  deux  magnifiques  voitures  anglaises, 
présent  de  l'ambassade  de  lord  Macarlney;  elles  étaient,  ainsi  que 
leurs  harnais  dorés,  dans  la  même  place  où  elles  avaient  été  mises  il 
y  a  quarante-quatre  ans,  sans  qu'un  grain  de  la  poussière  qui  les 
couvre  ait  été  jamais  enlevé.  » 

TT  18 


274  CAMPAGNE   DK  CHINK. 

dite.  — C'est  un  secret  entre;  eux  el  leur  conscience,  et 
que  pour  leur  honneur,  qu'ils  soient  Anglais  ou  Fran- 
çais, il  ne  f.iul  pas  chercher  à  approfondir.  Il  se  passe 
parfois  dans  les  armées,  en  temps  de  guene,  de  tristes 
choses,  que  les  chefs  souvent  sont  impuissants  à  empê- 
cher el  qu'il  faut  s'empresser  d'effacer  avec  de  la 
gloire. 

X.  —  Le  général  de  Montauban  fit  placer  partout  des 
sentinelles  avec  les  consignes  les  plus  sévères,  et  désigna 
deux  officiers  d'artillerie  pour  veiller  à  ce  que  personne 
ne  pût  pénétrer  dans  l'intérieur  du  palais  jusqu'à  l'ar- 
rivée du  général  Grant  (1). 

Vers  le  milieu  de  la  journée,  le  commandant  en  chef 
de  l'armée  anglaise  arriva  avec  l'ambassadeur  lord 
Elgin  ;  une  commission  fut  aussitôt  nommée  pour  pro- 
céder au  pai  tage  des  objets  les  plus  précieux  dignes 
d'être  offerts  aux  souverains  de  la  France  et  de  l'Angle- 
terre.— Les  membres  delà  commission  française  étaient 
le  lieutenant-colonel  Dupin,  les  capitaines  Foerster  et 
de  (^ools  (2). 

(1)  Rapport  du  général  de  Montauban.  —  12  octobre  1860. 

(2)  Rapport  du  général  de  Montauban.  —  12  octobre  1860. 

a  Les  chefs  anglais  arrivés ,  nouo'nous  concertâmes  sur  ce  qu'il  con- 
venait de  faire  de  tant  de  richesses,  et  nous  désignâmes  pour  chaque 
nation  trois  commissaires,  chargés  de  faire  mettre  à  part  les  objets 
les  plus  précieux  comme  curiosités,  afin  qu'un  partage  égal  en  fût 
fait;  il  eût  été  impossible  de  songer  à  emporter  la  totalité  de  ce  qui 
existait,  nos  moyens  de  transports  étant  très-bornés. 

a  Un  peu  plus  tard,  de  nouvelles  fouilles  amenèrent  la  découverte 


LIVRE  III,   CHAPITRE  I.  275 

Une  somme  de  800  000  francs  environ  en  lingots  d'or 
et  d'argent  fut  partagée  enlre  les  soldats  des  deux  ar- 
mées. 

XI.  —  Mais  au  milieu  de  toutes  ces  splendeurs,  de 
toutes  ces  richesses,  de  toutes  ces  magniticences,  un  triste 
spectacle  nous  était  réservé  ;  dans  une  des  maisons  qui 
avoisinent  l'habitation  même  de  l'Empereur  on  trouva 
es  vêtements  ensanglantés  de  plusieurs  des  malheureux 
prisonniers.  Ces  vêlements  étaient  déchirés  en  lam- 
beaux, souillés  de  fange  et  de  boue;  la  mort  de  ces  in- 
fortunés était  tracée  en  caractères  sanglants  sur  ces  dé- 
bris abandonnés.  —  Tous  avaient-ils  péri,  quelques-uns 
avaient-ils  pu  échapper  à  la  mort  ? 

d'une  somme  d'environ  800000  francs  en  petits  lingots  d'or  et  d'ar- 
gent; la  même  commission  procéda  également  au  partage  égal  entre 
les  deux  armées;  ce  qui  constitua  une  part  de  prise  d'environ  80  fr. 
pour  chacun  de  nos  soldats;  la  répartition  en  a  été  faite  par  une 
commission  composée  de  tous  les  chefs  de  corps  et  de  service ,  pré- 
sidée par  M.  le  général  Jamin;  la  même  commission,  réunie  et  con- 
sultée au  nom  de  l'armée,  déclara  que  celle-ci  desirait  faire  un  cadeau 
à  titre  de  souvenir  à  S.  M.  l'Impératrice  de  la  totalité  des  objets 
curieux  enlevés  dans  le  palais,  ainsi  qu'à  S.  M.  l'Empereur  et  au 
Prince  impérial. 

a  L'aimée  a  été  unanime  pour  cette  offrande  au  chef  de  l'État,  qui 
la  considérera  comme  un  souvenir  de  reconnaissance  de  ses  soldats 
pour  l'expédition  la  plus  lointaine  qui  aifjamais  été  entreprise. 

a  Au  moment  du  partage  entre  les  deux  armées,  j'ai  tenu,  au  nom 
(le  l'Empereur,  à  ce  que  lord  Elgin  fît  le  premier  choix  pour  S.  M. 
la  reine  d'Angleterre. 

a  Lord  Elgin  a  choisi  un  bâton  de  commandement  de  l'empereur 
de  Chine,  en  jade  vert  du  plus  grand  prix  et  monté  en  or.  Un  second 
bâton,  semblable  en  tout  a  celui-ci,  ayant  été  trouvé,  lord  Elgm  à 
son  tour  a  voulu  qu'il  fût  pour  S.  M.  l'Empereur;  il  y  a  donc  eu  pa- 
rité parfaite  dans  ce  premier  choix.  » 


:>7G  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

«  Parmi  ces  effets  (écrit  le  général  de  Montauhan,  dans 
sa  dépêche  au  iniiiislre),  figuraient  ceux  du  colonial 
Foullon-Grandchamps,  de  l'artillerie,  un  carnet  et  des 
effets  de  sellerie  à  M.  Ader,  comptable  des  hôpitaux,  et 
enfin  quinze  selles  complètes  de  Sicks  et  diverses  autres 
choses  reconnues  par  des  officiers  anglais,  comme  ap- 
partenant à  leurs  compatriotes  pris  le  18  septembre.  » 

Il  n'était  malheureusement  plus  possible  de  douter  du 
sort  cruel  réservé  aux  victimes  de  l'odieuse  trahison  du 
18  septembre.  —  C'était  en  vain  que  le  prince  Kong 
avait  écrit  en  date  du  3  octobre  qu'ils  étaient  traités 
avec  égards.  Cette  détermination ,  en  admettant  qu'elle 
fût  vraie,  avait  été  bien  tardive,  et  plusieurs  de  ces  mal- 
bcureux  avaient  déjà  succombé  dans  d'horribles  tor- 
tures. 

Le  général  de  Montauhan,  après  avoir  passé  quarante- 
huit  heures  dans  la  résidence  impériale  se  prépara  à 
aller  rejoindre  l'armée  anglaise  qui,  on  le  sait,  s'était 
égarée  dans  sa  route  et  était  campée  devant  Pé-king. 

XII.  —  Le  9  octobre  fut  lixé  pour  le  jour  du  départ. 
Les  bivacs  offraient  l'aspect  le  plus  étrange  et  le  plus 
curieux;  les  étoffes  lamées  d'or,  les  soies  les  plus  somp- 
tueuses, les  objets  d'art,  les  bronzes,  les  coffres  les  plus 
merveilleux  étaient  entassés  devant  les  tentes,  les  uns 
déchirés,  les  autres  à  demi  brisés.  Devant  ces  merveil- 
les, fruit  du  butin  et  du  partage  général,  les  soldats 
accroupis  promenaient  leurs  regards  étonnés  sur  ces 
richesses  inconnues;  çà  et  là  des  groupes  nombreux  de 


LIVRE  111,   CHAPITRE  1.  277 

Chinois  que  la  misère  ou  la  cupidité  attiraient  près  de 
nous,  venaient  offrir  leurs  services  pour  transporter, 
comme  de  véritables  bêtes  de  somme ,  ce  surcroît  de 
bagages.  —  Tout  autour  du  palais  rôdaient  les  bandes  de 
pillards  qui  depuis  Tien-tsin  marchaient  sur  nos  traces, 
et  après  le  départ  des  troupes  se  répandaient  affamées 
de  vols  et  de  destruction  sur  les  villages  que  traversaient 
nos  colonnes.  Quelques  exemples  sévères  faits  sur  ces 
misérables  déguenillés,  qui  joignaient  souvent  au  vol  le 
meurtre  et  l'incendie,  ne  les  empêchaient  pas  de  piller 
hideusement  toutes  les  habitations  qu'ils  rencontraient, 
semblables  à  ces  nuées  sinistres  de  corbeaux  que  l'odeur 
du  sang  et  que  l'aspect  de  la  mort  attirent  sur  les 
champs  de  bataille. 

Dans  la  nuit  du  7  au  8  octobre,  un  incendie  consuma 
en  entier  un  grand  village  situé  entre  notre  camp  et 
Pé-king  ;  le  feu  y  avait  été  allumé  par  les  Chinois  eux- 
mêmes. 

La  nuit  suivante,  qui  précéda  le  départ,  quelques  in- 
cendies partiels  se  déclarèrent  dans  différents  endroits 
du  palais.  Sans  nul  doute,  ces  incendies  étaient  l'œuvre 
de  misérables  qui  espéraient  à  la  faveur  du  désordre  se 
livrer  plus  impunément  à  leurs  rapines. 

Le  9  on  leva  le  camp. 

A  peine  nos  colonnes  s'étaient-elies  remises  en  mar- 
che, qu'un  officier  anglais  vint  de  la  part  du  général 
Grant  annoncer  au  général  de  Montauban  que  M.  d'Es- 
cayrac  de  Lauture  et  quatre  soldats  français  venaient 
d'arriver  au  camp  anglais  où  étaient  également  parve- 


278  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

nus  MM.  P;irkes  et  Loch,  —  les  quatre  soldats  français 
étaient  les  ordonnances  du  capitaine  Chanoine  et  du 
sous -intendant  Dubut  (1). 

XIII.  —  Le  général  de  Montauban  espérait  enlin,  par 
ceux  qui  venaient  de  nous  êlre  rendus,  recevoir  des  nou- 
velles de  ses  malheureux  compatriotes,  mais  son  espoir 
fut  trompé;  les  prisonniers  avaient  été,  dès  le  début, 
séparés  les  uns  des  autres  et  emmenés  dans  différentes 
directions.  —  Ce  qu'il  apprit,  c'est  que  garottés  avec 
une  barbarie  sans  exemple,  ils  avaient  été  jetés  dans  des 
chariettes  remplies  de  clous  et  conduits  d'abord  au 
palais  d'été  de  l'Empereur,  puis  dans  les  prisons  de  Pé- 
king.  —  Sur  leur  passage,  les  populations  ameutées  les 
accablaient  d'injures  et  leur  crachaient  au  visage.  —  Des 
jnenaces  de  mort  couraient  de  bouche  en  bouche,  au 
milieu  des  vociférations,  et  bien  des  fois  le  glaive  des 
l)ourreaux  fut  levé  sur  leurs  tètes.  —  Si  les  mandarins 
suspendirent  leur  arrêt  de  mort,  ce  fut  pour  promener 
dans  les  cours  du  palais  impérial  ces  sanglants  trophées 
respirant  encore,  et,  en  prolongeant  la  vie  des  con- 
damnés ,  prolonger  leur  supplice.  Cependant  le  prince 
Kong  écrivait,  en  date  du  29  septembre,  à  notre  ambas- 
sadeur :  «  Quant  aux  ])ersonnes  détenues  elles  n'ont 
point  été  insultées  et  sont  traitées  avec  bienveillance.  » 

M.  d'Escayrac  de  Lauturc,  dont  avait  parlé  le  prince 
Kong,  comme  ayant  été  l'objet  plus  spécial  d'une  allen- 

(1)  Celaient  les  nommés  Roset .  Bachet.  Ginestet  el  Petit. 


LIVRE   ill,   CHAPITRE  1.  279 

lion  bienveillante  (1)  était  défiguré  par  la  souffrance,  ses 
poignets  profondément  déchirés  portaient  les  traces  des 
plus  affreuses  mutilations.  —  Le  récit  émouvant  qu'il  a 
fait  de  sa  captivité  est  un  de  ces  drames  terribles  aux- 
quels on  se  refuserait  d'ajouter  foi,  si  le  supplicié  ne 
portait  pas  encore  les  traces  sanglantes  de  celte  sauvage 
barbarie. 

XIV.  —  M.  de  Norman,  premier  attaché  de  l'ambas- 
sade de  lord  Elgin ,  avait  reçu  un  coup  de  sabre  sur  la 
tête;  hé  par  les  pieds  et  les  mains,  il  a  eu  le  cerveau 
mangé  par  les  vers.  —  Il  en  a  été  de  même  du  cor- 
respondant du  Times,  M.  Bowlby,  dont  le  corps  a 
été  jeté  devant  les  autres  prisonniers  dans  une  cour, 
pour  être  dévoré  par  des  pourceaux.  Lorsque  ces  mal- 
heureux privés  de  nourriture  pendant  quatre  jours 
demandaient  à  manger,  on  les  frappait  à  coups  de 
lance  et  on  leur  mettait  des  excréments  humains  dans  la 
bouche. 

Le  témoignage  suivant  donné  par  un  des  prisonniers 
anglais  sur  la  mort  du  lieutenant  Anderson  est  horrible. 

a  Quand  nous  eûmes  été  tous  liés  ainsi,  on  versa  de 

(1)  LE   PRINCE   KONG  AU   BARON    GROS.  —  12  OCtobrC. 

oc  J'ai  l'honneur  de  faire  savoir  à  Votre  Excellence  que  j'avais  donné 
des  ordres  pour  que  l'interpr&te  de  votre  noble  empire,  d'Escayrac, 
fut  traité  avec  égard  et  que  mon  intention,  après  avoir  réglé  à  l'a- 
miable avec  lui  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  sij^nature  de  la  convention  , 
était  de  renvoyer  de  suite  et  d'une  façon  convenable  vos  compatriotes 
détenus.  » 


280  CAMPAGNE  DE   CHINE. 

l'eau  sur  nos  cordes,  afin  de  les  resserrer,  les  Chinois 
nous  emportèrent  et  nous  mirent  dans  une  cour  où 
nous  restâmes  trois  jours  exposés  au  froid  cl  à  la  cha- 
leur du  soleil. 

«  Le  second  jour,  M.  Anderson  eut  le  délire  par  suite 
du  soleil  et  du  manque  de  nourriture  ;  nous  n'avions  rien 
eu  à  manger,  à  la  fin  on  nous  donna  deux  pouces  carrés 
de  pain  et  un  peu  d'eau.  Pendant  la  journée,  la  cour  res- 
tait ouverte,  et  des  centaines  de  personnes  accouraient 
pour  nous  regarder. 

«  Le  soir  un  soldat  était  mis  de  faction  pour  surveiller 
chacun  de  nous.  Si  nous  disions  un  mot,  ou  si  nous  de- 
mandions de  l'eau,  ils  nous  foulaient  aux  pieds  et  nous 
frappaient  à  coups  de  pieds  sur  la  tète  ;  et  si  nous 
demandions  quelque  chose  à  manger,  ils  nous  remplis- 
saient la  bouche  d'ordures. 

Œ  A  la  fin  du  troisième  jour,  on  nous  mit  des  fers  au 
cou,  aux  poignets  et  aux  pieds. 

«  Le  délire  ne  quitta  pas  M.  Anderson  jusqu'à  sa  mort, 
qui  eut  lieu  le  neuvième  jour  de  son  emprisonnement. — 
Deux  jours  avant,  ses  ongles  et  ses  doigts  percèrent  à  la 
suite  de  la  tension  des  cordes.  La  gangrène  s'y  mil  et 
les  os  de  ses  poignets  furent  à  découvert.  Pendant  qu'il 
vivait  encore,  les  vers  se  mirent  à  ses  blessures,  y  péné- 
trèrent et  coururent  sur  tout  son  corps. 

<c  On  laissa  le  cadavre  trois  jours  après  la  mort,  {)uis 
on  l'emporta.  » 

XV.  —  De  tels  tableaux  soulèvent  le  cœur  d'indignation 


LIVRE  111,   CHAPITRE  I.  281 

et  nous  les  eussions  repoussés  avec  horreur ,  s'ils  ne 
montraient  à  quelle  sauvage  barbarie  appartiennent 
encore  ce  peuple  et  les  chefs  indignes  qu'un  pouvoir 
dégradé  et  corrompu  meta  sa  tête. 

Les  communications  avaient  continué  avec  le  Gouver- 
nement chinois  pendant  la  marche  des  deux  armées. 

La  reddition  des  prisonniers  était  toujours  restée  la 
condition  première,  et,  le  7,  Hang-ki  un  des  délégués  du 
haut  commissaire  impérial  avait  en  outre  été  prévenu 
que  la  conduite  déloyale  des  autorités  chinoises  empê- 
chant que  l'on  put  avoir  en  elles  aucune  confiance,  une 
des  portes  de  la  ville  serait  occupée  par  une  fraction  des 
deux  armées,  avant  que  les  ambassadeurs  ne  fissent  leur 
entrée  à  Pé-king.  —  Les  commandants  en  chef  auraient 
à  décider  quelle  porte  devrait  ainsi  leur  être  remise. 

Il  était  évident  que  le  prince  Kong,  malgré  ses  pro- 
testations, suivant  les  mêmes  errements  de  cette  poli- 
tique évasive,  ne  céderait  qu'au  dernier  jour  et  réduit 
à  toute  extrémité.  —  Cependant  les  armées  alliées  sont 
devant  Pé-king  et  campent  à  quatre  kilomètres  environ 
de  la  capitale. 

Cette  position  était  difficile  et  pouvait  être  compro- 
mise par  bien  des  événements,  et  surtout  par  l'hiver  qui 
avançait  à  grands  pas  avec  ses  désastres  redoutables. 
Il  fallait  plus  que  janlais  arrivera  une  solution  prompte, 
et  [)ar  une  attitude  menaçante  forcer  le  prince  Kong 
dans  ses  derniers  retranchements.  —  Aussi  le  général 
de  Montauban,  après  s'être  préalablement  entendu  avec 
son  collègue' anglais  le  général  Grant,  adressa  la  note 


282  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

suivante  au  plénipotentiaire  chiuuis.  Elle  porte  la  tiale 
du  10  octobre  1860  : 

XVI.  —  a  Son  Altesse  Impériale  est  informée  par  la 
présente  note  que  d'après  la  communication  déjà  faite  (1), 
les  commandants  en  chef  se  décident  à  demander  l'oc- 
cupation de  la  porte  de  Am-ting,  vers  laquelle  seront 
envoyées  deux  colonnes  détachées  respectivement  des 
deux  armées.  Cette  occupation  aura  lieu  à  midi,  le  12 
du  courant. 

«  Si  la  porte  est  rendue  sans  opposition,  il  ne  sera 
permis  à  aucun  soldat  d'entrer  dans  la  ville,  ni  d'in- 
quiéter les  habitants.  L'escorte  d'honneur  qui  accom- 
pagnera toujours  les  ambassadeurs  pénétrera  seule  dans 
la  ville. 

a  Si,  au  contraire,  la  porte  n'est  pas  rendue,  on  fera 
brèche  à  la  muraille.  On  va  dresser  immédiatement  des 
épaulements  pour  y  mettre  les  canons,  dans  le  cas  où  un 
refus  rendrait  l'attaque  nécessaire. 

a  Le  soussigné  ayant  appris  parHang-ki  que  le  prince 
Kong  craignait  que  son  retour  à  Pé-king  ne  fût  inter- 
cepté par  les  forces  alliées,  déclare  à  Son  Altesse 
Impériale  que  de  pareils  attentats  contre  ceux  qui  ne 
portent  pas  les  armes  sont  contraires  aux   usages  des 


(1)  Le  7  ilu  même  mois  M.  Wade,  secrétaire  chinois  de  Sa  Majesté 
Britannique,  avait  eu  une  conférence  avec  le  mandarin  Hang-ki,  dé- 
légué du  prince  Kong,  et  l'avait  informé  dans  une  note  officielle, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  des  intentions  des  commandants 
en  chef,  relativement  à  l'occupation  d'une  des  portes  de  Pé-king. 


LIVRE  III,   CHAPITRE   1.  2H3 

nations  occidentales,  et  que  les  niouvements  de  Son 
Altesse  Impériale  ne  seront  nullement  gênés  par  les 
forces  qu'il  commande  en  chef.  » 

Les  termes  fermes  et  précis  de  cette  lettre  ne  purent 
manquer  de  peser  puissamment  dans  les  décisions  du 
frère  de  l'Empereur. 

XVII.  —  Les  deux  généraux  en  chef,  accompagnés  des 
chefs  de  l'artillerie  et  du  génie,  vinrent  en  effet  le  jour 
même  reconnaître  l'emplacement  des  batteries  de  brè- 
che, et  les  travaux  commencèrent  immédiatement  sous 
les  yeux  mêmes  des  Chinois  à  soixante  mètres  des  mu- 
railles, afin  de  bien  prouver  au  prince  Kong  que  ce  n'était 
point  une  vaine  menace,  mais  une  résolution  définiti- 
vement arrêtée.  —  Les  Français  mettaient  en  batterie 
quatre  pièces  de  douze  et  les  Anglais  quatre  pièces  de 
siège.  Le  tracé  des  batteries  est  en  avant  du  temple  de 
Lhama,  un  des  grands  temples  qui  s'élèvent  aux  environs 
de  Pé-king.  L'ennemi  n'essaya  pas  de  troubler  un  seul 
instant  ces  travaux,  dont  il  semblait  au  contraire  du  haut 
des  remparts  suivre  le  développement  avec  curiosité. 

Le  prince  Kong  dans  une  dépêche  adressée  au  baron 
Gros  et  entourée  comme  toujours  de  raisonnements 
évasifs,  consentit  en  principe  à  l'occupation  d'une  porte 
de  Pé-king  par  l'armée  alliée. 

«  Les  portes  de  la  capitale  (disait-il)  sont  sous  la  garde 
d'un  fonctionnaire,  si  aujourd'hui  je  les  faisais  ouvrir, 
il  serait  à  craindj'e  que  les  bandits  ne  profitassent  de 
cette  circonstance  pour  causer  des  désordres;  il  y  a  donc 


284  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

des  mesures  à  prendre,  les  troupes  françaises  doivent 
occuper  la  porte  Am-Ting,  est-il  dit  dans  une  dépêche 
de  votre  noble  empire.  J'y  consens,  puisque  les  deux 
empires  sont  en  paix.  —  Seulctncnt,  il  faut  me  faire 
connaître  les  conditions  de  cette  occupation.  » 

Le  prince  terminait  sa  lettre  ainsi  :  «  J'ai,  il  (,'st  vrai, 
reçu  une  dépêche  de  voire  ^^énéral  en  chef,  mais  comme 
la  paix  est  conclue,  c'est  à  Votre  Excellence  que  j'a- 
dresse nécessairement  cette  coimnunication.  » 

XVIII.  —  Une  conférence  eut  lieu  dans  la  mati- 
née du  13,  entre  le  mandarin  Hang-Ki,  envoyé  par  le 
prince  Kong,  les  commandants  Campenon,  Stevenson  et 
M.  Parkes.  Cette  conférence  se  tint  dans  un  yamoun  du 
faubourg  ouest  de  la  ville,  et  il  y  fut  décidé  que  la  porte 
Am-ting  serait  ouverte  aux  alliés  le  même  jour  à  midi. 

Quatre  cents  honnnes,  dont  deux  cents  pris  dans  cha- 
cun des  deux  corps  expéditionnaires  devaient  former 
les  détachements  destinés  à  occuper  celte  position. — Les 
commandants  Ciunpenon  et  Stevenson,  après  être  con- 
venus entre  eux  que  le  rendez-vous  serait  devant  la  porte 
Am-ting  et  que  là,  les  deux  détachements  alliés  réunis 
feraient  simultanément  leur  entrée  dans  la  capitale,  se 
rendirent  en  toute  hâte  à  leur  cauip  respectif.  Les  bi- 
vacs  français  étaient  plus  éloignés  de  ce  point,  que 
ceux  des  Anglais  et  il  restait  fort  peu  de  temps  avant 
l'heure  indiquée. 

I>e  général  de  Montauban  désigna  toiit  aussitôt  son 
(;hef  d'état-major  général,  le  colonel  Schmilz,  pour  se 


LIVRE    llf,   CHAPITRE   I.  285 

rendre  au  rendez-vous  ;ivec  ini  bataillon  du  101%  com- 
mandé par  le  colonel  Pougef  et  prendre  possession  de  la 
partie  des  remparts  que  devaient  occuper  les  Français. 
Mais  malgré  toute  la  promptitude  que  put  mettre  ce  dé- 
tachement, riieuie  était  passée  de  quelques  minutes  lors- 
qu'il arriva  devant  la  porte  Am-ting.  Les  Anglais  qui 
avaient  une  distance  moins  grande  à  parcourir,  nous  y 
avaient  précédés  et  avaient  déjà  pris  possession  de  cette 
porte. 

Quelques  récits  publiés  sur  cette  campagne  ont  donné 
à  ce  petit  incident  une  importance  sérieuse  qui  n'existe 
que  dans  leur  appréciation,  car  le  général  de  Montau- 
ban,  gardien  sévère  de  toutes  les  prérogatives  de  l'ar- 
mée qu'il  avait  l'honneur  de  commander,  n'a  pas  cru 
devoir  en  faire  mention,  même  dans  sa  correspondance 
particulière  avec  le  ministre. 

Il  est  vrai  pourtant  que  les  Anglais  si  susceptibles  sur 
les  questions  d'étiquette  et  de  droit  eussent  pu  attendre 
l'arrivée  du  détachement  français  pour  cette  opération 
toute  pacifique.  — Le  canon  ne  grondait  pas  et  il  ne  s'a- 
gissait point  de  combattre. 

XIX.  —  Les  alliés  prirent  donc  sur  les  remparts  les 
positions  convenues;  elles  comprenaient  l'espace  d'un 
kilomètre  à  droite  et  à  gauche  de  la  porte  Am-ting. 
Les  postes  alliés  s'établirent  sur  une  grande  place  en 
avant  de  la  porte.  Une  corde  fut  tendue  pour  empêcher 
la  population  chinoise  d'approcher  les  factionnaires,  et 
pendant  toute  la  journée  les  agents  de  la  police  chinoise 


-liHi  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

furent  grand'peinc  à  maintenir  la  foule  qui  se  pressait 
avec  curiosité  aux  abords  de  l'espace  qui  nous  était  dé- 
volu. Toutes  les  mesures  de  guerre  nécessaires  furent 
prises  contre  les  éventualités  d'une  trahison,  et  des  bou- 
ches de  canon  braquées  contre  la  ville  étaient  prêtes  à 
jeter  l'incendie  et  la  mort  dans  la  capitale  au  moindre 
signe  de  mauvaise  foi. 

Dans  la  journée,  le  général  de  Montanban  se  rendit 
sur  les  remparts.  Ces  murailles  formidables,  armées  de 
pièces  d'un  très-fort  calibre,  ont  quatorze  mètres  qua- 
rante de  hauteur  du  côté  de  la  campagne,  et  treize 
mètres  cinquante  du  côté  de  la  ville.  Le  ferre-plein  a 
treize  mètres  de  hauteur  et  dix-neuf  mètres  vmgt  de 
largeur  entre  les  deux  revêtements.  Leur  épaisseur  to- 
tale, en  y  comprenant  ces  revêtements  est  donc  de  vingt 
mètres  cinquante  au  sommet,  et  de  vingt-six  à  la  base.     ' 

Les  deux  généraux  en  chef  durent  s'applaudir  gran- 
dement de  l'occupation  pacitique  de  cette  porte,  car  il 
eut  été  bien  difiicile  de  faire  brèche  dans  de  semblables 
murailles  avec  les  faibles  moyens  de  siège  et  les  muni- 
tions limitées  dont  ils  disposaient;  mais  les  fusées  et  les 
bombes  incendiaires  eussent  du  moins  ravagé  les  quar- 
tiers populeux  de  cette  capitale  et  détruit  sans  aucun 
doute  le  palais  impérial  de  Pé-king. 

XX.  —  Le  lendemain  de  l'occupation  de  la  i)orie  Ani- 
ting,  le  prince  Kong  exprimait  au  baron  Oros  toute  sa 
saiisfaction  de  l'attitude  prise  par  les  troujies  du  com- 
mandant en  chef  français.  —  Ces  diverses  correspon- 


LIVHE   III,   CHAPITRE   I.  287 

liances,  dont  nous  lenons  à  citer  le  texte  pour  donner  à 
ce  travail  un  caractère  indiscutable  de  vérité  historique, 
n'ont  peut-être  pas  aujourd'iiui  une  grande  importance, 
mais  peuvent  en  acquérir  dans  l'avenir,  si  des  apprécia- 
tions erronées  se  produisaient.  —  Pendant  toute  la  cam- 
pagne de  Chine,  les  négociations  diplomatiques  furent 
la  base  sur  laquelle  s'appuyait  l'action  militaire  ;  il  est 
donc  utile,  selon  nous,  d'en  suivre  les  détails  multiples 
pour  bien  en  apprécier  la  portée  et  les  résultats. 

«  Je  viens  d'apprendre  (écrivait  le  prince  Kong,  le 
14  octobre),  que  les  soldats  de  l'escorte  de  Votre  Excel- 
lence sont  entrés  dans  la  ville.  La  sage  discipline  qu'ils 
ont  soin  d'observer  a  ramené  la  tranquillité  parmi  la 
population  et  dissipé  son  inquiétude  et  ses  craintes.  Il 
est  démontré  que  les  intentions  pacifiques  de  Votre 
Excellence  sont  sincères;  je  suis  heureux  de  le  savoir, 
et  de  mon  côté,  je  dois  agir  avec  la  même  sincérité.  J'ai 
donc  donné  l'ordre  à  Heng-hi,  directeur  de  l'arsenal,  de 
s'entendre  avec  le  délégué  que  Votre  Excellence  dési- 
gnera, pour  régler  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  signature  de 
la  convention  préparée  à  Tien-lsin  et  pour  fixer  le  jour 
de  l'échange  des  ratifications  du  traité  de  1858,  afin  que 
je  puisse  tout  faire  préparer  en  conséquence.  » 

XXI.  —  L'armée  française  a  quitté  les  bivacs  qu'elle 
occiqiait  pour  camper  dans  le  faubourg  qui  précède  la 
porte  Am-fing;  des  détachements  ont  été  envoyés  dans 
les  casernes  abandonnées  parles  Tartares.  — La  situation 
militaire,  on  le  voit,  avait  fait  un  grand  pas,  et  il  était 


28S  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

impérieux  que  la  queslion  politique  eût  uue  solution 
prompte  et  radicale,  car  les  signes  précurseurs  de  l'hi- 
ver se  faisaient  déjà  sentir.  —  Los  montagnes  qui  avoi- 
sincnt  Pé-king  étaient  déjà  couvertes  de  neige  et  le  vent 
du  nord  soufflait  parfoisavec  une  grande  violence. 

Aussi  le  général  de  Montauban,  par  une  lettre  adressée 
au  général  Grant,  le  15  octobre,  lui  faisait  part  de  la 
résolution  qu'il  avait  prise  de  partir  le  1""  novembre  [)Our 
Tien-tsin,  si  les  alîaires  traînaient  encore  en  longueur, 
sans  amener  de  résultats  définitifs. 

«  Après  avoir  réfléchi  à  la  position  actuelle  de  mes 
troupes  (disait  le  général  à  son  collègue),  j'ai  dû  conférer 
avec  le  baron  Gros  sur  la  nécessité  dans  laquelle  je  me 
trouverais  de  faire  rentrer  mon  armée  à  Tien-lsin,  dans 
le  cas  où  les  négociations  diplomatiques  n'auraient 
amené  aucune  solution  pacifique  avant  le  1"  novembre. 
—  Il  uk;  paraît  évident  que  si,  avant  cette  époque,  le 
gouvernement  chinois  n'a  pas  signé  le  traité  dont  il  a 
accepté  toutes  les  conditions,  c'est  qu'il  y  aura  de  sa  part 
un  nouvel  acte  de  mauvaise  foi  ayant  pour  but  d'obtenir 
un  délai,  jusqu'à  ce  que  le  mauvais  temps  et  les  froids, 
si  intenses  dans  ce  pays,  viennent  compromettre  le  salut 
des  armées  alliées.  Nous  aurions  à  nous  entendre  sur  ce 
qui  resterait  à  faire.  Dans  tous  les  cas,  ma  détermination 
bien  arrêtée  est  de  partir  pour  Tien-tsin  le  1" novembre 
procb.iin.  b 

XXII.  —  Ainsi  c'était  un  point  très-arrêté  dans  la  pen- 
sée du  général  en  chef,  auquel  étaient  confiées  les  des- 


LIVRE  III,   CHAPITRE  I.  289 

tinées  de  la  petite  armée  française,  de  ne  pas  s'exposer 
aux  désastres  que  pouvait  apporter  l'hiver  dans  ce  pays 
lointain  et  inconnu,  sans  communication  possible,  par 
suite  des  glaces,  avec  Tien-tsin,  sa  seule  base  d'opéra- 
tions. Cette  sage  détermination  n'était  pas,  en  ce  mo- 
ment, entièrement  conforme  à  la  pensée  de  nos  alliés 
qui  avaient  agité  la  question  d'hiverner  dans  ces  parages. 

Il  était  donc  impérieux  de  fixer  un  dernier  délai 
après  lequel  l'ariTiée  alliée,  avant  de  se  retirer,  lais- 
serait, par  la  destruction  du  palais  impérial,  un  de  ces 
souvenirs  terribles  qui  saignent  longtemps  au  cœur 
d'une  capitale. 

Mais  la  dépêche  du  prince  Kong  que  nous  avons  citée, 
et  par  laquelle  il  consentait  à  la  reddition  d'une  des 
portes  de  la  ville,  contenait  des  reproches  amers  sur  la 
continuation  des  hostilités  et  sur  les  faits  qui  s'étaient 
passés  au  palais  d'été  de  l'Empereur. 

a  Pourquoi  (écrivait-il)  les  soldats  français  ont-ils 
pillé  le  palais  d'été  de  l'Empereur?  La  France  est  un 
empire  civilisé;  les  soldats  sont  soumis  à  la  discipline, 
comment  donc  ont-ils  de  leur  propre  autorité  brûlé  le 
palais  impérial?  —  Les  généraux  et  Votre  Excellence 
paraissent  l'ignorer.  Il  est  nécessaire  que  Votre  Excel- 
lence m'informe  en  me  répondant,  comment  elle  entend 
vider  le  différend  actuel. 

XXIII.  —  Cette  dépèche  coïncidant  avec  le  retour  de 
M.  d'Escayrac  de  Lauture,  brisé  par  d'odieux  traite- 
ments, et  avec  la  découverte  des  vêtements  ensanglan- 
n  19 


29U  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

tés  appartenant  à  plusieurs  des  malheureux  prisonniers, 
irrita  au  plus  haut  degré  le  haron  Gros  qui  avait  jus- 
que-là montré  beaucoup  plus  de  modération  que  son 
collègue  d'Angleterre;  et  en  envoyant  le  projet  de  la 
note  qu'il  adressait  à  ce  sujet  au  prince  Kong  dans  les 
termes  les  plus  nets  et  les  plus  justement  indignés,  il 
écrivait  à  lord  Elgin  : 

Mon  cher  lord, 

a  II  me  semble  impossible  de  laisser  sans  réponse  la 
singulière  dépêche  du  prince  Kong  dont  je  vous  envoie 
traduction.  Voici  également  le  projet  de  note  que  je  me 
propose  de  lui  faire  parvenir  et  que  je  vous  soumets. 
Cette  note  rétablit  la  vérité  dénaturée  par  le  prince  et 
fait  des  réserves  pour  obtenir  satisfaction  du  meurtre  de 
quelques-uns  de  nos  malheureux  compatriotes,  dont 
malheureusement  i!  ne  nous  est  plus  permis  de  douter. 
En  outre  la  force  des  armes  ayant  mis  entre  nos  mains 
des  propriétés  françaises  confisquées  dans  Pé-ldng,  c'est- 
à-dire  des  églises  et  des  cimetières  que  l'empereur  Tao 
Kouang  avait  promis  par  un  édil  impérial  de  rendre 
aux  chrétiens,  je  voudrais  régulariser  pour  l'avenir  une 
conquête  que  la  force  des  armes  me  donne  aujourd'hui. 
Vous  avez  repris  à  Ta-kou  les  canons  que  les  Chinois 
vous  avait  enlevés  en  1859,  je  reprends  dans  Pé-king  les 
propriétés  françaises  que  les  gouvernements  précédents 
nous  avaient  confisquées,  et  la  dernière  fois  en  1830. 
Le  rétablissement  du  culte  chrétien  dans  la  capitale  et 
la  permanence   des  légations  européennes  auprès  de 


LIVRE   m,  CHAPITRE  I.  291 

l'Empereur  me  semblent  être  les  deux  battants  de  la 
porte  à  ouvrir,  pour  que  la  civilisation  moderne  puisse 
entrer  dans  l'empire. 

a  Si  vous  avez  quelques  observations  à  me  faire,  vous 
savez  que  mon  désir  le  plus  vif  est  de  marcher  autant 
que  possible  toujours  parallèlement  à  vous.» 

Cette  communication  de  notre  ambassadeur  au  pléni- 
potentiaire chinois  reçut  l'entière  approbation  de  son 
collègue  qui  envoyait,  de  son  côté,  une  dépêche  qui 
contenait  les  mêmes  protestations. 

XXIV.  —  Il  était  bien  difficile  d'échapper  plus  long- 
temps à  la  logique  implacable  des  faits. 

Le  baron  Gros  après  avoir  résumé  tous  les  événe- 
ments qui  s'étaient  passés  depuis  la  prise  des  forts  de 
Ta-kou  et  rectifié  les  appréciations  erronées  du  prince 
Kong,  ajoutait: 

ï  Le  prince  en  refusant  de  rendre  les  détenus  a  forcé 
les  alliés  à  marcher  sur  la  capitale. 

«  C'est  pendant  cette  marche  et  par  conséquent  pendant 
la  guerre,  que  les  troupes  alliées  ont  pris  le  palais  d'été 
de  l'Empereur  ;  elles  ne  l'ont  point  pillé  comme  le  dit  Son 
Altesse  Impériale,  elles  n'ont  fait  que  partager  entre  elles, 
conformément  au  droit  de  la  guerre,  une  conquête  que  le 
sort  des  armes  avait  fait  tomber  entre  leurs  mains,  et  le 
prince  doit  savoir  que  si  le  palais  a  été  ensuite  saccagé 
et  incendié,  c'est  par  les  bandes  de  brigands  chinois  qui 
se  trouvent  partout,  et  sur  lesquelles,  à  Kho-seyou,  par 


29-2  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

exemple,  les  alliés  ont  été  obligés  de  tirer,  lorsqu'elles 
sont  venues  pour  piller  et  ravager  dans  ce  village  les 
habitations  de  leurs  propres  compatriotes. 

a  Ceci  étant  bien  établi,  et  Son  Altesse  Impériale  étant 
un  prince  trop  éclairé  pour  en  méconnaître  la  justesse, 
le  soussigné  consent  encore  à  saisir  l'occasion  qui  se  pré- 
sente de  conclure  la  paix,  si  le  gouvernement  chinois, 
abandonnant  le  système  de  fourberie  et  de  déloyauté  qui 
lui  a  si  mal  réussi  jusqu'à  présent,  veut  enfin  traiter  les 
affaires  avec  droiture  et  ne  pas  oublier  que  chaque  fois 
qu'il  a  manqué  à  sa  parole,  il  a  délié  le  soussigné  des  en- 
gagements contractés  par  lui,  et  lui  a  rendu  tous  les  droits 
que  lui  donnent  les  victoires  successives  remportées  sur 
les  armées  de  l'empire. 

«  Il  serait  bien  difficile  au  soussigné  d'avoir  maintenant 
confiance  dans  un  gouvernement  qui  ne  se  fait  aucun 
scrupule  de  manquer  à  sa  parole,  et  qui  pousse  l'oubli 
des  lois  de  l'honneur  et  de  sa  propre  dignité  jusqu'à 
faire  arrêter  et  sacrifier  de  la  manière  la  plus  barbare 
des  gens  sans  armes,  qui,  sous  la  protection  du  drapeau 
parlementaire,  étaient  venus  se  confier  à  lui.  Le  sous- 
signé ne  peut  plus  entrer  dans  Pé-king  avec  une  simple 
escorte  d'honneur,  il  lui  faut  une  garde  qui  puisse  le 
préserver  de  quelque  trahison,  et  lorsqu'il  se  trouvera 
dans  l'une  des  habitations  de  la  ville  que  l'on  aura  fait 
disposer  pour  lui  et  pour  sa  garde,  des  conférences  pour- 
ront s'ouvrir. 

«  La  persistance  que  le  prince  Kong  a  mise  à  ne  jamais 
vouloir  rendre,  avant  la  signature  de  la  paix,  les  Infor- 


LIVRE  111,   OHAPITIŒ  1.  29H 

turiés  sujets  de  la  France  et  de  l'Aiigleterre  que  le  gou- 
vernement chinois  a  fait  arrêter  et  retenir  contre  toutes 
les  lois  de  l'honneur,  n'avait  que  trop  fait  craindre  au 
soussigné  que  les  autorités  chinoises,  coupables  de  ce 
crime,  n'eussent  poussé  leur  sauvage  brutalité  jusqu'à 
faire  périr  quelques-uns  de  ces  individus,  qui  n'avaient 
pas  disparu  dans  un  combat,  comme  semble  le  croire  le 
prince  Kong,  mais  qui  avaient  été  victimes  d'un  abomi- 
nable guet-apens.  La  lettre  si  embarrassée  du  prince 
Kong,  et  les  rapports  trop  malheureusement  vraisem- 
blables que  le  soussigné  a  reçus  au  sujet  de  la  conduite 
de  quelques  autorités  chinoises  envers  les  détenus,  qui, 
à  la  honîe  éternelle  du  gouvernement  chinois,  ont  été 
sacrifiés  dans  le  palais  même  d'Yuen-mun-yuen,  con- 
firment les  appréhensions  du  soussigné,  et  il  exige  au- 
jourd'hui, au  nom  de  son  gouvernement,  une  indemnité 
de  200  000  laéls,  qui  sera  répartie  par  le  gouvernement 
français  entre  ses  sujets  victimes  de  l'attentat  du  18  sep- 
tembre dernier  et  les  familles  de  ceux  dont  on  a  si  lâ- 
chement causé  la  mort. 

«  Le  soussigné  demande  à  Son  Altesse  de  vouloir  bien 
faire  préparer  l'habitation  dite  Sou-ang-fou,  pour  qu'il 
puisse  s'y  établir  avec'la  garde  préposée  à  sa  sûreté. 

«La  convention  projetée  à  Tien-tsin  pourra  alors  être 
rédigée  pai-  les  secrétaires  respectifs,  en  y  ajoutant  doux 
clauses  que  la  conduite  du  gouvernement  chinois  auto- 
rise le  soussigné  à  cxigei'.  Par  la  première,  le  gouverne- 
ment chinois  s'engagera  à  payer  une  indemnité  de 
200  000  tacls  aux  victimes  IVancaises   de  l'attentat  du 


294  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

18  septembre  dernier,  et  à  verser  immédiateineiil  cette 
somme  entre  les  mains  du  trésorier  de  l'armée  française 
en  Chine. 

a  Par  la  seconde,  le  gouvernement  chinois  s'en^jagera  à 
faire  rendre  au  ministre  de  France  en  Chine  les  églises, 
les  cimetières  elles  autres  propriétés  qui  en  dépendaient 
et  dont  parle  le  décret  de  l'empereur  Tao-ouang.  » 

Les  ambassadeurs  donnaient  pour  dernier  délai,  jus- 
qu'au 23  à  midi. 


CHAPITRE  II. 


XXV.  —  Tel  était  l'état  des  choses,  lorsque  des  événe- 
ments nouveaux  vinrent  encore  compliquer  la  situation. 

Après  le  retour  des  premiers  prisonniers  dont  nous 
avons  pailé  plus  baut,  les  alliés  espéraient  toujours  que 
les  autres,  sur  le  sort  desquels  on  était  sans  nouvelle, 
auraient  eu  au  moins  la  vie  sauve. — Il  est  facile  de  com- 
prendre combien  fut  grande  l'indignation  qui  s'empara 
de  tous  les  cœurs,  lorsque  des  cadavres  mutilés  furent 
seuls  rapportés  aux  camps  alliés;  funèbres  retours  qui 
ajoutaient  chaque  jour  de  nouveaux  noms  aux  Aictimes. 
Au  lieu  de  prisonniers,  des  cercueils  nous  étaient  ren- 


LIVRE  111,   CHAPITRE  I,  295 

dus.  On  ouvrait  ces  cercueils,  et  c'est  ainsi  que  l'on 
constatait  l'identité  des  cadavres  que  les  Chinois  nous 
renvoyaient  (1). 

Sur  treize  prisonniers  français,  sept  étaient  morts  et 
six  avaient  été  rendus  vivants.  —  Les  Anglais  sur  vingt- 
six  prisonniers  comptaient  treize  morts. 

Voilà  donc  le  résultat  des  assurances  du  prince  Kong. 
—  Ce  n'était  plus  seulement  d'un  acte  de  déloyauté  dont 
on  avait  à  demander  compte,  mais  de  la  plus  sauvage 
barbarie.  L'exaspération  des  Anglais  surtout  ne  con- 
naissait point  de  bornes. 

XXVL  —  Lord  Elgin,  sous  la  pression  de  l'indigna- 
tion publique  qui  ne  pouvait  manquer  de  se  manifester 
en  Angleterre  avec  une  extrême  violence,  voulait  une 
vengeance  éclatante  que  ne  pouvait  satisfaire  l'indemnité 
de  200  000  taëls  déjà  demandée,  et  il  communiqua,  le 
15  octobre,  un  projet  de  note  au  prince  Kong,  dans  la- 
quelle il  exigeait  que  des  officiers  chinois  fussent  en- 
voyés de  Pé-king  pour  accompagner  à  Tien-tsin  les  restes 
des  victimes  de  cette  odieuse  trahison,  et  que  l'on  élevât 
dans  cette  ville,  aux  frais  du  gouvernement  chinois,  un 
monument  expiatoire  ;  il  voulait  en  outre  que  l'on  s'em- 
parât du  palais  impérial  à  Pé-king,  avant  l'époque  fixée 

(1)  Ces  morts  étaient,  pour  les  Français,  le  colonel  Foullon  Grand- 
champs,  le  sous-intendant  Dubut,  le  comptable  Ader,  les  soldats  Ga- 
dichot,  Blanquet  et  le  chasseur  à  pied  Ousouf.  Quant  à  l'abbé  Duluc, 
dont  on  ne  retrouvait  aucune  trace,  il  paraît  certain  qu'il  avait  été 
décapité  avec  un  Anglais,  le  jour  même  de  la  bataille  de  Pa-li-kiao; 
leurs  corps  avaient  été  jetés  dans  le  canal. 


296  CAMPAGNK  bli  CHINE. 

par  la  communication  au  prince  Kong  et  que  l'on  dé- 
truisît de  fond  en  comble  le  palais  de  Yuen-mun-yuen 
où  avait  péri  le  plus  grand  nombre  de  victimes. 

a  Mon  cber  lord  (lui  répondit  le  baron  Gros,  en  lui 
accusant  réception  de  cette  dépêche),  votre  lettre  ex- 
prime assurément  dans  les  termes  les  plus  nobles  la 
plus  vive  indignation,  mais  elle  exige  du  gouvernement 
chinois,  ce  que  dans  mon  intime  conviction  il  ne  pourra 
ni  ne  voudra  jamais  donner;  il  aimera  mieux  mille  fois 
tout  abandonner,  tout  perdre  que  de  consacrer  par  un 
monument  expiatoire  sa  félonie,  sa  honte  et  sa  faiblesse. 
Quant  à  la  destruction  du  palais  d'été,  site  de  campagne 
sans  défense,  elle  aurait,  à  mon  avis  du  moins,  un  tel 
caractère  de  vengeance  inutile,  puisque  malheureuse- 
ment elle  ne  pourrait  remédier  à  aucune  dos  cruelles 
infortunes  que  nous  déplorons,  que  nous  devrions  ne  pas 
y  songer.  Il  me  semble  qu'aux  yeux  de  l'Europe  comme 
pour  les  peuples  de  la  Chine,  la  destruction  du  palais  de 
Pé-king,  après  en  avoir  enlevé  les  archives,  palais  qui, 
dans  la  capitale,  est  le  siège  de  la  puissance  souveraine, 
serait  un  acte  expiatoire  plus  saisissant  que  l'incendie 
d'une  maison  de  plaisance.  Ce  serait  là  ce  que  je  con- 
seillerais aux  commandants  en  chef  de  faire  immédiate- 
ment si  j'étais  consulté  par  eux,  et  si  contre  toute  pro- 
babilité maintenant  nous  devions  quitter  Pé-king  sans 
atteindre  le  but  qui  nous  a  été  signalé  par  nos  gouver- 
nements. Je  suis  convaincu  que  nous  pouvons  finir  en 
peu  de  jours.  Si  vous  ne  parlez  pas  dans  votre  lettre  à 


LIVHE  III,  CHAPITRE  Jl.  ^97 

Kong  de  la  deslriicliou  de  Yuen-mun-yiien  et  d'actes 
expiatoires,  toutes  les  autres  conditions,  les  vôtres 
comme  les  miennes,  seront  acceptées. 

«  Je  ne  vois  pas  de  meilleure  solution  que  celle  que  je 
vous  propose,  les  moyens  dont  nous  pouvons  disposer, 
la  saison  avancée  qui,  d'un  instant  à  l'autre,  peut  rendre 
les  routes  impraticables,  la  manière  dont  les  comman- 
dants en  chef  parlent  de  la  situation,  et  la  crainte  surtout 
que  nous  devons  avoir  de  faire  fuir  le  prince  Kong,  notre 
seule  planche  de  salut,  me  confirment  dans  mon  opi- 
nion. » 

XXVII.  —  Celte  lettre  pleine  de  dignité  et  de  sens 
modifia  dans  certaines  limites  les  intentions  de  lord  El- 
gin,  mais  ne  le  fit  pas  renoncer  entièrement  à  son  projet 
de  vengeance  qu'il  regardait  au  contraire,  dans  ces  con- 
trées lointaines,  comme  un  sévère  et  jusle  enseignement 
pour  un  peuple  en  dehors  de  la  civilisation  européenne. 

Il  répondit  donc  au  baron  Gros  le  lendemain. 

«  Je  consens  à  omettre  la  clause  relative  à  l'accompa- 
gnement par  des  officiers  chinois  des  restes  des  malheu- 
reuses victimes  jusqu'à  Tien-tsin  et  à  l'érection  d'un 
momiment  expiatoire  aux  frais  du  gouvernement  chi- 
nois dans  celte  ville,  mais  je  n'abandonne  pas  la  clause 
relaUve  à  la  destruction  de  Yuen-mun-yuen. 

«Je  demandeiai  300  000  laëls  pour  indemniser  les 
Anglais  qui  ont  soufTert  et  les  familles  de  ceux  qui  ont 
été  sacrifiés.  —  Je  dirai  à  Kong  que  si  je  ne  reçois  pas, 
le  20  avant  midi,  une  lettre  de  lui  (|ui  m'assure  que  cette 


298  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

somme  sera  payée  le  22,  et  qu'il  sera  prêt  à  sigiici"  l;i 
convention  et  à  échanger  les  ratifications  de  Tien-tsin, 
le  23,  je  demanderai  au  général  en  chef  de  détruire  le 
palais  impérial  de  Pé-king. 

«  Sans  doute  ces  mesures  peuvent,  vous  paraître  bar- 
bares, mais  nous  avons  à  traiter  avec  un  misérable  des- 
pote et  nous  devons  lui  faire  sentir  que  la  responsabilité 
des  actes  qu'il  a  commis  ou  qu'il  a  sanctionnés  doit  re- 
tomber sur  lui.  » 

Ces  deux  lettres  que  nous  avons  cru  utiles  de  repro- 
duire en  leur  entier,  dessinaient  nettement  la  position 
que  voulait  prendre  en  cette  ch'constance  chacun  des 
ambassadeurs. 

XXVIII.  —  Le  baron  Gros  ne  fit  pas  attendre  sa  ré- 
ponse et  il  répondit  immédiatement  à  son  collègue  an- 
glais, «  que  la  destruction  du  palais  de  Pé-king,  dans  le 
cas  où  rien  n'aurait  été  terminé  dans  le  délai  fixé,  ren- 
trait entièrement  dans  ses  idées,  ainsi  qu'il  l'avait  dit, 
mais  que  la  démolition  de  Yuen-mun-yuen  lui  répu- 
gnait. »  Il  ajoutait  :  «  Toutefois  si  le  général  de  Montau- 
ban  veut  y  prendre  part,  je  n'aurai  aucune  observation 
à  lui  faire.  »  —  Et  en  même  temps  il  envoyait  copie  au 
général  de  Montauban  de  sa  correspondance  avec  lord 
Elgin. 

Le  commandant  en  chef  français  fut  plus  explicite 
peut-être  encore  que  notre  ambassadeur: 

«  Je  partage  complètement  votre  manière  de  voir,  lui 


LIVRE  III,    CHAPITRE  H.  299 

lépondit-il,  sur  toutes  les  questions  que  vous  traitez  avec 
le  prince  Kong  ou  avec  l'ambassadeur  d'Angleterre  ;  je 
refuse  nettement  de  participer  à  une  nouvelle  attaque 
contre  Yuen-mun-yuen  pour  deux  raisons. 

«  La  première,  parce  que  j'ai  le  cœur  soulevé  de  voir 
la  destruction  inutile  des  plus  belles  cboses  et  que  cet 
acte  ne  pourrait  être  attribué  qu'à  une  vengeance  très- 
insignifiante,  puisqu'elle  ne  s'exercerait  que  sur  des  murs 
déjà  à  moitié  détruits.  —  La  seconde,  c'est  qu'une  sem- 
blable action  tendrait  à  détruire  les  rapports  nouveaux 
qui  viennent  de  s'établir  entre  le  prince  Kong  et  les  am- 
bassadeurs. » 

Cette  destruction  était  cependant  une  idée  arrêtée  chez 
lord  Elgin  et  rien  ne  put  l'en  dissuader,  pas  même  la 
pensée  de  se  trouver  séparé  de  ses  alliés  pour  l'accom- 
plissement d'un  acte  de  cette  nature  que  l'avenir  pour- 
rait juger  sévèrement.  —  L'assentiment  complet  qu'il 
avait  trouvé  pour  ses  projets  chez  le  général  Grant  qui 
subissait  entièrement  son  influence,  lui  fit  ne  pas  dés- 
espérer d'amener  le  général  de  Montauban  à  concourir 
à  cette  destruction,  sachant  surtout  que  le  baron  Gros 
laissait  toute  liberté  d'acfionau  commandant  en  chef  des 
forces  militaires. 

Le  17,  dans  la  matinée,  le  général  Grant  vint  en  per- 
sonne sonder  le  général  en  chef  français  et  lui  de- 
mander sa  participation  à  ce  qu'il  regardait  comme  un 
acte  de  justes  représailles.  —  Le  général  de  Montauban 
refusa  et  le  général  Grant  se  retira  en  lui  disant  ;  «  J'es- 
père qu'après  avoir  réfléchi,  vous  comprendrez  les  rai- 


300  CAMI'AG.NK    bli   CHINI-:. 

sons  majeures  qui  motivent  cette  détermination  et  ne 
me  refuserez  pas,  en  cette  occasion,  un  concours  que  j'ai 
toujours  trouvé  jusqu'alors  si  eiupressé. 

XXIX.  —  Il  s'engagea  alors,  à  la  suite  de  cette  visite, 
une  correspondance  officielle  entre  les  deux  eonunan- 
dants  en  chef,  semblable  à  celle  échangée,  deux  jours 
auparavant,  entre  les  aiubassadeut's. 

Tout  ce  qui  concerne  cet  épisode  dont  on  s'est  si  gran- 
dement préoccupé  est  important  à  constater,  plus  encore 
pour  l'avenir  que  pour  le  présent.  Nous  qui  nous  som- 
jues  donnés  pour  cette  expédition  lointaine,  comme 
pour  colles  de  Crimée  et  d'Italie,  la  tâche  de  chroni- 
queur, nous  racontons  ces  faits  sans  vouloir  les  ap- 
précier. 

Deux  politiques  bien  ditTérentes  étaient  représentées 
en  Chine,  la  politique  de  la  France  et  celle  de  l'Angle- 
terre. —  Le  refus  du  baron  Gros  et  celui  du  général  de 
Montauban,  la  volonté  |)ei'sistanle  de  lord  Elgiu  et  du 
générai  Giant  caractérisent  bien  ces  deux  politiques  qui 
marchant  côte  à  côte,  s'inspiraient  cependant  de  senti- 
ments si  divers. 

Le  soir  du  même  jour  où  le  général  anglais  élait 
venu  proposer  au  général  de  Montauban  la  destruction 
du  palais  d'été  de  l'Empereur,  le  commandant  en  chef 
français  lui  réi)ondil  par  écrit  : 

«J'ai  mûrement  réfléchi  depuis  ce  nuitin  à  la  propo- 
sition (|ue  vous  m'avez  faite  d'aller,  de  concert  avec  vous, 


LIVRE   m,  CHAPITRE  II.  301 

incendier  le  paliis  impérial  de  Yuen-imin-yiien,aux  trois 
quarts  détruit  dans  les  journées  des  7  et  8  octobre  cou- 
rant, tant  par  mes  troupes  que  par  les  Chinois,  —  Je 
crois  devoir,  pour  satisfaire  aux  instructions  que  j'ai 
reçues,  vous  expliquer  les  motifs  de  mon  refus  à  coo- 
pérer à  une  semblable  expédition.  —  Elle  me  paraît 
d'abord  dirigée  par  un  esprit  de  vengeance  de  l'acte  de 
barbare  pertidie  commis  sur  nos  malheureux  compa- 
triotes, sans  que  celte  vengeance  atteigne  le  but  que  l'on 
se  propose. 

«c  D'un  autre  côté,  n'est-il  pas  probable  que  l'incendie 
allumé  de  nouveau  dans  le  palais  impérial  jettera  la  ter- 
reur dans  l'esprit  déjà  peu  rassuré  du  prince  de  Kong 
et  lui  fera  abandonner  les  négociations  entamées?  Dans 
ce  cas,  l'attaque  du  palais  impérial  de  Pé-king  devien- 
dra une  nécessité,  et  la  perte  de  la  dynastie  actuelle  la 
conséquence,  ce  qui  serait  diamétralement  opposé  aux 
instructions  que  nous  avons  reçues. 

«  Par  tous  ces  motifs,  je  crois  devoir,  monsieur  le  gé- 
néral en  chef,  ne  m'associer  en  aucune  façon  à  l'œuvre 
que  vous  allez  accomplir,  la  considérant  comme  nuisible 
aux  intérêts  du  gouvernement  français.  » 

«  De  Montauban.  » 

XXX.— Le  lendemain  18,  le  général  Grant  lui  exposait 
catégoriquement  les  raisons  qui  lui  faisaient,  disait-il, 
persister  dans  sa  volonté  de  détruire  complètement  le 
palais  de  Yuen-mun-yuen. 

«  1"  C'est  dans  ce  palais  que  les  prisonuiers  ont  été 


302  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

traités  avec  une  barbarie  atroce,  c'est  là  qu'ils  sont  restés 
pieds  et  poings  liés  pendant  trois  jours,  privés  entière- 
ment de  nourriture. 

«  2°  La  nation  anglaise  ne  sera  pas  satisfaite,  si  nous 
n'infligeons  pas  au  gouvernement  chinois  un  châtiment 
sévère,  martiue  du  ressentiment  que  nous  avons  éprouvé 
de  la  manière  barbare  avec  laquelle  ils  ont  violé  le  droit 
des  gens. 

«  Si  nous  nous  bornions  à  faire  la  paix,  à  signer  le 
traité  et  à  nous  retirer,  le  gouvernement  chinois  croirait 
qu'il  peut  impunément  saisir  et  assassiner  nos  com[)a- 
triotcs,  il  est  nécessaire  de  le  détromper  sur  ce  point. 

«  Il  est  vrai  que  le  palais  d'été  de  l'Empereur  a  été 
pillé  ;  mais  le  dommage  infligé  peut  être  réparé  en  un 
mois.  Le  jour  même  oîi  l'armée  française  a  quitté  Yueur 
mun-yuen,  le  palais  a  été  réoccupé  par  les  autorités 
chinoises  et  cinq  Ghmois  qui  ont  été  pris  pillant  ont  été 
exécutés  par  les  ordres  de  ces  autorités. 

a  Mes  patrouilles  ont  trouvé  depuis  ce  jour  l'enceinte 
constamment  fermée  et  les  habitations  non  détruites. 

ot  II  nous  a  été  bien  démontré  que  le  palais  de  Yuen- 
muii-yiien  est  considéré  connue  une  place  fort  impor- 
tante, sa  destruction  est  un  coup  dirigé  entièrement  non 
contre  le  peuple,  mais  contre  le  gouvernement  chinois 
qui  est  le  seul  auteur  des  atrocités  conHHises(l).  C'est  un 
coup  qui  sera  parfaitement  senti  par  ce  gouvernement 

(1)  Lettre  du  ;-,'énéral  Hope  Grant,  commandant  en  chef  les  forces 
anglaises  en  Chine,  au  général  de  Montauban.  commandant  en  chef 
les  forces  françai.sej.  Quartier  général  de  Pé-king,  18  octobre  1860. 


LIVRE  111,   CHAPITRE  II.  303 

el,  d'autre  pari,  on  ne  peut  arguer  contre  cette  opéra- 
tion d'aucune  raison  fondée  sur  des  sentiments  d'hu- 
manité. » 

XXXI.  —  On  le  voit  par  cette  lettre,  la  crainte  de  l'opi- 
nion publique  en  Angleterre,  entraînait,  poussait,  pour 
ainsi  dire,  les  deux. chefs  anglais  à  agir,  ainsi  qu'ils  le 
faisaient  ;  c'était  là  la  base  premièrCj  la  base  fondamen- 
tale sur  laquelle  ils  échafaudaient  les  autres  considé- 
rations. 

a  La  nation  anglaise  ne  sera  pas  satisfaite  si  nous 
n'infligeons  pas  au  gouvernement  chinois  un  châtiment 
sévère,  marque  durable  de  notre  ressentiment.  » 

En  effet,  le  18  dans  la  matinée,  un  détachement  an- 
glais se  dirigea  vers  le  palais  d'été  avec  ordre  de  l'incen- 
dier dans  toutes  ses  parties.  Bientôt  les  magnifiques 
pagodes,  ces  merveilles  d'élégance  et  de  richesse,  devin- 
rent la  proie  des  flammes.  On  vit  s'élever  à  l'horizon  une 
grande  lueur  rougeàtre,  et  monter  vers  le  ciel  des  nuages 
d'une  épaisse  fumée;  c'était  le  palais  de  Yuen-mun-yuen 
que  l'incendie  dévorait,  et  le  soir  ce  ne  fut  plus  qu'un 
amas  calciné  de  débris  fumants,  autour  desquels  rôdaient 
des  bandes  de  pillards. 

Les  Anglais  avaient  accompli  leur  vengeance  et  infligé 
ce  qu'ils  appelaient  un  châtiuient  sévère,  marque  durable 
de  leur  ressentiment.  —  Il  ne  restait  plus  rien  de  celte 
magnifique  et  merveilleuse  habitation  que  plusieurs  siè- 
cles avaient  respectée. 

Le  général  de  Monlauban  en  fut  douloureusement  im- 


304  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

pressionnô,  el  il  écrivait  le  jour  iiiùiiie  au  conimandanl 
en  cliclanglnis  : 

«Je  n'ai  pas  l'intention  d'élever  une  polémique  au 
sujet  de  l'acte  qui  vient  d'être  commis,  contrain^ment  à 
l'opinion  de  l'ambassadeur  de  France  et  à  la  mienne. 

a  Nos  gouvernements  respectifs  sont  seuls  appelés  à 
juger  nos  actions,  et  j'ai  l'espoir  que  le  gouvernement 
français  donnera  une  entière  approbation  à  ma  conduite 
en  cette  circonstance,  quels  que  soient  les  regrets  qu'il 
éprouvera  comme  moi  de  l'acte  déloyal  qui  nous  a  enlevé 
nos  malheureux  compatriotes.  » 

XXXII.  —  Bien  que  ledei'uier  délai  accordé  au  prince 
Kong  soit  de  quelques  jours  seulement,  les  chefs  anglais 
poursuivis  par  la  pensée  qu'ils  peuvent  encore  ajouter 
une  page  terrible  au  drame  de  leur  vengeance,  rêvent 
une  attaque  contre  Pé-king  même.  Ils  ne  cachent  pas  le 
but  politique  qui  les  pousse.  —  Entraîner  la  chute  de  la 
dynastie  tartare.  — Ce  but  n'était  pas  le  nôtre,  —  le  ren- 
versement de  la  dynastie  régnante  amènerait  avec  lui 
les  plus  sanglants  désordres  et  livrerait  l'empire  à  une 
anarchie  complète.  —  Les  instructions  données  à  notre 
ambassadeur  sont  dans  un  sens  contraire,  et  le  baron 
Gros  l'avait  clairement  exposé  au  prince  Kong,  dans  s;i 
dépêche  du  25  septembre  (1). 

«  Le  soussigné,  disait-il,  croit  devoir  déclarer  formel- 
lement à  Son  Altesse  Impériale  et  aux  membres  du  con- 

(1)  Voir  même  volume,  page  241. 


LIVRE  m,   CHAPITRE  II.  305 

scil  de  l'Empire,  que  le  gouvenienicnt  français  veut  le 
mainlien  de  la  dynastie  actuelle  sur  le  trône  impérial,  et 
qu'il  verrait  avec  chagrin  la  ruine  de  la  capitale.  » 

La  situation  semblait  donc  se  compliquer  chaque  jour 
davantage.  —  Il  est  évident  que  le  prince  Kong,  acculé 
dans  ses  derniers  retranchements,  ne  peut  se  refuser  plus 
longtemps  aux  conditions  de  paix  propo.sées  :  —  nous 
sommes  sous  les  murs  de  la  capitale  abandonnée  par 
l'Empereur  qui  s'est  enfui  en  Tarlarie;  les  chefs  de 
l'armée  sont  vaincus,  démoralisés  et  incapables  de  com- 
prendre quels  dangers  ils  pourraient  encore  nous  faire 
courir  aux  approches  de  l'hiver,  s'ils  réunissaient  les 
tronçons  épars  de  leur  armée  et,  en  les  répandant  entre 
Pé-king,  Tien-lsin  et  la  mer,  nous  coupaient  ainsi  notre 
principale  base  d'opération.  —  La  paix  si  probléma- 
tique, il  y  a  quelques  jours,  est  évidente  aujourd'hui. 
Le  parti  de  la  guerre,  dans  le  grand  conseil,  n'a  enre- 
gistré que  des  trahisons  ou  des  défaites. 

XXXIIL  —  Le  19,  le  général  Grant  venait  de  nouveau 
chez  le  général  en  chef  français  pour  lui  proposer  d'at- 
taquer le  lendemain  même  la  ville,  malgré  le  délai  ac- 
cordé par  le  baron  Gros  jusqu'au  23.  Le  commandant 
en  chef  français  refusa  formellement.  En  outre,  il  dé- 
clara à  son  collègue  que  jusqu'au  23,  il  s'opposera  à 
toute  attaque.  On  attendra  donc  jusqu'au  23. 

Mais  déjà  dès  le  20  octobre,  il  n'est  plus  possible  de 
conserver  aucun  doute  sur  la  conclusion  de  la  paix.  —  Le 
prince  Kong  fait  savoir  aux  ambassadeurs  que  l'indem- 
II  20 


306  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

nilé  réclamée  pour  les  victimes  du  18  septcmi)i"e,  sera 
prèle  à  être  payée  le  22,  à  une  lieure  de  l'après-midi  (1). 

Le  22,  M.  de  Bastard  premier  secrétaire  d'ambassade, 
part,  accompagné  de  M.  de  Kcroulée  attaché  à  l'ambas- 
sade, afin  de  procéder  à  la  discussion  définitive  de  la 
convention  et  de  régler  tous  les  détails  relatifs  à  la  signa- 
ture du  traité  et  à  l'échange  des  ratifications.  —  Il  doit 
aussi  recevoir  au  nom  de  l'ambassadeur,  les  200  000  taëls 
d'indemnité. 

Le  comte  de  Bastard  se  rend  dans  l'intérieur  de  la 
ville,  avec  une  escorte  de  cavalerie  et  d'infanterie,  et  se 
dirige  vers  le  yamoun  du  mandarin  Hang-ki,  chargé  par 
le  prince  Kong  des  pouvoirs  nécessaires. 

Dans  les  rues,  la  foule  est  immense,  elle  afflue  de  tous 
côtés  sur  le  passage  des  envoyés  étrangers  avec  une  telle 
intensité,  qu'il  semble  que  bientôt  il  deviendra  impos- 
sible de  marcher  au  milieu  de  ces  flots  humains  tu- 
multueusement agités.  —  Le  drame  si  récent  de  Tung- 
chao,  donne  un  caractère  solennel  à  cette  entrée  dans 
Pé-king.  La  trahison  d'hier  ne  pouvait-elle  pas  se  re- 
nouveler aujourd'hui. 

(1)  Le  baron  Gros  au  général  de  Montauhan. 

22  octobre,  8  b.  du  matin, 
a  Les  engagements  pris  par  le  prince  Kong,  frère  de  l'Empereur  et 
commissaire  imj  érial,  reçoivent  aujourd'hui  un  commencement  d'exé- 
cution, une  somme  de  200  000  laëls,  représentant  à  peu  près  1  million 
500  000  francs,  sera  prête  à  m'être  remise  aujourd'hui,  22  octobre,  à 
une  heure  après  midi,  dans  Pé-king,  comme  indemnité  allouée  par  le 
gouvernement  chinois  aux  sujets  fraiiçais  arrêtés  le  18  septembre, 
comme  aussi  à  la  famille  de  ceux  qui  ont  succombé  pendant  leur 
captivité,  s 


LIVRE  IH,   CHAPITRE  II.  3U7 

Des  agentsdeia  police  chinoise,  armés  do  longs  l'ouets 
frappent  sans  aucun  ménagement  sur  cette  multitude 
plus  curieuse  qu'hostile,  et  permettent  ainsi  aux  chevaux 
d'avancer.  Les  envoyés  français  pénètrent  dans  le  ya- 
moun;  des  sentinelles  sont  aussitôt  placées  à  toutes  les 
portes,  ainsi  que  devant  la  salle  où  le  comte  de  Bastard 
entre  aussitôt  en  conférence  avec  le  mandarin  Hang-ki. 

Cette  conférence  devait  enfin  être  la  dernière. 

XXXIV.  —  Après  une  assez  longue  discussion  dans  la- 
quelle l'astucieux  diplomate  chinois,  que  nous  avons  déjà 
vu  plusieurs  fois  à  l'œuvre,  discuta  longuement  les  moin- 
dres détails,  moins  dans  l'espérance  d'obtenir  quelque 
concession  que  par  habitude,  tout  fut  définitivement 
réglé  et  convenu.  —  Les  pouvoirs  concédés  au  prince 
Kong  furent  exhibés  ;  ils  étaient  de  la  nature  la  plus 
étendue,  l'Empereur  avait,  par  avance,  envoyé  ses  ratifi- 
cations. 
♦  Le  prince  Kong  n'est  pas  sans  inquiétude  ;  il  craint 
que  les  alliés  n'usant  de  représailles  ne  veuillent  en  le 
chargeant  de  chaînes,  venger  sur  lui  la  trahison  du 
18  septembre  et  offrir  le  frère  de  l'Empereur  en  holau- 
causte  aux  victimes,  dont  les  corps  mutilés  ont  été  ren- 
voyés dans  de  funèbres  cercueils.  —  Un  certain  nombre 
de  hauts  mandarins  lui  conseillaient  même  de  ne  pas 
s'exposer  à  notre  vengeance,  et  le  confirmaient  dans  une 
appréhension  que  lui  dictait  sa  propre  conscience. —  Fort 
heureusement,  le  général  Ignatieff,  ambassadeur  de 
Russie,  fit  comprendre  au  prince  Kong  que  les  nations 


308  CAMPAGNE   DE  CHINE, 

européennes,  quels  que  fussent  leurs  i^ricls,  n'agissaient 
jamais  par  trahison  et  (pie,  elie/  elles,  la  loi  jurée  élail 
chose  sacrée  et  inviolahle. 

Il  fut  arrêté:  que  le  24,  le  haron  Gros  viendrait  prendre 
possession  du  palais  qui  est  destiné  à  lui  et  aux  membres 
de  son  ambassade. —  Le  môme  jour,  lordElgin  signera  le 
traité  de  rAnglelerre  avec  le  prince  Kong. — Le  lendemain 
26,  ce  sera  le  baron  Gros  pour  l'Empereur  des  Français. 

Les  deux  aml)assadeurs  sont  d'accord  avec  les  com- 
mandants en  chef  pour  donner  le  plus  grand  éclat  mili- 
taire aux  cérémonies  relatives  à  la  signature  du  ti'aité. 
Les  Chinois  attachent  un  grand  prix  à  tout  ce  qui  frappe 
leurs  yeux;  la  pompe  et  l'éclat  leur  représentent  la  puis- 
sance. 

XXXV.  —  Le  24,  à  neuf  heures  du  matin,  l'ambassa- 
deur de  France,  accompagné  de  tout  le  personnel  de 
son  ambassade,  fit  son  entrée  dans  la  capitale  du  Cé- 
leste-Empire. 

L'ambassadeur  et  le  premier  secrétaire  sont  en  chaises 
portées  chacune  par  huit  coolies  revêtus  de  costumes 
brillants  avec  la  cocarde  française,  —  les  autres  mem- 
bres de  l'ambassade  sont  à  cheval,  et  se  tiennent  près 
des  portières  des  deux  chaises. 

Un  bataillon  du  101%  que  commande  en  personne  le 
colonel  ouvj-e  le  cortège,  et  la  musique  de  ce  régiment 
joue  des  marches  guerrières,  dont  les  sons  éclatants  pro- 
duisent une  impression  profonde  sur  la  multitude  qui 
est  accourue  de  toutes  parts. 


LIVRE  III,   CHAPITRE   11.  309 

Des  deux  côtés  des  palanquins,  s'avancent  trente  spahis, 
leurs  manteaux  rouges  flottent  au  vent;  après  les  spahis, 
c'est  un  peloton  de  marins.  —  Le  deuxième  bataillon 
du  lOl"'  ferme  la  marche. 

A  la  porte  Am-ting  par  laquelle  notre  ambassadeur 
doit  pénétrer  dans  la  capitale,  les  deux  détachements 
anglais  et  français  préposés  à  la  garde  de  cette  porte, 
sont  sous  les  armes  et  rendent  au  haut  plénipotentiaire 
de  la  France  les  honneurs  militaires.  —  Dans  le  même 
moment  l'artillerie  alliée,  placée  sur  les  remparts,  salue 
son  arrivée  d'une  salve  de  dix-neuf  coups  de  canon. 

A  peine  l'ambassadeur  a-t-il  franchi  la  porte,  qu'un 
cortège  de  mandarins,  en  tête  duquel  marche  Hang-ki, 
le  délégué  du  prince  Kong,  vient  complimenter  le  baron 
Gros. — Tous  ces  dignitaires  chinois  de  différents  degrés 
ont  revêtu  leur  costume  de  cérémonie;  sur  la  longue 
robe  de  satin  violet  qu'ils  portent  sont  brodées  des  pla- 
ques, insignes  de  leur  rang;  sur  ces  plaques,  un  oiseau 
indique  les  mandarins  civils,  un  tigre  ou  un  lion,  les 
mandarins  militaires,  le  globule  ou  bouton  qui  sur- 
monte leur  toque  indique  à  quelle  classe  ils  appar- 
tiennent (1). 


(1)  Les  mandarins  se  divisent  en  quatre  classes  : 

Le  l)OUton  rouge  est  affecté  à  la  première,  qui  comprend  trois  caté- 
gories :  la  plus  élevée  a  la  nuance  du  corail,  celle  qui  vient  ensuite  le 
vermillon,  la  dernière  le  ponceau. 

La  deuxième  classe  a  les  globules  bleus  qui,  eux  aussi,  se  parta- 
gent en  deuK  catégories  :  la  première  porte  le  bouton  bleu  opaque 
(lapis  lazuli);  la  seconde,  bleu  transparent  (cristal  bleu). 

A  la  troisième  classe  appartiennent  les  boutons  blancs,  distingués 


31U  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

Les  agents  de  lu  i)olice  chinoise  oui  peine  à  contenir 
la  foule  qui  se  glisse  au  milieu  des  chevaux  et  des  sol- 
dais de  l'escorte,  avide  de  contempler  ce  spectacle  si 
nouveau  pour  elle. — A  l'entrée  du  palais  que  doit  habiter 
l'anihassadeur,  attendent  les  niandai'ins  que  le  prince 
Kong  a  attachés  à  sa  personne  ;  le  pavillon  national  est 
aussitôt  planté  à  la  porte  principale  devant  laquelle 
veillent  des  sentinelles  l'arme  au  bras. 

XXXYI.  -^  Le  même  jour,  lord  Elgin,  accompagné 
du  général  Grant ,  signait  solennellement  au  Li-Pou 
(tribunal  des  rites)  le  traité  de  paix  de  l'Angleterre 
avec  le  Céleste-Empire. 

Les  troupes  (|ui  formaient  le  cortège  anglais  étaient 
fort  belles,  les  dragons  de  la  reine  et  les  sicks  attiraient 
principalement  les  regards  par  leur  brillante  tenue. 
L'infanterie  se  composait  de  2  régiments  anglais,  la 
chaise  de  lord  Elgin  était  entourée  de  seize  coolies 
fort  élégamment  vêtus  et  portant  les  couleurs  de  l'An- 
gleterre. 

Quelques  difticultés  d'étiquette  se  sont  élevées  pour  le 
cérémonial  à  observer  au  moment  où  l'ambassadeur, 
en  grande  tenue  de  pair  d'Angleterre  est  entré  dans  la 
salle  où  devait  se  signer  le  traité. —  Lord  Elgin  a  exigé 
(jue  le  prince  Kong  vînt  au-devant  de  lui,  ce  que  celui- 
ci  a  fait  avec  une  certaine  répugnance. 


eux  aussi  par  le  blanc  porcelaine  pour  la  première  catcgone:  lu  blanc 
transparent  pour  la  seconde. 

La  quairième  classe  porte  le  bouton  de  cuivre  doré. 


LIVRE  III,   CHAPITRE  11.  311 

Le  frère  de  l'Empereur  de  la  Chine  et  l'ambassadeur 
se  sont  salués  très-froidement.  —  Les  mêmes  difficultés 
se  renouvelèrent,  quelques  instants  après,  pour  savoir 
lequel  s'assiérait  le  premier,  du  prince  ou  du  haut  plé- 
nipotentiaire de  Sa  Majesté  Britannique.  Après  d'assez 
longs  pourparlers  pour  le  règlement  de  ce  nouveau 
cérémonial,  il  fut  convenu  que  le  prince  et  l'ambas- 
sadeur s'assiéraient  en  même  temps. 

XXXVIL  —  Le  traité  fut  signé  et  les  ratifications 
échangées,  sans  que  la  glace  se  rompit  un  seul  instant 
entre  ces  deux  hommes.  Dans  la  plume  qui  signait  le 
traité  de  paix,  lord  Elgin  avait  voulu  faire  peser  de 
tout  son  poids  l'épée  du  vainqueur.  On  a  beaucoup  cri- 
tiqué le  diplomate  anglais  de  sa  dureté  visible  à  un  mo- 
ment où  devaient  être  oubliés  les  anciens  dissentiments 
et  effacés  les  plus  douloureux  souvenirs.  — Les  Anglais 
sont  trop  positifs  pour  rien  faire  au  hasard  et  se  livrer 
à  leurs  impressions,  sans  en  avoir  auparavant  calculé  la 
portée  et  les  résultats.  Dans  la  manière  d'agir  de  lord 
Elgin  envers  le  prince  Kong,  il  y  avait  toute  une  pensée 
politique  :  faire  sentir  à  la  Chine  que  l'Angleterre  ne  si- 
gnait pas  un  traité  de  paix,  mais  un  traité  de  conquête. 
—  En  1860,  le  représentant  de  la  Grande-Bretagne  se 
rappelait  les  démarches  infructueuses  et  si  orgueilleuse- 
ment repoussées  de  lord  Macartney,  en  1790,  ainsi  que 
l'ambassade  avortée  de  lord  Amlierst,  en  1816  (1). 

1 1)  Voir  le  premier  volume  des  Expétiitions  de  Chine  et  de  Cochin- 
chine,  page  ].i  et  suiv. 


312  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

XXXVIII.  -—  L'cntrcvuc  du  baron  Gros  el  du  prince 
Kong  eut  un  tout  autre  caractère,  la  France  n'avait  ni 
les  mêmes  griefs  anciens,  ni  les  mêmes  vues  d'avenir  : 
elle  avait  demandé  sans  arrière-pensée  ce  qu'elle  vou- 
lait obtenir;  elle  désirait  franchement  le  maintien  de 
la  dynastie  régnante,  et  voyait  avec  une  réelle  satis- 
faction l'ère  de  la  paix  remplacer  les  hostilités,  après 
de  rapides  et  brillants  succès  qui  avaient  établi  incon- 
testablement aux  yeux  des  Chinois  la  puissance  de  ses 
armes. 

Il  faut  aussi  ajouter  à  toutes  ces  considérations  puisées 
au  cœur  même  de  la  question  l'individualité  propre  des 
deux  nations  que  représentait  chacun  des  ambassadeurs , 
et  l'on  comprendra  la  différence  d'attitude  des  denx  plé- 
nipotentiaires dans  cette  cérémonie  importante  el  solen- 
nelle. 

Le  25,  à  huit  heures  du  matin,  le  baron  Gros,  suivi 
de  toute  son  ambassade  en  grand  uniforme,  quittait  le 
palais  de  l'ambassade  dans  le  même  ordre  et  avec  le 
même  cérémonial  que  la  veille,  et  sortait  de  la  ville  par 
la  porte  du  Nord  pour  se  rendre  au  quartier  général  du 
commandant  en  chef  français, 

A  onze  heures,  les  troupes  qui  doivent  composer  le 
cortège,  quittent  leur  cantonnement  pour  se  former, 
selon  l'ordre  indiqué  sur  la  route  de  Tarlarie  en  avant 
de  la  porte  du  Nord. 

La  cavalerie  forme  l'avant-garde ,  suivie  par  une  nui- 
sique  et  un  peloton  de  chacune  des  différentes  armes 
composant  le  corps  expéditionnaire:  —  génie,  malelots, 


LIVRE  m,   CHAPITRE  II.  313 

chasseurs  à  pied,  infiinlerie  de  ligne,  infanterie  de  ma- 
rine et  fuséens. 

Viennent  ensuite  le  bataillon  de  i.'liasseurs  à  pied 
avec  sa  fanfare,  deux  pelotons  d'artillerie  à  cheval,  les 
officiers  sans  troupes  à  cheval,  le  chef  d'état-major  gé- 
néral, les  officiers  de  l'état-major  général  et  les  officiers 
d'état-major  de  l'artillerie. 

Puis  le  général  en  chef  en  grand  uniforme,  accom- 
pagné de  ses  deux  généraux  de  brigade  que  suivent  les 
chefs  de  service  et  les  chefs  du  corps,  l'état-major  par- 
ticulier du  général  en  chef,  les  spahis  et  les  chasseurs 
d'Afrique, 

La  musique  du  101^  termine  le  cortège  militaire,  pré- 
cédant les  trois  drapeaux  déployés  dn  101%  du  102"  et 
de  l'infanterie  de  marine. 

Immédiatement  après,  et  comme  sous  la  garde  invio- 
lable de  ces  trois  drapeaux  réunis,  quatre  sous-oftîciers 
décorés  de  l'armée  de  terre  portent  dans  un  coffre  aux 
armes  de  l'Empereur  des  Français,  le  traité  de  1858, 
muni  du  sceau  impérial. 

Vient  ensuite  le  cortège  de  l'ambassadeur,  derrière 
lequel  marchent  deux  pelotons  d'artillerie  à  cheval  et 
deux  bataillons  du  101'. 

Depuis  la  porte  du  Nord  jusqu'au  tribunal  des  rites 
où  doit  être  signé  le  traité  de  paix,  la  haie  est  formée 
par  le  102'-  de  ligne  et  par  le  régiment  d'infanterie  de 
marine. 

XXXIX.  —  Certes,  ces  trou|)es  en  campagne,  à  cinq 


3U  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

mille  lieues  de  la  France,  n'ont  pas  l'éclat  resplendissauL 
des  troupes  [lassées  en  revue  au  Champ-de-Mars,  mais 
elles  portent  sur  leur  visage  bronzé  par  le  soleil  le  noble 
cachet  du  soldat  qui  a  bravé  les  rudes  épreuves  et  les 
fatigues  incessantes  de  la  vie  des  camps;  leur  allure  a 
cet  air  martial  qui  sent  la  poudre  et  respire  le  combat, 
et  le  soleil  reluit  en  rayons  étincelants  sur  les  canons 
des  fusils  et  sur  les  bayonnettes.  Ce  sont  bien  des  sol- 
dats, tels  (|u'ils  doivent  entrer  dans  une  ville,  dont  les 
portes  fermées  depuis  des  siècles  aux  nations  euro- 
péennes, se  sont  ouvertes  sous  la  pression  de  leurs 
canons  et  au  bruit  retentissant  de  leurs  armes  victo- 
rieuses. 

Au  moment  où  l'ambassadeur  franchit  la  porte  Am- 
ting,  une  salve  d'artillerie  salue  son  arrivée,  et  la  voix 
guerrière  annonce  à  la  population  de  la  capitale  du  Cé- 
leste-Empire, que  la  France  pénètre  dans  ses  murs,  dra- 
peaux au  vent. 

Devant  la  porte,  se  tient  le  haut  mandarin  Hang-ki 
à  la  tète  d'une  véritable  cohorte  de  mandarins  de  tous 
grades.  Les  harangues  et  les  félicitations  commencent 
et  la  haie  des  soldais  ne  coiilieiit  ((u'à  grand'peine  la 
foule  qui  se  presse  de  tous  les  côtés.  Nous  avons  déjà 
eu  l'occasion  de  le  dire  et  d'en  citer  des  preuves,  le 
|)alriolisme  est  nul  chez  le  peuple  cliinois,  et  pas  un 
seul  des  nobles  sentiments  qui  font  battre  le  cœur  des 
nations  européennes,  ne  vibre  dans  ces  existences  atro- 
pliiées,  où  vit  seuleincni  la  cupiclilé  des  intérêts  ma- 
tériels. 


LIVRE  JII,   CHAPITRE   II.  315 

XL.  —  Après  un  long  parcours  sous  un  soleil  acca- 
blant, le  cortège  atteint  enfin  le  tribunal  des  rites.  Devant 
la  porte  principale  de  ce  palais,  l'ambassadeur,  le  com- 
mandant en  chef  et  les  principaux  officiers  de  l'armée 
mettent  pied  à  terre,  puis  le  baron  Gros  ayant  à  ses 
côtés  le  général  en  chef  de  MontaubaU;  s'avance  dans 
la  cour  qui  précède  l'entrée  de  la  salle  destinée  à  la 
signature  des  traités  ;  —  derrière  eux  sont  groupés  les 
membres  de  l'ambassade  et  les  états-majors  militaires. 

Cette  cour  est  encombrée  de  prétoriens  chinois,  garde 
personnelle  des  mandarins  et  exécuteurs  de  leur  jus- 
tice ;  ils  sont  revêtus  d'une  sorte  de  casaque  en  coton- 
nade bleue  à  bordure  rouge  ou  verte  et  portent  sur 
la  tête  une  toque  à  laquelle  pend  une  queue  de  re- 
nard (1). 

Sur  le  seuil  de  la  salle  se  présente  le  prince  Kong, 
entouré  des, plus  illustres  mandarins  de  la  Chine;  mais 
aucun  d'eux  n'appartient  à  la  noblesse  militaire,  et  sur 
leurs  plastrons  aux  couleurs  étincelantes,on  ne  voit  que 
des  cigognes,  des  faisans,  des  paons  et  autres  oiseaux, 
signes  dislinclifs  des  mandarins  civils. 

Le  prince  porte  une  robe  semblable  à  celle  des  autres 
mandarins,  à  cette  exception,  toutefois  qu'au  lieu  des 
plastrons  brodés,  comme  membre  de  la  famille  impé- 
riale, il  a  sur  les  épaules,  sur  le  dos  et  sur  la  poitrine 
quatre  blasons  où  se  trouve  le  dragon  aux  cinq  griffes, 

(1)  Nous  empruntons  quelques-uns  des  détails  de  celte  cérémonie  à 
rintéi*essant  récit  de  M.  G.  de  Keroulée,  attaché  à  l'ambassade  ex- 
traordinaire de  France  en  Chine. 


316  campa{;ne  de  chine. 

armoiries  de  la  dynastie  régnante  ;  sa  toque  garnie  de 
velours  est  surmontée  d'une  grosse  éméraude,  pierre 
dislinctivc  de  prince  du  sang.  (L'empereur  seul  porte 
l'œil  de  chat  et  l'impéralrice  une  perle).  Son  collier, 
composé  de  corail  et  d'ambre  gris  descend  jusque  la 
ceinture,  c'est  l'ornement  des  jours  de  grande  cérémo- 
nie, tous  les  mandarins  le  portent.  Les  grains  de  ces 
colliers  varient  depuis  l'ambre,  le  corail,  le  lapis  lazuli 
et  la  laque  rouge  jusqu'au  verre  de  couleur.  —  En  ajou- 
tant à  la  description  que  nous  venons  de  faire,  le  pan- 
talon de  soie  écruc  et  les  bottes  de  salin  noir  montant 
jusqu'au  genou,  on  aura  une  idée  exacte  du  costume 
du  prince  Kong. 

XLI.  —  C'est  sur  ce  personnage  important  que  se  con- 
centrent tous  les  regards. 

Le  prince  est  jeune,  il  semble  avoir  vingt-quatre  ans 
au  plus,  s'il  est  vrai  que  l'on  puisse  donner  un  âge  à 
ce  visage  sur  lequel  la  fatigue  des  jouissances  de  la 
vie  a  déjà  laissé  sa  visible  empreinte;  l'œil  noir  et 
profond  s'abrite  sous  d'épais  sourcils  ,  le  regard  a  par- 
fois des  éclairs  passagers  qui  révèlent  une  énergie  épui- 
sée par  l'oisiveté  de  la  vie  chinoise,  le  teint  d'une  pâ- 
leur mate  donne  un  cachet  de  grande  distinction,  à  son 
nez  légèrement  bus(|ué,  appartenant  à  la  race  tartarc  et 
à  ses  lèvres  dont  la  forme  et  le  coloris  respirent  la  sen- 
su dite;  mais  cet  aspect  de  lassitude  qui  forinc!  un  si 
étrange  contraste  avec  la  jeunesse  excessive  du  priiice, 
n'a  point  altéré  en  lui  l'air  souverainement  aristocra- 


LIVRE  m,   CHAPITRE  11.  317 

tique  cl  le  cachet  de  nol)le  race  qui  se  lit  sur  sa  personne 
et  surtout  sur  ses  mains  d'un  dessin  élégant  et  pur; 
leur  blancheur  est  si  exagérée  que  le  sang  ne  semble 
pas  y  circuler.  «  On  sent  à  le  regarder  (écrivait  un  té- 
moin oculaire),  que  c'est  le  rejeton  d'une  haute  race 
dans  laquelle  le  luxe,  la  vie  oisive  et  l'excès  des  jouis- 
sances sont  héréditaires.  y> 

XLII.  —  Après  les  félicitations  échangées  par  l'am- 
bassadeur de  France  et  le  commandant  en  chefducorps 
expéditionnaire  avec  le  haut  plénipotentiaire  chinois, 
M.  de  Méritens,  interprète  de  l'ambassade,  dit  au  prince 
que  S.  Exe.  le  baron  Gros,  ministre  plénipotentiaire  de 
S.  M.  l'Empereur  des  Français  le  prie  d'agréer  ses  sen- 
timents de  respect  pour  l'Empereur,  son  auguste  frère 
et  pour  lui-même,  ainsi  que  l'assurance  des  sentiments 
de  paix  et  de  conciliation  qui  animent  son  Souverain. 
—  Le  prince  Kong,  sourit  fort  gracieusement,  et,  per- 
dant l'expression  de  contrainte  pénible  qui  par  moment 
contractait  son  visage,  il  ne  cherche  pas  à  cacher  com- 
bien il  est  sensible  aux  paroles  qu'il  vient  d'entendre. 
Son  Altesse  répond  :  «  que  ce  désir  de  bon  accord  que 
le  traité  de  paix  va  sceller  aujourd'hui,  est  au  fond  de 
son  cœur  et  de  sa  pensée  la  plus  intime.  » 

Le  baron  Gros,  entouré  de  ses  secrétaires,  est  allé 
ainsi  que  le  général  de  Montauban,  prendre  place  sur 
une  estrade  réservée.  Devant  de  longues  tables  dressées 
pour  la  cérémonie,  sont  assis  d'un  côté  dix  à  douze 
mandarins  à  boutons  de  corail,  personnages  élevés  du 


318  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

gouvernement  chinois,  de  l'autre,  les  deux  généraux  de 
brigade,  Jamin  et  Collineau,  et  les  chefs  de  service  du 
corps  expéditionnaire.  Le  thé  est  servi  aux  deux  plénipo- 
tentiaires et  aux  grands  personnages  de  chaque  nation, 
puis  commencent  les  l'ornialilés  diplomatiques. 

Les  exemplaires  du  traité  de  paix  sont  échangés  pour 
la  vérification  des  sceaux. — Le  traité  français  est  transcrit 
sur  très-beau  parchemin,  le  traité  chinois  sur  des  ta- 
blettes de  bois  doré,  puis,  le  prince  Kong  et  le  baron 
Gros,  apposent  tous  deux  leur  signature  et  leur  seing. 

XLIIL  —  A  ce  moment,  un  coup  de  canon  tiré  près 
le  tribunal  des  rites,  donne  le  signal  à  la  batterie  placée 
sur  les  remparts  de  la  i)ortc  du  Nord ,  et  une  salve  de 
vingt  et  un  coups  de  canons  salue  ce  solennel  événe- 
ment. Le  prince  Kong,  après  avoir  reçu  les  félicitations 
du  baron  Gros  et  les  portraits  de  TEmpereur  et  de  l'Iin- 
péralrice,  ainsi  qu'une  série  des  monnaies  françaises, 
remercie  l'ambassadeur,  et  adresse  au  général  de  Mon- 
lauban  les  paroles  les  plus  flatteuses  sur  les  hauts  talents 
miUtaires  qu'il  a  déployés  ;  il  annonce  ensuite  au  baron 
Gros  qu'il  ira  très-prochainement  lui  rendre  \isite,  non 
en  prince,  mais  en  ami.  Les  mandarins  élevés  qui  en- 
touienl  le  haut  plénipotentiaire  chinois,  graves  et  pré- 
occupés pendant  toute  la  cérémonie,  ne  cachent  pas  la 
satisfaction  qu'ils  éprouvent. 

Les  journées  du  24  et  du  25  octobre  terminaient  réel- 
lement tous  les  différends  entre  les  nations  alliées  et  le 


LIVRE  III,  CHAPITRE  II.  319 

Célesle-Empirc;  elles  établissaient  la  paix  sur  des  bases 
plus  solides  qu'elles  ne  l'eussent  été  l'année  précédente. 
A  cette  époque,  il  serait  resté  dans  Kesprit  du  gouverne- 
ment chinois,  aveugle  et  insensé  dans  son  orgueilleux 
mépris  pour  les  nations  européennes,  la  pensée  qu'il 
pouvait  nous  opposer  en  rase  campagne  des  forces  in- 
vincibles. —  Le  traité  signé  en  1858  se  serait  toujours 
ressenti  de  cette  conviction  intime,  et  les  populations  de 
ce  vaste  empire  l'auraient  regardé  comme  une  faveur 
inespérée  du  Fils  du  ciel  envers  les  Barbares. 

Aujourd'hui  il  ne  peut  plus  en  être  ainsi  ;  ces  popula- 
tions sont  convaincues  malgré  elles  de  noire  force  et  de 
notre  supériorité.  La  prise  des  forts  de  Ta-kou  si  puis- 
samment armés,  le  combat  de  Tchang-kia-ouang  et  la 
bataille  de  Pa-li-kiao  ont  démontré  au  gouvernement 
chinois  son  impuissance  et  grandi  le  prestige  de  nos 
armes;  ils  ouvraient  à  jamais  les  portes  de  Pé-king  et 
jetaient  la  lumière  sur  les  mystérieuses  obscurités  du 
Céleste-Empire. 


CHAPITRE  IIL 

XLIV.  —  L'expédition  de  Chine  si  glorieusement  ac- 
complie et  si  heureusement  terminée,  ne  doit  point  être 


320  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

appréciée  sous  le  iiirme  point  de  vue  que  les  aiilrcs 
campagnes  (jui  ont  illustré  eu  fiiiniée  et  en  Italie  le  règii(> 
de  Napoléon  III. 

C'est,  pour  nous  servir  de  l'expression  môme  de  l'Em- 
pereur «  une  entreprise  sans  exemple.  »  Une  poignée  de 
combattants  perdus  pour  ainsi  dire  dans  les  contrées 
lointaines  de  l'extrême  Orient  s'est  audacieusement 
lancée  jusqu'au  cœur  même  de  la  Chine,  bravant  tous 
les  dangers  qui  naissaient  sous  chacun  de  ses  pas;  — 
livrée  à  elle-même,  elle  affronte  les  hasards  si  re- 
doutables de  l'inconnu,  fantôme  insaisissable  qui  peut 
grandir  tout  à  coup  etl'envelopper  comme  dans  un  lin- 
ceul. Une  nombreuse  armée  et  une  cavalerie  réputée 
formidable  couvrent  les  approches  de  la  capitale;  —  les 
têtes  des  ambassadeurs  et  des  commandants  en  chef 
sont  mises  à  prix  dans  cette  contrée  sauvage  où  la 
barbarie  et  la  trahison  dressaient  chaque  jour  de  sourdes 
et  lâches  embûches.  Rien  n'arrête  ces  quelques  milliers 
d'hommes,  jusqu'à  ce  qu'Usaient  victorieusement  planté 
le  drapeau  national  sur  les  remparts  même  de  Pé-king. 

Ce  n'est  pas  par  le  nombre  des  morts  laissés  sur  les 
champs  de  bataille  que  peut  et  doit  se  juger  une  pareille 
entreprise;  c'est  par  les  périls  affrontés,  c'est  par  l'éner- 
gie déployée,  c'est  par  les  résultats  obtenus.  —  Le  sang 
versé  n'est  pas  souvent  le  dernier  mot  des  batailles;  les 
plus  sanglantes  sont  les  plus  douloureuses,  mais  ne  sont 
pas  souvent  les  plus  mémorables. 

Un  grand  acte  a  été  accompli  qui  restera  comme  un 
des  faits  les  plus  surprenants  de  ce  siècle  si  fécond  en 


LIVRE  III,   CHAPITRE  III.  321 

grandes  choses.  Les  barrières  de  la  Chine  ont  été  brisées 
et  les  drapeaux  de  la  France  et  de  l'Angleterre  ont  flotté 
sur  ces  murailles  mystérieuses  qui  abritaient  les  ennemis 
les  plus  implacables  des  nations  européennes  ;  —  la  civi- 
lisation venait  se  grefïér  sur  la  barbarie,  et  la  croix  du 
Christ  reparaissait  sur  les  églises  relevées.  —  Ces  deux 
grands  buts  poursuivis  avec  une  noble  persévérance 
avaient  été  atteints;  les  ambassadeurs  rapportaient  des 
traités  de  paix,  les  généraux  en  chef  rapportaient  des 
victoires. 

XLV.  — Avant  que  l'armée  française  quitiât  la  capitale 
du  Céleste-Empire  pour  aller  prendre  ses  quartiers  d'hi- 
ver à  Tien-tsin  il  restait  encore  deux  devoirs  sacrés  à 
accomplir  :  —  rendre  dans  le  cimetière  catholique  de 
Pé-king  les  derniers  devoirs  aux  victimes  de  la  trahison 
du  18  septembre,  —  restaurer  et  consacrer  l'Église  ca- 
tholique au  sein  même  de  la  capitale,  où  la  religion 
chrétienne  avait  été  outragée  et  persécutée  dans  ses 
ministres. 

Déjà  le  général  de  Montauban  connaissant  le  profond 
respect  des  Chinois  pour  les  morts  avait,  même  avant  la 
signature  du  traité  de  paix,  fait  savoir  au  prince  Kong 
qu'il  demandait  que  les  restes  mortels  de  ses  compa- 
triotes morts  pendant  leur  captivité  à  Pé-king,  fussent 
enterrés  dans  l'ancien  cimetière  français  qu'un  empe- 
reur de  la  Chine  avait  autrefois  concédé  aux  mission- 
naires catholiques,  et  qui  était  dans  l'intérieur  de  la  ville. 
Sa  demande  avait  été  aussitôt  accueillie. 

Il  21 


322  CAMPAGNE  DE  CHINE. 

Le  28  octobre  fui  le  jour  lixé  pour  celte  triste  cvvè- 
monie  à  laquelle  assistaient  tous  les  prêtres  catholiques 
français,  anglais  et  chinois  et  les  généraux  et  officiers 
des  armées  alliées  en  très-grand  nombre.  —  Douloureux 
spectacle  qui  raviva  dans  tous  les  cœurs  la  douleur  pro- 
fonde de  ce  cruel  souvenir. 

Les  six  cercueils  étaient  portés,  chacun  sur  un  chariot 
d'artillerie  recouvert  d'une  longue  draperie  noire  avec 
une  croix  blanche  ;  —  des  détachements  de  tous  les  corps, 
les  armes  renversées,  suivaient  les  cercueils.  —  Ce  triste 
cortège  bien  différent  de  celui  qui  trois  jours  auparavant 
avait  traversé  Pé-king  entra  dans  la  ville  par  la  porte 
Teou-tching-men,  et  suivant  le  vaste  faubourg  qui  s'étend 
vers  la  droite  arriva  au  cimetière,  oti  s'étaient  déjà  ren- 
dus de  leur  côté  le  baron  Gros  et  toute  son  ambassade, 
ainsi  que  le  général  Ignatieff  et  le  personnel  de  l'am- 
bassade russe  en  grande  tenue.  Mgr  Mouly,  évêque  de 
Pé-king,  officia  assisté  par  les  aumôniers  français;  puis 
la  terre  recouvrit  ces  restes  mortels  auxquels  le  général 
en  chef  adressa  d'une  voix  émue  un  dernier  adieu,  en 
flétrissant  avec  une  amère  indignation  les  traîtres  qui 
s'étaient  rendus  coupables  d'un  si  odieux  forfait.  —  Ce 
cimetière, préservé  delà  dévastation, contient  les  tombes 
des  premiers  évèques  catholiques  de  Pé-king. 

XLYI.  —  Le  lendemain  29  devait  avoir  lieu  la  l'éou- 
verture  de  l'Église  catholique  et  la  cérémonie  de  sa 
nouvelle  consécration. 

Depuis  plusieurs  jours  des  soldats  de  l'infanterie  et  du 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  323 

génie  travaillaient  sous  les  ordres  du  capitaine  de  génie 
Beziat  à  restaurer  cette  église  interdite  depuis  trente- 
cinq  ans  au  culte  catholique  ;  les  plantes  parasites,  ces 
hôtes  inséparables  de  l'oubli,  avaient  enlacé  leurs  puis- 
santes racines  dans  les  pierres  disjointes  et  couvraient 
presque  entièrement  les  murs  dégradés,  cachant,  pour 
ainsi  dire,  la  dévastation  du  lieu  saint  sous  leur  épais 
manteau  de  verdure. 

Lorsque  la  pioche  et  la  liache  eurent  déblayé  l'entrée,  et 
que  l'on  put  pénétrer  dans  l'intérieur  de  l'église,  un  triste 
spectacle  s'offrit  aux  regards.  Le  long  des  murs  qui  pen- 
daient eux-mêmes  en  lambeaux  dans  plusieurs  parties, 
étaient  accrochés  des  débris  de  cadres  dorés  dont  les  Chi- 
nois avaient  arraché  les  peintures  saintes.  —  Les  vitraux 
brisés  laissaient  entrer  la  pluie  et  le  vent  par  les  fenêtres 
ogivales.  Quoique  le  dôme  fût  en  partie  effondré,  on  y 
voyait  encore  des  restes  de  peintures  à  fresques.  L'herbe 
croissait  à  l'intérieur  comme  dans  un  champ  désert  ;  mais 
la  parole  de  Dieu  allait  de  nouveau  retentir  dans  la  nef 
sainte,  et  la  religion  du  Christ  délivrée  de  ses  bourreaux 
y  retrouvait  un  asile  inviolable. — La  croix  de  fer  qui  sur- 
montait autrefois  le  portique  de  l'église,  et  que  les  Chi- 
nois avaient  abattue,  a  repris  la  place  qu'elle  occupait, 
pour  dire  à  tous  que  le  temps  des  persécutions  est  passé. 
Des  tentures  ont  été  dressées  le  long  des  murailles, 
afin  d'en  cacher  la  nudité  et  les  dégradations.  Ce  fut  une 
imposante  cérémonie  que  cette  réédification  du  temple 
saint  au  milieu  de  la  terre  païenne  ;  elle  était  le  prix  des 
rudes  épreuves  supportées  par  une  poignée  de  soldats 


324  CAMPAGNE    DE  CHINE. 

héroïques  auxquels  la  France  avait  donné  celle  noble  et 
glorieuse  mission. 


XLYII.  —  Une  pluie  glaciale  nièléc  de  neige  qui  tomlta 
pendant  toute  la  journée,  indiquait  que  le  moment  était 
venu  pour  les  troupes  d'aller  prendre  leur  quartier  d'hi- 
ver à  Tien-tsin,  et  le  général  de  Montauban  se  prépara 
à  quitter  Pé-king  sans  retard,  car  il  craignait  que  les 
mauvais  temps  ne  rendissent  le  retour  très-pénible. 

OCliciellement  informé  par  l'ambassadeur  de  France 
de  la  cessation  complète  des  hostintés(l)  conformément 
aux  ordres  de  l'Empereur,  le  commandant  en  chef  fran- 
çais ne  jugea  pas  à  propos  de  prolonger  plus  longtemps 
son  séjour  dans  la  capitale  de  l'empire  chinois  et,  ainsi 
qu'il  l'avait  annoncé  déjà  pendant  le  cours  des  négocia- 

(1)  Le  baron  Gros  au  général  de  Montauban. 

26  octobre  1860. 

Un  prccès-verbal  constate  l'échange  des  ratifications.  La  paix  étant 
ainsi  heureusement  rétablie  entre  la  France  et  la  Chine,  je  dois,  pour 
me  conformei  aux  cnrdres  de  l'Empereur,  vous  demander,  au  nom  du 
gouvernement,  de  faire  cesser  immédiatement  tout  acte  d'hostilité 
contre  la  Chine  qui  n'aurait  pas  un  caractère  essentiellement  définitif. 
La  convention  de  paix,  identique  quant  au  fond,  à  celle  que  S.  Exe. 
l'ambassadeur  d'Angleterre  a  signé  le  24  de  ce  mois  avec  le  prince  de 
Kong,  vous  fera  connaître,  général,  les  engagements  qui  sont  obli- 
gatoires pour  les  deux  puissances  contractantes  et  je  réclamerais  votre 
concours  pour  en  assurer  loyalement  l'exécution,  si,  contre  toute 
probabilité,  il  y  avait  lieu  de  le  faire. 

Permettez-moi,  général,  de  me  féliciter  des  rapports  de  confiance 
qui  ont  existé  entre  nous  et  de  vous  complimenter  de  la  part  active 
et  brillante  qui  vous  revient  à  si  juste  litre  dans  le  succès  de  notre 
mission  commune.  Baron  Gros. 


LIVRE  111,   CHAPITRE  lil.  M-25 

lions,  il  quittait  le  l"'"  novembre  son  quartier  général  de 
Pé-king  avec  toutes  les  troupes  sous  son  commande- 
ment, et  se  dirigeait  vers  Tien-tsin,  Oti  il  arrivait  après 
cinq  jours  d'une  marche  très-fatigante.  Il  avait  traversé 
un  pays  dévasté  par  les  pillards  chinois  dont  les  bandes 
hideuses  avaient  suivi  pas  à  pas  les  armées  alliées,  ra- 
vageant les  campagnes  et  les  villages  derrière  elles. 

XLVIII.  —  Lord  Elgin  avait  voulu  rester  quelques  jours 
encore,  malgré  l'opinion  du  général  Grant,  qui  appréhen- 
dait aussi  avec  raison  d'être  pris  par  les  mauvais  temps 
avant  l'arrivée  de  ses  troupes  aux  points  fixés  pour  leur 
hivernage  ;  mais  le  haut  plénipotentiaire  de  S.  M.Britan- 
nique tenait  à  prolonger  son  séjour  jusqu'au  moment 
où  la  paix  serait  promulguée  par  l'empereur  de  la  Chine. 
Selon  lui  rien  jusque-là  n'était  réellement  terminé,  et  le 
traité  signé  à  Pé-king  pouvait  devenir  illusoire  comme 
celui  de  Tien-tsin.  —  Était-ce  bien  là  le  véritable  motif 
de  son  séjour?  le  baron  Gros  ne  pensait  pas  qu'il  fût  né- 
cessaire d'attendre  cette  promulgation;  mais  il  crut  ne 
pas  devoir  quitter  un  terrain  que  n'abandonnait  i)as  en- 
core son  collègue;  il  resta  donc,  et  en  informant  le 
général  en  chef  français  de  ce  retard  imprévu,  il  le  piia 
de  lui  laisser  un  bataillon,  ce  que  s'empressa  de  faire 
le  général  de  Montauban,  qui  joignit  à  ce  bataillon  deux 
pièces  d'artillerie. 

XLIX.  —  Quelques  jours  après  l'arrivée  du  corps  ex- 
péditionnaire français  à  Tien-tsin,  deux  ofticicrs  et  un 


326  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

sous-officier  s'embarquaient  pour  la  France,  cliargés  de 
porter  à  l'Empereur,  au  nom  de  la  petite  armée  de 
Chine,  les  objets  d'art  trouvés  dans  le  palais  impérial  de 
Yuen-mun-yuen  et  qui  étaient  destinés  à  Sa  Majesté. 
Ces  trois  délégués  étaient  le  chef  d'escadron  d'élat-major 
Campcnon,  le  lieutenant  d'infanterie  Bourcart,  du  101%  et 
le  maréchal  des  logis  de  Braux  d'Anglure,  du  8«  chas- 
seurs. Le  général  de  Monta uban,  dans  la  lettre  qu'il  adres- 
sait à  ce  sujet  au  ministre  de  la  guerre,  priait  Son  Excel- 
lence de  vouloir  bien  présenter  à  Sa  Majesté  les  trois 
personnes  qui  avaient  été  l'objet  d'un  choix  si  honorable. 
Le  même  jour,  le  lieutenant  de  vaisseau  de  Pina,  offi- 
cier d'ordonnance  du  général  en  cbef,  s'embarquait 
aussi  sur  le  môme  bâtiment ,  chargé  de  remettre  au 
ministre  de  la  guerre  une  cassette  trouvée  également 
au  palais  d'Été,  et  qui  contenait  les  différents  traités 
conclus  avec  l'empereur  de  Chine,  papiers  qui  pouvaient 
être  pour  la  diplomatie  européenne  du  plus  haut  inté- 
rêt, car  ils  établissaient  nettement  quels  étaient  les  rap- 
ports commerciaux  et  politiques  de  la  Chine  avec  les 
autres  nations. 

M.  de  Pina,  que  le  commandant  en  chef  avait  désigné 
pour  celte  mission,  avait  été  gravement  blessé  en  fran- 
chissant, le  premier,  les  murs  du  palais  impérial. 

L.  —  Le  22  novembre ,  le  général  de  Montauban 
quittait  Tien-tsin,  laissant  le  commandement  supérieur 
des  troupes  dans  celte  ville  au  général  Collineau,  officier 

ilu  plus  haut  iiiéiite,  (|iii  joignait  à  une  bravoure  écla- 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  327 

tante  une  haute  intelligence  militaire.  —  Hélas  !  l'armée 
devait  bientôt  perdre  ce  brillant  et  énergique  soldat 
si  miraculeusement  échappé  aux  boulets  de  Sébasto- 
pol.  —  Et  ce  n'était  pas  sur  un  cbamp  de  bataille  qu'il 
devait  mourir  en  combattant  les  ennemis  de  la  France! 
Envoyé,  quelques  mois  plus  tard,  en  Cochinchine,  il 
succombait  frappé  par  ce  climat  si  fatal  à  nous  autres 
Européens.  —  Grande  perte  pour  l'armée  qui  avait  su  si 
justement  apprécier  les  nobles  qualités  du  chef  qu'elle 
perdait  (1). 

Le  général  de  Montauban  se  rendit  à  Tché-ou,  et  vi- 
sita le  petit  camp  qu'il  y  avait  laissé,  lorsque  le  corps 
expéditionnaire  s'était  dirigé  vers  le  nord.  Toutes  les 
montagnes  étaient  déjà  couvertes  de  neige  et  le  froid 
très-intense.  Mais  le  général  de  Montauban  regardait 
Tché-ou  comme  une  station  trop  importante  pour  l'a- 
bandonner entièrement;  il  y  maintint  donc  250  liommes, 
formant  ainsi  un  poste  intermédiaire  suffisant  entre 
Shang-hai  et  Tien-tsin,  avec  lequel,  sous  peu,  la  congé- 
lation des  eaux  du  Peï  ho  ne  permettrait  plus  de  com- 
munication que  par  la  voie  de  terre. 

LI.  —  Avant  de  se  rendre  à  Shang-hai,  le  général  en 
chef  français  se  trouvant  à  quarante-huit  heures  de 


(t)  Le  général  Collineau  restait  à  Tien-tsin  avec  le  101''  régiment 
de  ligne,  un  bataillon  du  102";  deux  batteries  d'arlillerie  et  une  com- 
pagnie du  génie  ,  près  de  trois  mille  bommes. 

Le  reste  des  troupes  s'embarqua  pour  Shang-hai  qu'elles  atlei- 
Koaient  le  12  décembre. 


328  CAMPAGNE   «E  CHINE. 

Nankasaki,  résolut  d'aller  visiter  ce  port  japonais,  où 
il  entra  sur  le  Forbin,  après  avoir  traversé  un  bosphorc 
aussi  splendide  que  celui  de  Constantinople. 

Ne  pouvant  se  rendre  à  Yeddo,  le  général  de  Mon- 
tauban  tenta  d'aller  à  Ozakia ,  dnns  la  mer  intérieure. 

«  On  navigue  (écrivait-il  à  celte  époque),  dans  une  suc- 
cession de  cinq  à  six  lacs  bordés  de  montagnes  du  plus 
riant  aspect  et  couvertes  d'arbustes  auxquels  le  temps  a 
donné  une  grandeur  et  une  grosseur  prodigieuses,  por- 
tant, ceux-ci  un  feuillage  vert ,  ceux-là  des  fleurs  de 
toute  sorte.  —  Au  pied  de  ces  montagnes,  des  villes  et 
des  villages  se  succèdent  sans  interruption;  dans  les 
ports  se  pressent  des  jonques  de  toutes  formes  et  de 
toutes  couleurs;  la  mer  intérieure  est,  du  reste,  remplie 
de  jonques  de  commerce  et  de  bateaux  de  pêcbeurs, 
le  poisson  étant  la  principale  nourriture  des  habitants. 
—  Les  maisons  sont  entourées  de  jardins;  ces  jardins 
regorgent  d'orangers  chargés  de  fruits,  de  bananiers  et 
présentent  celte  végétation  luxuriante  qui  appartient  à 
ces  riches  et  fertiles  contrées.  » 

Après  trois  jours  de  marche  à  travers  ces  bassins  suc- 
cessifs, le  Forbin  arriva  devant  Ozakia,  niais  seulement 
en  grande  rade ,  les  bâtiments  d'un  fort  tirant  d'eau  ne 
pouvant  approcher  de  terre. 

Vainement  le  général,  qui  tenait  à  conserver  son  in- 
cognito, demanda  l'autorisation  de  visiter  la  ville.  Après 
vingt-quatre  heures  d'attente  et  de  réponses  ambiguës, 
comprenant  que  cette  autorisation  ne  lui  serait  pas 
accordée,  il  donna  l'ordre  de  retourner  àNangasaki, 


LIVRE   III,   CHAPITRE   111.  329 

après  avoir,  à  l'aide  de  la  longue-vue,  jeté  un  regard 
attentif  sur  cette  ville  d'un  très-grand  développement  et 
qu'aucun  Européen  n'a  pu  encore  visiter  jusqu'à  ce  jour. 

LU.  —  A  Nangazaki,  le  g'énéral  de  Montauban  trouva 
l'amiral  Page. 

L'amiral  se  rendait  à  Yeddo  avec  deux  bâtiments  de 
guerre,  sur  la  demande  du  consul  de  France,  M.  de  Bel- 
lecourt,  qui  n'avait  pu  obtenir  du  gouvernement  japo- 
nais satisfaction  d'un  attentat  commis  contre  un  de  ses 
agents,  à  la  porte  même  du  consulat.  —  Le  lendemain, 
le  contre-amiral  anglais  Jones  arrivait,  de  son  côté,  avec 
trois  bâtiments  de  guerre,  pour  montrer  aussi  dans  les 
mers  du  Japon  le  drapeau  de  l'Angleterre.  —  Bientôt 
l'amiral  Protêt  vint  les  rejoindre  avec  deux  autres  bâti- 
ments, ce  qui  portait,  y  compris  le  Forbin,  au  nombre 
de  cinq,  les  bâtiments  de  guerre  français  qui  se  trou- 
vaient ainsi  réunis  dans  le  port  de  Nangasaki. 

Le  16,  au  soir,  le  général  de  Montauban  était  de  re- 
tour à  Sliang-bai.  —  Les  troupes  qui  devaient  hiverner 
dans  cette  ville  étaient  arrivées  du  Pcï  ho  le  12  du  même 
mois,  mais  le  débarquement,  contrarié  par  l'état  de  la 
mer,  n'était  pas  terminé. 

Le  retour  du  corps  expéditionnaire  à  Shang-hai  n'é- 
tait pas  sans  importance,  car  les  rebelles,  rendus  chaque 
jour  plus  audacieux  par  la  crainte  qu'ils  inspiraient  au 
gouvernement  chinois  et  par  son  impuissance  à  les 
combattre,  menaçaient  toujours  d'envahir  les  établisse- 
ments euiopécns. 


330  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

LUI.  —  A  tort  on  à  raison,  car  il  ne  nous  appartient 
pas  de  discuter  cette  question,  on  croyait  généralement 
à  Shang-hai  que  les  Anglais  eussent  vu  sans  regret  le 
renversement  de  la  dynastie  actuelle  et,  par  suite  peut- 
être,  le  partage  de  l'empire  et  la  création  d'un  royaume 
du  Sud  sous  leur  patronage.  On  donnait  pour  preuve 
de  cette  assertion  la  résistance  que  les  chefs  anglais 
avaient  toujours  opposée  lorsqu'il  s'était  agi  de  marcher 
sérieusement  contre  ces  handes  dévastatrices,  toutes  les 
fois  qu'il  en  avait  été  question,  pour  la  sécurité  des  in- 
térêts européens  à  Shang-hai;  et  cependant,  les  Anglais 
étaient  les  plus  intéressés  à  la  reprise  des  affaires  et  du 
commerce  entièrement  ruiné  dans  le  Yang-tse-kiang 
par  la  juste  terreur  que  la  réhellion  croissante  inspire 
aux  populations  paisihles. 

Si  nous  enregistrons  ces  hruits,  qu'avait  accrédités 
l'attitude  de  lord  Elgin  en  diverses  circonstances,  nous 
ne  voulons  pas  entrer  dans  le  vif  de  cette  question,  qui 
nous  entraînerait  sur  un  terrain  d'appréciation  politique 
en  dehors  du  cadre  de  ce  travail.  —  L'Angleterre,  la 
nation  la  plus  avide  de.  l'extension  de  son  commerce 
extérieur,  comprenait  bien  ce  qu'elle  pourrait  gagner 
à  une  révolution  dont  les  résultats  immédiats  pour  elle 
seraient  d'importantes  concessions.  La  pohiique  des 
nations  a  des  profondeurs  secrètes  qu'il  ne  faut  pas 
fouiller;  elle  sème  dans  le  présent  pour  récolter  dans 
l'avenir,  et  marche  vers  un  but  que  l'on  peut  pressen- 
tir; ce  but  est  placé,  pour  les  uns,  dans  les  régions  éle- 
vées d'un  grand    iiitéièt  généi'al,  poia- les  autres  dans 


LIVRE  III,  CHAPITRE  III.  331 

le  domaine  étroit  mais  plus  lucratif  de   l'intérêt  per- 
sonnel. 

LIV.  —  «  Aujourd'hui  (écrivait  le  général  de  Montauban 
au  ministre  de  la  guerre),  la  question  me  paraît  complè- 
tement vidée  pour  nous,  mais  malheureusement  eUe 
ne  l'est  pas  pour  le  gouvernement  chinois,  et  je  crains 
bien  que  nous  ayons  traité  avec  l'ombre  d'un  pouvoir 
qui  se  débat  sous  les  étreintes  de  l'agonie.  —  Plus  on 
voit  de  près  les  rouages  qui  dirigent  cette  triste  admi- 
nistration ,  plus  on  est  convaincu  qu'il  faut  une  grande 
secousse  pour  faire  sortir  de  son  sommeil  léthargique 
cet  immense  corps  que  l'on  appelle  l'empire  chinois. 
La  cupidité  des  mandarins  ,  la  vénalité  des  emplois, 
l'extrême  misère  du  peuple,  dont  plusieurs  petits  rois 
tartares  s'arrachent  les  dépouilles  ,  sont  autant  de 
causes  de  la  dissolution  qui  marche  à  grands  pas  vers 
la  ruine  entière  de  la  domination  tartare;  mais,  d'un 
autre  côté,  l'ignorance  dans  laquelle  reste  plongé  ce 
peuple,  son  amour  du  travail  et  son  respect  profond  de 
l'autorité  souveraine,  qu'il  considère  comme  la  puis- 
sance paternelle,  sont  autant  de  causes  qui  pourront 
retarder  pendant  quelque  temps  encore  la  catastrophe.  » 

Du  reste,  le  gouvernement  chinois  comprenait  bien 
que,  de  toutes  les  nations  qui  avaient  traité  avec  lui ,  la 
|)lus  désintéressée  étart  la  France.  —  Avant  le  départ  du 
général  de  Montauban,  Mgr  Mouly,  évêquedePé-king, 
avait  reçu  du  prince  Kong  diverses  ouvertures  tendant 
à  savoir  si  le  général  consentirait  à  lui  prêter  le  secours 


332  CAMPAGNE   DE  CHINE. 

de  ses  troupes  pour  reprendre  aux  rebelles  Younfi- 
Cheou  et  Nan-kin.  —  Le  général  avait  répondu  que  cette 
décision  était  du  ressort  de  la  politique,  et  que  le  baron 
Gros,  chargé  des  instructions  de  l'Empereur,  pouvait 
seul  se  prononcer  sur  la  possibilité  d'une  semblable 
intervention. 

L'avenir  dira  ce  qui  doit  advenir  de  cet  immense  em- 
pire livré  au  désordre  et  à  l'anarchie,  et  que  cherche  à 
relever  de  ses  ruines  par  des  mesures  énergiques  le 
nouveau  souverain  qui  vient  de  monter  sur  le  trône  de 
la  Chine. 


Oj^^C 


GOCHINGHINE 


LIVRE  IV. 


COCHINCHINE. 


I.  —  Si  nos  différends  avec  Iti  Chine  étaient  enfin  ter- 
minés, il  n'en  était  pas  de  même  pour  le  royaume 
annamite  avec  lequel  toutes  les  tentatives  de  conciliation 
étaient  restées  infructueuses. 

Il  était  difficile  d'assigner  un  terme  à  l'action  mili- 
taire dirigée  dans  ces  parages  lointains ,  cet  état  de 
choses  préoccupait  vivement  le  gouvernement  de  l'Em- 
pereur; le  général  de  Montauban ,  à  peine  arrivé  à 
Shang-hai  avait  reçu  à  ce  sujet  deux  lettres  confiden- 
tielles du  ministre  de  la  guerre. 

La  question  pendante  avec  le  gouvernement  annamite 
regardant  spécialement  la  marine,  S.  Exe.  le  ministre 
engageait  le  général  de  Montauban  à  s'entendre  avec  le 
vice-amiral  Charner  pour  seconder  ses  projets  d'expé- 
dition, autant  qu'il  lui  serait  possible. 

Le  général  s'empressa  de  demander  à  l'amiral  Char- 
ner quels  seraient  les  renforts  que  l'armée  de  terre 
pourrait  être  appelée  à  lui  fournir  pour  les  opérations, 


336  CAMPAGNE   DE  COCIIINCHINE. 

que  sans  nul  doute ,  il  nu'-clitait  contre  les  Cochinchi- 
nois.  Déjà  le  3'  régiment  de  marine  placé  momonlané- 
menl  sous  les  ordres  du  général  de  Montauban  pendant 
l'expédition  de  Chine,  était  rentré  sous  les  ordres  de 
l'amiral. 

Sur  sa  demande,  mille  hommes  d'infanterie,  4  pièces 
de  12,  une  1/2  batterie  de  4,  ainsi  qu'une  1/2  batterie 
de  montagne  ,  1  section  du  génie ,  1  section  d'ambu- 
lance et  quelques  carabiniers  furent  mis  à  sa  disposi- 
tion. Le  ])ut  de  l'amiral  était  de  consolider  nos  points 
d'occupation  en  Cochinchine  en  faisant  attaquer  vigou- 
reusement les  bandes  anamites,  chaque  fois  qu'elles  se 
présentaient  à  portée  de  ses  campements  ou  même  dans 
les  pays  environnants. 

Le  général  de  Montauban  ,  d'un  autre  côté,  organisait 
ses  campements  d'hiver  à  Shang-hai,  i!  prenait  des  me- 
sures pour  garantir  contre  toutes  les  éventualités  les  pos- 
sessions européennes  dans  cette  province. 

En  Chine ,  l'hiver  s'écoula  tranquillement ,  et  les 
troupes  hivernées  à  Shang-hai  n'eurent  à  repousser  au- 
cune tentative  sérieuse  des  rebelles.  Quelques  coups  de 
fusil  étaient  seulement  échangés  de  temps  à  autre  avec 
les  rôdeurs  et  les  pillards  de  profession. 

Il  n'en  était  pas  de  môme  en  Cochinchine,  —  et  si  le 
petit  corps  expéditionnaire  n'avait  pas  d'engagement 
sérieux  avec  les  Annamites,  les  influences  fatales  du  cli- 
mat faisaient  de  nombreuses  victimes.  Chaque  mois 
enregistrait  des  pertes  sensibles  rendues  plus  doulou- 
reuses encore  par  la  difficulté  de  combler  les  vides  pro- 


LIVRE  IV.  337 

duits  dans  les  effectifs.  Parmi  les  pins  cruelles,  il  fuut 
placer  celle  du  général  Gollineau. 

Le  21  avril  1861,  le  général  de  Mautauban  se  dirigeait 
sur  Saigon,  oi^i  il  devait  s'entendre  avec  l'amiral  Ghar- 
ner  pour  l'occupation  définitive  de  la  Gochinchine.  Avant 
de  partir ,  il  remettait  au  général  Jamin  le  commande- 
ment des  troupes  ;  ce  général  devait  en  recevoir  le  com- 
mandement en  chef,  si  l'état  de  guerre  qui  subsistait 
toujours  avec  le  royaume  annamite  permettait  au  géné- 
ral de  Montauban  de  retourner  en  France.  —  Gelui-ci 
pensait,  ainsi  que  l'amiral  Gharner,  que  les  succès  par- 
tiels de  nos  armes  en  Gochinchine  ne  pourraient  pas 
amener  de  résultats  réels  tant  que  nous  ne  serions  pas 
maîtres  de  la  capitale  ;  et  il  était  impossible,  avec  les 
moyens  restreints  dont  on  disposait,  de  tenter  une  ex- 
pédition sérieuse  contre  Hué. 

Déjà,  dans  la  première  partie  de  ce  travail,  nous  nous 
sommes  étendus  sur  les  difficultés  qu'avait  rencontrées 
l'amiral  R.  de  Genouilly  dans  sa  première  expédition 
en  Gochinchine  en  1858.  Nous  avons  suivi  pas  à  pas 
nos  navires  do  Ganton  à  Tourane ,  et  de  Tourane  à 
Saigon  où  notre  flotte,  après  s'être  emparée  de  tous  les 
forts  qui  défendaient  la  rivière  détruisait  cette  citadelle 
importante.  —  La  position  était  encore  à  peu  près  la 
même.  —  Seulement,  à  Saigon,  l'amiral  Gharner  av;iit 
élargi  le  cercle  de  notre  occupation;  mais  sous  la  pres- 
sion desagents  secrets  des  hautes  autorités  annamites,  le 
vide  se  faisait  toujours  autour  de  nous,  et  partout  où 
nous  paraissions,  les  populations  s'enfuyaient,  nous  lais- 
II  22 


338  CAMPAGNE  DE  COGHINCHINE. 

sanl  des  habitations  aliandonnôes  et  des  villages  déserts. 
—  A|>rès  cliaquc  revers  nouveau,  l'arinJc  ennemie,  évi- 
tant tout  combat  sérieux,  se  montrait  par  bandes  sé- 
parées qui  laliguaient  nos  troupes  par  des  courses  per- 
pétuelles et  disparaissaient  ensuite  comme  des  fantômes, 
à  l'heure  du  combat.  —  Cet  état  de  choses  devait  durer 
longtemps  encore. 

Le  général  de  Montauban  s'embarqua  pour  retourner 
en  France.— Une  partie  des  troupes  qui  avaient  été  pla- 
cées sous  son  commandement  avaient  reçu  l'ordre  de 
rappel. 

Nous  n'entreprendrons  pas  ici  de  raconter  les  faits 
d'armes  éclatants  qui  illustrèrent  notre  marine  de  Co- 
chinchine ,  sous  le  commandement  du  vice -amiral 
Charner  et  ensuite  sous  celui  du  contre-amiral  Bonnard, 
que  l'Empereur,  juste  appréciateur  des  services  rendus 
au  pays  vient  d'élever  au  grade  de  vice-amiral. 

Faire  un  résumé  rapide  et  succinct  de  ces  opérations 
importantes,  ce  serait  en  méconnaître  la  haute  portée. 

Les  sanglantes  affaires  de  Ki-hou  et  de  Mitlio  méritent 
d'être  retracées  dans  tous  leurs  détails  et  de  prendre  rang 
parmi  les  faits  glorieux  qui  enrichissent  nos  annales 
maritimes.  —  Les  résultats  en  ont  été  grands  et  riches. 

Aujourd'hui ,  l'armée  régulière  annamite  du  nord  est 
détruite,  —  les  forces  de  ce  pays  sont  dispersées.  La 
France  continue  et  organise  sa  conquête,  et  elle  fera 
sentir  aux  Gochinchinois  le  poids  de  ses  armes  jusqu'au 
jour  où  ce  gouvernement  aveugle  et  insensé  comme  le 


LIVRE  IV.  339 

fut  celui  de  la  Chine,  ne  se  reCasera  plus  aux  justes 
demandes  qui  lui  sont  adressées  et  au  traité  de  paix  qui 
lui  est  offert. 

Nous  marchons  vers  une  solution  prochaine.  Cette 
longue  expédition  si  vigoureusement  et  si  victorieuse- 
ment poursuivie,  est  digne  par  la  pensée  qui  l'a  inspirée 
et  par  les  résultats  obtenus  d'une  histoire  séparée  :  cette 
histoire,  nous  allons  l'écrire,  heureux  d'enregistrer  une 
fois  de  plus  la  part  brillante  que  la  marine  conquiert  si 
noblement  chaque  jour  dans  nos  fastes  militaires. 


FIN    DE    LA   DEUXIEME   ET    DERNIERE    PARTIE. 


PIEGES  JUSTIFICATIVES 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 


Composition  du  Corps  Expéditionnaire  français 
en  Chine. 


1°  ARMËE  DE  TERRE. 


Commandant  en   chef/ 

les  forcesde  terre  et   cousin  de Montauban,  général dedivision. 
de  mer  de  1  expedi- j 
tion V 

, . ,      ,  .    rc   /  Deschiens,  chef  d'escadron  d'état-maior. 

Aides  de  camp  et  oifi- l  r,    „     •,,-         -.  •       ,,  ,  .       • 

,,     V  \  De  Bouille,  capilame  d  elat-maior. 

ciers    d  ordonnanceur^  lieutenant  de  vaisseau. 

du  gênerai  comman-K^^^j^  ^^  Montauban,  capitaine  de  ca- 

^^"tenchef ^^,^^.g_ 


ETAT-MAJOR   GENERAL. 

Chef  d'état-major  gén.   Schmitz,  lieutenant-colonel  d'état-major. 

Command.  de  l'artill..    De  Bentzmann,  colonel  d'artillerie. 

..  j      '  •        1  Dupré-Deroulède,  lieutenant-colonel  du 

Id.        du  génie.. .  ,  ■ 

°  génie. 


344  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Chef  des  services  adm.!^"^"^',   so"S-i"le"dant    militaire    de 
I      l""*  classe. 

Prévôt Janisset,  capitaine  de  gendarmerie. 

/'Dupin,  lieutenant-colonel  chef  du  service 
topographique. 
Camponon,  chef  d'escadron  adjoint  au 

chef  d'état-major  général. 
I  Foerstcr,  capilain?  adjoint  au  lieutenant- 
Officiers  attachés  à  l'é-J     colonel  Dupin. 
tal-major  général.. .  jDe  Cools,  capitaine  attaché  à  l'étal-ma- 
i     jor  général. 

I  Chanoine,  Ciipitaine  attaché  à  l'état-ma- 
f      jor  général. 

\  Dabry,  capitaine  d'infanterie  attaché  à 
l'état-major  général. 

/Foullon-Grandchamp?,  lieulonant-colonel 

commandant  les  batleiies  montées. 
Gary,  chef  d'escadron,  chofd'élat-major. 
Pelitpied,  chef  d'escadron,-  commandant 

la  2'  batterie. 
[Crouzat,  chef  d'escadron,  commandant 
la  2*=  batterie. 
Ollicieis  d'artillerie  at-  ]Dorn,chef  d'escadron,  directeur  du  parc, 

lâchés  à  rétal-major<^""«^''^- ^'''(''^"'"^'"^^'"^^^^'''^'^''■"'^J^''- 

général Dcsmarquais,  -  - 

jDe  Brives,  —  — 

iTardifdeMoidrey,  —  — 

'Charon,  —  — 

Cattoir,  —  — 

Schœlcher,  —  — 

Caillant,  —  — 

Marlimor,  —  — 

.Gusman,  —  — 

Officiers  du  génie  atta-,  Dupouet,  chef  de  bataillon, 
chés  à  l'étal -major   Allizé  de  Matignicourt,  capitaine, 
général \  Béziat,  — 

Blondeau ,   sous-inlondant    militaire   de 

i      2'  classe. 

,  .      ,  .,.,  .         'Rodet,  adjoint  à  l'intendance  militaire 

Intendance  mnitaire..  .      ,    '     ,' 

i     de  2'  classe. 

'Bonnamy,  adjoint  à  l'intendance  mili- 

^    taire  de  2«  classe. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  345 


„      .         ...  \  L  abbe  Iresaro,  aumônier  supérieur. 

Service  relieieu.x i^,  ,.  ,   ,    g      -  .   .       a-  ■  , 

*  j  L  abbe  de  Serre,  aumônier  adjoint. 

,    ,        ,   .,,    (Faure,  lieutenant,  attaché  à  la  force  nu- 
Service  de  la  prevote.  J     Ki-nip 


pe  BRIGADE  D'INFANTERIE. 

,,  ,     .  \  Jamin,  général  de  bria;ade,  commandant 

Commandant {  ,  ■  -  i-.- 

(     en  second  le  corps  expéditionnaire. 

Aide  de  camp Laveuve,  capitaine  d'état-major. 

,     .  j          ^'iGuillotde  la  Poterie,  chef  de  bataillon, 
seurs  a  pied (  ' 

,-.      ,  .        .  ,    ,■         \  Poueet,  colonel. 
101<=  régiment  de  ligne.  •^  ^,  ,■     ,         ,      i       i 

°  *       I  Olurer,  lieutenant-colonel. 

7*^  compagnie  du  l^ba-/ 

taillon  du   1"  régi- 1  Thomas,  capitaine  en  1«''. 

ment  du  génie V 

'i'^  compagnie  du  1"  ba-( 

taillon  du   3*   régi- <  Bovet,  capitaine  en  1«''. 

ment  du  eénie ( 


2«  BRIGADE  D'INFANTERIE. 

Commandant CoUineau,  général  de  brigade. 

Aide  de  camp D'Hendecourt,  capitaine  d'état-major. 

102"  régiment  d'infan-(  „,.,  ,.  ,       , 

,    ■     -,    y  OMalley,  colonel, 

terie  de  ligne (.  •" 

Régiment    d'infanterie  \  r>    ,r        ■  i       . 

,          .  {De  Vassoigne,  colonel. 

de  marine j  ^     ' 

'  Schnéegans,  capitaine  à  la  lie  compagnie 

du  6"  régiment. 

iBernadet,  capitaine  à  la  lO^conipagniedu 

I     7e  régiment. 

Détachement     d'artil-i  Dispot,  capitaine  à  la  1"  compagnie  du 

lerie \     8"^  régiment. 

Marie,  capitaine  à  la  P^  compagnie  du 

9°  régiment. 

Maugère,  capitaine  à  la  3*  compagnie  du 

10*  réiiiment. 


346  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


ARTILLERIE. 

Commandant De  Bentzmann,  colonel. 

ySchnéegans,  chef  d'escadron,  chef  d'é- 

/      tat- major. 

1  Lagardène,  chef  d'escadron. 

l  De  Brives,  capitaine  en  1^'. 

iCattoir,  capitaine  en  2^, 

jSchœlder,      — 
Adjoints  à  l'état-major.  \  Gusman,       — 

jFuzier,  médecin. 
Schreiner,  — 

'Raveret,  vétérinaire. 
Chaumont,     — 
Kittstein,  garde  d'artillerie. 

\Pichat,  — 

9'  comp.  du  14«rég.. .    Dispot,  capitaine  commandant. 

,    ,,      ,     \  Âmandrie  du  Chauffant,  capitaine  com- 
lOecomp.  duUereg.j     ^,,^^^^^^ 

Q^comp.  du  16'  rég.. .    Bernardet,  capitaine  commandant. 

lOe  comp.  du  15e  rég.  Koalpont  le  Bescond,  capitaine  comman- 
I     u3.ni. 

PARC  d'artillerie. 

Directeur  du  parc Dorn,  lieutenant-colonel. 

Chef  d'état-major Desmarquais,  chef  d'escadron. 

Sous-directeur Gaillar  de  Blairville,      — 

/Guérin,  capitaine  en  2«. 
Morvan,  — 

Donop,  — 

De  Geoffre  de  Chabrignac. 
Mathieu,  sous-lieutenant. 
ICerf,  — 

JArnold,  garde  d'artillerie. 
JGrau.xprin,        — 
.....  y  Hameaux,  gardien  de  batterie. 

Adjoints  au  parc <Vonaux,  chef  actif. 

Marcadé,      — 

jFrançois,  chef  ouvrier  d'État, 
fSchauf,  ouvrier  d'État. 

Souplet,  — 

Chrétien,  — 

Ringeisen,       — 

Tardif  de  Moidrey,  capitaine  en  1'^' 
vChorin.  lieutenant  en  1er. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  347 

Détachements  de  pon- (      . 

tonniers j^Clairac,  lieutenant  en  l""-,  commandant. 

Armuriers Ganier,  capitaine  en  2^,  commandant. 

Ouvriers Vien,  lieutenant  en  2%  commandant. 

12e  comp.  du  6«  pon-i^'^^^"'  dit  Berton,  capitaine  en  2e,  com- 
t«;,„,-«-o  \     mandant, 

tonniers 1  ,-•  i.  i- 

i  Michaux,  sous-Iieutenant,  commandant. 

ge  batterie  du  2e  régi-  (  Delaroze,  capitaine  en  2^,  commandant. 

ment  fuséens (  Carrier,  sous-lieutenant,  commandant. 

Adjoint  au  parc Pouget,  ouvrier  d'État. 

CAVALERIE. 

Reboul,  chef  d'escadron  hors  cadres,  attaché  à  l'état-major  de 
l'armée  anglaise  en  Chine  ; 

Cousin  de  Montauban,  capitaine  au  5^  de  lanciers,  officier  d'or- 
donnance du  général  en  chef; 

Mocquard,  capitaine  au  3^  de  spahis,  commandant  la  cavalerie  ; 

De  Damas,  lieutenant  au  2e  de  chasseurs  d'Afrique  ; 

Destremont,  sous-lieutenant  au  7e  de  chasseurs; 

De  Néverlée,  sous-lieutenant  au  l^r  de  cuirassiers  ; 

Mohamed-Ould-Caïd-Osman,  sous-lieutenant  au  2e  de  spahis. 

INTENDANCE   ET   SERVICES   ADMINISTRATIFS. 

Dubut,  intendant  militaire  de  l'e  classe  ; 

Blondeau,  sous-intendant  de  1'^  classe,  chef  des  services  admi- 
nistratifs ; 

Rodet,  sous-intendant  de  2e  classe  ; 

Bonnamy,  adjoint  de  !''«  classe; 

Perrier,        —  — 

Galler,  sous-intendant  de  2^  classe,  attaché  au  dépôt  de  con- 
valescents à  l'île  de  la  Réunion. 

BUREAUX  DE  l'iNTENDANCE. 

Lejeune,  officier  d'administration  de  2e  classe; 

Pascot  de  Lalouche,  officier  d'administration  de  2e  classe  ; 

Policard,  adjudant  d'administration  de  l'e  classe; 

Michelin,  —  — 

Bovier,  —  2* 

Vacherie,  —  — 

Tutrice,  —  — 

Bielle,  —  — 


348 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


DEPOT  DE  CONVALESCENTS  A  LA  REUNION. 

Scheube,  adjudant  d'administration  de  l''^  classe  ; 
Topart,  —  2e 


SERVICE   DES  SUBSISTANCES  MILITAIRES. 


Gagey,  officier  d'administra- 
tion, principal  ; 
Mongenot,  ofticier  comptable  ; 
Robert,  —  — 

Caren,  —  — 

Lapeyre,       —  — 

Huguet,         —  — 

Daurelle,       —  — 


Laussu,  adjudant  d'adminis.; 

Guerriéri,    —  — 

Bréart,        —  — 

Marcilèse,    —  — 

Bré,  -  - 

Landcau,     —  — 

Grosbonnet,  — 

Bain,  —  — 


SERVICE   D  HABILLEMENT. 


Démange,  oftic.  d'adm.  en  V^  ; 
Montait!,  —  — 

la  Crampe.         — 
Kliiber,  —  — 

Barate,  —  -2' 

Michel,  —  — 


Richard,  offic.  d'adm.  en  2*  ; 
Laillault,         —  — 

Masson,  —  — 

HoUer,  -  — 

Mégès,  sous-officier  stagiaire; 
Gérard,  —  — 


SERVICE  DU  CAMPEMENT. 


Ader,  officier  comptable  de 

l"""  classe. 
Rousselot,  officier  comptable 

de  2"  classe. 
Malaret,  officier  comptable  de 

2"  classe. 


Laforest  de  Minotty,  adju- 
dant en  P"'; 
Marguet,  adjudant  en  l^'-  ; 
Clément,  —  — 

Barthélémy,   —  — 


SERVICE   MEDICAL   DE   L  ARMEE. 


Guiliano  dit  Castano,  méde- 
cin en  chef  du  corps  expé- 
ditionnaire; 

Guerrier,   médecin    i.riiicipal 

'le  2"  classe  ; 


Didiot,  méd.  princ.  de  2'  cl.; 
Strauss,  méd.  major       l""® 
Larivière,        —  — 

France,  —  — 

.Armand.  —  — 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES, 


349 


Champenois,  — 

— 

Libermann,     ~ 

Béchade,        — 

— 

Girard,            —              2^ 

Labouysse,     — 

— 

Matliis,           —              — 

Dufour,           - 

2" 

Bourot,           -              — 

Dexpers  dit  Faudoas, 

— 

Tardy,             —              — 

Mouret,           — 

— 

Fée,                —              — 

LespiaU;          — 

— 

Jean,               —              — 

Grounier.        — 

— 

Lapeyre,  pharmacien  en  chef 

Dezon,            — 

— 

du  corps  expéditionnaire. 

Viscaro,           — 

— 

Ollivier,    pharmacien   major 

Hattule,           — 

— 

de  2'  classe  ; 

Lasnier,          — 

— 

Felsch,phar. aide-maj.  l'ecl.; 

Alezais,          — 

— 

Debeaux,         —               — 

Fouquet,  méd.  aide-maj 

.1-cl. 

Strohi,            —              — 

Azaïs,             — 

— 

Berquier,        —              — 

Maître             — 

— 

Judicis,            —              2* 

Frilley,           - 

— 

Tête-Doux,     -              - 

SERVICE   DE   LA   TRESORERIE   ET   DES   POSTES. 


Lelibon,inspect.  desfinances. 
Laffage,  payeur  en  chef. 
Carré,  payeur  principal. 
Dudillot,  payeur  particulier. 
Pochon,  — 

Béchu,  payeur-adjoint. 
Bruzard,  — 

Maignan-Champromain, 
Goubeaux, 
Saillard,  — 


De  Vaissière,  payeur-adjoint. 
Brincourt,  ■ — 

Camproger,  — 

Laporte,  — 

Etienne.  — 

Vallette  Lagavinie,  — 
Jannet,  — 

De  Courcy,  — 

Vallin,  - 


2»  MARINE. 


ETAT-MAJOR   GENERAL. 

Commandant  en  chef..    Charner,  vice-amiral. 

Chef  d'état-major Laffon-Ladébat,  capitaine  de  vaisseau. 

....  l  Duquilio,  capitaine  de  vaisseau. 

Aides  de  camp j  jg^^.^^^  lieutenant  de  vaisseau. 

Officier  d'ordonnance..    Danyean,  lieutenant  de  vaisseau. 
Chirurgien  principal. .    Laure. 


350 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


Aumônier  supérieur  de), ,  ...  t.-        j 
l'escadre. JLabbe  Riccardy. 

Secrétaire  de  l'amiral.    Legrix,  aide-commissaire. 

iGarnier,  aspirant  de  l""»  classe. 
Piquet,  aspirant  de  2'  classe. 
Frostin,  — 

Secrétaire  du  chef  d'é-f  Duchesne  deBellecourt,  commis  de  ma- 
tat-major [     rine. 

/De  Lapelin,  capitaine  de  vaisseau,  com- 
;      mandant. 

y  De  Surville,  capitaine  de  vaisseau,  se- 

^     cond. 

Impératrice-Eugénie.. .  ,  Harel,  lieutenant  de  vaisseau  deU^classe. 

J  Senez,  lieutenant  de  vaisseau  de  2'  classe. 

f  De  Geoffroy  du  Rouret,  lieutenant  de 

vaisseau  de  2''  classe. 

Fallu,  lieutenant  de  vaisseau  de  2^  classe. 

/Page,  contre-amiral. 
Favin-Lévèque,  capitaine  de  vaisseau, 

commandant. 
Regreny ,  lieutenant  de  vaisseau,  second . 
Ducrest  de  Villeneuve ,   lieutenant  de 

Renommée '      vaisseau. 

Lebrelon   de   Rauregat,   lieutenant  de 

vaisseau. 
Faton,  lieutenant  de  vaisseau. 
\  Dehan  de  Staplaade,  lieutenant  de  vais- 
^     ssau. 

/Protêt,  contre-amiral. 

/  Bouchct-Rivière,  lieutenant  de  vaisseau, 

l     aide  de  camp. 

1  AUain  Dupré.  enseigne  de  vaisseau,  aide 

Drijade ^     de  camp. 

I  Béval  de  Sédaignes,  capitaine  de  frégate, 

commandant. 
Panon  du  Haziès,  lieutenant  de  vaisseau. 
\    second. 

I Faucon,    capitaine   de  vaisseau,  com- 
mandant. 
Peirei,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  351 

ITricaut,  capitaine  de  vaisseau,  comman- 
dant. 
Amet,  lieutenant  devaisseau  de  Reclasse, 
'  '  "^         \     second. 

iClavecie,    lieutenant    de    vaisseau  de 
[     2«^  classe. 

'De  Ksanson,  capitaine  de  frégate,  com- 
mandant. 
.Coutelleng,  lieutenant  de  vaisseau,  se- 
Duperré /     cond. 

D'André,  — 

Carrade,  — 

O'Neill,  - 

'  Coupvent-Desbois,  capitaine  de  vaisseau, 
commandant. 

Durance .^De  Tanouarn,  capitaine  de  frégate. 

Roquebert,  lieutenant  de  vaisseau. 
Bouvier,  — 

/  Thoyon,  capitaine  de  vaisseau,  comman- 

Gironde L/f^',-  .        ■ 

j  Nielly,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 

^Olivier,  — 

/Bourgeois,  capitaine  de  vaisseau,  com- 

Kien-chan mandant. 

\  Neveu  d'Aiguebelle,  lieutenant  de  vais- 

(     seau,  second. 

iJauréguiberry,  capitaine   de   vaisseau, 
commandant. 
Keraval,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
i  Riche,  capitaine  defrégate,  commandant. 
Boyer-Resses,  lieutenant  de   vaisseau, 
second. 
iDevaux,  capitaine  de  frégate,  comman  - 
dant. 
Vergne,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
(Lefrapper,    capitaine  de   frégate  com- 

European <     mandant. 

iLejeune,  lieutenant  de  vaisseau. 

IMorier,  capitaine  de  frégate,  comman- 
dant. 
Baron,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 


352  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Î Piolet,  capitaine,  de  frégate,  comman- 
dant, 
Delassaux,  lieutenant  de  vaisseau,  se- 
cond. 
Galache,lieutenanldevaisseaux,  second. 

ILibandière,  capitaine  do  frégate,  com- 
mandant. 
Reveillièrc,  lieutenant  de  vaisseau. 
,  (  Leps,  capitaine  de  frégate,  commandanl. 
I  Begrand,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 

IDe  Jouslard,  capitaine  de  frégate,  com- 
mandant. 
Bernard, lieutenant  de  vaisseau,  second. 
'  De  Freycinet,  capitaine  de  frégate,  com- 

Alarne mandant. 

(Lefort,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 

,  .  (  Barry,  capitaine  de  frégate  commandant. 

Neniests >  Villers,  lieutenant  de  vaisseau  second. 

1  Durand,  capitaine  de  frégate,  comman- 
dant. 
Rebel,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
/-Comte  d'IIarcourt,  capitaine  de  frégate, 

Persévérante |      commandant. 

(jonnard,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 

i  Picard,  capitaine  de  frégate,  comman- 
dant. 
X...,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
iAiguier,  capitaine  de  frégate,  comman- 
dant. 
Guys,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
i  Picard  (Esp.),  capitaine  de  frégate,  com- 
mandant. 
Prouhet,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
Massillon,  capitaine  do  frégate,  comman- 
l      dant. 

1  Fournier-Lerov,  lieutenant  de  vaisseau. 
Vengeance ^^^^^^^       - 

f  Lamothe-Tenet,  — 

Sanglier.  — 

Y  Cleret-Langavant,  capitaine  de  frégate. 
^^^ [Roux,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.      .  353 

ILiscoat,  capitaine  de  frégate,  comman- 
dant. 
Fournier,  lieutenant  de  vaisseau,  second. 
ISauze,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 
dant. 
Tourneur,  enseigne  de  vaisseau,  second. 

,    ,  \  Garagnoii,  lieutenant  de  vaisseau,  com- 

Andromaqae j     j^g^dant. 

,     ,      ,  (Ilulot  d'Ozery,  lieutenant  de  vaisseau, 

^^^^«^«"^''^ i     commandant. 

^  (  Galey,  lieutenant  de  vai;seau,  coniman- 

I>r<^9onne |     ^^^j 

/'Butel,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 

Forte  '     ^'^^"'' 

j  Mac-Dermolt,  lieutenant  de  vaisseau. 

'vObry.  - 

_,     ,  \  Bailly,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 

P"'"' 1      dant. 

(Duval,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 
Milraille |     ^^^^ 

„  ,  j  Aubaret,  lieutenant  de  vaisseau,  corn- 

^'"'■9^"* )     mandant. 

P  ,  l  De  Vautré,  lieutenant  de  vaisseau,  com- 

(     mandant. 

CANONNIÈRF.  12 De  Saisset,  lieut.  de  vaisseau,  comm. 

—  13 Des  Varannes  —  — 

—  15 Kenny,  —  — 

—  16....     Béhie,  —  - 

—  18 Peron,  —  — 

—  22 Salmon,  —  — 

—  26 Turin,  —  — 

—  27 Dol,  —  - 

—  31 Monduit-Duplessis,     —  — 

,,  (  Lespès,    lieutenant  de   vaisseau,   corn- 

Norzagaraye |     ^^^^^^^^^ 

J  ..  j  Franquet,  lieutenant  de  vaisseau,  com- 

" j     mandant. 

„  .. ,  (  Riennier,  lieutenant  de  vaisseau,  com- 

Pei-no {  1     . 

(     mandant. 

e  •■  i  De  Vautré,  lieutenant  de  vaisseau,  com- 

Saïqon {  ,  ' 

I     mandant. 

II  23 


354  PIÈCES  JUSTIFIGATIVPS. 

^.       ,  \  Nielly,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 

^*^"-^''«" j      riant. 

Alloiii-I'rah. Noël,  enseignede  vaisseau, commandant. 

,,,  iBaux,  lieutenant  de  vaisseau,  comman- 

Deroulede {      -,     . 

[     dant. 

_    ,.  k  De  la  Motte-Rou2;e,  enseigne  de  vais- 

'' I      seau,  commandant. 

j  De  la  Motle-Rouge,  enseigne  de  vais- 

^^  ^^^^ (     seau,  commandant. 

„.         ,   ..  iCarvès,  enseigne  de  vaisseau,  comman- 

Shang-hat j     ^^^^ 

Contest X...,  enseignede  vaisseau, commandant. 

aisseau, 


_  .,  (De  Montebello,   enseigne  de    v 

P'^fon... j     commandant. 

Hong-Kong  . . .  , < 


De   Montpézat,    enseigne  de   vaisseau, 
commandant. 


Il 


Rapport  du  {général  ilc  Illontaiiban.  <-oi)iniandaiit  en 
chef  les  troupes  fran^'aises  en  Chine,  à  S.  l'.xc.  le 
ministre   fie  la  guerre. 


Quartier  général  de  Sin-ho,  18  noût  ISfiO. 

Monsieur  le  maréclial, 

J'ai  riionneur  de  vous  adresser  le  compte  rendu  suivant 
des  opérations  de  la  journée  du  14  août  : 

L'armée  alliée,  sortie  de  Peh-tang  le  12,  après  avoir 
repoussé  devant  elle  la  cavalerie  de  l'ennemi  et  chassé 
son  infanterie  des  positions  retranchées  qu'elle  occupait 
autour  de  Sin-ho,  s'était  installée  le  même  soir  autour  de 
cevillane  situé  en  amont  de  toutes  les  défenses  de  la  rive 
gauche  du  Peï-ho. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  355 

Le  même  jour,  une  reconnaissance  faite  sur  une  chaus- 
sée qui  partait  de  Sin-ho,  m'avait  appris  l'existence,  à 
environ  5  kilomètres  en  aval,  d'un  camp  retranché  consi- 
dérable, situé  autour  du  village  de  Tang-kou,  et  défendu 
d'une  façon  sérieuse  tant  par  des  obstacles  naturels  que 
par  des  forces  d'infanterie  et  d'artillerie. 

Ce  camp,  qui  s'appuyait  au  Peï-ho,  n'était  accessible 
pour  nous  que  par  deux  débouchés  :  l'un  d'eux  était  cette 
chaussée  suivie  le  12,  et  dont  les  deux  côtés,  noyés  par 
des  lagunes,  ne  permettaient  aucun  déploiement  d'artil- 
lerie ou  d'infanterie  ;  l'autre  débouché,  qui  fut  adopté  par 
le  général  en  chef  anglais  et  par  moi  pour  notre  ligne 
principale  et  commune  d'opérations,  était  la  rive  gauche 
même  du  Peï-ho.  Ce  terrain  était  coupé  par  de  nombreux 
canaux  présentant  à  notre  marche  des  difficultés  qui  fu- 
rent vaincues,  grâce  au  concours  toujours  zélé  et  intel- 
ligent du  génie,  de  l'artillerie  et  des  pontonniers. 

Il  devenait  ainsi  possible  de  se  rapprocher  assez  des 
retranchements  pour  développer  les  batteries  des  deux 
armées,  ouvrir  un  feu  efficace,  détruire  en  grande  partie 
les  défenses  de  l'ennemi  et  lancer  ensuite  des  colonnes 
d'assaut  qui,  soutenues  par  le  gros  de  nos  forces,  devaient 
enlever  les  ouvrages. 

Tel  fut  le  plan  adopté,  et,  le  14  au  matin,  les  deux  ar- 
mées s'ébranlaient  dans  l'ordre  suivant  : 

L'armée  anglaise,  appuyant  sa  droite  au  Peï-ho,  descen- 
dait parallèlement  au  fleuve,  tandis  que  les  deux  brigades 
Jamin  et  CuUineau,  en  colonnes  serrées  à  demi-distance 
de  déploiement,  marchaient  à  sa  gauche  et  à  la  même 
hauteur.  Toute  la  ligne  d'infanterie  était  précédée  par 
l'artillerie,  qui  avait  dans  cette  journée  à  entrer  la  pre- 
mière en  acfion  ;  celle-rci  était  elle-même  couverte  et  ap- 
puyée, surtout  à  gauche,  par  une  avantrgarde  d'infanterie 
ainsi  composée  ;  une  compagnie  de  génie,  200  homrnes 
des  marins  de  débarquement,  deu^  conipagnies  de  chas- 
seurs à  pied. 

Lp  terrain  que  ^û^^  avions  à   parcourir  était  moins 


35G  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

ferme  que  celui  qui  étail  assigné  h  nos  ;Uli(%;  la  marche 
(le  l'armée  n'eu  éprouva  néanmoins  aucun  relard.  Vers 
huit  heures,  les  deux  batteries  de  4  et  la  section  de  fu- 
séens,  se  déployant  à  la  gauche  des  pièces  anglaises, 
ouvrirent  le  feu  avec  elles,  à  environ  1500  mètres  des 
retranchements.  La  précision  de  leur  tir,  malgré  la  riposte 
très-vive  mais  heureusement  mal  dirigée  de  l'ennemi, 
eut  bientôt  pour  effet  de  permettre  au  colonel  Bentzman 
de  rapprocher  sa  ligne  par  un  mouvement  de  feu  en  avant 
par  demi-batteries.  La  batterie  d'obusiers  de  montagne 
entra  en  ligne  dès  que  la  distance  diminuée  rendit  son  feu 
efficace. 

Pendant  ce  temps,  nos  masses  d'infanterie  étaient  te- 
nues à  distance,  et  je  faisais  exécuter  à  notre  extrême 
gauche,  sur  la  chaussée  indiquée  plus  haut,  une  diversion 
par  deux  pièces  de  4,  soutenues  par  le  2^  bataillon  d'in- 
fanterie de  marine.  Ces  deux  pièces  devaient  se  maintenir 
à  hauteur  de  la  gauche  de  l'armée  et  détruire  les  défenses 
situées  à  l'extrémité  de  la  chau-sée  qu'elle  suivait,  ce  point 
ayant  été  reconnu  comme  celui  sur  lequej  devait  se  diriger 
la  colonne  d'assaut. 

L'artillerie  se  rapprocha  jusqu'à  400  mètres,  sous  un 
feu  qui  diminuait  par  degrés.  La  plupart  des  projectiles 
ennemis  passaient  au-dessus  d'elle  et  tombaient  dans 
l'espace  vide,  en  avant  de  notre  infanterie  déployée  alors 
par  bataillons  en  masse. 

Vers  neuf  heures,  le  feu  des  Chinois  était  presque  éteint, 
sauf  celui  de  quelques  embrasures  à  leur  extrême  droite, 
qui  tiraient  sur  notre  gauche. 

Le  moment  était  venu;  après  m'élre  entendu  avec  le  gé- 
néral Grant,  rapprochant  toute  mon  infanterie  par  un 
mouvement  en  avant,  je  donnai  l'ordre  au  lieutenant-colo- 
nel Schmilz,  mon  chef  d'état-major  général,  de  former  les 
troupes  d'dvant-garde  en  colonnes  d'asîaut  et  d'enlever  à 
leur  tête  les  retrancheuienls  ennemis. 

Cet  officier  supérieur,  quoiqu'il  fîit  alors  assez  grave- 
ment malade,  s'acquitta  de  sa  mission  avec  une  rare  éner- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  ?,bl 

gie.  La  compagnie  du  génie,  suivie  de  coulis  portant  les 
échelles,  les  deux  compagnies  de  débarquement,  comman- 
dant Jauréguiberry,  les  V  et  8*  compagnies  du  2''  bataillon 
de  chasseurs,  commandant  de  la  Poterie,  arrivèrent  h  la 
suite  sur  les  bords  de  la  contrescarpe,  après  avoir  subi  un 
feu  de  mousquelerie  assez  vif. 

Le  lieutenant-colonel  Schmitz  se  précipita  dans  le  fossé 
plein  d'eau,  suivi  par  les  capitaines  Chanoine  et  Guerrier, 
de  l'état-major  général,  et  les  capitaines  Paillot  et  Etienne, 
du  2'"  bataillon  de  chasseurs  à  pied.  Il  arriva  le  premier 
sur  le  haut  du  parapet  et  y  planta  le  drapeau  national  à  la 
vue  de  toute  l'armée.  Il  appela  à  lui  les  troupes;  elles  s'é- 
lancèrent de  là  dans  l'intérieur  de  l'ouvrage  h  la  poursuite 
des  défenseurs  qui  s'enfuyaient  en  désordre. 

Au  même  moment,  une  colonne  anglaise  avait  pénétré 
sur  un  autre  point;  le  camp  retranché  était  à  mais.  Un 
pont  établi  sur  le  fossé  permit  bientôt  au  reste  de  nos 
troupes  d'en  achever  l'occupation,  et  la  poursuite,  quoi- 
que ralentie  par  les  nombreux  canaux  qui  coupent  dans 
tous  les  sens  l'intérieur  du  camp  retranché ,  continua 
jusqu'au  delà  de  la  face  opposée.  A  ce  moment,  et  à  la 
suite  d'une  conférence  que  je  lins  avec  le  général  Grant, 
nous  résolûmes  de  nous  arrêter. 

Bon  nombre  de  cadavres  abandonnés  sur  le  point  où 
ils  avaient  été  atteints,  environ  cent  autres  trouvés  dans 
les  maisons  abandonnées  du  village,  les  corps  de  quel- 
ques mandarins  d'un  rang  élevé  qui  s'étaient  ouvert  la 
gorge  au  moment  de  la  fuite  de  leurs  troupes,  attestaient 
que  les  pertes  de  l'ennemi  avaient  été  sensibles,  et  témoi- 
gnaient des  ravages  produits  par  notre  artillerie  rayée. 
Quant  aux  nôtres,  l'état  joint  à  ce  rapport  fera  voir  à  Votre 
Excellence  que,  grâce  à  la  supériorité  de  notre  feu  et  à  l'é- 
lan de  nos  troupes,  re  succès  important  n'a  pas  été  acheté 
trop  cher. 

Quinze  pièces  en  bronze,  sans  compter  un  assez  grand 
nombre  de  bouches  à  feu  d'un  très-petit  calibre,  sont  tom- 
bées entre  nos  mains.  L'ennemi,  dans   sa  fuite,  a   aban- 


358  PIÈCES  JUSTIFICATIVKS. 

donné  aussi  un  nombre  êi  considérable  de  drapeaux,  que 
je  me  suis  contenté  de  les  faire  abattre  sans  croire  devoir 
les  rapporter  a  mon  camp.  J'ai  l'honneur  de  vous  adresser 
par  ce  courrier  une  copie  de  l'ordre  général  n"  85.  Votre 
Excellence  y  verra  le  nom  des  officiers  et  soldats  qui  se  sont 
distingués  sous  mes  yeux  dans  ci  tte  action  brillante,  et 
que  j'ai  cru  devoir  citer  à  l'ordre  de  l'armée.  Le  colonel  de 
Bentzman,  commandant  l'artillerie,  secondé  par  le  colonel 
Fiiullon-Granchamp,  a  dirigé  ses  batteries  avec  une  vi- 
gueur et  une  précision  au-dessus  de  tout  éloge. 
Veuillez  agréer,  monsieur  le  maréchal,  etc. 

Le  général  commandûnl  en  chef  l'txpèditidn 
de  Chine, 

G.  DE  MôNTAUBAN. 


11 


Rapport  du  vice-amiral  Cliârncr,  coiuinahdaut  en 
chef  les  forces  navales  françaises  en  Cliine.  î\ 
M.  le  Ministre  de  la  marine. 


A  ))ord  de  l'Alarme,  dans  le  Peï-ho,  ■,>:}  août  18ti0. 

Monsieur  le  ministre, 
Ainsi  que  j'ai  eu  l'honneur  de  le  faire  connaître  à  Votre 
Excellence,  dans  un  rapport  précédent,  la  marche  de  l'expé- 
dition partie  le  12  des  bords  du  Pétang  n'a  été  qu'une  suite 
de  succès.  Après  avoir  repoussé  partout  l'ennemi,  elle  ar- 
rivait le  18  sous  les  murs  des  forts  établis  sur  la  rive  nord 
du  Pei-ho;  je  reçus  alors  l'avis  que  les  armées  alliées  atta- 
quefaiefit,  dans  la  matinée  du  21  août,  ces  positions  for- 


PIÈCES  JUvSTlFIGATlVÈS.  359 

inidables,  où  les  Chinois  avaient  depuis  longtemps  réuni 
tous  les  moyens  de  défense. 

Certain  que  la  marine,  au  moment  décisif,  pourrait  con- 
courir efficacement  à  cette  attaque,  j'avais  depuis  plusieurs 
jours  recherché  sur  les  lieux  la  meilleure  position  à  don- 
ner à  nos  canonnières  pour  battre  les  forts,  sans  inquiéter 
dans  leurs  mouvements  les  colonnes  assaillantes.  Le  point 
qui  me  parut  le  mieux  satisfaire  à  ces  conditions  se  trou- 
vait situé  sur  la  rive  gauche  du  Peï-ho;  mais  il  n'était 
accessible  qu'aux  bâtiments  d'un  faible  tirant  d'eau,  tel 
que  nos  petites  canonnières  en  fer. 

J'avais  alors  quatre  de  ces  bâtiments  à  ma  disposition  ; 
et,  le  20  août,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  je  leur  don- 
nai l'ordre  d'aller  mouiller  sur  les  bancs  de  vase  molle  si- 
tués au  point  que  j'avais  été  reconnaître  les  jours  précé- 
dents et  que  j'avais  fait  baliser.  Le  contre-amiral  Page 
prit  le  commandement  de  ce  groupe.  Je  fis  route  à  la 
même  heure  vers  l'embouchure  du  Peï-ho  avec  les  grandes 
canonnières  qui  mouillèrent  à  six  heures  du  soir  en  de- 
dans de  la  barre  du  fleuve,  à  environ  1  mille  des  forts  du 
sud. 

Nous  n'avons  point  été  inquiétés  dans  tes  divers  mouve- 
mérits  par  les  batteries  des  forts;  mais  dans  la  soirée,  vers 
neuf  heures  et  demie,  les  Chinois  lancèrent  sur  nos  bâti- 
ments des  machines  incendiaires  qui  tirent  explosion  à 
une  petite  distance  sans  les  atteindre. 

Le  lendemain,  21  aoiàt,  à  cinq  heures  du  matin,  les  at^ 
mées  alliées  commentant  leur  mouvement  vers  le  fort  inté- 
rieur du  nord,  les  canonnières  sous  les  ordres  de  l'amiral 
Page  ouvrirent  leur  feu  contre  le  fort  du  littoral  et  le  diri- 
gèrent avec  succès  pendant  toute  l'action,  qui  dura  près 
de  six  heures  ;  au  moment  de  la  marée  basse,  elles  furent 
complètement  à  set,  et  leur  tir,  loin  d'être  désavantageux, 
gagna  alors  beaucoup  en  précision.  Le  feu  de  leur  artillerie 
contribua  au  succès  de  la  journée,  non-seulement  par  une 
attaque  directe  des  forts,  mais  en  rendant  libres  plusieurs 
points  de  la  plaine  dans  laquelle  s'avançaient  les  armées. 

Leurs  pièces  rayées  causaient  de  terribles  ravages  dans 


360  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

les  ouvrages  de  fortifications  des  Chinois.  Quatre  canon- 
nières anglaises,  de  leur  côté,  joignaient  leur  feu  au  nôtre. 

A  sept  heures,  une  forte  explosion  se  fit  entendre,  el 
l'épaisse  fumée  qui  la  suivit  indiqua  qu'un  des  principaux 
forts  du  côté  de  la  plaine  venait  de  sauter.  Cette  explosion 
fut  suivie  d'une  autre,  qui  eut  lieu  vers  neuf  heures  et  qui 
amena  la  destruction  d'un  des  points  fortifiés  de  la  côte; 
elle  était  causée  par  un  des  boulets  rayés  partis  de  nos 
canonnières. 

Epouvanté  par  ces  deux  explosions  successives,  pressé 
du  côté  de  la  terre  par  les  armées  alliées  qui  entouraient 
toutes  les  positions,  placé  enfin  sous  le  feu  incessant  de  l'ar- 
tillerie des  canonnières,  l'ennemi  ne  chercha  pas  plus  long- 
temps h.  prolonger  sa  défense.  Le  pavillon  parlementaire 
fut  arboré  vers  onze  heures  sur  tous  les  forts,  où  quelques 
instants  auparavant  flottaient  de  nombreux  étendards,  et 
les  Chinois  demandaient  à  capituler,  offrant  de  remettre 
leurs  positions  entre  les  mains  des  commandants  en  chef. 

Dans  celte  journée,  nos  troupes  et  nos  équipages  ont  été 
pleins  d'ardeur  el  d'entrain;  celles  de  nos  dignes  alliés  et 
leur  marine  ont  rivalisé  avec  les  nôtres,  et  l'accord  le  plus 
parfait  n'a  cessé  de  régner  entre  les  forces  de  deux  nations 
unies  pour  la  même  cause. 

Dans  la  soirée  du  même  jour,  on  a  commencé  à  détruire 
les  estacades  el  tous  les  obstacles  qui  s'opposaient  à  la  na- 
vigation, elle  lendemain,  22  aoiit,  à  neuf  heures  du  ma- 
tin, une  passe  assez  large  était  pratiquée  pour  permettre 
aux  petits  bâtiments  de  le  remonter.  La  canonnière  n°  27, 
commandée  par  M.  Dol,  y  entra  la  première,  et  alla  se 
mettre  en  communication  avec  le  quartier  général  de  Sin- 
Kho. 

Les  estacades  construites  par  les  Chinois  à  l'embou- 
chure du  Peï-ho  méritent  d'être  décrites.  On  en  comp- 
tait six  :  c'était  d'abord  une  rangée  de  forts  pieux  en  bois 
alignés  à  l'extérieur  des  forts,  puis  un  double  barrage  de 
piquets  en  fer,  dont  chaque  pièce  d'un  poids  énorme,  pro- 
fondément enfoncée  dans  le  sol,  ne  laissait  paraître  que 


PIÈCKS  JUSTIFICATIVES,  361 

sa  pointe  aiguë  au  moment  de  la  basse  mer;  quelques- 
unes  de  ces  pièces,  de  la  grosseur  d'une  forte  tige  d'ancre, 
sont  estimées  être  d'un  poids  de  15  à  20  tonneaux;  une 
troisième  estacade  était  formée  de  cylindres  flottants  reliés 
entre  eux  et  fixés  aux  rives  par  de  fortes  chaînes;  la  qua- 
trième était  en  tous  points  semblable,  pour  la  forme,  à  la 
seconde,  mais  composée  de  pièces  moins  fortes;  enfin, 
les  deux  dernières  étaient  composées  d'un  assemblage  de 
bateaux  ou  de  madriers  rattachés  par  des  chaînes  ou  des 
câbles  aboutissant  aux  deux  bords  du  fleuve,  où  les  extré- 
mités étaient  solidement  établies. 
Veuillez  agréer,  etc. 

Le  vice-amiral  commandant  en  chef  les  forces  navales 
françaises  da7is  les  mers  de  Chine, 

Charner. 


IV 


Rapport  du  général  de  montauban  au  ministre 
de  la  guerre. 


Camp  de  Sia-ho,  le  24  août  1860. 

Monsieur  le  maréchal, 

J'ai  l'honneur  d'adresser  à  Votre  Excellence  ie  rapi)ort 
sur  l'occupation  de  la  rive  droite  du  Peï-ho,  effectuée  le 
18  aotàt  par  les  troupes  de  la  1"  brigade  (2''  bataillon  de 
chasseurs  K  pied  et  1'"'  bataillon  du  101"  de  ligne). 

Le  20,  le  général  Jamin  fit,  par  mes  ordres,  une  recon- 
naissance destinée  à  éclairer  les  débouchés  en  avant  de  son 
front.  Il  rencontra  bientôt  des  ouvrages  occupés  fortement 


362  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

el  dut  s'arrêter  devant  un  feu  d'artillerie  de  gros  calibre. 
11  me  fut  alors  démontré  que,  sur  cette  rive  comme  sur  la 
rive  {iauclie,  il  était  impossible  d'aborder  les  forts  sans 
avoir  enlevé  un  grand  camp  retranché  semblable  à  celui 
de  Tang-kou,  pris  par  nous  le  14. 

Dès  ce  moment,  la  disposition  de  l'ensemble  des  ou- 
vrages chinois  m'était  clairement  connue. 

Sur  chaque  rive  à  l'embouchure  du  Peï-ho,  un  fort 
énorme  battant  la  mer  et  les  approches  des  estacades,  en 
amont,  un  autre  fort  couvrant  de  feux  les  premiers  et  en- 
filant le  fleuve;  enfin,  pour  protéger  tout  le  système  du 
côté  de  la  terre,  un  vaste  camp  retranché  situé  à  la  limite 
de  la  terre  ferme  et  des  lagunes. 

La  position  de  la  brigade  Jamin  couvrait  mon  point  de 
passage  et  avait  pour  effet  de  menacer  la  seUle  ligne  qui 
restât  à  l'ennemi. 

D'accord  avec  le  général  en  chef  sir  Hope  Grant  j'ordon- 
nai de  pousser  aussi  rapidement  que  possible  les  travaux 
du  pont  que  nous  reconstruisions  en  commun.  Mais,  en 
raison  de  la  largeur  du  fleuve  qui  est  en  ce  point  de  260  mè- 
*  très,  quelques  jours  étaient  nécessaires  k  l'achèvement 
du  pont,  et  il  fut  décidé  qu'on  profiterait  de  ce  délai  pour 
attaquer  le  fort  le  plus  rapproché  de  ïang-kou  sur  la  rive 
gauche. 

Les  canonnières  des  deux  flottes  devaient  en  même  temps 
couvrir  de  feux,  avec  leurs  pièces  à  longue  portée,  le  fort  de 
la  rive  gauche  situé  en  aval  de  celui  que  nous  attaquions. 
La  brigade  anglaise  de  sir  Robert  Napier  et  la  brigade 
du  général  Coliineau  furent  désignées  pour  celte  opération 
qui  fut  fixée  au  21. 

Le  général  Coliineau  alla  bivaquer  au  camp  de  Tang- 
kou,  le  20  au  soir,  avec  une  compagnie  du  génie,  le  1"  ba- 
taillon du  102*  de  lighe  et  deux  bataillons  d'infanterie  de 
marine.  Une  batterie  de  12  rayée,  un  détachement  de 
pontonniers  sous  le  commandement  du  colonel  Grand- 
champ  et  une  section  d'ambulance  devaient  le  rejoindre 
au  point  du  jour. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  363 

Cet  officier  général  se  mil  immédiatement  en  rapport 
avec  le  général  Nàpief  qui  avait  pris  position  en  avant  do 
Tang'kou,  et  avait  abrité  derrière  un  épaulement  son  ma- 
tériel de  siège. 

Il  fut  décidé  entre  eux  quOj  dans  l'attaque  du  lendemain^ 
les  troupes  françaises  occuperaient  la  droite  des  troupes 
anglaises. 

Le  21  au  matin,  la  brigade  Gollineau  déboucha  sur  le 
terrain  des  opérations  par  deux  chaussées  qui  traversent  les 
terrainsnoyés  s'étendant  en  avant  de Tang-kou.  La  compa- 
gnie de  génie  avait  préparé  celte  marche  en  comblant  pen- 
dant la  nuit  une  coupure  située  sur  la  chaussée  de  droite. 

Dès  le  point  du  jour,  les  forts  ennemis  avaient  ouvert  le 
feu  contre  l'artillerie  anglaise. 

Le  général  Gollineau  prit  les  dispositions  suivantes  ; 
2  pièces,  joignant  leur  feu  à  celui  des  pièces  de  siège  an- 
glaiseSi  furent  dirigées  contre  le  fort  attaqué;  les  4  autres 
pièces,  placées  sur  la  rive  même  du  fleuve,  commencèrent 
à  contre-battre  les  batteries  du  fort  de  la  rive  droite  dont  les 
feux  nous  prenaient  d'écharpe. 

Le  1"  bataillon  du  102"  (colonel  O'Malley),  le  1"  batail- 
lon d'infanterie  de  marine  (colonel  de  Vassoigne)  étaient 
déployés  en  arrière  et  abrités  par  un  pli  de  terrain;  Le 
2*  bataillon  d'infanterie  de  marine  (commandant  Dome- 
nech-Diégo)  était  resté  en  réserve  à  Tang-kou. 

Vers  sept  heures,  une  explosion  formidable  se  produisit 
dans  le  fort  que  nous  attaquions;  le  général  Gollineau  fit 
avancer  immédiatement  trois  compagnies  du  102%  qui 
prirent  position  derrière  un  petit  épaulement  à  environ 
300  mètres  de  la  conirescarpe.  Le  feu  de  notre  artillerie  re- 
doubla de  force. 

Vers  sept  heures  et  demie,  une  explosion  plus  terrible 
que  la  première  bouleversa  le  deuxième  fort  de  la  rive  gau- 
che. Cependant  le  feu  des  forts  de  droite  nous  gênait  beau- 
coup; deux  pièces  de  12  et  deux  obusiers  anglais  furent 
amenés  sur  l'alignement  des  troupes  les  plus  avancées  et 
dirigées  contre  eux. 


364  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Le  niomenl  décisif  approchait.  Le  capitaine  Lesergeant 
(l'Hendecourt,  aide  de  camp  du  irénéral  CoUineau,  fut  en- 
voyé par  lui  pour  reconnaître  les  obstacles  :  ils  consistaient 
en  trois  fossi's  pleins  d'eau  traversant  un  terrain  fanizeux, 
et  abordables  par  deux  chaussées  glissantes  ayant  à  peine 
2  mètres  de  largeur.  L'intervalle  entre  les  deux  derniers 
fossés  et  le  pied  des  remparis  où  le  feu  de  notre  arlilleric 
n'avait  pu  parvenir  à  faire  brèche  était  couvert  de  dé- 
fenses accessoires  de  toute  nature 

D'un  commun  accord,  les  généraux  Collineau  et  Napier 
lancèrent  leurs  colonnes  d'assaut. 

T^a  compagnie  de  voltigeurs  du  102*  fut  jetée  en  avant, 
tandis  que  les  coulis  porteurs  d'échelles,  sous  la  direction 
d'une  section  du  génie  commandée  par  le  cajdiaine  Bovel, 
marchaient  vers  la  contrescarpe. 

La  4*  compagnie  du  1''  bataillon  du  102''  suivit  de  près 
les  voltigeurs,  et  le  colonel  O'Malley  prit  le  commandement 
de  celte  colonne.  Cependant  le  feu  de  la  mousqueterie  nous 
faisait  éprouver  des  pertes  sensibles  :  les  coulis,  dont 
plusieurs  avaient  été  frappés,  hésitaient,  et  une  nouvelle 
section  du  génie  dut  jjoiter  en  avant  les  échelles  abandon- 
nées. 

Grâce  à  l'intelligence  et  à  l'activité  du  génie,  grâce  à 
l'intrépidité  de  nos  soldats,  les  obstacks  furent  enfin  fran- 
chis, quelques  échelles  s'appliquèrent  au  rempart.  Aussitôt 
le  général  Collineau  lança  une  colonne  de  soutien  compo- 
sée de  trois  compagnies  d'infanterie  de  marine.  Alors  s'en- 
gagea une  de  ces  luttes  mémorables  qu'il  est  bien  difficile 
de  décrire.  D'un  côté,  quelques  hommes  du  102''  et  de  l'in- 
fanterie de  marine  montant,  un  par  un,  sur  les  échelles, 
la  baïonnette  en  avant;  de  l'autre,  un  ennemi  acharné  lut- 
tant avec  la  mousqueterie,  les  piques,  les  flèches,  et  rou- 
lant des  boulets  du  rempart. 

Le  drapeau  français  est  planté  sur  la  crête  par  le  tam- 
bour Fachard,  de  la  4*  compagnie  du  1"  bataillon  du  102'", 
arrivé  l'un  des  premiers  et  qui  soutient  une  lutte  héroï- 
que. Le  colonel  O'iMalley,  le  chef  de  bataillon  Testard,  de 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  365 

l'infanterie  de  marine,  le  chef  d'escadron  Campenon, 
envoyé  par  le  général  CoUineau,  peu  après  le  début  de 
l'aciion,  pour  activer  le  mouvement,  le  lieutenant  de  vais- 
seau Rouvier,  cummandant  les  coulis,  le  lieutenant-colo- 
nel d'élat-major  Dupin,  qui  avait  revendiqué  l'honneur  de 
marcher  avec  la  colonne  d'assaut,  entraînent  nos  soldats 
à  leur  suile.  L'énergie  de  nos  troupes  l'emporte,  elles  pé- 
nètrent dans  l'ouvrage,  et  là  un  nouveau  combat  recom- 
mence sur  ce  terrain  que  l'ennemi  défend  pied  à  pied  avec 
un  acharnement  indicible. 

Enfin  le  fort  est  conquis,  les  Anglais  y  pénètrent  égale- 
ment de  leur  côté  ;  l'ennemi  se  précipite  par  toutes  les 
issues,  se  jetant  par  les  embrasures  dans  les  fossés,  et  fuil 
dans  la  direclion  du  deuxième  fort,  sous  une  grêle  de 
balles  qui  jonche  le  terrain  de  ses  morts  et  de  ses  blessés. 

Mais  nos  pertes  étaient  sérieuses  et  cruelles.  Le  lieute- 
nant Grandperrier,  des  voltigeurs  du  102%  le  maréchal 
des  logis  Blanquet  du  Chayla,  attaché  au  corps  des  cou- 
lis, ont  été  frappés  mortellement;  les  lieutenants  Balme 
et  Porte,  l'adjudant  sous-officier  Lunet,  du  102%  sont 
grièvement  blessés.  Sur  8  officiers  des  deux  compagnies 
du  102*,  2  seulement  ont  été  épargnés  par  le  feu;  la  seule 
compagnie  de  voltigeurs  compte  62  hommes  tués  ou  bles- 
sés. Le  commandant  Testard  n'est  parvenu  à  entrer  dans 
le  fort  que  couvert  de  coups  de  lance  et  de  contusions,  et 
après  avoir  été  renversé  par  un  boulet  qui  lui  a  été  jeté 
sur  la  tête. 

Tout  en  laissant  au  général  Collineau  le  commande- 
ment que  je  lui  avais  confié,  j'avais  assisté  à  l'affaire  et 
j'avais  pu  en  suivre  tous  les  détails. 

La  seule  prise  de  ce  premier  fort  était  une  victoire  com- 
plète, mais  il  était  à  peine  neuf  heures  du  matin,  et  je  dus 
me  préoccuper  de  savoir  s'il  n'y  aurait  pas  de  grandes 
conséquences  à  tirer  du  succès  que  nous  avions  obtenu. 

J'entrai  donc  dans  le  fort  pour  me  concerter  avec  le  gé- 
néral Grant.  En  ce  moment,  le  feu  de  la  rive  droite  qui 
nous  avait  tant  inquiétés  dans  la  matinée  avait  cessé  com- 


366  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

plétement,  el  des  pavillons  blancs  étaient  arborés  sur  tous 
les  ouvrages  ennemis. 

Des  parlementaires  se  présentèrent,  demandèrent  à  com- 
muniquer avec  les  ambassadeurs.  Le  général  Grant  et  moi 
leur  répondîmes  qu'à  deux  heures  précises,  à  moins  d'une 
soumission  complète,  les  hostilités  recommenceraient.  Je 
profitai  de  ce  délai  pour  donner  du  repos  à  nos  troupes. 

J'avais  donné  l'ordre  au  colonel  de  Bentzman  de  faire 
venir  de  suite  les  deux  batteries  de  4,  la  seconde  batterie 
de  12  et  la  section  de  fuséens. 

Le  4  devait  être  dirigé  sur  le  second  fort  de  la  rive  gau- 
che qui  devenait  le  nouveau  but  de  nos  attaques;  le  12  et 
les  fuséens  déployés  sur  les  bords  du  Pei-ho,  de  façon  à 
contre-battre  le  grand  fort  de  la  rive  droite,  dont  les  bat- 
teries pouvaient  prendre  en  flanc  nos  colonnes. 

A  deux  reprises,  le  général  Collineau  se  dirigea  sur  le 
second  fort,  laissant  en  réserve  les  troupes  engagées  le 
matin,  pendant  que  l'artillerie  déployée  se  tenait  prête  à 
ouvrir  son  feu.  Il  arriva  avec  sa  troupe  jusque  sur  le  bord 
du  fossé,  sans  recevoir  un  seul  coup  de  feu;  les  obstacles 
sont  franchis  sur  des  échelles,  le  rempart  escaladé;  l'in-^ 
fanterie  de  marine  pénètre  par  une  poterne  située  sur  la 
rive  même  du  fleuve,  et  nos  deux  colonnes  se  rencontrent 
dans  l'intérieur  du  fort,  enserrant  entre  elles  une  garni- 
son de  3000  hommes,  qui  avait  jeté  ses  armes  et  sem- 
blait frappée  de  stupeur. 

Ce  second  fort,  comme  le  premier,  était  armé  d'une  ar- 
tillerie formidable,  et  avait  sur  ses  cavaliers  des  pièces 
d'un  calibre  énorme. 

Ce  nouveau  succès  donna  la  mesure  de  la  démoralisai 
tion  de  l'ennemi. 

Le  chef  d'escadron  Campenon  et  le  capitaine  de  Cools 
étaient  en  ce  moment  occupés  à  réunir  les  moyens  de  pas^ 
sage,  et  s'étaient  emparés  d'une  jonque.  Je  leur  donnai 
l'ordre  de  passer  sur  la  rive  droite  avec  des  officiers  an- 
glais, chargés  d'une  mission  semblable  par  le  général 
sir  Hope  Grant,  et  d'aller  sommer  le  vice-roi  du  Pe-tchi-li 


PltÇ^S  JUSTIFICATIVES.  367 

d'abandonner    immédiatement    ioutes    les    défenses    du 
Peï-ho. 

Arrivés  sur  l'autre  rive,  ces  officiers  tentèrent  de  péné- 
trer dans  le  premier  fort;  mais  ils  en  furent  écartés  par 
un  mandarin  militaire  qui  fit  lever  devant  eux  le  pont- 
levis.  En  ce  moment,  un  autre  mandarin,  porteur  de  dépê- 
ches pour  les  généraux  alliés,  se  présentait  à  eux.  Ces  dé- 
pêches, ouvertes  sur-le-champ  et  traduites  par  M.  Parkes, 
de  l'armée  anglaise,  offraient  l'abandon  aux  alliés  des  forts 
conquis  le  matin,  et  l'ouverture  du  Peï-ho  aux  escadres, 
mais  réservant  aux  Chinois  les  forts  et  les  ouvrages  de  la 
rive  droite. 

Ces  propositions  furent  repoussées,  et  les  officiers  fran- 
çais et  anglais  résolurent  d'aller  trouver  le  vice-roi  dans 
son  yamoun  de  Takou. 

Ils  furent  bien  accueillis  par  lui,  et  une  conférence  très- 
longue  s'engagea  avec  le  vice-roi,  qui  se  montra  d'abord 
inébranlable. 

Vers  huit  heures  du  soir  seulement,  le  vice-roi  céda 
et  remit  entpe  les  mains  des  officiers  une  pièce  adressée 
par  lui  aux  commandants  en  chef  de  terre  et  de  mer  des 
armées  alliées,  dans  laquelle  il  leur  faisait  l'abandon  de 
tous  les  forts  et  camps  retranchés  situés  sur  les  deux  rives 
du  Peï-ho  avec  tout  leur  matériel  de  guerre,  et  laissait 
libre  l'accès  du  fleuve.  Le  lendemain,  au  point  du  jour,  ce 
document  était  remis  entre  mes  mains;  mais,  dès  la  veille 
au  soir,  des  compagnies  d'infanterie  de  marine  et  des 
compagnies  anglaises  avaient  pris  pied  sur  la  rive  droite, 
dont  les  ouvrages  venaient  d'être  évacués  dans  le  plus 
grand  désordre  par  les  troupes  tartares. 

En  résumé,  la  journée  du  21  nous  a  valu  la  prise  de 
cinq  forts,  deux  immenses  camps  retranchés,  une  quantité 
énorme  d'armes  de  toute  sorte,  de  munitions  de  guerre 
et  de  518  pièces  de  canon  de  gros  calibre. 

En  terminant  ce  rapport,  je  crois  devoir  signaler  d'une 
façon  toute  spéciale  à  Votre  Excellence  le  général  CoUi- 
neau,  qui,  dans  la  lutte  sanglante  du  21  août,  a  déployé 


368  PIÊCliS  JUSTIFICATIVES. 

la  bravoure  et  l'énergie  que  vous  lui  connaissez.  Je"  ne 
saurais  trop  rendre  hommage  au  calme  et  h  l'intelligenre 
de  la  guerre  avec  lesquels  il  a  dirigé  l'opération.  Celolïi- 
cier  général  a  eu,  pendant  l'assaut,  son  épaulette  druite 
traversée  par  une  balle. 

Du  reste, depuis  le  commencement  de  cette  campagne  et 
au  milieu  de  difficultés  qui  n'ont  guère  d'analogue  en  Eu- 
rope, les  troupes  ont  toujours  rivalisé  de  constance  et 
d'entrain.  L'artillerie,  dont  le  rôle  était  si  important,  a  été 
ce  qu'elle  s'est  montrée  partout.  Le  génie  a  accompli,  avec 
son  zèle  habituel,  la  tâche  difficile  qui  lui  était  imposée. 
Le  service  des  ambulances  a  été  au-dessus  de  tout  éloge, 
tant  pour  les  soins  donnés  aux  malades  dans  nos  hôpi- 
taux, que  pour  les  premiers  secours  apportés  aux  blessés 
sur  le  champ  de  bataille. 

Je  joins  à  ce  rapport  les  états  des  tués  et  des  blessés, 
l'état  des  pièces  de  canon  prises  dans  les  forts,  l'ordre  gé- 
néral n"  91  relatif  à  l'affaire  du  21,  et  j'adresse  en  même 
temps  à  Votre  Excellence  des  mémoires  de  propositions  sur 
lesquels  je  la  prie  de  vouloir  bien  appeler  toute  la  bien- 
veillance de  S.  M.  l'Empereur. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  maréchal,  etc. 

Le  général  de  division,  commandant  en  clivf 
Vexpédition  de  Chine, 

DE   MONTAUBAN. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  369 


Rapport  tie  l'amiral    Chariicr  au   Itlinîstrc 
de  la  marine. 


A  bord  de  l'Alarme,  Tien-tsin,  25  août. 

I.e  23  août,  vers  dix  heures  du  matin,  au  moment  où  la 
marée  était  favorable,  j'entrai  dans  le  Peï-ho  avec  les  canon- 
nières V Alarme,  sur  laquelle  j'avais  placé  mon  pavillon,  la 
Mitraille  et  les  petites  canonnières  en  fer  n"'  12  et  27,  pré- 
cédé de  quelques  heures  par  l'amiral  Hope,  parti  égale- 
ment avec  quatre  ou  cinq  de  ses  bâtiments  légers. 

Le  fleuve,  très-étroit  en  beaucoup  d'endroits,  ses  sinuo- 
sités brusques  et  d'un  passage  difficile  pour  les  bâtiments 
d'une  certaine  force  et  du  tirant  d'eau  de  nos  grandes  ca- 
nonnières, retardèrent  ma  marche  par  des  échouages  fré- 
quents, et,  malgré  mes  efforts,  je  ne  parvins  à  mouiller 
que  le  lendemain  matin  de  mon  dépari  dans  les  eaux  qui 
coulent  au  pied  de  Tien-tsin. 

Les  mandarins  et  les  notables  de  la  ville,  à  l'approche  des 
premiers  bâtiments,  vinrent  au-devant  d'eux,  déclarant 
que  la  population  faisait  son  entière  soumission,  et  de- 
mandèrent en  même  temps  que  les  habitants  et  les  pro- 
priétés fussent  placés  sous  la  protection  des  alliés,  qui 
prirent  possession  de  la  ville  au  nom  de  la  France  et  de 
l'Angleterre,  et  arborèrent  leur  pavillon  sur  son  principal 
édifice. 

Une  proclamation  de  chacun  des  amiraux  fut  de  plus 
affichée  sur  les  murs  de  la  ville,  engageant  la  population 
I  24 


370  PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 

à  la  Iranquillilé,  et  lui  assurant  le  respect  des  personnes  et 
(le  leurs  biens. 

D'après  les  renseignements  que  j'ai  pu  obtenir,  l'esprit 
de  la  population  de  Tien-tsin  ne  paraît  pas  nous  être 
hostile. 

Un  corps  de  1800  hommes,  composé  mi-partie  de  trou- 
pes françaises  et  anglaises,  suffit  pour  assurer  sa  sécurité 
et  mettre  notre  position  à  l'abri  de  toute  tentative  inquié- 
tante, dans  le  cas  où  le  gouvernement  chinois  en  viendrait 
de  nouveau  aux  hostilités. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Le  vice-amiral  commandant  en  chef  les  forces  navales 
françaises  dans  les  mers  de  Chine, 

Charner. 


VI 


Rapport  du  général  de  Hloiifauban  au  lliuistre 
de  la  y,uerre. 


Bivac  de  Ko-at-sun,  19  septembre. 

Monsieur  le  maréchal, 

J'ai  fait  part  à  Voire  Excellence  des  singulières  circon- 
stances politiques  qui  avaient  déterminé  la  marche  d'une 
partie  de  l'armée  alliée  sur  IV-king.  Le  10  septembre,  je  me 
mis  en  route  avec  la  brigade  Jamin  et  deux  batteries  d'ar- 
tillerie pour  appuyer  les  ambassadeurs,  qui  avaient  résolu 
de  ne  plus  traiter  qu'à  Tung-Ghaou,  à  quatre  lieues  de  la 
capitale.  A  peine  avions-nous  fait  une  marche  en  avant, 
que  le  prince  Tsaï,  membre  de  la  lamide  impériale,  et  le 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  371 

ministre  de  la  guerre  de  l'empire  Mou,  écrivirent  aux 
ambassadeurs  qu'ils  avaient  les  pleins  pouvoirs  de  l'em- 
pereur pour  traiter  suivant  les  bases  arrêtées  à  Tien-tsin, 
et  qu'ils  se  rendaient  au-devant  des  armées  alliées  pour 
conclure  la  paix  définitivement. 

Malgré  ces  nouvelles  protestations,  les  ambassadeurs  et 
les  alliés  s'avancèrent  jusqu'à  Ho-se-\vou,  ville  située  à 
environ  trente  kilomètres  de  Tung-Chaou. 

Des  communications  diplomatiques  ayant  été  de  nouveau 
échangées,  les  ambassadeurs  firent  savoir  aux  comman- 
dants en  chef  alliés  que  tout  était  terminé;  que,  par  suite 
d'une  convention  définitive,  les  forces  militaires  s'arrête- 
raient à  environ  deux  lieues  de  Tung-Chaou;  que  les  en- 
trevues avec  les  commissaires  impériaux  auraient  lieu 
dans  cette  ville;  et  qu'enfin  une  escorte  d'honneur  accom- 
pagnerait les  ambassadeurs  à  Pé-king,  pour  y  échanger 
les  ratifications. 

La  conduite  du  gouvernement  chinois  à  Tien-tsin  ne 
m'avait  pas  donné  lieu  de  croire,  d'une  manière  absolue, 
àces  nouvelles  protestations.  Cependant,  après  les  assuran- 
ces qui  m'avaient  été  données  de  toutes  parts,  je  me  déci- 
dai à  envoyer  à  Tung-Chaou  le  sous-intendant  Dubut,  le 
colonel  de  Grandchamp,  le  capitaine  Chanoine  et  les  offi- 
ciers d'administration  Âder  etGagey;  ils  étaient  accompa- 
gnés par  le  missionnaire  Duluc  et  avaient  pour  mission  de 
rassembler  les  approvisionnements  nécessaires  aux  besoins 
de  l'armée  pendant  le  séjour  qu'elle  allait  faire  à  Tung- 
Chaou.  Ces  officiers  se  mirent  en  route  avec  l'interprète 
anglais  M.  Parkes  et  d'autres  officiers  anglais  chargés  par 
le  général  sir  Hope  Grant  de  la  même  mission. 

Le  même  jour,  17  septembre,  je  partis.de  Ho-se-wou 
avec  600  chasseurs  à  pied  du  2*  bataillon,  une  compagnie 
du  génie,  une  compagnie  d'élite  du  101^  et  du  102%  une 
batterie  de  quatre,  en  tout  1100  hommes;  et  j'avais  appelé 
de  Tien-tsin  le  général  Collineau,  qui  devait  me  rejoindre, 
avec  les  troupes  choisies  dans  sa  brigade,  pour  aller  en 
députation  d'honneur  k  Pé-king.  Je  laissai  à  Ho-se-wou  le 


372  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

reste  de  la  brigade  Jamin,  avec  une  batterie  de  douze,  pour 
y  garder  les  approvisionnements  que  j'attendais  de  Tien- 
tsin. 

Depuis  quelques  jours,  au  milieu  de  ce  pays  si  fertile 
que  nous  traversions,  le  vide  se  faisait  autour  de  nous,  et 
toutes  les  habitations  étaient  fermées  dans  les  villes  et  vil- 
lages. J'espérais  qu'après  Ho-se-wou  il  en  serait  autre- 
ment, puisque  les  chefs  du  gouvernement  chinois  nous 
attendaient  pour  conclure  la  paix.  Mon  attente  a  été  trom- 
pée :  le  17  septembre,  je  bivaquais  en  dehors  du  village 
de  Ma-tùu,  abandonné  comme  les  autres.  Le  18  au  matin, 
la  colonne  anglaise,  prenant  son  tour  de  marche,  nous 
précéda;  nous  nous  rendions  au  bivac  définitif  arrêté  par 
les  conventions,  où  devait  nous  avoir  précédés  une  partie 
des  officiers  envoyés  à  Tung-Chaou. 

Nous  avions  à  peine  fait  huit  kilomètres,  que  le  générai 
en  chef,  sir  Hope  Grant,  me  fit  connaître  qu'il  avait  devant 
lui  une  grande  force  tartare;  je  me  rendis  immédiatement 
auprès  de  lui.  Un  mandarin  de  haut  rang  arriva  au  [loint 
où  s'était  arrêtée  la  colonne  anglaise,  nous  assura  que 
c'était  un  malentendu,  et  nous  pria  de  nous  arrêter. 
M,  Parkes  retourna  à  Tung-Chaou  pour  demander  des 
explications  au  prince  Tsaï,  et  l'éloignement  des  troupes 
chinoises. 

Pendant  ce  temps,  j'étais  rejoint  par  le  capitaine  d'état- 
major  Chanoine,  qui  me  donna  l'assurance  qu'il  venait  de 
traverser  toute  l'armée  tartare  établie  entre  nous  et  Tung- 
Chaou.  Les  troupes  avaient  voulu  s'opposer  à  son  passage, 
mais  il  fil  comprendre  aux  mandarins  militaires  qu'il  avait 
été  la  veille  en  ville  pour  une  mission  toute  pacifique  et 
qu'il  rentrait  dans  les  mêmes  conditions. 

Quelques  instants  après,  l'officier  d'administration  Ga- 
gey  arrivait  auprès  de  moi  et  m'annonçait  que  nous  avions 
devant  nous  plus  de  15  000  cavaliers  et  une  grande  quan- 
tité de  fantassins  dont  la  mèche  du  mousquet  était  allu- 
mée. De  tous  côtés  on  apercevait  la  poussière  soulevée  par 
les  pieds  des  chevaux  ;  nous  étions  évidemment  en  présence 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  373 

d'une  situation  des  plus  sérieuses  avec  des  forces  minimes  ; 
nous  convînmes  avec  le  général  Grant  qu'on  attendrait  le 
retour  de  M.  Parkes  avant  de  se  mettre  en  marche  pour  se 
frayer  un  passage.  Je  pris  immédiatement  des  dispositions 
militaires;  je  plaçai  le  petit  corps  que  j'avais  à  ma  dispo- 
sition en  potence,  à  la  droite  des  forces  anglaises  ;  les 
troupes  étaient  déployées,  couvertes  par  des  tirailleurs, 
séparées  entre  elles  par  la  batterie  de  quatre  faisant  face 
au  village  boisé  de  Yatson,  occupé  par  l'extrême  gauche  de 
l'armée  tartare.  Nos  chasseurs  et  spahis  étaient  à  quelques 
pas  de  l'ennemi.  Le  général  sir  Hope  Grant  avait  mis  à 
ma  disposition  un  escadron  de  cavaliers  sicks. 

J'attendais  les  événements  dans  cette  situation.  Vers 
dix  heures,  ayant  entendu  trois  coups  de  canon  vers  le 
centre  de  la  colonne  anglaise,  je  commençai  à  exécuter  le 
mouvement  dont  j'étais  convenu  avec  le  général  Grant  ;  il 
consistait  à  m'emparer  de  ce  premier  village,  en  le  tour- 
nant par  ma  droite  en  même  temps  qu'il  serait  attaqué  de 
front,  et  à  ramener,  une  fois  ce  village  dépassé,  toute  l'ar- 
mée tartare  vers  le  centre  de  la  ligne  anglaise. 

Ce  mouvement  s'exécuta  sans  la  moindre  hésitation;  le 
village  fut  enlevé  et  tourné  avec  une  vigueur  remarquable  : 
chacun  comprenait  qu'il  n'y  avait  pas  un  pas  à  faire  en  ar- 
rière en  présence  de  forces  si  nombreuses.  Pendant  que  je 
dirigeais  avec  le  général  Jamin  le  mouvement  tournant, 
mon  chef  d'état-major,  le  colonel  Schmitz,  traversait  le 
village  par  la  gauche  et  plaçait  l'artillerie  sur  une  position 
dominante,  d'où  le  colonel  de  Bentzmann,  appuyé  par  les 
chasseurs  à  pied,  ouvrit  immédiatement  un  feu  des  plus 
vifs  contre  les  masses  ennemies,  que  je  continuais  à  tour- 
ner par  la  droite  et  dont  une  partie  occupait  un  second 
village,  boisé  comme  le  premier  (Le-Ossou). 

Je  lançai,  à  ce  moment,  l'escadron  de  sicks  et  le  déta- 
chement de  chasseurs  et  de  spahis;  j'avais  donné  le  com- 
mandement de  cette  cavalerie  au  colonel  Foley,  commis- 
saire anglais.  Ces  cavaliers  furent  accueillis  au  détour  de 
ce  second  village  par  un  feu  très-violent.  Le  lieutenant  de 


374  PIÈCES  JUSTIFICATIVES 

Damas  tomba  frappé  mortellement  d'une  balle;  le  sous- 
lieutenaYit  d'Estremont  fut  blessé  au  même  instant;  mais 
les  sicks  et  noire  cavalerie  n'en  conlinuèrent  pas  moins 
leur  charge,  et  jonciièrent  le  terrain  de  cadavres. 

Le  détachement  de  cavalerie  française  s'empara,  dans 
ce  mouvement,  de  cinq  pièces  d'artillerie.  La  compagnie 
de  grenadiers  du  101%  celle  du  102*=  et  celle  du  génie, 
conduites  sur  la  trace  de  la  cavalerie,  enlevaient  le  village  ; 
le  colonel  Pouget  les  entraînait  avec  une  vigueur  que  je  suis 
heureux  de  vous  signaler.  Dix-huit  drapeaux,  deux  pièces 
de  canon,  une  grande  quantité  de  gingoles  restèrent  au 
pouvoir  de  celte  troupe.  L'artillerie  suivait  le  mouvement 
au  centre,  toujours  appuyée  à  gauche  par  les  chasseurs  à 
pied.  Ce  deuxième  village  fut  franchi,  et,  à  partir  de  ce 
moment,  je  dirigeai  mes  troupes  de  manière  à  refouler 
l'ennemi  sous  le  canon  des  Anglais. 

Les  masses  que  nous  poussions  devant  nous  étaient 
énormes.  L'artillerie,  les  chasseurs  et  les  autres  troupes 
d'infanterie  rivalisaient  d'ardeur  et  les  écrasaient  de  leurs 
feux.  Je  suivis,  pendant  plus  de  trois  kilomètres,  une  di- 
gue sur  le  bord  d'un  canal,  sur  laquelle  nous  pûmes  comp- 
ter environ  soixante  pièces  de  bronze  mises  en  position 
derrière  la  digue  et  que  notre  artillerie  enfdait  successive- 
ment; enfin,  je  rejoignis,  de  cette  manière,  le  centre  des 
forces  anglaises,  et  les  Tartares  disparurent  de  la  plaine. 
L'infanterie  était  en  route  depuis  cinq  heures  du  matin, 
avec  six  jours  de  vivres  dans  le  sac,  sous  un  soleil  ardent; 
il  était  près  de  deux  heures;  je  la  fis  arrêter  et  je  pris  po- 
sition à  Ko-al-sun,  à  sept  kilomètres  de  Tung-Chaou. 

Les  pertes  de  l'ennemi  ont  été  considérables  ;  les  nôtres 
seraient  de  peu  d'importance  sans  la  mort  du  brave  lieu- 
tenant de  Damas.  Le  colonel  Foley,  commissaire  anglais 
auprès  de  ma  personne,  a  eu  son  cheval  percé  de  trois 
balles.  Il  a  été  d'une  bravoure  éclatante  dans  la  charge 
fournie  par  les  sicks. 

Je  ne  veux  pas  terminer  ce  rapport  sans  vous  dire,  mon- 
sieur le  maréchal,  toute  la  glorieuse  satisfaction  que  j'ai  éprou- 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  375 

vée  à  diriger  cette  poignée  de  braves  contre  ces  hordes 
conduites  au  combat  par  des  chefs  perfides.  Un  immense  suc- 
cès pour  nos  armes  a  été  la  conséquence  de  la  trahison  et 
de  la  félonie  du  gouvernement  chinois,  qui  nous  avait  atti- 
rés, avec  des  assurances  de  paix,  auprès  de  sa  capitale 
avec  des  forces  qu'il  croyait  insignifiantes. 

J'adresse  à  Votre  Excellence  l'ordre  général  de  l'armée 
que  j'ai  donné  aux  troupes  à  la  suite  de  l'affaire  du  18.  Le 
général  Jamin  m'a  secondé  avec  l'énergie  que  vous  lui 
connaissez. 

Nous  avons  pris  quatre-vingts  pièces  de  canon,  dont 
une  partie  en  fonte  et  une  partie  on  bronze;  nous  avons 
aussi  enlevé  quantité  de  bannières  des  différents  corps  des 
troupes  impériales. 

Le  courrier  anglais  part,  et  je  suis  tellement  pressé,  mon- 
sieur le  maréchal,  que  je  n'ai  que  le  temps  de  vous  adresser 
ce  rapport;  par  le  prochain  courrier  français,  j'aurai 
l'honneur  de  vous  envoyer  un  état  de  propositions  et  un 
rapport  particulier. 

Recevez,  etc. 

Le  général  commandant  en  chef  le  corps  cxpédUion- 
naire  en  Cliine, 

DE  MONTAUBAN. 


376  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


VU 


Rapport  du  £;éncral  de  llontaiiban  au   llinistre 
de  la  sucrre. 


Bivac  dePa-li-kiao,  12  kilomètres  de  Pé-king, 
21  septembre  1860. 

Monsieur  le  maréchal, 

La  victoire  du  Ghang-Kia  nous  avait  vengés  de  la  félo- 
nie du  gouvernement  chinois.  Je  devais  donc  m'attendra  à 
recevoir  à  mon  bivac  des  explications  sur  les  causes  qui 
avaient  pu  amener  la  lutte  du  18.  Aucune  communication 
n'eut  lieu  cependant,  et  des  renseignements  recueillis  pen- 
dant les  journées  du  19  et  du  20  m'apprirent  que  l'armée 
tartare  occupait  des  camps  préparés  de  longue  main  et  si- 
tués à  cheval  sur  la  grande  route  de  Pé-king,  à  deux  lieues 
seulement  en  avant  de  nous.  Ces  dispositions  nouvelles  ré- 
vélaient une  direction  énergique  et  habile.  Elle  était  due 
au  prince  San-Koli-Tsin,  qui  défendit  l'année  dernière  les 
forts  du  Peï-ho,  et  qui,  sous  le  titre  de  sen-wang  commande 
les  forces  de  l'empire.  Pendant  la  première  phase  de  nos 
opérations,  à  l'embouchure  du  Peï-ho,  nous  n'avions  pas 
acquis  de  preuves  certaines  de  sa  présence.  Mais  la  résis- 
tance inattendue  qui  s'était  produite  et  les  rapports  des  es- 
pions ne  permettaient  plus  de  douter  que  le  sen-wang,. 
chef  du  parti  de  la  guerre,  ne  voulût  couvrir  en  personne, 
jusqu'à  la  fin,  les  approches  de  la  capitale. 

Dans  la  journée  du  20,  nous  résolûmes,  le  général  en 
chef  anglais  et  moi,  d'attaquer  l'ennemi  le  lendemain.  Je 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  377 

lis  étudier  par  le  capitaine  d'état-major  de  Cools,  de  con- 
cert avec  les  officiers  d'état-major  anglais,  les  positions 
qu'occupait  l'armée  tartare. 

En  avant  de  nos  bivacs  de  Ghang-Kia-Wang,  nous 
avions,  à  cinq  kilomètres  environ,  la  grande  ville  de  Tung- 
Tchou  (400  000  âmes),  qui  est  reliée  à  Pé-king  par  une  voie 
de  granit  de  12  kilomètres,  ouvrage  des  anciennes  dynas- 
ties. Cette  route  traverse,  au  village  de  Pa-li-kiao  et  sur  un 
grand  pont  de  pierre,  le  canal  qui  joint  le  Peï-ho  a  Pé-king. 

Nous  résolûmes  de  négliger  Tung-Tchou,  où  il  n'y  avait 
plus  un  seul  soldat,  pour  nous  porter  sur  ce  pont,  que  nous 
savions  occupé,  en  avant  et  en  arrière,  par  les  camps  du 
sen-wang.  L'armée  française  devait  marcher  directement 
au  pont,  tandis  que  l'armée  anglaise,  déployée  à  sa  gau- 
che, chercherait  un  point  de  passage  plus  près  de  Pé-king. 

Le  21,  à  cinq  heures  et  demie  du  matin,  je  passai  en 
avant  de  l'armée  anglaise,  où  mon  tour  de  marche  m'ap- 
pelait, et  je  laissai  mes  bagages,  sous  la  protection  de  deux 
compagnies  d'infanterie,  dans  un  village  situé  à  une  lieue 
en  avant  de  Chang-Kia-Wang.  Je  m'avançai  ensuite  jus- 
qu'à environ  3  kilomètres  de  Pa-li-kiao,  et  nous  rencon- 
trâmes en  ce  point  les  premières  vedettes  lartares.  Je  pris 
alors  les  dispositions  suivantes  : 

Une  petite  colonne  d'avant-garde,  composée  d'une  com- 
pagnie du  génie,  de  deux  compagnies  de  chasseurs  à  pied, 
d'un  détachement  de  pontonniers,  d'une  batterie  de  quatre 
et  de  deux  pelotons  d'artillerie  à  cheval,  reçut  l'ordre  de 
se  porter  en  avant  sous  le  commandement  du  général  Col- 
lineau.  Le  général  Jamin,  avec  le  reste  du  bataillon  de 
chasseurs  à  pied,  des  fuséens,  la  batterie  de  douze  et  le 
101*  de  ligne,  suivit  le  mouvement.  L'avant-garde  se  trouva 
bientôt  arrêtée  devant  de  fortes  masses  de  cavalerie  qui 
débordaient  sa  gauche,  à  la  hauteur  de  laquelle  l'arm.ée 
anglaise  n'était  pas  encore  arrivée.  Le  général  Collineau 
s'arrêta  et  mit  ses  pièces  en  batterie.  Je  m'apprêtais  à  le 
soutenir  avec  le  reste  de  mes  troupes,  lorsqu'un  feu  d'ar- 
tillerie assez  nourri  s'ouvrit  tout  à  coup  sur  ma  droite. 


378  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Mon  chef  d'état-major  général,  le  colonel  Schmitz,  se  porta 
de  lui-même  en  avant,  dans  la  direction  du  canon  de 
l'ennemi,  et  vint  me  rendre  compte  que  le  point  d'où  par- 
tait la  canonnade  semblait  être  le  centre  de  sa  première 
ligne  de  défense.  Cet  officier  supérieur  n'hésita  pas  à  dési- 
gner ce  point  comme  indiquant  la  véritable  position  du 
pont  qui  devait  nous  être  cache  longtemps  encore  par  des 
groupes  de  maisons  entourées  d'arbres  et  par  les  masses 
profondes  qui  entouraient  ses  abords.  J'ordonnai  au  géné- 
ral Jamin  de  faire  déployer  à  droite,  face  au  canon,  le  ba- 
taillon de  chasseurs,  les  fuséens,  la  batterie  de  douze,  et  de 
faire  avancer  le  plus  promptement  possible,  pour  former 
notre  droite,  les  bataillons  du  lOP, 

Ce  mouvement  laissait  entre  le  petit  corps  du  général 
Collineau  et  moi  un  intervalle  qu'il  était  urgent  de  remplir. 
J'envoyai  le  chef  d'escadron  Campenon,  de  l'état-major 
général,  porter  l'ordre  à  ces  troupes  de  se  rabattre  sur 
nous  ;  mais  cet  ordre  ne  put  s'exécuter  avant  l'entrée  en 
ligne  de  l'armée  anglaise;  car,  en  ce  moment,  la  cavalerie 
ennemie  débordait  nos  deux  ailes. 

Le  sen-wang  profita  habilement  de  ces  circonstances 
pour  charger  en  masse,  en  nous  enveloppant  de  toutes 
parts.  Au  centre,  la  charge  répétée  plusieurs  fois  avec  des 
cris  sauvages,  fut  repoussée  par  les  fuséens,  la  batterie  de 
douze  et  les  chasseurs  à  pied.  A  la  gauche,  elle  vint  se 
briser  contre  la  petite  poignée  d'hommes  du  général  Colli- 
neau, devant  la  précision  du  tir  de  la  batterie  Jamont,  et 
devant  la  cavalerie  anglaise  qui  débouchait  sur  le  champ 
de  bataille.  Les  cavaliers  tartares  échouèrent  également  à 
notre  droite,  où  ils  furent  reçus  par  le  101'^  de  ligne,  dis- 
posé avec  habileté  et  sang-froid  par  son  chef,  le  colonel 
Pouget. 

Comme  le  18,  nos  troupes  étaient  sorties  victorieuses  de 
ce  cercle  de  cavaliers.  Ces  charges  repoussées,  la  position 
de  ma  gauche,  où  l'armée  anglaise  venait  de  se  déployer, 
ne  me  laissait  plus  d'inquiétude.  Je  pouvais  rapprocher  de 
moi  le  petit  corps  du  général  Collineau,  et  je  lui  ordonnai, 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  379 

par  un  mouvement  de  conversion  a  droite,  de  tourner  le 
village  de  Pa-li-kiao,  en  gagnant  le  bord  du  canal,  tandis 
que  le  général  Jamin  attaquerait  de  front  en  marchant  droit 
au  pont;  le  village,  abordé  avec  la  plus  grande  vigueur, 
fut  défendu  pied  à  pied  par  l'infanterie  chinoise.  On  ne 
peut  réellement  expliquer  que  par  l'infériorité  de  son  arme- 
ment les  pertes  peu  considérables  qu'un  ennemi  aussi 
nombreux  et  aussi  tenace  nous  a  fait  subir.  Mais  la  prise 
du  village  ne  devait  pas  terminer  la  lutte.  Pendant  que  le 
général  Collineau,  arrivé  sur  le  bord  du  canal,  apercevait 
le  pont  de  Pa-li-kiao  et  le  prenait  d'écharpe  avec  son  artil- 
lerie, j'ordonnai  au  colonel  de  Bentzmann  de  faire  avancer 
les  fuséens  et  la  batterie  de  douze  pour  battre  le  pont 
d'enfilade  et  pour  tirer  sur  les  pièces  qui  le  défendaient. 
Notre  infanterie,  marchant  de  maison  en  maison,  était 
parvenue  à  s'emparer  de  celles  qui  sont  sur  les  bords  du 
canal,  et  couvrait  de  son  feu  tous  les  abords. 

En  ce  moment,  le  pont  de  Pa-li-kiao  offrit  un  spectacle 
qui,  certainement,  est  un  des  épisodes  les  plus  remarqua- 
bles de  la  journée. 

Tous  les  cavaliers,  si  ardents  le  matin,  avaient  disparu. 
Sur  la  chaussée  du  pont,  monument  grandiose  d'une  civili- 
sation vieillie,  des  fantassins  richement  vêtus  agitaient  des 
étendards  et  répondaient  à  découvert,  par  un  feu  heureuse- 
ment impuissant,  à  celui  de  nos  pièces  et  à  notre  mous- 
queterie.  C'était  l'élite  de  l'armée  qui  se  dévouait  pour  cou- 
vrir une  retraite  précipitée. 

Au  bout  d'une  demi-heure,  le  feu  concentré  de  nos 
batteries  fit  taire  le  canon  de  l'ennemi.  Le  général  Colli- 
neau, joignant  à  son  avant-garde  la  compagnie  du  101^  du 
capitaine  de  Moncets,  passa  le  pont.  Il  s'engagea  sur  la 
droite  de  la  route  de  Pé-king,  dans  la  direction  prise  par  la 
masse  des  fuyards,  et  je  le  suivis  avec  le  reste  de  mes  trou- 
pes. Il  était  midi,  et  depuis  sept  heures  du  matin  nous 
n'avions  pas  cessé  de  combattre  ;  l'ennemi  avait  disparu 
dans  un  état  de  désorganisation  complète,  couvrant  de  ses 
morts  le  champ  de  bataille.  J'ordonnai  de  faire  halte,  et, 


380  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

après  deux  heures  de  repos,  mes  troupes  étaient  établies 
dans  les  camps  et  sous  les  tentes  des  soldats  du  sen-wang, 
à  12  kilomètres  de  Pé-kinp. 

Les  journées  du  18  et  du  21  ont  valu  aux  armées  alliées 
cent  pièces  de  canon. 

En  terminant  ce  rapport,  je  sens  bien,  monsieur  le  ma- 
réchal, que  la  plume  est  impuissante  h  donner  une  idée 
vraie  de  ce  qui  se  passe  autour  de  nous. 

L'ennemi  nous  entourait  h  perte  de  vue,  les  rapports  des 
prisonniers  et  des  espions,  reçus  après  ma  première  dépê- 
che, pour  ne  pas  parler  des  plus  exagérés,  varient,  dans 
l'évaluation  des  forces  chinoises,  de  40  à  60  000  hommes. 

Tout  cela  est  si  étrange  que,  pour  se  rendre  compte  de 
nos  succès,  il  faut  remonter  bien  haut  dans  le  passé,  et  se 
rappeler  les  victoires  constantes  de  quelques  poignées  de 
soldats  romains  sur  les  hordes  barbares. 

Je  ne  peux  pas  décerner  de  nouveaux  éloges  aux  troupes 
que  je  commande.  Je  prie  Votre  Excellence  d'appeler  sur 
tous  la  bienveillance  de  l'Empereur  et  l'intérêt  du  pays. 
Ci-joint  l'ordre  général  n"  95  et  l'état  des  tués  et  blessés. 

Agréez,  monsieur  le  maréchal,  etc. 

,       Le  général  commandant  en  chef  VexpnUt'wn  de  Chine, 

DE  MONTAUBAN. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  381 


Vlll 


Rapport  «lu  généi'al  de  Moiitaubaii  au  Ministre 
de  la  guerre. 


Quartier  général  sous  Pé-king,  le  8  octobre  1860. 

Monsieur  le  maréchal, 

Nous  étions  convenus,  le  général  Grant  et  moi,  de  nous 
rendre  à  Yuen-Nincg-Yuen,  maison  d'été  que  l'empereur 
occupe  presque  toujours,  à  quatre  lieues  au  nord  de  Pé- 
king. 

Ce  pays  est  tellement  coupé  de  routes,  de  bois,  etc.,  que 
le  général  Grant  s'est  égaré  avec  son  armée,  et  que  je  suis 
arrivé  seul,  le  soir,  devant  le  palais,  gardé  par  une  garde 
lartare. 

Malgré  une  marche  longue  et  pénible,  j'ai  fait  occuper  le 
palais  à  sept  heures  du  soir,  et,  en  y  entrant  de  vive  force, 
j'ai  eu  deux  officiers  et  quelques  soldats  blessés.  Les  Tar- 
tares  ont  évacué  le  palais  confié  à  leur  garde  et  ont  perdu 
quelques  hommes,  dont  un  petit  mandarin  tué  dans  la 
cour  même.  J'ai  fait  occuper  le  palais,  et,  le  lendemain  au 
jour,  je  m'y  suis  rendu.  Il  m'est  impossible,  monsieur  le 
maréchal,  de  vous  dire  ici  toutes  les  merveilles  de  cette 
habitaiion  impériale;  rien  dans  notre  Europe  ne  peut  don- 
ner l'idée  d'un  luxe  pareil;  je  n'essayerai  pas  d'en  décrire 
les  splendeurs  dans  ces  lignes  si  rapides.  J'aurai  l'honneur 
d'écrire  longuement  à  Votre  Excellence,  par  le  prochain 
courrier,  pour  vous  faire  une  description  complète. 

J'ai  fait  garder  par  des  postes  assez  farts  les  diverses 


382  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

issues  du  palais,  afin  que  rien  ne  fût  dérangé  avant  l'arri- 
vée de  nos  alliés,  que  j'ai  fait  prévenir  de  suite.  Quelques 
heures  après,  ils  sont  arrivés,  et  comme  une  partie  de  leur 
cavalerie  avait  rallié  ma  colonne,  j'ai  fait  désigner  deux 
officiers  anglais  et  deux  officiers  français  pour  que  rien  ne 
fût  touché  et  que  les  deux  armées  exerçassent  conjointement 
une  surveillance  sévère. 

Le  général  Grant  et  lord  Elgin  étant  arrivés,  nous  avons 
nommé  trois  commissaires  de  chaque  nation  pour  procéder 
au  partage  des  objets  les  plus  précieux.  Dans  ce  partage, 
j'ai  recommandé  a  nos  commissaires  de  ne  s'attacher 
qu'aux  objets  ayant  de  la  valeur  au  point  de  vue  de  l'art 
ou  par  leur  antiquité;  j'espère  envoyer  à  Votre  Excellence, 
pour  S.  M.  l'Empereur  et  pour  les  grandes  collections  du 
gouvernement,  ou  pour  le  Musée  d'artillerie,  des  curio- 
sités assez  rares  en  France. 

En  ce  moment  j'attends  l'arrivée  du  baron  Gros,  qui  doit 
me  rejoindre  ici,  où  se  trouve  aussi  lord  Elgin.  Une  sorte 
de  convention  a  eu  lieu  entre  le  prince  Kong,  régent  de 
l'empire,  et  le  général  anglais,  au  nom  des  deux  généraux 
en  chef.  J'avais  consenti  à  un  armistice,  afin  que  le  prince 
vînt  à  Pé-king  pour  traiter.  Il  s'est  retiré  à  huit  lieues,  et 
l'empereur  est  en  Tarlarie. 

Veuillez  excuser,  monsieur  le  maréchal,  l'incorrection 
de  cette  lettre  que  je  vous  écris  à  la  hâte;  je  resterai  ici 
demain  et  même  jusqu'à  ce  que  Pé-king  soit  occupé  de 
gré  ou  par  la  force,  et  j'aurai  l'honneur  de  vous  rendre 
officiellement  un  compte  détaillé. 

Recevez,  monsieur  le  maréchal,  etc. 

Le  général  commandant  en  chef  reûcpéclition  de  Chine, 

C.  DE  MONTAUBAN. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  383 


IX 


Rapport  du  général  de  Montauban  au  Ministre 
de  la  guerre. 


Quartier  général  devant  Pé-king,  12  octobre  186U. 

Monsieur  le  maréchal, 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  aujourd'hui,  à  tête  re- 
posée et  d'une  manière  plus  complète,  le  récit  des  derniers 
événements  que  je  vous  ai  fait  connaître  très-succinctement 
par  ma  lettre  du  8  octobre  courant. 

Ainsi  que  je  l'annonçais  à  Votre  Excellence  par  ma  let- 
tre (cabinet  n°  119)  datée  du  3,  de  Pa-li-kiao,  l'armée  a 
quitté  cette  position  le  5  pour  se  porter  sur  Pé-king.  J'avais 
laissé  à  Pa-li-kiao,  pour  assurer  mes  communications 
avec  le  Peï-ho,  trois  compagnies  dans  une  bonne  position 
de  défense,  avec  l'ambulance  et  une  partie  de  l'adminis- 
tration, et  je  m'étais  mis  en  route  avec  le  surplus  de  l'ex- 
pédition et  une  ambulance  légère,  et  cinq  jours  de  vivres. 

Je  suis  allé  asseoir  mon  camp,  le  même  jour,  dans  un 
grand  village,  à  trois  lieues  en  avant  de  Pa-li-kiao,  di- 
rection de  Pé-king,  dont  je  n'étais  plus  qu'à  6000  mètres 
environ  ;  de  mon  camp,  on  découvrait  parfaitement  la  ville, 
ainsi  que  je  l'avais  déjà  su  par  une  grande  reconnaissance 
que  j'avais  fait  faire  la  veille.  Quelques  cavaliers  tartares 
étaient  en  vue  de  mes  avant-postes,  mais  ils  n'approchèrent 
pas. 

Le  6  au  matin,  nous  reprîmes,  le  général  anglais  et  moi, 
notre  marche  sur  Pé-king,  après  nous  être  formés  sur  deux 


384  PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 

colonnes  chacun,  car  le  pays  est  irès-couvert  et  traversé 
dans  tous  les  sens  par  des  roules  dont  quelques-unes  sont 
carrossables  et  d'autres  aboutissent  à  des  impasses;  je  n'ai 
jamais  vu  de  pays  plus  difficile  pour  des  colonnes  mar- 
chant avec  de  grosse  artillerie. 

Après  deux  heures  d'une  marche  assez  pénible,  nous 
arrivâmes  à  2000  mètres  de  l'angle  nord-est  de  Pé-king  ; 
nous  fîmes  la  grande  halte  et  nous  lançâmes  des  recon- 
naissances dans  plusieurs  directions  autour  de  la  ville. 

Des  Chinois  interrogés  nous  dirent  qu'il  existait  vers  l.i 
direction  ouest  de  la  ville,  qui  a  un  mur  de  7000  mètres  de 
ce  côlé,  un  grand  camp  tartare  de  10  OUO  hommes. 

Nous  nous  mîmes  en  marche  immédiatement  sur  ce  camp 
dont  nous  apercevions  le  parapet  en  terre;  nous  marchions 
à  la  même  hauteur  avec  le  général  anglais;  il  devait  atta- 
quer la  druile  et  moi  la  gauche.  La  colonne  CoUineau  de- 
vait tourner  la  gauche  du  camp,  les  Anglais  tourner  la 
droite,  et  le  général  Jamin  attaquer  le  front;  le  camp  aélé 
évacué  dans  la  nuit. 

Le  général  Grant  me  fit  alors  prévenir  que  ses  espions 
l'informaient  que  l'armée  tartare  s'était  retirée  à  Yuen- 
Ming-Yuen,  magnifique  résidence  impériale,  à  un  mille  et 
demi  du  point  où  nous  étions,  et  il  me  proposait  de  mar- 
cher contre  elle  :  l'heure  était  peu  avancée,  les  troupes 
n'étaient  pas  fatiguées,  elles  étaient  pleines  d'ardeur;  un 
mille  et  demi  dans  ces  conditions  devait  être  promptement 
franchi. 

Après  une  marche  as^ez  longue  et  difficile,  nous  arrivâ- 
mes à  sept  heures  au  village  de  Yuen-Ming-Yuen;  nous 
suivions  une  route  en  dalles  de  granit  et  nous  traversâmes 
un  pont  magnifique  qui  conduit  au  château  impérial,  situé 
à  200  mètres  du  pont  et  dont  l'entrée  est  en  face;  la  route, 
entre  le  pont  et  le  palais,  est  bordée  à  gauche,  d'arbres 
épais  et  d'une  belle  venue;  à  droite,  une  grande  place  à 
laquelle  s'appuie  une  rangée  de  belles  maisons,  habitations 
des  principaux  mandarins. 

Avant  de  m'établir   au  bivac,  je  voulus  faire  fouiller 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  385 

l'entrée  du  palais,  qui  était  fermée  par  une  petite  porte  très- 
solide  et  par  des  barrières  à  droite  et  à  gauche;  on  préten- 
dait que  les  Tartares  étaient  dans  les  cours  et  dans  les  jar- 
dins derrière  ces  portes. 

J'envoyai  de  suite  deux  compagnies  d'infanterie  de  ma- 
rine pour  fouiller  l'entrée  du  palais  et  le  bois  en  arrière, 
ainsi  que  mon  officier  d'ordonnance,  le  lieutenant  devais- 
seau  de  Pina. 

Cet  officier,  entendant  du  bruit  dans  l'intérieur,  fit  som- 
mer d'ouvrir  les  portes,  et  voyant  que  personne  ne  répon- 
dait, il  fit  apporter  une  échelle  et  escalada  le  mur,  suivi  par 
M.  Vivenon,  enseigne  de  vaisseau.  A  peine  étaient-ils  sur 
la  crête  qu'ils  reconnurent  les  Tartares  armés  de  piques, 
de  flèches  et  de  fusils,  qui  paraissaient  vouloir  défendre  la 
porte, 

A  l'aspect  des  officiers,  ces  hommes  se  retirèrent,  et 
M.  de  Pina  franchit  le  mur  afin  d'ouvrir  la  porte  à  la 
troupe. 

En  ce  moment  les  Tartares  revinrent  sur  M.  de  Pina,  et 
une  lutte  s'engagea  entre  lui  et  les  hommes  qui  accouraient. 
Il  soutint  bravement  celte  attaque,  tira  quelques  coups  de 
revolver,  ot  fut  blessé  à  la  main  gauche  et  au  poignet  droit. 
Les  soldats  d'infanterie  de  marine  vinrent  à  son  secours  et 
à  celui  de  leur  officier,  M.  Vivenon,  qui  avait  reçu  une 
balle  dans  le  côté,  et  les  Tartares,  après  une  résistance 
inutile,  prirent  la  fuite  en  désordre,  laissant  derrière  eux 
trois  des  leurs  tués,  et  emmenant  plusieurs  blessés. 

Le  bruit  de  la  fusillade  m'ayant  attiré,  je  fis  venir  le  gé- 
néral Collineau  avec  sa  brigade,  et  je  fis  occuper  fortement 
la  première  cour  du  palais,  ne  voulant  pas  pénétrer  plus 
avant  pendant  la  nuit  dans  un  lieu  inconnu;  7  ou  800 
Tartares  qui  se  trouvaient  derrière  les  palais  successifs 
aboutissant  aux  bois  auraient  pu  tenter  d'inquiéter  nos 
hommes.  La  nuit  se  passa  sans  événements,  et  le  lende- 
main, de  grand  matin,  je  me  rendis  au  palais,  accompagné 
des  généraux  Jamin  et  Collineau,  de  mon  chef  d'état-ma- 
jor et  du  brigadier  anglais  Fattle,  avec  lequel  était  le  major 
II  25 


386  PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 

Sley  des  dragons  de  la  reine  et  le  colonel  Fowley;  une 
compagnie  d'infanterie  nous  précédait  pour  assurer  notre 
marche;  mais  les  palais  étaient  complètement  évacués  par 
les  Tartares. 

Je  tenais  à  ce  que  nos  alliés  fussent  représentés  dans 
cette  première  visite  au  palais,  que  je  soupçonnais  devoir 
renfermer  de  grandes  richesses.  Après  avoir  visité  des  ap- 
partements dont  la  splendeur  est  indescriptible,  je  fis  placer 
partout  des  sentinelles  et  je  désignai  deux  officiers  d'artille- 
rie pour  veiller  à  ce  que  personne  ne  pût  pénétrer  dans  le 
palais,  et  pour  que  tout  fût  conservé  intact  jusqu'à  l'arrivée 
du  général  Grant,  que  le  brigadier  Faltle  fit  prévenir  de 
suite. 

Les  chefs  anglais  arrivés,  nous  nous  concertâmes  sur  ce 
qu'il  convenait  de  faire  de  tant  de  richesses,  et  nous  dési- 
gnâmes pour  chaque  nation  trois  commissaires  chargés  de 
faire  mettre  à  part  les  objets  les  plus  jirécieux  comme  cu- 
riosités, afin  qu'un  partage  égal  en  fût  fait;  il  eût  été  im- 
possible de  songer  à  emporter  la  totalité  de  ce  qui  existait, 
nos  moyens  de  transport  étant  très-bornés. 

Un  peu  plus  tard,  de  nouvelles  fouilles  amenèrent  la  dé- 
couverte d'une  somme  d'environ  800  000  francs  en  petits 
lingots  d'or  et  d'argent;  la  même  commission  procéda  éga- 
lement au  partage  égal  entre  les  deux  armées,  ce  qui  con- 
stitua une  part  de  prise  d'environ  80  francs  pour  chacun 
de  nos  soldats;  la  répartition  en  a  été  faite  par  une  com- 
mission composée  de  tous  les  chefs  de  corps  et  de  service 
présidée  par  M.  le  général  Jamin;  la  même  commission, 
réunie  et  consultée  au  nom  de  l'armée,  déclara  que  celle-ci 
désirait  faire  un  cadeau  à  titre  de  souvenir  à  S.  M.  l'Em- 
pereur de  la  totalité  des  objets  curieux  enlevés  dans  le  pa- 
lais, ainsi  qu'à  S.  M.  l'Impératrice  et  au  Prince  impérial. 

L'armée  a  été  unanime  pour  cette  offrande  au  chef  de 
l'État,  qui  la  considérera  comme  un  souvenir  de  reconnais- 
sance de  ses  soldats  pour  l'expédition  la  plus  lointaine  qui 
ait  jamais  été  entreprise. 

Au  moment  du  partage  entre  les  deux  armées,  j'ai  tenu, 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  387 

au  nom  de  l'Empereur,  à  ce  que  lord  Elgin  fit  le  premier 
choix  pour  S.  M.  la  reine  d'Angleterre. 

Lord  Elgin  a  choisi  un  bâton  de  commandement  de 
l'empereur  de  Chine,  en  jade  vert  du  plus  grand  prix  et 
monté  en  or.  Un  second  bâlon,  semblable  en  tout  a  celui-ci, 
ayant  été  trouvé,  lord  Elgin,  à  son  tour,  a  voulu  qu'il  fût 
pour  S.  M.  l'Empereur.  Il  y  a  donc  eu  parité  parfaite  dans 
ce  premier  choix. 

Il  me  serait  impossible,  monsieur  le  maréchal,  de  vous 
dire  la  magnificence  des  constructions  nombreuses  qui  se 
succèdent  sur  une  étendue  de  quatre  lieues  et  que  l'on  ap- 
pelle le  palais  d'été  de  l'empereur  :  succession  de  pagodes 
renfermant  toutes  des  dieux  d'or  et  d'argent  ou  de  bronze 
d'une  dimension  gigantesque.  Ainsi  un  seul  dieu  en  bronze, 
un  Bouddha,  a  une  hauteur  d'environ  70  pieds,  et  tout  le 
reste  est  à  l'avenant  :  jardins,  lacs  et  objets  curieux  entas- 
sés depuis  des  siècles  dans  des  bâtiments  en  marbre  blanc, 
couverts  de  tuiles  éblouissantes,  vernies  et  de  toutes  cou- 
leurs; ajoutez  à  cela  des  points  de  vue  d'une  campagne  ad- 
mirable, et  Votre  Excellence  n'aura  qu'une  faible  idée  de 
ce  que  nous  avons  vu. 

Dans  chacune  de  ces  pagodes  il  existe,  non  pas  des  ob- 
jets, mais  des  magasins  d'objets  de  toute  espèce.  Pour  ne 
vous  parler  que  d'un  seul  fait,  il  existe  tant  de  soieries  du 
tissu  le  plus  fin,  que  nous  avons  fait  emballer  avec  des 
pièces  de  soie  tous  les  objets  que  je  fais  expédier  à  Sa 
Majesté. 

Ce  qui  attriste  au  milieu  de  toutes  ces  splendeurs  du 
passé,  c'est  l'incurie  et  l'abandon  du  gouvernement  actuel 
et  des  deux  ou  trois  gouvernements  qui  l'ont  précédé;  rien 
n'est  entretenu,  et  les  plus  belles  choses,  à  l'exception  de 
celles  qui  garnissent  le  palais  que  l'empereur  habite,  sont 
dans  un  état  déplorable  de  dégradation. 

Dans  l'une  des  pagodes,  celle  des  voitures,  à  une  demi- 
lieue  du  palais  habité,  nous  avons  trouvé  deux  voitures 
magnifiques  anglaises,  présent  de  l'ambassade  de  lord  Ma- 
cartney;  elles  étaient,  ainsi  que  leurs  harnais  dorés,  dans 


388  PIËCES  JUSTIFICATIVES. 

la  même  place  où  elles  avaient  du  être  mises,  il  y  a  qua- 
rante-quatre ans,  sans  qu'un  grain  de  la  poussièi'e  qui  les 
couvre  ait  jamais  été  enlevé. 

Il  faudrait  un  volume  pour  dépeindre  tout  ce  que  j'ai  vu; 
mon  plus  grand  regret,  c'est  de  n'avoir  pas,  dans  l'expédi- 
tion, un  photographe  pour  reproduire  aux  yeux  de  l'Empe- 
reur ce  que  la  parole  est  impuissante  à  exprimer. 

Après  quarante-huit  heures  de  séjour  à  Yuen-Ming- 
Yuen,  je  songeai  à  rejoindre  l'armée  anglaise  devant  Pé- 
king;  mais,  avant  de  quitter  le  palais  impérial,  je  consta- 
tai que  les  eftets  de  plusieurs  de  nos  malheureux  prison- 
niers, par  suite  de  la  trahison  du  18  septembre,  étaient 
placés  dans  une  chambre  de  Tune  des  maisons  qui  avoisi- 
nent  l'habitation  de  l'empereur. 

Parmi  ces  effets  figuraient  ceux  du  colonel  Foullon-Grand- 
champ,  de  l'artillerie,  un  carnet  et  des  effets  de  sellerie  à 
M.  Ader,  comptable  des  hôpitaux,  et  enfin  quinze  selles 
complètes  de  sikhs,  et  diverses  autres  choses  ayant  été  re- 
connues par  des  officiers  anglais  comme  appartenant  h  ceux 
des  leurs  pris  le  même  jour  18  septembre. 

Je  suis  donc  revenu  le  9  devant  Pé-king,  espérant  rece- 
voir des  nouvelles  de  nos  malheureux  nationaux,  car  j'a- 
vais appris  déjà  que  M.  d'Escayrac  de  Lauture  et  quatre 
soldats  avaient  été  renvoyés  pendant  ma  séparation  du 
camp  anglais  au  général  en  chef. 

Mais  les  prisonniers  ayant  été  séparés  les  uns  des  autres, 
ceux-ci  ne  purent  nous  donner  aucun  renseignement;  seu- 
lement, je  pus  préjuger,  par  les  traitements  horribles  in- 
fligés par  un  ennemi  barbare,  quel  devait  être  le  sort  de 
ceux  restés  entre  les  mains  du  gouvernement  tartare. 

Aujourd'hui  15  octobre,  que  je  continue  cette  lettre  com- 
mencée le  12,  il  ne  m'est  plus  permis  d'avoir  des  doutes  : 
MM.  le  colonel  Foullon-Grandchamp;  Dubut,  sous-inten- 
dant militaire;  Ader,  comptable,  ainsi  que  quatre  de  nos 
soldats,  sont  morts  :  trop  heureux  s'ils  ont  été  tués  de  suite, 
car  il  est  impossible  de  se  faire  une  idée  des  tortures  bar- 
bares que  quelques  prisonniers  ont  subies  avant  de  mourir. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  389 

Tout  cela  se  passait  pendant  que  je  faisais  recueillir  et 
soigner  dans  nos  ambulances  les  prisonniers  larlares  aussi 
bien  que  nos  blessés. 

Devant  Pé-king,  17  octobre  1860. 

Après  avoir  campé  à  4  kilomètres  environ  de  Pé-king, 
j'ai  adressé,  de  concert  avec  le  général  anglais,  au  prince 
Kong,  une  note  concluant  à  l'occupation  d'une  des  portes 
de  la  ville  par  nos  troupes.  Nous  avions  fait  établir  des 
batteries  de  siège  à  60  mètres  des  murailles;  le  prince  a 
immédiatement  donné  l'ordre  d'ouvrir  la  porte  vis-à-vis  le 
camp  français.  Celte  porte  a  été  occupée  par  un  bataillon 
de  chacune  des  deux  armées. 

Je  me  suis  rendu  sur  le  rempart,  qui  a  une  largeur  de 
17  mètres;  il  était  armé  de  pièces  d'un  très-fort  calibre  et 
d'un  très-beau  bronze  ;  toutes  les  mesures  de  précaution 
ont  été  prises  pour  assurer  notre  position;  mais  la  po- 
pulation paraît  beaucoup  plus  curieuse  qu'hostile. 

J'ai  fait  rapprocher  mon  camp  et  placé  des  hommes  dans 
les  casernes  abandonnées  par  les  Tartares.  Les  montagnes 
qui  nous  avoisinent  sont  couvertes  de  neige  et  le  vent  du 
nord  souftle  avec  une  grande  violence;  ces  signes  précur- 
seurs du  plus  mauvais  temps  m'ont  fait  prendre  la  ferme 
résolution  de  ne  pas  prolonger  mon  séjour  ici  au  delà  des 
premiers  jours  de  novembre. 

18  octobre  186U. 

Au  moment  où  j'allais  reprendre  ce  rapide  récit,  bien 
souvent  interrompu,  j'ai  reçu  trois  nouveaux  cercueils  con- 
tenant les  corps  de  M.  l'intendant  Dubut  et  de  deux  de  nos 
soldats;  il  ne  reste  plus  que  l'abbé  Duluc,  mais  il  ne  m'est 
plus  possible  de  douter  de  sa  mort. 

En  résumé,  sur  26  prisonniers  anglais,  13  sont  morts  et 
13  sont  rentrés;  sur  13  prisonniers  français,  7  sont  moris 
el  6  nous  sont  rendus. 


390  1>1ÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Hier  17  octobre  a  eu  lieu  dans  le  cimetière  russe  l'in- 
humation  des  Anglais  victimes  du  guet-apens  du  18  sep- 
tembre; nous  avons  assisté  k  cette  triste  cérémonie.  Au- 
jourd'hui, j'ai  profité  de  l'occasion  de  l'enterrement  de  nos 
cûm)iatriotcs  pour  faire  venir  de  Pé-king  chez  moi  deux 
mandarins  d'un  grade  élevr-,  pour  leur  dire  que  je  savais 
leur  respect  pour  les  morts,  et  que  je  désirais  faire  enter- 
rer les  restes  de  nos  prisonniers  dans  l'ancien  cimetière 
français  que  l'empereur  Kang-Hi  avait  autrefois  accordé 
aux  missionnaires  catholiques;  ils  m'ont  affirmé  que  rien 
n'était  plus  convenable,  et  qu'ils  allaient  immédiatement 
prendre  des  dispositions  en  conséquence. 

Recevez,  etc. 

Le  général  coimaandanL  en  chef  l'expédition  de  Chine, 

C.  DE  MONTAUBAN. 


X 


Proclamation   du  sénéral  de  Montaubaii. 


18  octobre  1860. 

Le  général  de  Montauban,  commandant  en  chef  de  l'ar- 
mée française  en  Chine,  adresse  la  proclamation  suivante 
aux  habitants  de  la  capitale  el  des  campagnes  environ- 
nantes. 

Le  général  en  chef  fait  savoir  aux  populations  paisibles 
de  la  capitale  et  des  campagnes  environnantes  que  jïlusieurs 
officiers  appartenant  aux  armées  de  la  France  et  de  l'An- 
jiïleterie,  qui,  avec  le  caractère  sacré  de  parlementaires,  que 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  391 

les  nations  civilisées  respectent  comme  inviolable,  et  du 
consenlen)ent  des  commissaires  impériaux  Tsaï  et  Mouh, 
avaient  été  envoyés  à  Tong-tcheou  afin  d'y  préparer  les  ar- 
rangements que  les  ambassadeurs  avaient  à  prendre  pour 
conclure  la  paix,  dont  les  clauses  avaient  été  déjà  conve^ 
nues  entre  eux  et  les  commissaires  impériaux,  ont  été  ar- 
rêtés, le  18  septembre  dernier,  par  San-ko-li-lsin  et  d'au- 
tres chefs  qui,  ayant  voulu  aussi  attaquer  les  alliés  le  même 
jour,  ont  été  mis  dans  la  déroute  la  plus  complète. 

Les  troupes  françaises  et  anglaises  se  trouvent  aujour- 
d'hui devant  Pé-king,  leur  drapeau  flotte  sur  les  murs  de 
la  ville;  elle  est  en  leur  pouvoir,  et  c'est  par  bienveillance 
pour  les  habitants  inoffensifs  qu'elle  renferme  que  les  alliés 
n'ont  pas  voulu  en  occuper  l'intérieur. 

Depuis  cette  époque,  les  ambassadeurs  et  les  comman- 
dants alliés  ont  appris  avec  une  douloureuse  indigna- 
tion que  les  personnes  ainsi  arrêtées  contre  toutes  les  lois 
de  l'honneur  avaient  été  traitées  avec  une  barbarie  sans 
exemple  dans  l'histoire  et  que  la  moitié  d'entre  elles  avait 
succombé  dans  les  tortures. 

Un  tel  acte  de  perfidie  et  de  cruaulé  doit  être  expié  par 
le  gouvernement  chinois,  responsable  du  crime  commis  par 
ses  agents  ;  et  il  faut  qu'en  flétrissant  comme  elle  le  mérite  la 
conduite  de  ceux  d'entre  eux  qui  se  sont  rendus  coupables 
d'un  tel  forfait,  il  donne  une  indemnité  convenable  aux 
malheureuses  victimes  de  leur  cruauté  et  à  la  famille  de 
celles  dont  ils  ont  causé  la  mort. 

De  nouvelles  conditions  de  paix  sont  off"ertes  parles  am- 
bassadeurs de  France  et  d'Angleterre  au  prince  Kong.  Si 
elles  sont  acceptées  dans  le  délai  iixé,  les  autorités  et  les 
habitants  de  la  ville  seront  respectés  dans  leur  personne  et 
dans  leurs  propriétés,  dans  le  cas,  bien  entendu,  où  elles 
ne  commettraient  aucun  acte  d'hostilité  contre  les  alliés; 
mais  si  le  gouvernement  impérial  rejetait  ces  propositions 
ou  s'il  les  laissait  sans  réponse,  le  commandant  en  chef  ne 
serait  pas  responsable  des  malheurs  que  les  autorité?  chi- 
noises auraient  attirés  sur  la  ville. 


392  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Cette  proclamation  est  adressée  aux  habitants  de  Pé- 
king  et  des  campagnes  environnantes  par  bienveillance 
pour  eux. 

Fait  au  quartier  général  français,  sur  les  remparts  de  la 
ville,  à  la  porte  Nganting. 

Le  18  octobre  1860. 


XI 


Convention  de  paix  additionnelle  au  traité  entre  la 
France  et  la  Chine,  du  27  juin  1858,  <*ont*lue  à 
Pc-kin^  le  35  octobre  1860. 


S.  M.  l'empereur  des  Français  et  S.  M.  l'empereur  de 
la  Chine,  voulant  mettre  un  terme  au  différend  qui  s'est 
élevé  entre  les  deux  empires  et  rétablir  et  assurer  à  jamais 
les  relations  de  paix  et  d'amitié  qui  existaient  entre  eux  el 
que  de  regrettables  événements  ont  interrompues,  ont 
nommé  pour  leurs  plénipotentiaires  respectifs,  savoir  : 

S.  M.  l'empereur  des  Français,  le  sieur  Jean-Baptiste- 
Louis  baron  Gros,  sénateur  de  l'Empire,  ambassadeur  et 
haut  commissaire  de  France  en  Chine,  grand  officier  de 
l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'honneur,  chevalier  grand- 
croix  de  plusieurs  ordres,  etc.,  etc.,  etc.; 

Et  S.  M.  l'empereur  de  la  Chine,  le  prince  Kong,  mem- 
bre de  la  famille  impériale  et  haut  commissaire  ; 

Lesquels,  après  avoir  échangé  leurs  pleins  pouvoirs, 
trouvés  en  bonne  et  due  forme,  sont  convenus  des  articles 
suivants  : 

Art.  1".  S.  M.  l'empereur  de  la  Chine  a  vu  avec  peine  la 
conduite  (jue  les  autorités  militaires  chinoises  ont  tenue  à 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  393 

l'embouchure  de  la  rivière  de  Tien-lsin,  dans  le  mois  de 
juin  de  l'année  dernière,  au  moment  où  les  ministres  plé- 
nipotentiaires de  France  et  d'Angleterre  s'y  présentaient 
pour  se  rendre  à  Pé-king,  afin  d'y  procéder  à  l'échange 
des  ratifications  des  traités  de  Tien-tsin. 

Art.  2.  Lorsque  l'ambassadeur,  haut  commissaire  de 
S.  M.  l'empereur  des  Français  se  trouvera  dans  Pé-king 
pour  y  procéder  à  l'échange  des  ratifications  des  traités  de 
Tien-tsin,  il  sera  traité  pendant  son  séjour  dans  la  capi- 
tale avec  les  honneurs  dus  à  son  rang,  et  toutes  les  faci- 
lités possibles  lui  seront  données  par  les  autorités  chinoi- 
ses pour  qu'il  puisse  remplir  sans  obstacle  la  haute  mission 
qui  lui  est  confiée. 

Art.  3.  Le  traité  signé  à"  Tien-tsin  le  27  juin  1858 
sera  fidèlement  mis  à  exécution  dans  toutes  ses  clauses 
immédiatement  après  l'échange  des  ratifications  dont  il 
est  parlé  dans  l'article  précédent,  sauf,  bien  entendu,  les 
modifications  que  peut  y  apporter  la  présente  convention. 

Art.  4.  L'arlicle  4  du  traité  de  Tien-tsin,  par  lequel 
S.  M.  l'empereur  de  la  Chine  s'engage  à  faire  payer  au 
gouvernement  français  une  indemnité  de  2  millions  de 
taèls,  est  annulé  et  remplacé  par  le  présent  article,  qui 
élève  à  la  somme  de  8  millious  de  laèls  le  montant  de  cetle 
indemnité. 

Il  est  convenu  que  les  sommes  déjà  payées  par  la  douane 
de  Canton  à  compte  sur  la  somme  de  2  millions  de  laëls 
stipulée  par  le  traité  de  Tien-tsin,  seront  considérées 
comme  ayant  été  payées  d'avance  et  à  compte  sur  les 
8  millions  de  taëls  dont  il  est  question  dans  cet  article. 

Les  dispositions  prises  dans  l'article  4  du  traité  de  Tien- 
tsin  sur  le  mode  de  payement  établi  au  sujet  des  2  mil- 
lions de  laëls  sont  annulées.  Le  montant  de  la  somme  qui 
reste  à  payer  par  le  gouvernement  chinois  sur  les  8  mil- 
lions de  taëls  stipulés  par  la  présente  convention  le  sera 
en  y  affectant  le  cinquième  des  revenus  bruts  des  douanes 
des  ports  ouverts  au  commerce  étranger,  et  de  trois  mois 
en  trois  mois,  le  premier  terme  commençant  au  1*^' octobre 


394  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

de  celte  année  et  finissant  au  31  décembre  suivant.  Cette 
somme,  spécialement  réservée  pour  le  payement  de  l'in- 
demnité due  à  la  France,  sera  comptée  en  piastres  mexi- 
caines ou  en  argent  au  cours  du  jour  du  payement,  entre 
les  mains  du  ministre  de  France  ou  de  ses  délégués. 

Une  somme  de  500  000  laëls  sera  payée  cependant  à 
compte,  d'avance,  en  une  seule  fois,  et  à  Tien-tsin,  le 
20  novembre  prochain,  ou  plus  tôt  si  le  gouvernement  chi- 
nois le  juge  convenable. 

Une  commission  mixte,  nommée  par  le  ministre  de 
France  et  par  les  autorités  chinoises,  déterminera  les 
règles  à  suivre  pour  effectuer  les  payements  de  toute  l'in- 
demnité, en  vérifier  le  montant,  en  donner  quittance,  et 
remplir  enfin  toutes  les  formalités  que  la  comptabilité 
exige  en  pareil  cas. 

Art.  5.  La  somme  de  8  millions  de  taëls  est  allouée  au 
gouvernement  français  pour  l'indemniser  des  dépenses 
que  ses  armements  contre  la  Chine  l'ont  obligé  de  faire , 
comme  aussi  pour  dédommager  les  Français  et  les  proté- 
gés de  la  France  qui  ont  été  spoliés  lors  de  l'incendie  des 
factoreries  de  Canton,  et  indemniser  aussi  les  mission- 
naires catholiques  qui  ont  souffert  dans  leurs  personnes  ou 
leurs  propriétés.  Le  gouvernejnent  français  répartira  cette 
somme  entre  les  parties  intéressées  dont  les  droits  ont  été 
légalement  établis  devant  lui,  et  en  raison  de  ces  mêmes 
droits;  il  est  convenu  entre  les  parties  contractantes  que 
1  million  de  taëls  sera  destiné  à  indemniser  les  sujets 
français  ou  protégés  par  la  France,  des  pertes  qu'ils  ont 
éprouvées  ou  des  traitements  qu'ils  ont  subis,  et  que  les 
7  millions  de  taëls  restants  seront  affectés  aux  dépenses 
occasionnées  par  la  guerre. 

Art.  6.  Conformément  à  l'édit  impérial  rendu  le  20 
mars  1846,  par  l'auguste  empereur  Fao-Kouang,  les  éta- 
blissements religieux  et  de  bienfaisance  qui  ont  été  confis- 
qués aux  chrétiens,  pendant  les  persécutions  dont  ils  ont 
été  les  victimes,  seront  rendus  à  leurs  propriétaires  par 
l'entremise  de  S.  E.  le  ministre  de  France  en  (jhine,  au- 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  395 

quel  le  gouvernement  impérial  les  fera  délivrer  avec  les 
cimetières  et  les  autres  édifices  qui  en  dépendaient. 

Art.  7.  La  ville  et  le  port  de  Tien-lsin,  dans  la  province 
du  Petchel,  seront  ouverts  au  commerce  étranger,  aux 
mêmes  conditions  que  le  sont  les  autres  villes  et  ports  de 
l'empire  où  ce  commerce  est  déjà  permis,  et  cela,  à  dater 
du  jour  de  la  signature  de  la  présente  convention  qui  sera 
obligatoire  pour  les  deux  naiions,  sans  qu'il  soit  néces- 
saire d'en  échanger  les  ratifications,  et  qui  aura  la  même 
force  et  valeur  que  si  elle  était  insérée  mot  à  mot  dans  le 
traité  de  Tien-tsin, 

Les  troupes  françaises  qui  occupent  cette  ville  pourront, 
après  le  payement  des  500  000  taëls  dont  il  est  question 
dans  l'article  4  de  la  présente  convention,  l'évacuer  pour 
aller  s'établir  à  Takou  et  sur  la  côte  nord  du  Ghangton, 
d'où  elles  se  retireront  ensuite  dans  les  mêmes  conditions 
qui  présideront  à  l'évacuation  des  autres  points  qu'elles 
occupent  sur  le  littoral  de  l'empire.  Les  commandants  en 
chef  des  forces  françaises  auront  cependant  le  droit  de 
faire  hiverner  leurs  troupes  de  toutes  armes  à  Tien-tsin, 
s'ils  le  jugent  convenable,  et  de  ne  les  en  retirer  qu'au  mo- 
ment où  les  indemnités  dues  par  le  gouvernement  chinois 
auraient  été  entièrement 'payées,  à  moins  cependant  qu'il 
ne  convienne  aux  commandants  en  chef  de  les  en  faire 
partir  avant  cette  époque. 

Art.  8.  Il  est  également  convenu  que,  dès  que  la  pré- 
sente convention  aura  été  signée  et  que  les  ratifications  du 
traité  de  Tien-lsin  auront  été  échangées,  les  troupes  fran- 
çaises qui  occupent  Chusan  évacueront  cette  île,  et  que 
celles  qui  se  trouvent  devant  Pé-king  se  retireront  à  Tien- 
tsin,  à  Takou  sur  la  côte  nord  de  Ghangton,  ou  dans  la 
ville  de  Canton,  et  que,  dans  tous  ces  lieux,  ou  dans  cha- 
cun d'eux,  le  gouvernement  français  pourra,  s'il  le  juge 
convenable,  y  laisser  des  troupes  jusqu'au  moment  où  l;i  ■ 
somme  totale  de  8  millions  de  taëls  sera  payée  en 
entier. 

Art,  9.  11  est  convenu  enlre  les  hautes  parties  contrac- 


396  l'IÈCtS  JUSTIFICATIVKS. 

tantes  que,  dès  que  les  ratificalioiis  du  traité  de  Tien-tsin 
auront  été  échanjjjées,  un  édit  impérial  ordonnera  aux 
autorités  supérieures  de  toutes  les  provinces  de  l'empire  de 
permettre  à  tout  Chinois  qui  voudrait  aller  dans  les  pays 
situés  au  delà  des  mers  pour  s'y  établir  ou  y  chercher 
fortune,  de  s'embarquer,  lui  et  sa  famille,  s'il  le  veut,  sur 
les  bâtiments  français  qui  se  trouveront  dans  les  ports  de 
l'empire  ouverts  au  commerce  étranger. 

Il  est  convenu  aussi  que,  dans  l'intérêt  de  ces  émigrés, 
pour  assurer  leur  entière  liberté  d'action  et  sauvegarder 
leurs  intérêts,  les  autorités  chinoises  compétentes  s'enten- 
dront avec  le  ministre  de  France  en  Chine  pour  faire  les 
règlements  qui  devront  assurer  à  ces  engagements,  tou- 
jours volontaires,  les  garanties  de  moralité  et  de  sûreté  qui 
doivent  y  présider. 

Art.  10  et  dernier.  Il  est  bien  entendu  entre  les  parties 
contractantes  que  le  dioit  de  tonnage  qui,  par  erreur,  a 
été  fixé,  dans  le  traité  iVançais  de  Tien-tsin,  à  5  maces  par 
tonneau  sur  les  bâtiments  qui  jaugent  150  tonneaux  et 
au-dessus,  et  qui,  dans  les  traités  signés  avec  l'Angle- 
terre et  les  États-Unis  en  1858,  n'est  porté  qu'à  la  somme 
de  4  maces,  ne  s'élèvera  qu'à  celte  somme  de  4  maces, 
sans  avoir  à  invoquer  le  dernier  paragraphe  de  l'article  27 
du  traité  de  ïien-tsin,  qui  donne  à  la  France  le  droit  formel 
de  réclamer  le  traiiemenl  de  la  nation  la  plus  favorisée. 

La  présente  convention  de  paix  a  été  faite  à  Pé-king,  en 
quatre  expéditions,  le  25  octobre  1860,  et  y  a  été  signée 
})ar  les  plénipotentiaires  respectifs  qui  y  ont  apposé  le 
sceau  de  leurs  armes. 

(A.  S.)  Signé  :  Baron  Gros. 

{S.  S.)  Signé  :  Prince  de  Kong. 


PlfcCES  JUSTIFICATIVES.  397 


xir 


Convention  supplémentaire  nu  traité  du  S6  juin 
1858,  entre  la  Cliîne  et  la  (Grande-Bretagne,  signée 
a  Pé-kins  le  2  1  octobre  ISGO. 


S.  M.  la  reine  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande  et 
S.  M.  I.  l'empereur  de  la  Chine,  désirant  rnetire  fin  à  la 
mésintelligence  actuellement  existante  entre  leurs  gouver- 
nements respectifs  et  garantir  leurs  relations  contre  des  in- 
terruptions futures  :  c'est-à-dire  pour  S.  M.  la  reine  de  la 
Grande-Bretagne  et  d'Irlande,  le  comte  d'Elgin  et  de  Kin- 
cardine,  et  pour  S.  M.  l'empereur  de  Chine,  S.  A.  I.  le 
prince  de  Kong,  s'étant  réunis  et  s'étant  communiqué  leurs 
pleins  pouvoirs,  après  les  avoir  trouvés  en  bonne  forme, 
sont  tombés  d'accord  sur  la  convention  suivante  en  neuf 
articles. 

Art.  1".  Une  rupture  des  relations  amicales  ayant  été 
occasionnée  par  le  fait  de  la  garnison  de  Taku,  qui  mit 
obstacle  à  la  marche  du  représentant  de  S.  M.  britannique 
se  rendant  k  Pé-king  pour  échanger  les  ratifications  du 
traité  de  paix  conclu  à  Tient-tsin  au  mois  de  juin  1858,  S.  M. 
l'empereur  de  Chine  exprime  son  profond  regret  de  la 
mésintelligence  qui  a  été  ainsi  occasionnée. 

Art.  2.  Il  est  de  plus  expressément  déclaré  que  l'arran- 
gement convenu  à  Shang-haï,  au  mois  d'octobre  1858, 
entre  l'ambassadeur  de  S.  M.  britannique,  le  comte  d'El- 
gin et  de  Kincardine,  et  les  commissaires  de  S.  M.  I.  Koueï- 
Liying  et  Hoâ-Shà-Nâ,  relativement  à  la  résidence  du  re- 
présentant de  S.  M.  britannique  en  Chine,  est  par  les 


398  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

présentes  annulé,  et  que,  conformément  à  l'article  3  du 
traité  de  1858,  le  représentant  de  S.  M.  britannique  rési- 
dera désormais  d'une  manière  permanente  ou  par  inter- 
valles à  Pé-king,  ainsi  qu'il  plaira  à  S.  M.  britannique  de 
le  décider. 

Art.  3.  Il  est  convenu  que  l'article  séparé  du  traité  de 
1858  est  par  les  présentes  annulé,  et  qu'au  lieu  de  l'in- 
demnité qui  y  est  spéciliée,  S.  M.  I.  l'empereur  de  la  Chine 
payera  la  somme  de  8  millions  de  taëls  aux  échéances  et 
aux  lieux  ci-après,  savoir  :  à  Tien-tsin,  le  30  novembre  ou 
avant,  la  somme  de  500  000  taëls;  à  Canton,  le  1" décem- 
bre 1860  ou  avant,  la  somme  de  333  333  taëls,  moins  la 
somme  qui  aura  été  avancée  par  les  autorités  de  Canton 
pour  l'achèvement  de  la  factorerie  anglaise  située  à  Sha- 
meen  ;  et  le  surplus,  dans  les  ports  ouverts  au  commerce 
étranger,  en  payements  trimestriels  qui  consisteront  en  un 
cinquième  du  revenu  brut  des  douanes  perçu  dans  ces 
ports  :  le  premier  desdits  payements  étant  dû  le  1"  décem- 
bre 1860  pour  le  trimestre  qui  se  termine  ce  jour- là. 

Il  est,  en  outre,  convenu  que  ces  sommes  seront  payées 
entre  les  mains  d'un  officier  que  le  représentant  de 
S.  M.  britannique  désignera  spécialement  pour  les  rece- 
voir, et  que  l'exactitude  des  versements  sera,  avant  paye- 
ment, dûment  vérifiée  par  les  officiers  anglais  et  chinois 
nommés  à  cet  effet. 

Afin  de  prévenir  toute  discussion  à  venir,  il  est  de  plus 
déclaré  que  des  8  millions  de  taëls  ici  garantis,  2  mil- 
lions seront  consacrés  à  indemniser  les  commerçants  an- 
glais à  Canton  des  perles  qu'ils  ont  éprouvées,  et  que  les 
6  millions  restant  serviront  à  la  liquidation  des  frais  de 
guerre. 

Art.  4.  Il  est  convenu  que  le  jour  où  cette  convention 
sera  signée,  S.  M.  I.  l'empereur  de  la  Chine  ouvrira  le 
port  de  Tien-tsin  au  commerce,  et  qu'il  sera  désormais 
permis  aux  sujets  britanniques  d'y  résider  et  d'y  faire  le 
commerce,  aux  mêmes  conditions  que  dans  tout  autre  port 
de  Chine  ouvert  au  commerce. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  399 

Art.  5.  Aussitôt  que  les  ratifications  du  traité  de  1858 
auront  été  échangées,  S.  M.  I.  l'empereur  de  la  Chine  de- 
vra, par  décret,  ordonner  aux  autorités  supérieures  de 
chaque  province  de  proclamer  dans  sa  juridiction  que  les 
Chinois  qui  voudront  prendre  du  service  dans  les  colonies 
anglaises  ou  autres  pays  au  delà  des  mers  ont  une  entière 
liberté  de  prendre  des  engagements  à  cet  effet,  avec  des  su- 
jets britanniques,  et  de  s'embarquer,  eux  et  leurs  familles, 
à  bord  des  bâtiments  anglais  dans  tous  les  ports  ouverts 
de  la  Chine;  de  plus,  les  autorités  supérieures  susdites 
devront,  de  concert  avec  le  représentant  de  S.  M.  britanni- 
que en  Chine,  faire  des  règlements  pour  protéger  les  émi- 
grants  chinois,  suivant  que,  dans  les  différents  ports  ou- 
verts, les  circonstances  l'exigeront. 

Art.  6.  Dans  le  but  de  maintenir  l'ordre  et  la  loi  dans  le 
port  et  les  environs  de  Hong-kong,  S.  M.  I.  l'empereur  de 
la  Chine  consent  à  céder  à  S.  M.  la  reine  de  la  Grande- 
Bretagne  et  d'Irlande,  et  à  ses  héritiers  et  successeurs,  le 
droit  d'avoir  et  de  conserver,  comme  une  dépendance  de  la 
colonie  de  S.  M.  britannique  à  Hong-kong,  celte  partie  du 
territoire  de  Cowloon,  dans  la  province  de  Kwang-tung, 
qui  avait  été  donnée  à  bail  à  perpétuité  à  Harry-Smith 
Parkes,  esq.,  chevalier  du  Bain,  membre  de  la  commission 
des  alliés  à  Canton,  en  faveur  du  gouvernement  de  S.  M.  bri- 
tannique, par  Lan-Isung-Kwang,  gouverneur  général  des 
deux  Kwangs. 

Il  est  de  plus  déclaré  que  le  bail  en  question  est  par  les 
présentes  annulé;  que  les  prétentions  de  tout  Chinois  à  un 
droit  de  propriété  dans  le  territoire  de  Gowloon  seront  dii- 
ment  vérifiées  par  une  commission  mixte  d'officiers  anglais 
et  chinois,  et  qu'une  indemnité  sera  payée  par  ie  gouver- 
nement anglais  à  tout  Chinois  dont  le  droit  aura  été  re- 
connu par  ladite  commission,  dans  le  cas  où  le  gouverne- 
ment anglais  jugerait  nécessaire  de  l'exproprier. 

Art.  7.  Il  est  convenu  que  les  dispositions  du  traité  de 
1858,  excepté  en  tant  qu'elles  sont  modifiées  par  la  pré- 
sente  convention ,   seront   sans  délai  mises  à  exécution 


400  PiftCES  JUSTIFICATIVES. 

nussitut  que  les  rnlifications  du  traité  susdit  auront  étt' 
échangées. 

Il  est  encore  convenu  qu'une  ratification  séparée  de  la 
présente  convention  ne  sera  pas  nécessaire,  mais  que  celle 
convention  aura  effet  de  la  date  de  sa  signature,  et  sera 
obligatoire,  ainsi  que  le  traité  mentionné,  pour  les  liantes 
parties  contractantes. 

Art.  8.  11  est  convenu  qu'aussitôt  que  la  ratificalion  du 
traité  de  1858  aura  été  échangée,  S.  M.  l'empereur  de  la 
Chine  devra,  par  décret,  ordonner  aux  autorités  supérieu- 
res de  la  capitale  et  des  provinces  d'imprimer  et  de  publier 
le  traité  susdil  et  la  présente  convention,  pour  les  porler  h 
la  connaissance  du  public. 

Art.  9.  Il  est  convenu  qu'aussitôt  que  la  convention  aura 
été  signée,  et  que  les  ratifications  du  traité  de  l'année  1858 
auront  été  échangées  et  qu'un  décret  impérial  relatif  a  la 
publication  de  ladite  convention  et  du  traité  aura  été  pro- 
mulgué conformément  à  l'article  8  de  cette  convention, 
Chusan  sera  évacué  par  les  troupes  de  S.  M.  britannique 
qui  y  sont  stationnées,  et  que  les  forces  de  S.  M.  britanni- 
que maintenant  devant  Pé-king  commenceront  h  se  diriger 
vers  la  ville  de  Tien-tsin,  les  forts  de  Taku,  la  côte  nord 
de  Shang-tung  et  la  ville  de  Canton  ;  que  S.  M.  la  reine  de 
la  Grande-Bretagne  pourra  conserver  dans  un  ou  dans  tous 
les  points  ci-dessus  mentionnés  des  forces  jusqu'à  ce  que 
l'indemnité  de  8  millions  de  laéls  stipulée  par  l'article  3 
ait  été  payée. 

Fait  à  Pé-king,  à  la  cour  du  conseil  des  cérémonies, 
24  octobre,  en  l'année  deNotre-Seigneur  1860. 

Sioné  :  Elgin  et  de  Kincardine. 

(Signatures  des  plénipotentiaires  chinois.) 


TABLE  DES  MAÏIÈRES 


DE  LA   DEUXIEME   PARTIE. 


LIVRE    PREMIER. 


CHAPITRE  PREMIER. 


Déclaration  du  gouvernement  français  à  l'ouverture  de  la  session  légis- 
lative de  1861.  — Notre  influence  ébranlée  en  Chine  peut  compro- 
mettre le  succès  de  notre  expédition  en  Cochinchine.  —  Une  nou- 
velle expédition  en  Chine  est  décidée  par  la  France  d'accord  avec 
l'Angleterre.  —  Détails  rétrospectifs  sur  les  événements  du  Peï-ho. 

—  Les  ratifications  du  dernier  traité  avec  la  Chine  doivent  selon  les 
conventions  être  signées  à  Pé-king.  —  Les  envoyés  chinois  assurent 
que  les  clauses  du  traité  seront  exécutées. —  Le  capitaine  de  frégate 
Tricault  amène  à  Shang-haï  le  ministre  de  France.  —  M.  Bruce,  mi- 
nistre plénipotentiaire  anglais,  quitte  Woo-sungle  16  juin  1859  pour 
aller  dans  le  Nord.  —  Il  arrive  aux  îles  de  Sha-luy-teen  ,  le  20  juin , 
où  l'amiral  Hope  était  déjà  arrivé  le  16.  —  L'amiral  Hope  a  quitté, 
le  16  juin,  les  mêmes  îles  pour  annoncer  aux  autorités  chinoises 
l'arrivée  des  deux  ministres  français  et  anglais.  —  Le  capitaine 
Commerell ,  après  avoir  passé  la  barre  du  Peï-ho,  demande  une  en- 
trevue avec  les  autorités.  —  Il  n'obtient  que  des  réponses  évasives. 

—  L'amiral  Hope  enjoint  au  capitaine  Commerell  de  sommer  les 
autorités  chinoises  d'ouvrir  un  passage ,  dans  les  trois  jours  ,  pour 
permettre  aux  représentants  alliés  de  remonter  la  rivière  jusqu'à 
Tien-tsin.  —  On  répond  au  capitaine  que  le  passage  sera  ouvert  dans 
le  délai  fixé.  —  L'amiral  Hope  retourne  à  Sha-luy-teen.  —  L'escadre 
part  le  .18  juin  pour  le  Peï-ho.  —  Le  20,  l'amiral //ope  remet  une 
lettre  pour  l'intendant  de  Tien-tsin. —  La  populace  s'oppose  au  dé- 
barquement des  troupes  envoyées  à  terre.  —  Les  obstacles  qui  inter- 

II  26 


^02  TABLE  DES  MATIÈRES. 

ceptaienl  le  passage  du  Peï-ho  ont  été  augmentés.  —  Arrivée  du 
DuchayJa  à  l'emliouchure  du  fleuve.  —  Les  autorités  chinoises  font 
savoir  aux  ministres  alliés  qu'ils  doivent  quitter  le  Peï-ho  pour  se 
rendre  à  Peh-tang.  —  Les  ministres  notifient  à  l'amiral  //ope  qu'il 
ait  à  ouvrir  les  portes  du  Peï-ho ,  même  par  la  force ,  pour  les  mettre 
à  même  de  se  rendre  à  Pé-king.  — 11  est  décidé  en  conséquence  que 
l'entrée  du  fleuve  sera  forcée.  —  Composition  de  la  flotte  alliée.  — 
Le  21  juin  l'amiral  Uope,  accompagné  du  commandant  Tricault , 
va  reconnaître  les  abords  du  fleuve.  —  Les  défenses  à  l'entrée  du 
Peï-ho  ont  été  augmentées.  —  Le  23  juin,  deux  canonnières  an- 
glaises et  le  Sorzagaray  franchissent  la  barre.  —  Le  24  juin  est 
consacré  aux  dernières  dispositions  de  détail.  —  Tentative  dans  la 
nuit  de  frayer  le  passage  aux  bâtiments  qui  doivent  le  lendemain 
entrer  en  action.  —  Le  25  juin  au  matin,  les  canonnières  prennent 
leur  position.  —  Le  commandant  Tricault  est  sur  le  Plorer  avec  l'a- 
miral Hope.  —  La  ligne  d'embossage  est  formée.  —  L'amiral  anglais 
veut  frayer  lui-même  le  chemin.  —  La  première  estacade  est  forcée 
par  le  Plover  et  V Opossum  qui  arrivent  devant  la  deuxième  estacade 
sans  être  inquiétés  par  l'ennemi.  —  L'amiral  ne  doute  plus  du  succès. 

—  Mais  tout  à  coup  les  forts  chinois  ouvrent  un  feu  terrible  sur  les 
deux  canonnières.  —  L'amiral  Hope  reste  impassible  sur  l'endroit 
le  plus  élevé  du  Plover.  —  Le  commandant  Tricault  est  à  ses  côtés. 

—  L'amiral  est  blessé.  —  Le  combat  n'est  pas  possible,  la  lutte  étant 
trop  inégale.  —  L'amiral  7/ope  reste  impassible.  —  Le  commandant 
du  Plover  est  tué.  —  L'amiral  anglais  passe ,  avec  le  commandant 
Tricault,  du  Plover  sur  l'Opossum.  —  L'amiral  est  de  nouveau 
blessé,  mais  il  repousse  tous  les  soins  et  reste  sur  le  pont.  —  L'a- 
miral Hope  parcourt  la  ligne  des  bâtiments  sur  le  Sorzagaray.  — 
Il  hisse  son  pavillon  sur  le  Cormoran,  où  il  consent  enfin  à  laisser 
panser  ses  Ijlessures.  —  Un  assaut  est  décidé.  —  Le  Commodore 
américain  Tatlnall  vient  oUrir  le  concours  de  ses  soldats  de  marine. 

—  L'amiral  Uope  refuse  cette  offre  tardive  de  coopération.  —  Le 
commandant  Tricault  quitte  l'amiral  Hope  pour  la  première  fois  de 
la  journée  et  passe  sur  le  Duchayla.  —  Tout  est  prêt  pour  le  débar- 
quement. —  Il  est  sept  heures  et  demie.  —  Les  chefs  donnent 
l'exemple  et  s'élancent  les  premiers.  —  Les  forts  lancent  des  volées 
de  mitraille  qui  jalonnent  la  roule  de  morts  et  de  blessés.  —  Le 
commandant  Tricault,  avec  soixante-quatre  hommes,  fait  d'héroï- 
ques eilorts  pour  traverser  la  nappe  fangeuse  qui  se  dérobe  sous  les 
pieds.  —  La  mitraille  tombe  sans  cesse  du  h  lUt  des  remparts.  — 
On  arrive  auprès  du  premier  fossé  qui  est  tout  aussitôt  franchi.  — 
Enfin,  après  avoir  traversé  un  deuxième  fossé  plus  large,  quelques 
hommes  arrivent  au  pied  des  remparts.  —  Le  commandant  Tricault 
cherche  à  rallier  autour  de  lui  ses  marins.  —  Il  est  rejoint  par  le 
lieutenant  Claveric  avec  quelques  marins  du  Duchayla.  —  Une  cin- 
quantaine d'hommes  composent  la  force  totale  des  alliés  réunis  au 
pied  (les  remparts.  —  A  chaque  instant  la  position  devient  plus 
critique.  —  L'aspirant  Bnry  est  tué.  —  En  vain  les  commandants 
Tricault  et  Heath  veulent  conserver  la  position;  ils  sont  obligés 


TABLE   DES  MATIÈRES.  403 

d'ordonner  la  retraite.  —  Le  commandant  TncttM^i  est  blessé.  —  Le 
rembarquement  dure  une  partie  de  la  nuit,  au  milieu  des  plus  sé- 
rieuses diflicultés.  —  Le  Plover,  le  Lee  et  le  Cormoran  périssent. 
—  La  journée  du  25  juin  est  un  désastre  ,  mais  l'honneur  des  armées 
est  sauf.  —  Le  nouvel  acte  d'hostilité  du  gouvernement  chinois  re- 
met tout  en  question.  —  Les  ministres  de  France  et  d'Angleterre ,  en 
présence  de  l'insuffisance  des  forces  à  leur  disposition ,  renoncent  à 
forcer  l'entrée  de  la  rivière,  et  se  retirent  à  Shang-ha'i., .  Pages  3  à  35. 


CHAPITRE  IL 

Une  seconde  campagne  est  résolue  par  la  France  de  concert  avec  l'An- 
gleterre. —  Le  général  Cousin  de  Montauban  est  nommé  comman  - 
dant  en  chef  de  l'expédition.  —  Composition  du  cadre  d'état-major 
du  corps  expéditionnaire.  —  Le  contre-amiral  Page  a  remplacé  le 
vice-amiral  Rigault  de  Genouilly  dans  le  commandement  des  mers 
de  Chine.  — -Le  général  de  Montauban  charge  l'amiral  Page  d'étu- 
dier le  point  le  plus  favorable  pour  l'installation  des  troupes.  — 
Ordre  du  jour  du  général  de  Montauban  à  l'armée.  —  Départ  du 
général  de  Montaulian ,  le  12  janvier  1860.  —  Le  commandant  en 
chef  arrive  à  Hong-Kong  le  26  février.  —  Entrevue  du  général 
de  Montauban  avec  l'amiral  Page,  qui  arrive  de  la  Cochincliine  où 
il  a  eu  de  sérieux  engagements  avec  les  Annamites.  —  L'amiral  Page 
annonce  au  générai  que  l'occupation  de  Chusan  a  été  décidée  de 
concert  avec  l'amiral  Ilope.  —  Le  général  de  Montauban  ajourne 
celte  occupation.  —  Le  général  quitte  Macao  et  se  dirige  vers  la 
rivière  de  Canton. —  Retour  du  général  à  Hong-Kong,  le  3  mars.  — 
Conférence  avec  les  amiraux  Hope  et  Grant.  —  Départ  du  général 
de  Montauban  pour  Shang-ha'i.  —  Achat  de  cinq  cents  chevaux  au 
Japon.  —  Dernier  ultimatum  des  puissances  alliées.  —  Progrès  des 
rebelles  chinois.  —  Ils  s'emparent  de  Hang-tcheou.  —  Épouvante 
des  habitants  de  Shang-ha'i.  —  Reconnaissance  de  l'île  de  Chusan 
par  l'amiral  Protêt.  —  Lettre  du  général  de  Montauban  à  l'amiral 
Protêt,  lui  donnant  ordre  d'explorer  le  golfe  de  Pe-tchi-liet  la  côte 
de  Chang-toung.  —  Le  contre-amiral  Page  est  chargé  d'occuper 
Chusan.  —  Prévision  d'une  forte  résistance  des  Chinois  àXa-kou. — 
Réponse  du  cabinet  dePé-king  à  l'ultimatum  des  puissances  alliées. 
—  Mémorandum  des  ministres  français  et  anglais.  —  Lettre  de  M.  de 
Bourboulon  au  gouverneur  général  des  Deux-Kiang.  —  Il  ne  reste 
plus  qu'à  faire  appel  à  l'action  militaire.  —  Entente  sur  les  instruc- 
tions données  aux  commandants  supérieurs  des  forces  britanniques 
et  à  M.  Bruce.  —  Dépêche  du  minisire  des  affaires  étrangères  de 
France  définissant  les  intentions  du  gouvernement  français  en  cas 
de  guerre,  —  Un  vice-amiral  est  désigné  au  commandement  en  chef 
des  forces  navales  françaises  dans  les  mers  de  Chine.  —  Le  général 
de  Montauban  prend  le  titre  de  commandant  en  chef  de  l'expédition 
de  Chine.  —  Le  10  avril ,  arrivée  du  vice-amiral  Charner  à  Shang-hai. 


404  TABLR  DES  MATIÈRES. 

—  Arrivage  des  troupes  françaises.  —  Occupation  de  l'île  de  Chusan. 

—  Retour  de  l'amiral  Protêt  de  sa  reconnaissance  dans  le  nord  de 
la  Chine.  — Arrivée  du  général  Jamiti.  —  Le  général  de  Montauban 
songe  à  occuper  Tché-fou.  —  Entrevues  avec  l'amiral  Ilope  et  le 
général  Grant  relativement  à  cette  occupation.  —  Le  transport 
l'Isère  échoue  dans  le  port  d'Amoy.  —  Le  baron  Gros  est  envoyé  en 
Chine  comme  ministre  plénipotentiaire.  —  Dépèche  de  M.  Thnuvenel 
au  baron  Gros Pages  33  à  76. 


CHAPITRE  in. 

Le  général  Jamin  est  installé  à  Tché-fou.  —  Les  autorités  chinoises 
demandent  secours  aux  alliés  pour  les  protéger  contre  les  rebelles. 

—  Démarches  du  lao-taï  de  vShang-haï  auprès  du  général  de  Mon- 
tauhan.  —  Lettre  du  général  sur  la  position  des  choses.  —  Pillage 
de  Sou-tcheou  par  les  rebelles.  —  Six  cents  hommes  de  troupes 
alliées  occupent  le  village  de  Shan-hoo.  —  Le  vice-roi  vient  cher- 
cher refuge  à  Shang-haï.  —  Le  général  de  Montauban  lui  refuse 
une  entrevue.  —  Les  préparatifs  de  l'expédition  dans  le  Nord  se 
continuent  avec  activité.  —  La  Reine  des  Clippers  échoue  aux  abords 
de  Macao.  —  Le  14  juin,  le  général  de  Montauban  expédie  cent  qua- 
torze chevaux  à  Tché-fou.  —  16  juin,  conférence  entre  le  général 
de  Montauban.  les  amiraux  Charner  et  Ilope  et  le  général  Grant. 

—  Le  18,  conseil  de  guerre  chez  le  général  de  Montauban.  —  Déci- 
sion arrêtée.  —  Le  2  juillet,  le  général  de  Montauban  part  pour 
Tché-fou.  —  Visite  du  général  Grant  au  quartier  général  français. 

—  Dernière  reconnaissance  pour  déterminer  le  point  de  débarque- 
ment au  sud  des  forts  de  Ta-kou. —  19  juillet,  nouvelle  conférence 
entre  les  généraux  en  chef  et  les  amiraux.  —  Arrivée  de  lord  Elgin 
et  du  baron  Gros.  —  Ils  déclarent  que  c'est  à  Tien-tsin  seul  qu'ils 
consentiront  à  traiter  avec  le  gouvernement  chinois.  —  Ravages  de 
la  rébellion  dans  l'intérieur  de  l'empire.  —  Placet  du  vice-roi  à 
l'empereur  de  Chine.  —  25  juillet .  départ  de  l'expédition .  —  Le  gé- 
néral de  Montauban  monte  k  bord  du  Corbin.  —  Reconnaissance 
dans  la  rivière  de  Peh-tang  par  le  colonel  Dupin ,  le  lieutenant 
de  Lamarck  et  le  capitaine  Forster.  —  Les  canonnières  anglaises 
rejoignent  l'escadre  le  29  au  soir.  —  Dernier  entretien  entre  les 
généraux  et  les  amiraux.  —  Le  général  de  Montauban  procède  au 
débarquement  à  Peh-tang.  —  Le  colonel  Dupin  fait  une  reconnais- 
sance de  l'autre  côté  de  Peh-tang.  —  Il  trouve  les  traces  récentes 
d'un  campement  abandonné.  —  Le  général  de  Montauban,  soup- 
çonn:int  une  embûche,  envoie  le  commandant  du  génie  Diipouët, 
qui  découvre  que  le  fort  est  miné.  —  Les  troupes  prennent  posses- 
sion du  fort.  —  La  flotte  reste  à  l'ancre.  —  Reconnaissances  faites  par 
les  deux  corps  expéditionnaires. — Un  camp  est  signalé.  —  Legénéral 
Collineau  va  le  reconnaître.  —  Départ  de  l'armée  alliée  le  12  août. 

—  Engagement  de  Sin-ko.  —  Les  troupes  chinoises  se  réfugient 


TABLli  DES  MATIÈUES,  405 

dans  le  village  fortifié  de  Tang-kou.  —  Reconnaissance  des  forts 
par  le  général  de  Montmiban.  —  L'attaque  est  décidée  pour  le  len- 
demain. —  L'assaut  est  donné.  —  Les  portes  sont  brisées  à  coups  de 
hache,  et  les  remparts  sont  bientôt  couronnés  de  nos  troupes.  — 
—  Le  colonel  Sc/imi<;î  plante  le  premier  sur  le  sommet  des  remparts 
le  drapeau  de  la  France Pages  76  à  134. 


CHAPITRE  IV. 

Les  troupes  alliées  s'établissent  dans  la  position  conquise.  —  Le  général 
de  Montauban  propose,  au  général  Grant,  qui  l'accepte,  de  négliger 
les  défenses  de  la  rive  gauche  pour  attaquer  celles  de  la  rive  droite. 

—  Construction  d'un  pont  sur  le  Peïho.  —  Approvisionnement  du 
camp  deSin-ko.  —  Envoi  d'un  parlementaire  chinois,  le  14août.  — 
Les  ambassadeurs  refusent  toute  proposition  de  paix  avant  la  prise 
des  forts  du  Peï-lio.  —  Mise  à  prix  par  le  gouvernement  chinois  des 
plénipotentiaires  et  des  chefs  des  armées  alliées.  —  Reconnaissance 
du  colonel  de  Livet  sur  la  rive  droite.  —  Engagement  avec  l'ennemi. 

—  Le  commandant  de  la  Poterie  apporte  des  renforts  au  colonel 
de  Livet.  —  Prise  du  village  de  Sia-o-léantz.  — L'ennemi  évacue  ses 
positions  après  avoir  brûlé  ses  approvisionnements  et  fait  sauter  ses 
poudrières. — Le  19  août  le  g.^néral  Jamin  traverse  le  Pe'i-ho  avec 
sabrigade  et  campe  dans  Sia-o-léantz.  —  Le  général  Grant  demande  la 
continuation  de  l'attaque  des  forts  de  la  rive  gauche.  —  Deux  plans  en 
présence.  — L'attaque ,  sur  la  rive  gauche  appuyée  par  lord  Elgin  ,  l'a- 
miral //ope  et  le  général  Grant,  est  adoptée  en  conseil. —  Le  20  août, 
reconnaissance  du  général  Jamin.  —  Il  rencontre  des  ouvrages  for- 
tement occupés.  —  L'attaque  du  fort  le  plus  rapproché  de  Tang-ko , 
sur  la  rive  gauche,  est  décidée  pour  le  21.  —  Le  général  ColUneau 
et  le  général  Napier  sont  désignés  pour  cette  opération.  —  L'amiral 
Charner  reçoit  à  l'entrée  du  Pe-tchi-li  la  nouvelle  de  l'attaque  ré- 
solue. —  Le  général  ColUneau  bivaque  au  camp  de  Tang-ko.  — 
Il  est  convenu  que  les  Français  prendront  la  droite  et  les  Anglais  la 
gauche  de  l'attaque.  —  Le  général  ColUneau  attaque  la  droite  du 
fort  le  21  août.  —  De  nombreux  obstacles  défendent  les  approches 
de  l'ouvrage  ennemi.  —  Résistance  des  Chinois.  —  Lutte  corps  à 
corps.  —  Le  diapeau  de  la  France  flotte  au  sommet  des  murailles. 

—  Attaque  des  Anglais  qui  plant-nt  leur  drapeau  sur  les  créneaux 
conquis.  —  Les  assiégés  cherchent  leur  salut  dans  la  fuite.  ^  L'at- 
taque du  second  fort  est  décidée  pour  le  lendemain.  —  Reconnais- 
sance du  colonel  Dupin.  —  Les  Chinois  arborent  un  drapeau  blanc. 

—  Refus  des  propositions  chinoises.  —  Sommation  de  rendre  les 
forts  dans  deux  heures.  —  Le  général  de  Montauban  fait  venir  le 
restant  de  son  artillerie.  —  Les  forts  n'étant  pas  rendus  au  bout  de 
deux  heures,  les  alliés  se  remettent  en  marche.  —  Les  forts  restent 
silencieux.  —  Crainte  d'une  nouvelle  trahison.  —  Les  troupes  s'em- 
parent des  foris  qui  ont  été  abandonnés  par  l'ennemi. —  Quatre  offi- 


406  TABLE   DES  MATIÈRES. 

ciers.  dont  deux  français  et  deux  anglais,  vont  demander  au  vice- 
roi  la  remise  des  défenses  du  sud.  —  M.  Parker  les  accompagne. — 
Le  vice-roi  consent  à  la  reddition  des  forts.  —  Déconraf,'ement  des 
troupes  chinoises.  —  Rôle  joué  par  la  marine.  —  Les  alliés  s'empa- 
rent d'un  formidable  matériel  il'artillerie.  —  Perles  d-^s  armées 
alliées.  —  L'embouchure  du  Peï-ho  oflVe  un  libre  passage  aux  flottes 
alliées.  —  Dépèche  de  l'amiral  Chanter  déciivant  les  olist.icles  accu- 
mulés par  les  Chinois.  —  L'amiral  //ope  remorite  la  rivière  sans 
prévenir  les  commandants  en  chef  alliés.  —  L'amiral  Chômer, 
instr.iil  de  ce  départ,  remonte  rapidement  le  Peï-ho.  —  Le  25  août, 
départ  de  deux  mille  hommes  s'embarquant  sur  le  Peï-ho  pour 
gagner  Tien-tsin.  —  Les  deux  généraux  en  chef  les  accompagnent. 
—  Arrivée  à  Tien-tsin  le  26.  —  Les  troupes  campent  à  l'inté- 
rieur de  la  ville.  —  Fin  de  la  première  période  des  opérations 
militaires Pages  134  à  1G6. 


LIVRE   II. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Le  général  de  Montauban  retourne  au  camp  de  Sin-ko.  —  Il  revient 
avec  le  restant  de  ses  troupes  à  Tien-tsin  par  terre.  —  Discipline 
sévère  maintenue   parmi  les  troupes.  —  Description  du  pays.  — 

—  Arrivée  du  général  de  Montauban  à  Tien-tsin.  —  Le  général 
de  Montauban  envoie  des  renforts  aux  troupes  qui  gardent  Shang-haï. 

—  Description  de  Tien-tsin.  —  Arrivée  de  deux  hauts  commissaires 
impériaux  chinois.  —  Communication  écrite  des  commissaires  aux 
plénipotentiaires  alliés. — Pourparlers. —  Fourberie  des  commissaires 
chinois  qui  n'ont  aucun  plein  pouvoir  pour  conclure.  — Les  pléni- 
potentiaires français  retirent  les  propositions  qu'ils  ont  faites.  — La 
véritable  campagne  commence.  —  L'hésitation  n'est  plus  permise. 

—  Le  9  septemlire ,  la  première  colonne  se  met  en  marche.  —  Arrivée 
à  Pou-kao.  —  Violent  orage.  —  Les  conducteurs  chinois  prennent 
la  fuite.  —  Le  général  de  Montauban  charge  les  approvisionnements 
sur  cent  jonques  chinoises.  —  Le  12  septembre,  l'armée  alliée  se 
met  en  marche  sur  Yang-hun.  —  Nouvelle  communication  du  gou- 
vernement chinois,  qui  cherche  à  renouer  le  fil  des  négociations. — 
Marche  en  avant.  —  Le  13  septembre,  arrivée  des  troupes  à  Kho- 
seyou.  —  Nouvelle  démarche  des  commissaires  chinois.  —  Note  du 
prince  Tsai  et  de  Muh.  —  Perfidie  du  gouvernement  chinois  pour 
gagner  du  temps.  —  Manifeste  de  l'empereur  de  Chine  à  propos  de 
la  journée  du  25  juin  1859.  — Le  général  Co/KneflM  rejoint  le  général 
de  Montauban.  —  Les  populations  abandonnent  leurs  villages  devant 
les  armées  alliées.  —  L'armée  continue  sa  marche  sur  Tung-chao. 


TABLE    DES  MATIÈRES.  407 

—  Des  parlementaires  sont  envoyés  auprès  des  commissaires  chinois 
pour  fixer  les  bivacs  des  deux  armées Pages  169  à  192 . 


CHAPITRE  II. 

Le  colonel  Foullon- Grmidchamp ,  le  capitaine  d'état-major  Chanoine, 
le  caïd  Osman,  MM.  Dubut,  Ader  et  Gagey ,  et  l'abbé  Duluc,  du 
côté  des  Français,  partent  le  17  septembre,  accompagnés  de 
MM.  de  Bastard ,  de  Méritens  et  d'Escayrac  de  Lauture.  —  Du  côté  des 
Anglais,  les  parlementaires  sont  :  le  colonel  Walker,  le  lieutenant 
Anderson,  M.  Boirlby ,  M.  de  Xormann,  M.  Loch  et  M.  Parker.  — 
Le  17,  le  général  de  Montauban\è\e  le  camp  et  se  dirige  sur  Matao. — 
Les  plénipotentiaires  arrivés  à  l'entrée  de  Tung-chao  sont  accueillis 
avec  empressement  par  des  mandarins.— Entrevue  de  M.  de  Bastard 
avec  le  prince  Tsai.  —  Le  projet  de  convention  apporté  par  M.  de 
Bastard  est  accepté  par  le  prince  Tsai.  —  Le  18,  M.  de  Bastard 
quitte  la  ville  avec  M.  de  Méritens,  le  caïd  Osman  et  le  capitaine 
Chanoine.  —  Leur  escorte  se  compose  de  deux  spahis. —  Le  colonel 
de  Grandchamp,  Vahhé  Dnluc,  MM.  Dubut,  Ader,  Gagey  et  d'Es- 
cayrac de  Lauture  restent,  du  côté  des  Français,  seuls  dans  la  ville. 
—  Les  deux  armées  ont  dû  quitter,  le  18,  leur  campement  de 
Matao  pour  se  rendre  au  bivac  arrêté  par  les  conventions.  —  Le 
capitaine  Chanoine  prend  les  devants  pour  aller  rejoindre  le  général 
de  Montaiiban  et  lui  donner  les  indications  nécessaires.  —  M.  Parker 
se  rend  également  auprès  du  général  Grant,  accompagné  de  3/.  ioc/i 
et  du  iolonel  Walker.  —  MM.  de  Normann,  BouJby  et  le  lieutenant 
Anderson  restent  à  Tung-chao ,  où  M.  Parker  doit  venir  les  rejoindre 
après  avoir  terminé  sa  mission  auprès  du  général  Grant.  —  L'aspect 
du  pays  est  changé. — Une  armée  chinoise  tout  entière  occupe  la  cam- 
pagne dans  un  but  évidemment  hostile.  —  M.  Parker  voyant  l'indice 
d'une  trahison  retourne  vers  Tung-chao  pour  protéger  ceux  de  ses  com- 
patriotes qu'il  a  laissés  dans  cette  ville.  —  M.  Loch  continue  sa  route 
vers  le  général  Grant.  —  Le  colonel  Walker,  avec  six  hommes  d'es- 
corte ,  s'arrête  pour  attendre  le  retour  de  M.  Parker.  —  Le  matin ,  les 
troupes  alliées  ont  quitté  leur  camp. — Après  deux  heures  de  marche, 
les  généraux  s'arrêtent  en  voyant  les  positions  occupées  par  l'armée 
tartare.  —  Lemandarini/a?)g'-fci  vient  demander  à  parler  aux  ambas- 
sadeurs, sous  le  prétexte  de  s'entendre  avec  eux  sur  leur  réception 
à  Pé-king.  —  Il  déclare  que  la  présence  des  troupes  tarlares  est  le 
résultat  d'un  malentendu.  —  Les  généraux  alliés  prennent  des  dis- 
positions pour  parer  à  tout  événement.  —  Les  Tartares  continuent 
leur  mouvement.  —  Disposition  du  terrain.  —  Position  des  armées 
alliées.  —  Arrivée  du  capitaine  Chanoine  au  camp.  —  Il  a  traversé 
toute  l'armée  tartare  qui  est  fortement  établie.  —  Arrivée  de  M.  de 
Bastard  et  de  M.  de  Méritens.  —  L'officier  d'administration  Gagey 
vient  bientôt  après  confirmer  leur  rapport.  —  Inquiétudes  sur  les 
parlementaires.  —  Le  général  de  Montauban  propose  pour  les  sauver 


408  TABLE   DES  MATIÈRES. 

(le  fondre  tout  à  coup  sur  les  Tartares.  —  Le  général  anglais  veut 
attendre  le  retour  de  M.  Parker.  —  Arrivée  au  camp  du  colonel 
Walker  au  milieu  d'une  décharge  de  mousquelerie.  —  Sa  luite 
contre  les  soldats  qui  veulent  empêcher  son  retour  au  camp.  —  Le 
général  de  Montauban  se  met  à  la  tête  de  ses  troupes  et  marche  sur 
■  Leost.  —  Prise  de  Leost  et  de  Khouat-tsun.  —  Combat  de  Tchang- 
kia-ouang.  —  L'armée  chinoise  est  mise  en  pleine  déroute  —  Part 
prise  par  l'armée  anfrlaise.  —  Ordre  général  sur  la  journéi  du  18  sep- 
tembre. —  Les  parlementaires  envoyés  à  Tung-chao  ne  sont  pas 
revenus  au  camp.  —  Inquiétudes  sur  leur  sort.  —  Un  prisonnier 
annonce  la  nouvelle  qu'ils  ont  été  emmenés  à  Pé-king.  —  Il  ne  reste 
plus  qu'à  marclier  résolument  en  avant.  —  Un  nombre  considérable 
de  Tartares  est  réuni  au-dessus  de  Tung-chao.  —  C'est  à  cet  endroit 
que  le  général  Sang-ko-lin-isin  a  réuni  toutes  ses  forces.  —  Une 
grande  bataille  est  imminente.  —  Arrivée  du  général  Collineau  avec 
toutes  ses  forces  di-])onibles.  —  Les  dispositions  du  combat  sont 
arrêtées  d'un  commun  accord  avec  le  général  Grant.  —  La  journée 
du  21  septembre  doit  être  décisive Pages  193  à  221 . 


CHAPITRE  III. 

Le  21  septembre,  au  matin,  l'armée  se  met  en  marche.  —  A  trois  kilo- 
mètres de  Pa-li-kiao.  elle  aperçoit  les  premières  vedettes  tartares. 
—  Les  forces  ennemies,  au  nombre  de  vingt  à  vingt-cinq  mille 
hommes,  sont  en  ligne.  —  Elles  ont  pour  centre  le  village  de  Oua- 
koua-yé.  —  Le  général  de  Nontauban  prend  les  preraièi^s  disposi- 
tions du  combat.  —  Le  général  ColUmau  se  porte  en  avant  sur  la 
gauche.  —  Le  général  de  Montauban  suit  le  mouvement  sur  la  droite 
avec  le  généralJanrm.  —  La  cavalerie  tartare  s'avance  résolument, 
malgré  des  pertes  considérables,  et  chercheà  écraser  le  petitcorpsdu 
général  Collineau.  —  La  situation  est  grave. — Le  canon  gronde.  — 
Les  Tartares  tentent  de  tourner  la  gauche  du  général  Collineauvevs  le 
vide  qui  existe  entre  son  corps  et  les  Anglais.  —  Le  général  menace 
d'être  écrasé.  —  Le  feu  s'ouvre  sur  notre  droite  où  se  trouve  le  gé- 
néral de  Montauban.  —  Il  lance  en  avant  le  général  Jamin.  —  Posi- 
tion de  plus  en  plus  critique  du  général  Collineau.  —  Irruption  de 
la  cavalerie  tartare  sur  toute  la  ligne.  —  Le  général,  à  la  tête  de  sa 
poignée  d'hommes,  arrête  l'ennemi  par  un  feu  meurtrier.  —  L'ar- 
rivée des  Anglais  dégage  la  position.  —  Le  général  de  Montauban ., 
rassuré  sur  sa  gauche,  continue  son  mouvement  sur  le  pont  de 
Pa-li-kiao.  —  Nos  troupes  électrisées  se  lancent  au  pas  lie  course  et 
enlèvent  le  village  de  Oua-koua-yé.  —  Le  général  Collineau  appuie 
le  mouvement  de  conversion.  —  Les  deu.x  brigades  marchent  à  la 
même  hauteur  et  arrivent  devant  le  pont  de  Pa-li-kiao.  —  Des  tirail- 
leurs armés  sont  embusqués  tout  le  long  du  canal.  —  L'ennemi 
s'apprête  à  disputer  résolument  le  passage.  —  Feu  terrible  des  Chi- 
nois. —  Nos  obus  abattent  des  rangs  entiers.  —  La  mort  n'épouvante 


TABLE  DES  MATIERES.  409 

pas  l'ennemi.  —  Presque  tous  ses  canonniers  sont  tués  sur  leurs 
pièces.  —  Son  feu  s'affaiblit.  —  Le  général  ColUneaii  forme  une 
colonne  d'attaque.  —  Le  capitaine  du  Moncets ,  du  101°,  se  joint 
avec  sa  compagnie  à  cette  colonne.  —  Le  pont  est  envahi.  —  L'en- 
nemi, privé  de  ses  chefs,  se  retire  en  désordre  vers  Pé-king.  —  Il 
est  midi.  —  Le  combat  a  duré  cinq  heures.  —  Les  troupes  françaises 
s'établissent  sous  les  tentes  des  Tartares.  —  Marche  suivie  par  les 
Anglais  depuis  le  matin.  —  Après  une  marche  d'un  mille ,  le  général 
Grant  se  trouve  en  présence  d'une  masse  considérable  de  cavalerie 
qui  menace  !a  gauche  de  la  ligne  alliée.  —  Préoccupation  du  général 
anglais.  —  Retard  dans  sa  marche.  —  Concours  utile  qu'il  apporte 
au  petit  corps  du  général  ColliiKaii.  —  La  cavalerie  anglaise  se 
porte  sur  la  cavalerie  tarlare  qui  est  bientôt  mise  en  déroute.  —  Le 
corps  expéditionnaire  anglais  prend  ses  bivacs.  —  Aspect  du  pont 
de  Pa-li-kiao  le  lendemain  de  la  bataille.  —  Dépèche  du  prince  Kong 
au  baron  Gros,  21  septembre.  —  Le  prince  À'o?igf  est  chargé  des  né- 
gociations.—  Le  baron  Gros  et  lord  Elgin  se  refusent  à  entamer  les 
négociations  avant  le  retour  des  prisonniers.  —  Note  du  baron  Gros 
au  prince  Kong.  25  septembre  1860.  —  Réponse  du  prince  Kong, 
27  septembre.  —  Résumé  de  la  politique  chinoise  depuis  1859.  — 
Le  prince  Kong  ne  rend  pas  les  prisonniers.  —  Échange  successif 
de  dépêches  entre  le  prince  Kong  et  les  plénipotentiaires  alliés.  — 
Réponse  définitive  du  prince  A'ongf,  30  septembre.  —  Les  espérances 
de  paix  sont  déçues.  —  Les  opérations  militaires  vont  recom- 
mencer   Pages  221  à  257 . 


LIVRE   m. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Reconnaissances  du  24  et  du  26  septembre.  —  Le  5  octobre,  l'armée  al- 
liée se  met  en  marche.  —  Arrivée  devant  Pé-king.  —  6  octobre ,  con- 
tinuation de  la  marche  de  l'armée.  —  Reconnaissance  autour  de  Pé- 
kin?. —  Marche  du  général  de  Montauban  sur  la  résiilence  impériale 
de  Yuen-munyuen.  —  Deux  régiments  de  cavalerie  anglaise  s'étant 
égarés  se  joignent  à  la  colonne  française.  —  Arrivée  devant  le  palais 
de  Yuen-raun-yuen.  —  Reconnaissance  du  commandant  Compenon. 
—  L'aspirant  Butte  escalade  une  muraille.  —  Lutte  du  lieutenant 
de  Pina  avec  les  Chinois.  —  Le  général  de  Montauban  fait  occuper 
la  première  cour  du  palais  par  la  brigade  CoUineau.  —  Les  Anglais 
partis  en  même  temps  que  les  Français  s'étaient  égarés  en  route.  — 
Après  quelques  escarmouches,  ils  arrivent  sur  les  routes  qui  tendent 
à  la  porte  d'Am-ting ,  et  passent  la  nuit  dans  ct  t  endroit.  —  Au  lever 
du  jour  une  salve  de  vingt  et  un  coups  de  canon  fait  connaître  au 


410  TABLE  DES  MATIÈRES. 

général  de  Montauban  la  position  de  l'armée  anglaise.  —  Le  brigadier 
Pattle  commandait  les  deux  ngiments  an;;lais  qui  s'étaient  réunis. 

—  La  colonne  française  envoie  prévenir  le  général  CranI  que  les 
Français  sont  maîtres  d  u  Palais  d'Été  de  l'empereur  et  attendent  son 
arrivée  pour  procéder  au  partage.  —  Première  visite  du  général 
de  Montauhnn  au  Palais  d'Eté.  —  Splendeurs  et  richesses  de  la  rési- 
dence impériale.  —  Rapport  du  général  de  Montauban,  12  octobre. 

—  Des  sentinelles  sont  placées  pour  fermer  l'entrée  du  palais  jusqu'à 
l'arrivée  du  général  Grant.  —  Arrivée  du  général  Grant  avec  lord 
FAgin.  —  Une  commission  est  nommée  pour  procéder  au  partage. 

—  Huit  cent  mille  francs  sont  partagés  entre  les  soldats  des  deux 
armées.  —  Dans  une  maison  qui  avoisine  le  palais,  on  retrouve  les 
vêtements  ensanglantés  de  plusieurs  des  prisonniers  nlliés.  —  Le 
général  de  Montauban  va  rejoindre  l'armée  anglaise  campée  devant 
Pé-king,  9  octobre. — Retour  de  M.  d'Excatjrac  de  Lauture  au  camp 
axecMM.  Parker,  Loch  et  quatre  soldats  français.  —  Souffrances  des 
prisonniers.  —  Barbares  traitements  qu'ils  ont  subis.  —  M.  de  Nor- 
mann  ,  premier  attaché  de  l'ambassade  de  lord  EUjin .  M.  lioiclby , 
correspondant  du  Times ,  le  lieutenant  Anderson  ont  succombé.  — 
Le  7,  les  commandants  des  années  alliées  font  savoir  aux  aitorités 
chinoises  qu'ils  comptent  occuper  une  des  portes  de  Pé-king.  — 
Position  difficile  en  présence  de  l'arrivée  de  l'hiver.  —  Il  est  impor- 
tant d'arriver  promptement  ii  une  solution  définitive.  —  Lettre  du 
général  de  Montauban  au  prince  Konr/ .  10  octobre.  —  Le  prince 
Kon(j  consent  à  l'occupation  d'une  des  portes  de  Pé-king  .  par  l'armée 
alliée.  —  Visite  du  général  de  Montauban  sur  les  remparts  de  la 
capitale.  —  Le  prince  Kong  exprime  au  baron  Gros  sa  satisfaction 
de  l'attitude  prise  par  les  troupes  françaises.  —  L'armée  française 
campe  dans  le  faubourg  qui  précède  la  porte  Am-ting.  —  Les  signes 
précurseurs  de  l'hiver  se  font  sentir.  —  Le  général  de  Montauban 
est  résolu  à  partir  le  1"  novembre  pour  Tien-tsin.  —  Lettre  du  baron 
Gros  à  lord  FAgin.  —  Correspondance  du  baron  Gros  avec  le  prince 
Kong.  —  Le  dernier  délai  est  fixé  pour  le  23  à  mid  i .  Pages  259  à  294. 


CHAPITRE  II. 

Des  événements  nouveaux  viennent  compliquer  la  situation.  —  Les 
cadavres  mutilés  des  pris'mniers  sont  rapportés  au  camp.  —  Exas- 
pération des  Anglais.  —  Lord  FAgin  veut  que  des  officiers  chinois 
accompagnent,  de  Pé-king  à  Tien-tsin,  les  restes  des  victimes  d'une 
odieuse  trahison,  et  qu'un  monument  expiatoire  soit  élevé  diins 
cette  ville  aux  frais  du  gouvernement  chinois.  —  Lord  Flgin  veut 
.•lussi  qu'on  s'empare  du  palais  impérial  de  Pé-king,  et  qu'on  dé- 
truise de  fond  en  comble  le  palais  de  Yuenmun-yuen.  —  Objection 
du  baron  Gros.  —  Lord  FAgin  ne  veut  pas  renoncer  à  son  projet.  — 
Sa  réponse  au  baron  Gros.  —  Le  baron  Gros  persiste  dans  ses  objec- 
tions, tout  en  observant  qu'il  laisse  le  général  de  Montauban  libre 


TABLE  DES  MATIERES.  411 

d'agir  à  cet  égard  à  sa  guise.  —  Le  général  de  Montauhan  refuse 
formellement  de  s'associer  aux  projets  de  lord  Elgin  contre  Yuen- 
mun-yuen.  —  Ra'sons  qu'il  donne  de  son  refus.  —  Correspondance 
entre  le  général  Grant  el  le  général  de  Montauhan.  —  Différence 
des  politiques  française  et  anglaise.  —  Le  18,  les  Anglais  incen- 
dient le  Palais  d'Été,  dont  il  ne  reste  bientôt  plus  que  des  bois 
fumants.  —  Douloureuse  impression  du  général  de  Montauhan.  — 
Sa  lettre  au  général  Grant.  —  Les  chefs  anglais  rêvent  une  attaque 
contre  Pé-king.  —  Leur  but  politique  est  le  renversement  de  la  dy- 
nastie régnante.  —  But  opposé  de  la  politique  française.  —  Dépêche 
du  baron  Gros  au  prince^orîg,  2.5  septembre.  —  11  n'est  plus  pos- 
sible au  gouvernement  français  de  se  refuser  plus  longtemps  aux 
conditions  de  paix  proposées.  —  La  paix  est  évidente  aujourd'hui. 
—  Le  19,  le  général  Grant  propose  au  général  de  Montauhan  d'atta- 
quer Pé-king  avant  le  délai  fixé  par  le  baron  Gros.  —  Le  général 
français  s'y  refuse  en  déclarant  qu'il  s'oppose  à  toute  attaque.  — 
Le  20,  le  prince  Kong  annonce  que  l'indemnité  réclamée  pour  les 
victimes  sera  payée  le  22.  —  Le  22,  M.  de  Bastard.,  premier  secré- 
taire de  l'ambassade  française,  et  M.  de  Kéroulée ,  attaché,  se  rend 
à  Pé-king  pour  régler  tous  les  détails  relatifs  à  la  signature  du 
traité.  — Inquiétudes  du  prince  Kong  sur  sa  propre  sûreté.  —  Le  24, 
le  baron  Gros  fait  son  entrée  dans  Pé-king.  —  Description  du  cor- 
tège. —  Le  24,  lord  Elgin  signe  le  traité  de  la  Grande-Bretagne 
avec  la  Chine.  —  Difficultés  d'étiquette.  —  Dureté  du  diplomate 
anglais.  —  Entrevue  du  baron  Gros  et  du  prince  Kong.  —  Différence 
d'attitude.  —  Le  traité  avec  la  France  est  signé. . .  Pages  294  à  319. 


CHAPITRE  III. 


Appréciation  de  cette  expédition.  —  Sa  différence  avec  les  campagnes 
de  Crimée  et  d'Italie.  —  Ses  résultats.  —  Les  barrières  de  la  Chine 
sont  brisées,  la  croix  du  Christ  reparaît  sur  les  églises  relevées.  — 
Les  victimes  du  18  septembre  reçoivent  les  derniers  devoirs.  — 
Le  29,  ouverture  de  l'église  catholique  et  cérémonies  de  sa  nou- 
velle consécration.  —  L'hiver  approchant,  le  général  de  Montauhan 
quitte  le  quartier  général  de  Pé-king  avec  ses  troupes  et  se  dirige 
vers  Tien-tsin  ,  où  il  arrive  après  cinq  jours  de  marche.  —  Lord 
Elgin  a  voulu  prolonger  son  séjour  à  Pé-king  jusqu'à  la  promulgation 
du  traité  par  l'empereur.  —  Le  baron  Gros  se  décide  à  rester  égale- 
ment dans  la  capitale  jusqu'au  départ  de  son  collègue.  —  Trois  dé- 
légués de  l'armée  partent  pour  la  France  pour  porter  à  l'Empereur 
les  objets  trouvés  dans  le  Palais  d'Été.  —  Le  lieutenant  de  Pina 
part  en  même  temps  porteur  d'une  cassette  également  trouvée  dans 
le  Palais  d'Été  et  contenant  les  divers  traités  conclus  par  la  Chine. 
—  Le  22  novembre,  le  général  de  Montauhan  remet  le  commande- 
ment au  général  Collineau  et  quitte  Tien-tsin.  —  Le  général  se 


412  TABLE  DES  MATIÈUES. 

rend  à  Tché-fou.  —  De  là  il  va  visiter  Nanko-saki ,  port  japonais. — 
Le  16,  retour  du  général  de  .tfon^auta»  à  Shang-haï.  Pages  319à  332. 


LIVRE   IV. 


COCHmCHIXE. 


Les  tentatives  de  conciliation  sont  restées  infructueuses  du  côté  du 
royaume  annamite.  —  Le  général  de  Montniibnn  reçoit  une  lettre  du 
ministre  de  la  marine  qui  l'engage  à  s'entendre  avec  l'amiral  Chnrner 
au  sujet  des  projets  d'expédition  qu'il  pourrait  méditer  contre  les 
Cocliincliinois.  —  Renforts  donnés  par  le  général  à  l'amiral.  —  Le 
général  de  Montauhan  organise  ses  quartiers  d'hiver  à  Shang-haï. 
—  L'hiver  s'écoule  tranquillement.  —  Situation  du  petit  corps  expé- 
ditionnaire en  Cocliinchine.  —  Le  climat  fatal  fait  de  nombreuses 
victimes.  —  Mort  du  général  Collineau.  —  Le  général  Jamit}  reçoit 
le  commandement  des  troupes.  —  Le  général  de  Montauhan  s'em- 
barque pour  la  France.  —  Le  contre-amiral  Bonnard  a  pris  le  com- 
mandement de  l'expé^lition  de  Clochincliine.  —  Les  opérations  exé- 
cutées dans  cette  dernière  campagne  méritent  autre  chose  qu'un 
résumé  rapide.  —  Elles  feront  l'objet  d'une  histoire  séparée. 

Pages  335  â  339. 


PIECES  JUSTIFICATIVES. 

L        Composition  du  corps  expéditionnaire  français  en  Chine... .  343 

11.      Rapport  du  général  de  Montiuban  au  ministre  de  la  guerre, 

18  a  ût  1860 364 

IIJ.    Rapport   de  l'amiral   Charner   au  ministre  de  la  marine, 

23  août  1860 358 

IV.  Rapport  du  général  de  Montauhan  au  mini.stre  de  la  guerre, 

24  août  1860 361 

V.  Rapport  de  l'amiral  Charner   au  ministre   de  la  marine, 

2b  août  1800 369 

VI.  Rapport  du  général  de  Montauhan  au  ministre  de  la  guerre, 

19  septemhre  1860 370 

VIL    Rapport  du  général  de  Montauhan  au  ministre  delà  guerre, 

24  septembre  18G0 376 


TABLE   DES  MATIÈRES.  413 

VIII.  Rapport  du  général  de  Montauban  au  ministre  delà  guerre, 

8octobrel860 381 

IX.  Rapport  du  général  de  Montauban  au  ministre  de  la  guerre, 

12,  17,  18  octobre  1860 383 

X.  Proclamation  du  général  de  Montauban,  18  octobre  1860...  390 

XI.  Traité  de  paix  additionnel  au  traité  entre  la  France  et  la 

Chine,  du  27  juin  1858,  conclu  à  Pé-king  le  25  octo- 
bre 1860 392 

XII.  Traité  de  paix  additionnel  au  traité  du  26  juin  1858,  entre 

la  Grande-Bretagne  et  la  Chine ,  conclu  à  Pé-king  le  24  oc- 
tobre 1860 397 


FIN    DE    LA    TABLE 
DE  LA    DEUXIÈME   ET   DERNIÈRE   PARTIE. 


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Los  Angeles 

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